dimanche 27 février 2011

Le PS critique le futur débaLa première secrétaire du PS,

LEMONDE.FR | 27.02.11 | 17h06

Dans ce qui ressemble fort à un plan de communication savamment orchestré, trois hauts responsables du PS ont critiqué dimanche 27 février le futur débat sur la place de l'islam en France voulu par Nicolas Sarkozy. Martine Aubry, première secrétaire du PS, a ainsi estimé sur France 2 qu'avec ce débat le président voulait faire porter la responsabilité de la crise sur "les étrangers".

"Nous sommes dans un pays qui n'est pas sorti de la crise, qui n'a jamais été aussi inégalitaire, avec un président dont la parole est décrédibilisée parce qu'il a trop raconté d'histoires (...), avec une France qui est rétrécie, abîmée", a-t-elle déclaré. Selon Mme Aubry, "au lieu de rebondir", "on se replie, on essaie de replier les Français pour leur faire peur. On leur dit: attention, c'est la faute des autres". "C'est la faute des étrangers. C'était le débat sur l'identité nationale, ça a été cette honte sur les Roms de l'été dernier qui nous a fait montrer du doigt partout, et aujourd'hui on remet le couvert avec l'islam", a-t-elle poursuivi.

"Je suis dans une ville [Lille] où il y a beaucoup de musulmans. Il y a la place en France pour un islam ouvert, tolérant et, j'allais dire laïque, au sens où il respecte les valeurs de la République, notre socle commun", a-t-elle ajouté. Selon Mme Aubry, "malheureusement, quand l'Allemagne va mal, elle se replie vers 'je suis la nation la plus forte et je ne veux pas donner pour les autres'. Quand la Grande-Bretagne va mal, elle se replie sur son île. Nous, on dit: c'est la faute des étrangers".

"PÉRIODE SOMBRE DE NOTRE HISTOIRE"

"La France est un pays qui alterne les grandeurs et les bassesses. Je considère que nous sommes dans un moment d'abaissement national", a déclaré de son côté l'eurodéputé Vincent Peillon sur radio RCJ était "dans une période sombre de (son) histoire" et déploré un "abaissement national". "C'est toujours comme ça, il faut l'ennemi. Ca peut être les juifs à un moment, aujourd'hui en France, ce sont les musulmans. Et on amalgame musulmans — dont vous savez que beaucoup d'entre eux ne pratiquent pas, beaucoup sont tout à fait intégrés et adhèrent aux valeurs de la laïcité — avec islamisme radical", a déclaré M. Peillon. "Un pays c'est comme une personne, entre nous, en nous, il y a des éléments d'abaissement et il faut lutter en permanence contre les tendances à la bassesse. Nous sommes dans une période sombre de notre histoire", a-t-il ajouté.

Le débat sur l'islam va conduire à "la stigmatisation" des musulmans en France a enfin affirmé sur Radio J le porte-parole du PS Benoît Hamon. "Nous avons déjà eu un débat sur l'identité nationale, qui a davantage creusé des tranchées entre les Français que permis de relier les Français entre eux", a-t-il déploré. Alors que "la tâche du président de la République" est "d'incarner la nation", "Nicolas Sarkozy ne passe pas un mois sans déclarer la guerre à une catégorie de Français : un jour, ce sont les syndicalistes, un autre jour, les salariés du public, un autre ce sont les pauvres...", a-t-il souligné. "Il répète l'erreur du débat sur l'identité nationale, elle conduira à une chose, c'est à produire de la stigmatisation", a ajouté M. Hamon qui craint l'hypothèse d'un nouveau "21 avril", que ce soit aux dépens de la gauche ou de la droite.

Notre modèle d'intégration est malade

LEMONDE.FR | 24.02.11

Trop longtemps, les politiques ont cru traiter les problèmes liés à l'immigration ou à la sécurité en contournant la réalité.

En France, la classe politique, et spécialement la gauche, a manqué de courage sur ces sujets. En prétextant bâtir une politique d'intégration, elle a instauré – en contradiction avec nos valeurs – le droit à la différence et fondé des droits différents. Et c'est dans l'incapacité de répondre aux problèmes de délinquance, que la culture de l'excuse s'est généralisée.
Cette "fuite des responsabilités" a conduit à une incapacité à résoudre les problèmes d'une immigration mal maîtrisée et d'une délinquance en hausse. Elle a laissé le champ libre au développement des tensions sociales puis à la montée des extrêmes ! A la politique utopique – voire cynique – d'une certaine gauche avec "le droit à la différence" répondait le "immigrés dehors" de l'extrême droite.
En conséquence, beaucoup de nos compatriotes ont été déstabilisés. Plus grave encore, beaucoup d'entre eux ont été abandonnés. On a vu de véritables ghettos se créer, un déclassement social généralisé s'opérer dans l'indifférence. On a vu ceux qui se battaient pour s'intégrer, et qui voulaient tirer la France vers le haut, se décourager et perdre espoir.
S'apercevant que le "droit à la différence" était un piège, certaines personnes immigrées ou d'origine immigrée se sont repliées sur leurs différences, en glissant vers un communautarisme qui leur semblait rassurant. D'autres ont profité de ce repli pour les radicaliser : "ces victimes" se transformaient alors en menaces pour nos valeurs républicaines ! Cela n'est pas acceptable dans une grande démocratie.
Notre pays ne sort jamais grandi de situations où la peur dicte l'action, où la caricature prend le pas sur la réalité. On ne gagne pas une élection en opposant les uns aux autres. La victoire par la peur, c'est la défaite de nos valeurs.
Notre modèle d'intégration est malade, c'est une évidence. Mais, il n'est pas trop tard pour le revivifier. Ne désespérons pas ceux, trop nombreux, Français, qui aiment notre pays et qui se sentent aujourd'hui de plus en plus stigmatisés : hier les immigrés, aujourd'hui les musulmans.
Nous avons, en France, longtemps été enviés pour notre modèle d'intégration, un modèle fondé sur la mixité sociale, la méritocratie, ou encore sur le partage et le respect de valeurs communes fortes comme la laïcité. C'est un modèle qui a permis à beaucoup d'enfants d'immigrés d'avoir la possibilité d'aimer, de servir et d'honorer la France.
REVALORISER LES VECTEURS TRADITIONNELS DE L'INTÉGRATION
Une société qui sait intégrer, c'est une société qui fait attention à ce que les vecteurs traditionnels de l'intégration soient revalorisés : l'école, la formation, ou encore l'emploi. C'est aussi une société qui est soucieuse de la promotion de nos valeurs, comme la liberté de conscience, l'égalité femmes/hommes ou la laïcité. Elles doivent être soutenues et sans cesse rappelées !
L'école de la République offre-t-elle aujourd'hui les mêmes chances, les mêmes espoirs qu'à l'époque où Jules Ferry la rendait laïque, gratuite et obligatoire ? En priorité, nous devons de manière urgente répondre aux problèmes de l'illettrisme (près de 20 % d'enfants en fin de CM2), et à l'insertion des jeunes (plus de 40 % des jeunes sont au chômage aujourd'hui dans les quartiers populaires).
Avec humilité, reconnaissons que la politique de la ville a été un échec. Par fatalisme ou par manque d'ambition, nous avons préféré "aménager les ghettos" plutôt que de mener une véritable politique de fond. Il n'est pas trop tard pour inverser cette tendance.
Si la mondialisation a accru la mobilité, elle a nécessairement joué un rôle dans la progression des religions. C'est vrai pour l'islam, même si elle n'est pas la seule. Seulement, aujourd'hui on parle plus de l'islam que d'autres religions. Pourquoi ? Sans doute, parce que l'islam a été dévoyé par un petit nombre pour justifier l'intégrisme ou même des actes terroristes. Ce dévoiement suscite aujourd'hui des peurs.
Un débat aujourd'hui sur la place de l'islam dans notre société doit être l'occasion de calmer ces craintes, et non de les alimenter. Il faut pouvoir en parler sereinement, sans tabous, tout en se gardant de toute instrumentalisation, de tout raccourci, et de toute stigmatisation.
Il faut également rompre avec les préjugés ! Les musulmans, dans leur grande majorité, ne sont pas dans la défiance vis-à-vis de la République. Souvent stigmatisés, on les voit rarement descendre dans la rue manifester ! Alors que certains ont voulu réduire la loi contre le port du voile intégral et la loi sur le port des signes religieux à l'école à des lois anti-islam, le Conseil français du culte musulman a appelé à leur application.
Notre République est fondée sur un principe de laïcité. La laïcité, ce n'est pas la négation de la religion ou le dénigrement d'une religion par rapport à une autre. C'est au contraire l'acceptation de toutes les religions, dans le respect strict de la liberté de pensée des autres et de la neutralité de l'Etat.
Les prières dans les rues ? Nous les avons tolérées, acceptées, et il faut le dire, par manque de courage politique. Alors que les outils juridiques existent pour empêcher cela : celui de l'ordre public et de la liberté de circulation. Et les musulmans ne revendiquent pas le droit de prier dans la rue ! Nous pouvons trouver une solution à ce problème de manière sereine et dépassionnée.
Très peu de gens, vivant en France aujourd'hui, refusent de s'intégrer, malgré ce que l'on entend. La réalité, c'est que notre système est en panne. Je suis plus que jamais convaincue que le "réparer" doit être aujourd'hui notre priorité : la France en sortirait grandie et serait ainsi à nouveau, dans ce domaine, un exemple pour le monde.
Rachida Dati, députée européenne

L'union européenne doit forger sa culture commune

LEMONDE.FR | 24.02.11 | 18h37 • Mis à jour le 24.02.11 | 18h51
Au moment où la Slovénie intégrait l'Union européenne, l'un de nos eurosceptiques paraphrasa les Marx Brothers : Nous, Slovènes, avons des problèmes ? Rejoignons l'Union européenne ! Nous aurons d'autant plus de problèmes, mais nous aurons l'Union européenne pour s'en occuper ! L'Union européenne vaut-elle alors la peine d'être défendue ? La véritable question, naturellement, est : quelle Union européenne ?
David Cameron vient d'attaquer le multiculturalisme que trente ans durant connut la Grande-Bretagne au motif qu'il nourrit l'idéologie extrémiste, faisant écho à la déclaration de Angela Merkel d'octobre 2010 ("Cette approche multiculturelle, qui dit que nous vivons côte à côte et heureusement nos rapports avec autrui, a échoué. Complètement échoué"), qui faisait elle-même écho au débat d'il y a deux ans sur la Leitkultur, la culture de référence. Mais quel genre de culture de référence David Cameron et Angela Merkel essayent-ils de nous vendre ?
Cette montée en puissance du ressentiment anti-immigration doit être envisagée en ayant à l'esprit la reconfiguration de l'espace politique européen qui, jusqu'à récemment, était dominé par deux courants principaux s'adressant au corps électoral dans son ensemble, un courant de centre-droit et un de centre-gauche, avec de plus petits partis s'adressant à un électorat plus restreint (écologistes, communistes, etc.). Les derniers résultats électoraux à l'Ouest comme à l'Est signalent l'émergence d'une polarité différente, avec un parti centriste prédominant représentant le capitalisme global, ayant un agenda progressiste (tolérance pour l'avortement, les droits des gays, les minorités, etc.), et face à lui, un parti populiste anti-immigration de plus en plus puissant. Le cas exemplaire est ici la Pologne, mais des tendances similaires s'observent en Hollande, en Norvège, en Suède, en Hongrie… Comment en sommes-nous arrivés là ?
Nous sommes entrés dans une nouvelle ère où la forme prédominante de l'exercice du pouvoir d'Etat se résume à une administration dépolitisée et une logique de coordination d'intérêts. La seule manière d'introduire de la passion ici passe par la peur : peur des immigrés, peur du crime, peur de la dépravation impie, peur de l'intrusion étatique, peur de la catastrophe écologique, mais aussi peur du harcèlement (le politiquement correct est la forme libérale paradigmatique de la politique de la peur). Pour cette raison, l'événement majeur de la première décennie de ce nouveau millénaire, c'est que la politique anti-immigration a quitté les marges de l'extrême-droite pour devenir discours dominant.
Dans le nouvel esprit de fierté identitaire, les principaux partis considèrent que les immigrés sont des invités ayant à s'adapter aux valeurs de la société qui les accueille, et considèrent acceptable de penser ainsi. Les libéraux progressistes sont horrifiés par un tel racisme populiste. Pourtant, leur tolérance partage le même besoin de tenir les autres à une distance appropriée. Café sans caféine, crème sans graisse, politique sans politique, jusqu'à l'actuel multiculturalisme libéral en tant que l'expérience de l'Autre privé de son altérité – l'Autre décaféiné…
Le mécanisme d'une telle neutralisation fut formulé en 1938 par Robert Brasillach, exécuté en 1945, qui se voyait comme un antisémite "modéré", et qui inventa l'"antisémitisme de raison" : "Nous ne voulons tuer personne, nous ne désirons organiser aucun pogrom. Mais nous pensons aussi que la meilleure manière d'empêcher les réactions toujours imprévisibles de l'antisémitisme d'instinct est d'organiser un antisémitisme de raison." Une même attitude n'est-elle pas à l'œuvre dans la manière de nos gouvernements de traiter la "menace immigrée" ? Une fois le racisme populiste direct vertueusement rejeté, ils avalisent des mesures "raisonnablement" racistes… et, en modernes Brasillach, certains de ces politiques viennent nous dire : "Nous ne voulons tuer personne, nous ne désirons organiser aucun pogrom. Mais nous pensons aussi que la meilleure manière d'empêcher de violentes initiatives anti-immigration toujours imprévisibles est d'organiser une politique anti-immigration de raison." Cette vision, d'une désintoxication du prochain, témoigne du passage d'une barbarie directe à une barbarie à visage humain. Elle met en pratique une régression, reniant l'amour chrétien du prochain au profit d'une manière païenne de privilégier la tribu face à l'Autre barbare. Même si elle revêt les atours de la défense des valeurs chrétiennes, elle constitue la plus grande menace pour l'héritage chrétien.
Mais l'impasse de l'Europe s'avère plus profonde encore. Les critiques de la lame de fond anti-immigration se cantonnent pour l'essentiel au rituel consistant à confesser les péchés de l'Europe, humblement accepter les limites de l'héritage européen, et célébrer la richesse des autres cultures. Les célèbres vers de La Seconde Venue de William Butler Yeats articulent à la perfection notre délicate situation : "Les meilleurs manquent de foi tandis que les pires sont animés d'une passion intense." Comment mettre un terme à cette impasse ?
UN CONFLIT ENTRE DIFFÉRENTES VISIONS DES MODALITÉS DE COEXISTENCE
Au lieu de jouer la belle âme se lamentant de l'Europe raciste nouvellement apparue, c'est sur nous-mêmes qu'il faudrait diriger notre œil critique, nous demander dans quelle mesure notre multiculturalisme abstrait a contribué à ce triste état des choses. Si toutes les parties ne partagent pas ou ne respectent pas la même civilité, alors le multiculturalisme se transforme en une ignorance ou une haine mutuelle juridiquement régulée. Le conflit sur le multiculturalisme est un conflit sur la Leitkultur, la culture de référence : il n'est pas un conflit entre cultures, mais un conflit entre différentes visions des modalités de coexistence de ces différentes cultures, un conflit sur les règles et pratiques que ces cultures ont à partager si elles doivent coexister.
Il nous faudrait donc éviter de nous retrouver pris dans le petit jeu libéral du : "quelle quantité de tolérance pouvons-nous supporter ?" A raisonner ainsi, nous ne sommes jamais assez tolérants, ou toujours déjà tolérants à l'excès… La seule manière de sortir de cette impasse est de proposer un projet universel positif partagé par l'ensemble des parties, et de se battre pour lui. Les combats à mener, pour lesquels "il n'y a plus ni homme ni femme, ni juif ni Grec", sont nombreux, de l'écologie à l'économie.
Au lieu de perdre du temps à analyser les coûts et les bénéfices de notre adhésion à l'Union européenne, nous ferions mieux de nous focaliser sur ce que représente en réalité l'Union européenne. A la fin de sa vie, Sigmund Freud exprimait sa perplexité face à la question : que veut une femme ? Aujourd'hui, notre question est plutôt : que veut l'Europe ? Pour l'essentiel, son action est de régulation du développement capitaliste global ; parfois, il lui arrive de flirter avec la défense conservatrice de la tradition. Ces deux voies mèneront à sa marginalisation. La seule manière pour l'Europe de sortir de cette débilitante impasse est de ressusciter son héritage d'émancipation radicale et universelle.
La tâche consiste à aller au-delà de la simple tolérance pour atteindre à une Leitkultur, une culture de référence, émancipatrice, positive, seule à même de nourrir une coexistence et un mélange authentiques de cultures différentes ; la tâche consiste à s'engager dans la bataille à venir pour cette Leitkultur, cette culture de référence. Ne respectons pas simplement les autres, offrons-leur un combat commun, puisque nos problèmes, aujourd'hui, sont communs.
Traduit de l'anglais par Frédéric Joly.

L'intégration culturelle va-t-elle enfin s'imposer ?

LEMONDE.FR | 24.02.11 | 18h35

Le multiculturalisme est un échec. David Cameron vient de le déclarer dans le sillage d'Angela Merkel qui en a fait le constat en octobre 2010. L'Etat français triomphe : n'avons-nous pas eu raison de pratiquer une politique d'assimilation culturelle ? Nous risquons de rester enfermés dans l'alternative stérile et anachronique : assimilationnisme ou multiculturalisme ? N'y aurait-il pas une voie d'intégration des migrants plus adaptée à la société multiculturelle et moderne ?
Le multiculturalisme est une politique née dans la mouvance de la décolonisation. Au lieu de détruire des cultures non occidentales sous le prétexte de leur apporter le progrès, la repentance a conduit des gouvernements occidentaux à prendre des gants pour critiquer les cultures des autres. Le politiquement correct demandait que l'on laisse les groupes auparavant colonisés disposer du droit au respect de leurs cultures et communautés. Appliqués aux politiques de l'immigration, ces bons sentiments ont conduit à la constitution de minorités mal intégrées, insuffisamment respectueuses des us et coutumes des cultures majoritaires et rejetées à la marge de la société globale. David Cameron et Angela Merkel en ont tiré les conclusions que l'on connaît. Ce multiculturalisme est en échec.
Cependant, la société moderne est multiculturelle. C'est une réalité sociale avant d'être un modèle politique. Le multiculturalisme est seulement une façon particulière de vivre avec cette réalité. Sa particularité est d'admettre l'organisation des minorités sur des bases culturelles. Le respect des communautés culturelles prévaut sur l'unité politique. On accepte que des minorités s'entourent de barrières en s'opposant à tout ce qui pourrait ressembler à une influence culturelle de la majorité. De son côté, la majorité contribue à renforcer ces barrières en désignant du doigt ces minorités, souvent déclarées comme boucs émissaires de maux sociaux. Le multiculturalisme a encouragé les uns et les autres à s'enfermer, et donc à s'opposer aux autres, au lieu de chercher à vivre ensemble.
Le problème, c'est qu'en critiquant le multiculturalisme on a l'air de canoniser le républicanisme français qui a toujours refusé de parler de minorités, qui a créé un Etat qui ne reconnaît que des individus et qui, jusqu'à une date récente, n'a jamais voulu parler de diversité culturelle. Je vois déjà des hommes politiques reprendre le discours sur l'assimilation des migrants (même de ceux qui ne le sont plus depuis longtemps) pour revenir à une pratique française peu regardante sur les droits culturels des personnes et des minorités. Les problèmes soulevés par les jeunes de banlieue doivent venir conforter le redémarrage de cette politique ancienne.
Cameron et Merkel n'ont pas tort, mais cela ne dit pas que la France traditionnelle a raison. L'alternative multiculturalisme/assimilationnisme n'est plus adaptée à la société moderne. Nous avons besoin d'un modus vivendi qui tienne compte de la grande diversité culturelle qui existe non seulement entre les populations, mais encore à l'intérieur de chaque communauté. Nous appartenons tous à une multiplicité de milieux culturels, chacun avec ses codes, son langage. Les cultures elles-mêmes évoluent en permanence, comme le font nos identités personnelles et collectives. Les musulmans que nous côtoyons sont aussi nos collègues, nos voisins, nos amis, membres de nos associations sportives et de nos partis politiques, nos concitoyens français ou non français. Plus personne ne se laisse enfermer dans son appartenance religieuse, sauf les nationalistes, les intégristes ou les rares femmes qui à travers le port de la burqa manifestent leur souhait de ne pas se mêler à leurs concitoyens.
VIVRE ENSEMBLE
La porte de sortie de ce dilemme s'appelle intégration. Il est regrettable que le terme d'intégration ait perdu sa bonne réputation dans de larges secteurs de la société, et surtout chez les migrants. L'intégration, c'est cette capacité et cette volonté de vivre ensemble et de participer à la même existence sociale. Il s'agit là d'un processus à double sens, la majorité qui donne aux minorités l'occasion de s'intégrer dans une société englobante, et les minorités qui acceptent de s'adapter à des règles qui rendent possible le vivre ensemble dans une même société, sur un même territoire, dans un même quartier…
Concrètement, l'intégration se fait par l'inclusion dans des réseaux de travail, de voisinage, d'amitié, d'activités de tout genre où des personnes d'origines diverses se rencontrent, échangent, défendent des causes communes ou entrent en conflit. L'intégration est un processus social et non un contrat juridique formulé en termes de droits et de devoirs, obligeant les étrangers à apprendre la langue du pays et à en respecter certaines valeurs avant de leur reconnaître le droit à l'accueil dans la société (accueil d'ailleurs mal assuré par les instances administratives et policières, même pour les étrangers qui ont fait l'effort de remplir les conditions du contrat).
Ce qui motive les étrangers à s'intégrer, c'est la possibilité qui leur est offerte de faire partie de réseaux, de nouer des relations, d'avancer dans l'existence quotidienne avec l'espoir d'échapper à la condition misérable ou stagnante qui était la leur avant l'arrivée en terre promise. Prenons l'exemple de l'apprentissage de la langue : la plupart des migrants n'apprennent pas le français en commençant par des cours didactiquement au point, mais par l'envie de pouvoir s'insérer dans un circuit qui mène à l'emploi. C'est aussi l'envie de dialoguer avec ses enfants, des collègues, des voisins … Pour un jeune immigré rien de tel pour apprendre rapidement le français que de tomber amoureux d'une Française !
S'il faut donner un mot à cette conception de l'intégration culturelle par la voie des interactions je préfère celui d'interculturel. Les échanges et les rencontres ont lieu entre des personnes et des groupes et non entre cultures ou identités. La pratique de l'interculturel suppose que l'on accepte que les cultures ne soient plus des essences immuables, mais qu'elles évoluent. Il suppose que les identités ne soient plus des entités historiques figées, mais dynamiques, en perpétuelle recomposition.
Tirons de l'échec du monoculturalisme et du multiculturalisme la leçon que nos façons classiques d'envisager les cultures et les identités ne sont plus adaptées à la vie moderne. S'il nous permet de sortir des ornières d'une alternative stérile et d'inventer de nouvelles voies pour faire co-exister nos cultures nous ne pouvons que nous réjouir de l'aveu de nos voisins européens.
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Gilles Verbunt est l'auteur de La société interculturelle (Seuil, 2001), La question interculturelle dans le travail social (La Découverte, 2e édition : 2009 ), Penser et vivre l'interculturel (La Chronique sociale, 2011).
Gilles Verbunt, sociologue et essayiste