vendredi 24 janvier 2014

Le Monde L'embarras de la SNCF après des actes racistes parmi ses agents


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Des actes graves, sanctionnés à la marge, ont été relevés au sein d'une antenne de la sécurité ferroviaire à Montpellier. Le groupe souligne la difficulté de punir ce type de faits




Comment punir le racisme ordinaire au sein d'une entreprise de plus de 250 000 personnes ? Comment prouver l'insulte, le SMS graveleux ou la blague potache à caractère raciste pour qu'ils aboutissent à des sanctions judiciaires ? C'est la difficulté à laquelle a été confrontée la SNCF. En 2012, plusieurs dérapages manifestes n'ont été sanctionnés qu'à la marge, comme l'a révélé Mediapart le 5 janvier. Des faits dont le Défenseur des droits a décidé de se saisir, et pour lesquels une visite de terrain va être organisée, le 24 janvier.

Cette visite devrait avoir lieu à Montpellier, là où les actes les plus graves ont été recensés. Plus particulièrement au sein d'une antenne de la sécurité ferroviaire appelée à la SNCF " sûreté générale " – ou SUGE. Des unités constituées d'agents de sécurité armés qui circulent à bord des trains et interviennent en cas d'incident. Courant 2012, deux agents de cette SUGE de Montpellier ont été témoins d'actes racistes qui les ont choqués et pour lesquels ils ont alerté la direction de la SNCF.

L'un de ces actes est un SMS envoyé par un agent à plusieurs de ses collègues de la SUGE. Un texto qui parodiait une publicité Citroën en se félicitant de la mort de plusieurs Arabes dans des accidents de la route. " Vous n'imaginez pas tout ce que Citroën peut faire pour vous ", disait le SMS. L'autre dérapage a consisté en la diffusion de musique d'un groupe néonazi au sein même du bureau de la gare. De la musique dont les paroles appelaient sans équivoque au " massacre des sales rebeus ".

Tous ces actes ont fait l'objet d'une enquête interne. Des " rappels déontologiques " ont eu lieu. Une " mission d'évaluation " a été lancée. Un nouvel adjoint au chef de sûreté a aussi été nommé, en septembre 2013. Mais au final, aucun de ces dérapages n'a abouti à des sanctions disciplinaires ou pénales comme le permet la loi.

Après avoir consulté ses juristes, la SNCF a conclu que le SMS ayant été réalisé dans " la sphère privée ", il ne pouvait aboutir à une sanction disciplinaire ou à une saisine du parquet. La diffusion de chants nazis, elle, a manqué de témoignages. La SNCF dit n'avoir réussi à en recueillir qu'un seul. Insuffisant à ses yeux pour engager des actions. Seul un cas de violences d'un agent de la SUGE sur un voleur d'origine maghrébine a entraîné le retrait immédiat de cet employé. Mais cette fois, c'est le parquet qui n'a pas suivi la SNCF et n'a pas engagé de poursuites.

Les accusations d'impunité dont jouirait le racisme à la SNCF font toutefois bondir ses cadres dirigeants. " Nous sommes furieux car nous estimons en conscience avoir été juste et suffisamment sévère ! ", explique aujourd'hui au Monde Stéphane Volant, secrétaire général de la SNCF. " Nous avons une police ferroviaire mais nous n'exerçons pas notre propre justice ", dit-il, précisant être, dans ce type de dossiers, contraint par la jurisprudence, les parquets et la nécessité de ne pas risquer le " désaveu ", notamment aux prud'hommes. " Nous devons être très attentifs aux preuves et aux aveux plus qu'aux rumeurs ", plaide-t-il.

Depuis 2005, la SNCF estime par ailleurs s'être dotée d'un grand nombre d'outils pour lutter au maximum contre les dérapages. Elle a notamment créé une " direction de l'éthique ". Un service consacré à la gestion des " alertes " des employés sur des comportements " inappropriés " : le plus souvent des faits de harcèlement, d'homophobie ou plus largement de discrimination. Depuis 2012, n'importe quel agent de la SNCF peut la saisir, y compris par mail – autrefois cette démarche ne pouvait passer que par les manageurs.

Chez le Défenseur des droits, on estime à ce titre que la direction de la SNCF n'est pas forcément directement en cause, son comportement étant, sous d'autres aspects, exemplaire. En 2004, l'entreprise a ainsi été parmi les premiers signataires de la charte de la diversité, un texte qui contraint à mettre en place en interne des actions de sensibilisations contre les discriminations. " Le problème de la SNCF, c'est plutôt qu'elle a un fonctionnement très déconcentré et que la sensibilité en région n'est pas toujours la même qu'à Paris ", décrypte-t-on chez M. Baudis. D'où l'initiative d'une visite de terrain, à Montpellier, le 24 janvier.

Au siège de la SNCF, même si on nie les reproches faits par Mediapart, on dit toutefois prendre très à cœur cette affaire. Autant pour des questions d'image qu'à cause de la " sensibilité en interne, chez nos clients, et plus largement dans la société des questions de discriminations ". " Nous sommes une entreprise plus emblématique que d'autre ",estime-t-on. Afin d'attester de sa bonne foi, M. Volant annonce avoir d'ores et déjà pris rendez-vous, fin janvier, avec M. Baudis pour " balayer l'ensemble des procédures internes ". " Nous allons voir s'il n'y a pas eu un manque de vigilance quelque part et comment être plus juste, plus vite et plus fort ", déclare-t-il.

Dans cet esprit, plusieurs mesures devraient être prises dans les prochains mois. Les formations initiales en déontologie des nouveaux agents de la SUGE – soit 2 700 personnes au total – devraient voir leur quota d'heures doublé. Dans le cadre de la formation continue, une nouvelle sensibilisation devrait être " dispensée avant l'été "pour les agents déjà en poste. Tous se verront à cette occasion distribuer une carte professionnelle qui mentionne leurs " droits et devoirs " sur le terrain.

Elise Vincent

© Le Monde


Le Monde: Amine, 15 ans, lynché par des « petits » héritiers d'une ancienne rivalité territoriale


LE MONDE | 24.01.2014 à 11h29 • Mis à jour le 24.01.2014 à 12h22 |Par 

Avant l'arrivée des secours, Amine S. a péniblement tenté de se dresser sur ses bras sous le regard médusé des clients du Campanile, attablés à quelques mètres de son agonie derrière une baie vitrée. Il a perdu connaissance quelques minutes plus tard et est mort le lendemain à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière.

« Ils », ce sont les « petits », comme les appellent les riverains. Une quarantaine de gamins âgés de 13 à 16 ans, originaires d'une mosaïque de quartiers de la « petite ceinture » de Paris, ameutés par SMS et réseaux sociaux, qui déambulaient ce soir-là par petits groupes dans le centre-ville du « KB », le surnom du Kremlin-Bicêtre, pour aller en découdre avec ceux de « Victor-Hugo », un quartier populaire de Gentilly. Amine, un garçon sans histoire, « doux et discret » selon ses amis, qui « ne traînait pas le soir », a eu le malheur de croiser leur chemin en rentrant de son collège parisien.

RIVALITÉ IMMÉMORIALE

Un adolescent de 14 ans originaire d'Ivry, qui s'était spontanément présenté à la police judiciaire de Créteil encouragé par son éducateur, et un de 16 ans, domicilié à quelques mètres du drame au Kremlin, ont été mis en examen, jeudi 23 janvier, des chefs de « violence en réunion ayant entraîné la mort sans intention de la donner »« violences » sur une autre personne et « participation à un attroupement armé ». Ils ont été placés en détention provisoire dans la soirée après avoir reconnu leur participation au lynchage.

Cette éruption de violence inédite dans le secteur – ainsi que l'âge des protagonistes – a plongé les habitants et les élus des deux communes dans la stupéfaction. Le Kremlin-Bicêtre et Gentilly sont deux petites villes réputées tranquilles aux portes de Paris, de part et d'autre de « l'autoroute du Soleil ». Un taux de chômage légèrement supérieur à la moyenne nationale, une forte mixité sociale, mais à la différence d'autres communes du Val-de-Marne, aucune bande n'y est répertoriée. « Il y a des secteurs chauds dans le 94, mais c'est la première fois qu'on observe ce type de phénomène à Gentilly et au Kremlin », souligne le capitaine Abdelfettah Kabbsi, à la tête de la cellule anti-bandes de l'agglomération parisienne, créée en 2010.

Le meurtre qui a endeuillé les deux villes trouve son origine dans une rivalité immémoriale, devenue légende, née il y a plusieurs décennies et dont personne ne connaît la cause. Elle opposait jadis deux quartiers sensibles séparés par une passerelle et un commissariat : le « 162 », à Gentilly, et les « Martinets », au Kremlin. Par solidarité territoriale, le quartier « Victor Hugo » s'est peu à peu invité dans la joute.

 « ÇA POURRIT D'UN PEU PARTOUT »

Pierre, 26 ans, une figure de « V-H », a connu de près cette histoire (les prénoms des personnes interrogées ont tous été modifiés à leur demande). Avant de se découvrir une vocation d'éducateur, il a participé à toutes les « tapes » entre les deux quartiers, sans motivation particulière, pour le simple plaisir de « casser des bouches ». Et puis la rivalité s'est endormie, raconte-t-il, les « Martinets » et « Victor Hugo » se sont assagis. « On a grandi. Aujourd'hui, on est pote, on se serre la main. »

Au lendemain de la mort d'Amine, les regards se sont naturellement tournés, par habitude, vers les « Martinets », le quartier qui concentre le plus fort taux de population immigrée, de familles monoparentales, d'enfants déscolarisés, de chômage et de logements sociaux de tout le Kremlin-Bicêtre. A tort.

L'accès de violence la plus spectaculaire qu'ait connue la ville depuis des décennies venait cette fois du « bas KB », le centre-ville, réputé plus bourgeois. Le temps a fait son oeuvre : la légende a structuré l'imaginaire des petits frères du « V-H », élevés dans les récits de bagarres de leurs aînés, et a contaminé quelques adolescents du « bas KB », qui se sont approprié l'héritage de la cité des « Martinets ».

UNE « HACHE DE 20 CENTIMÈTRES »

Pour le premier adjoint au maire du Kremlin, Jean-Marc Nicolle, ce glissement territorial s'explique en partie par une plus grande « mixité sociale » à l'échelle de la commune. Sonia, une étudiante de 22 ans qui vit dans le centre-ville, pose un regard moins nuancé sur cette évolution sociologique : « Le KB, ça pourrit d'un peu partout, même le bas. Ça a l'air calme, pourtant des règlements de compte, il y en a tous les ans. Mais c'est la première fois qu'il y a autant de participants, et que c'est aussi violent. »

Toutes les personnes rencontrées à Gentilly et au Kremlin se rejoignent sur un constat : la faillite de l'autorité parentale. « Mon petit frère est de cette génération, mais on le surveille, on le laisse pas traîner », insiste Sonia. Ali, 52 ans, patron tunisien d'un bar à chicha du centre-ville, est en colère : « Les jeunes en France, aujourd'hui, c'est des sauvages. Notre génération, y avait pas de problème, parce que les parents étaient sévères. » « Ils sont fous, ils n'écoutent plus personne, renchérit Pierre, l'ancien bagarreur devenu éducateur. Moi, ils m'écoutent parce que je les tape. »

L'adjoint au maire du Kremlin – un « gamin de la ville » qui a connu les bandes structurées autour d'un chef et de certaines valeurs dans les années 1970 – souligne le défi qui se présente aujourd'hui aux deux municipalités touchées par le drame : tenter de rétablir le lien entre les « petits » et les plus âgés, pour éviter que le fil ne casse définitivement.

MIMÉTISME INITIATIQUE

Les adolescents qui voulaient en découdre vendredi n'ont plus 20 ans, comme du temps de l'adjoint au maire, ni même 17, comme à l'époque de Pierre : ils en ont 15. Ils ne se battent plus à coups de béquilles et de « mandales » : ils s'équipent de marteaux ou de brise-glace. « Les petits veulent faire comme les grands… en mieux, explique Pierre. Le soir des événements, j'en ai intercepté un de 14 ans qui partait au combat avec une hache de 20 centimètres… »

Ce mimétisme initiatique s'accompagne d'une surenchère dans la violence, et se nourrit des prétextes les plus futiles pour s'exprimer. L'engrenage qui a coûté la vie à Amine se serait ainsi enclenché deux jours avant sa mort, pour une banale histoire de « mauvais regard » : deux jeunes gens du Kremlin qui prenaient le bus auraient croisé le regard d'un adolescent à scooter, interprété comme une provocation.

Equipés de deux bombes lacrymo, ils montent à « Victor-Hugo » pour « s'expliquer », raconte Pierre, qui était là au moment des faits. Rapidement mis en minorité et pris à partie, ils s'enfuient, l'un d'eux se faisant au passage asperger avec sa propre « gazeuse », selon cette version des faits, qui devra être confrontée aux conclusions de l'enquête. Décidés à monter une expédition punitive, une poignée de jeunes du « bas KB » ameutent alors sur Facebook des connaissances de différents quartiers de la petite couronne parisienne « pour faire le nombre ».

AMINE TOMBÉ SOUS UNE PLUIE DE COUPS

A la différence de leurs aînés des « Martinets », structurés autour d'une identité territoriale forte, les « petits » du « bas KB », moins nombreux, assemblent une bande de circonstance, un patchwork improvisé d'une quarantaine de gamins venus de Saint-Denis, de Villejuif, de Paris ou encore des Yvelines.

C'est en montant sur « V-H », vendredi en fin d'après-midi, qu'une quinzaine de ces jeunes, armés de béquilles et de marteaux, croisent Amine, qui rentrait de son collège avec Farid (le prénom a été changé), un ami rencontré sur la route. Ils lui posent une question. Amine est mort d'y avoir répondu : « Tu es d'où ? – De Victor Hugo. » Farid est parvenu à s'enfuir. Amine est tombé sous une pluie de coups.

Le garçon, aîné d'une fratrie de trois enfants, était le fils d'un employé de magasin d'informatique et d'une femme d'origine algérienne, qui assure le service dans les cantines scolaires de Gentilly. Il sera inhumé ce vendredi dans la région parisienne.

lundi 20 janvier 2014

Anelka, auteur d'une « quenelle », bientôt fixé sur son sort

19.01.2014 | Le Monde.fr Marc Roche (Londres, correspondant)

Nicolas Anelka, le 28 décembre 2013 à Londres. AFP/IAN KINGTON

Auteur d'une « quenelle » dédiée à l'humoriste Dieudonné, l'attaquant de West Bromwich Albion, Nicolas Anelka, doit être fixé sur son sort en début de semaine. La fédération anglaise (Football Association ou FA) devrait imposer une longue suspension au joueur controversé âgé de 34 ans qui mettrait de facto fin à sa carrière outre-Manche.

L'affaire Anelka a mis à mal la réputation de la FA dont la procédure disciplinaire a été étonnamment lente. Dans le passé, la fédération avait réagi rapidement pour punir les joueurs reconnus coupables d'actes racistes. Visiblement dépassés par l'enjeu, les instances ont eu recours à un spécialiste britannique de la société française pour comprendre la signification « culturelle » du bras tendu vers le bas et l'autre croisé sur la poitrine, réalisé le 28 décembre lors du match contre West Ham.

Ce recrutement a provoqué la colère des commentateurs. « On n'est pas en France. C'est l'interprétation du geste dans ce pays qui importe. Anelka savait très bien ce qu'il faisait », a indiqué le commentateur Johnny Vaughn au micro de la BBC.

UNE PUNITION EXEMPLAIRE

L'association Kick Out de lutte contre le racisme dans les stades a publiquement dénoncé la lenteur des procédures. Très active dans le football d'outre-Manche, la communauté juive, relayée par les milieux politiques, exige une punition exemplaire.

En revanche, Nicolas Anelka, converti à l'islam en 2004, a reçu l'appui de plusieurs footballeurs français évoluant en Premier League anglaise, l'équivalent de la Ligue 1, à l'instar de Samir Nasri (Manchester City), Yannick Sagbo (Hull) et Mamadou Sakho (Liverpool). « Un groupe de demi-illettrés, totalement ignorants, issus du quart-monde français », a répliqué l'hebdomadaire dominical du Sunday Times daté du 19 janvier à propos de ces soutiens. Ambiance…

Dans un premier temps, le manager par intérim de West Bomwich Albion, Keith Downing, avait défendu Anelka, qualifiant la polémique de « foutaise ». Mais devant le tollé provoqué par ce geste, il avait contraint Anelka à promettre qu'il ne récidivera pas. Visiblement dépassé par les évènements, Downing a été remplacé par Pepe Mel, l'ex-entraîneur du Real Betis. A peine arrivé dans la ville des Midlands, ce dernier a été confronté à un véritable casse-tête.

A L'ORIGINE DE L'ULTIMATUM

Le sponsor du maillot des « Baggies », le promoteur immobilier Zoopla, a menacé de retirer son soutien qui s'élève à trois millions de livres par an si Anelka était à nouveau sélectionné. L'un des propriétaires de l'entreprise, de confession juive, serait à l'origine de cet ultimatum qu'applaudit le Sunday Times : « Pourquoi financer un club dont l'une des stars soutient l'extermination des juifs ? »

Mais West Brom, qui languit à la quinzième place du classement du championnat proche de la zone de relégation, manque tragiquement d'attaquants.

samedi 18 janvier 2014

A Tulle, François Hollande célèbre l'unité de la France

18.01.2014 à 19:06 | Le Monde.fr Thomas Wieder (Tulle, envoyé spécial)


François Hollande lors de ses voeux aux Corréziens, le 18 janvier à Tulle. PHILIPPE WOJAZER/REUTERS

Durée : 35:40 | Images : 

En écoutant François Hollande présenter ses vœux aux Corréziens, samedi 18 janvier, à Tulle, revenait en mémoire le titre d'un livre de l'historien Michel Winock : « Parlez-moi de la France ! » De tous les discours prononcés depuis le début du quinquennat, celui-ci est en effet sans doute l'un de ceux où le chef de l'Etat a le plus « parlé » de la France, l'un de ceux dans lesquels il a le plus précisément défini sa vision du pays, dans sa double dimension territoriale et sociale.

Pour François Hollande, la France est « une ». Adepte bien connu des anaphores, le président de la République en a martelé une, samedi, dans la péroraison de son discours : « Il n'y a qu'une France. »Une France et non « des France qui devraient s'opposer les unes aux autres ». Une France qui a « une histoire », qui « doit avoir un destin » et dont le destin en question « doit être commun ». Une France « qui doit être capable de vivre ensemble en luttant contre tous les racismes et les extrémismes ».

HOLLANDE NE RAISONNE PLUS EN SOCIALISTE

Cette célébration de l'unité n'est pas étonnante de la part de celui qui, en 2012, avait placé sa campagne sous le signe du« rassemblement ». Mais cela faisait longtemps qu'une telle ode, sans sa bouche, n'avait été prononcée.

Il y a une logique a cela : le François Hollande d'aujourd'hui, tel qu'il s'est présenté aux Français lors de ses vœux du 31 décembre et pendant sa conférence de presse du 14 janvier, se veut avant tout« le père de la nation ». Il ne raisonne plus guère en socialiste pour qui la société se diviserait en classes aux intérêts divergents. Il préfère voir le pays comme un tout dont les parties devraient cohabiter harmonieusement.

François Hollande le 18 janvier lors de ses voeux aux Corréziens. REUTERS/PHILIPPE WOJAZER

Dans son esprit, cette France« une » est une France qui se donne les moyens d'être « forte ». L'adjectif a été répété plusieurs fois ce samedi, comme lors des vœux télévisés du 31 décembre. Sans doute n'est-ce pas un hasard : au moment où s'efface dans sa bouche pratiquement tout marqueur idéologique de gauche, le chef de l'Etat reprend une image abondamment développée par Nicolas Sarkozy lors de sa dernière campagne, celle de « la France forte ».

En remettant à l'honneur le thème de l'unité, François Hollande n'en a pas moins proposé, samedi, une définition assez originale. Car l'unité, à ses yeux, ne doit pas avoir pour synonyme l'uniformité. Reprenant, pour parfois le préciser, son propos développé lors de sa conférence de presse sur ses projets en matière de décentralisation, le chef de l'Etat a brossé, depuis Tulle, un tableau de la France future en rupture avec les équilibres actuels.

DES RÉGIONS MOINS NOMBREUSES

Des régions moins nombreuses et dotées de pouvoirs nouveaux, des départements maintenus dans les territoires ruraux mais dont la raison d'être, dans les grandes zones métropolitaines, doit être interrogée : « Pourquoi garder des niveaux superposés quand un seul serait plus efficace ? », a demandé François Hollande, en précisant qu'il était favorable, en matière de décentralisation, à« l'expérimentation ».

Le président de la République est conscient du scepticisme que peut susciter une telle promesse. « Le millefeuille administratif a été mille fois évoqué, mille fois conservé », mais « nous ne pouvons en rester là », a-t-il affirmé. En parlant ainsi, François Hollande a donné à son discours de Tulle, ville dont il fut maire de 2001 à 2008, une valeur d'engagement.

Compte tenu de ce qu'il y a dit sur ce que doit être la France à ses yeux, qu'il s'agisse de son territoire ou de sa société, c'est le genre de discours qu'il conviendra d'exhumer, en 2017, pour mesurer la distance entre les paroles et les actes.

vendredi 10 janvier 2014

A quelle laïcité se vouer ? Le Monde 11 Janvier 2014


Mis à toutes les sauces, le mot est devenu un concept-valise en France, régulièrement brandi par un camp politique ou un autre. Que reste-t-il de la loi de 1905, qui assurait la séparation des Eglises et de l'Etat ?

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" LA LAÏCITÉ FALSIFIÉE "

de Jean Baubérot

(La Découverte, 2012).

" LA LAÏCITÉ,

UN COMBAT

POUR LA PAIX "

de Jean Glavany (Editions Héloïse d'Ormesson, 2011).

" LES LUMIÈRES

DE LA RELIGION "

de Jean-Marc Ferry, entretien avec Elodie Maurot (Bayard, 2013).

" ILS ONT VOLÉ

LA LAÏCITÉ "

de Patrick Kessel (Editions Jean-Claude Gawsewitch, 2012).


- LEGENDE - Commémoration du centenaire de la loi sur la séparation des Eglises et de l?Etat, à Paris. - /LEGENDE -

JEAN-PIERRE MULLER/AFP



Carte postale, colorisée, personnifiant la loi de séparation des Eglises et de l?Etat (vers 1905).

LA COLLECTION


- LEGENDE - Commémoration du centenaire de la loi sur la séparation des Eglises et de l?Etat, à Paris. - /LEGENDE -

JEAN-PIERRE MULLER/AFP

Au nom de la " laïcité ", un tribunal a récemment contraint l'administration pénitentiaire à servir des repas halal à des détenus musulmans. Au nom de la " laïcité ", une école a, il y a un an, envisagé de priver les enfants de Père Noël lors de la fête de fin d'année. Au nom de la " laïcité ", une fonctionnaire territoriale protestante a été sanctionnée pour avoir distribué des calendriers portant le logo de son Eglise. Au nom de la " laïcité ", des mères voilées sont régulièrement interdites de sorties scolaires avec leurs enfants. Et c'est encore au nom de la " laïcité " que les responsables politiques de droite et de gauche s'empoignent depuis des années sans désemparer, concoctant propositions de loi, rapports et contre-feux pour faire pièce aux atteintes supposées à cette notion érigée en quatrième pilier de la République française, après (ou avec) la liberté, l'égalité et la fraternité.

Au fil des débats, ce " concept valise ", selon l'expression de Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la laïcité, a d'ailleurs suscité une inflation grammaticale remarquable : la laïcité a été tour à tour " positive ", " restrictive ", " falsifiée ", " exigeante ", " à la française ", " de combat ", " d'intégration ", " stricte ", " apaisée ", ou encore " républicaine ". Cet enrichissement suspect est pour beaucoup la preuve que plus personne ne sait très bien en quoi consiste le " principe de laïcité ", qui s'est forgé au fil des siècles en France. Même dans les esprits les mieux disposés à défendre ce principe, une confusion s'est installée progressivement entre diverses notions : laïcité, neutralité religieuse, séparation des Eglises et de l'Etat, défense de l'égalité hommes-femmes et de la mixité.

Un détour par l'Histoire s'impose donc, pour mieux cerner l'idée " révolutionnaire " qui forgea peu à peu le principe de laïcité et pour décrypter les malentendus ou les détournements dont il fait aujourd'hui l'objet. Le terme lui-même a évolué au fil du temps. Construit sur le vocable grec laos (" peuple ") au XIIIe siècle, le terme " laïc " entendait alors séparer les clercs, ceux qui administrent les sacrements, des croyants qui les reçoivent. Au début du XIXe siècle, la notion s'élargit et vient qualifier tout ce qui est extérieur au monde religieux, incluant les univers de pensée détachés de la loi divine.

" La laïcité, c'est la rupture avec l'ordre transcendantal ", résume Philippe Portier, directeur du Groupe sociétés, religions, laïcités à l'Ecole pratique des hautes études (EPHE). Cette approche reprend une idée en germe dans les principes révolutionnaires de 1789 et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui mettent l'accent sur la souveraineté de la nation et du citoyen, croyant ou non. Mais, dans une société marquée par l'hégémonie séculaire de l'Eglise catholique, ce changement de modèle prendra plusieurs décennies pour s'imposer.

Dans les années 1820-1830, la nécessité d'une stricte séparation entre l'Etat et les Eglises ? une spécificité française ? fait son chemin. Il faudra toutefois attendre Ferdinand Buisson et son Dictionnaire de pédagogie, publié en 1887, pour avoir une définition formalisée de la laïcité. Le futur président de la commission parlementaire qui rédigera le texte de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat en 1905 définit la laïcité comme l'indépendance de l'Etat par rapport aux religions et à toute conception théologique, l'égalité des citoyens quelles que soient leurs croyances, et la liberté de tous les cultes. " Ces idées induisaient l'autonomie du sujet et la neutralité de la puissance publique à l'égard des religions ", précise le sociologue Jean Baubérot, auteur de La Laïcité falsifiée (La Découverte, 2012).

Si, après Ferdinand Buisson, l'on devait retenir quelques-unes des nombreuses définitions auxquelles se sont essayés responsables politiques et intellectuels, on pourrait choisir celle, philosophique, de Régis Debray, qui, en 2003, dans son rapport sur l'enseignement du fait religieux à l'école laïque, expliquait : " La laïcité n'est pas une option spirituelle parmi d'autres, elle est ce qui rend possible leur coexistence, car ce qui est commun en droit à tous les hommes doit avoir le pas sur ce qui les sépare en fait. "

M. Baubérot ajoute : " La laïcité ne s'attaque pas aux religions mais au cléricalisme comme prétention à exercer le pouvoir. Parallèlement, le processus de sécularisation a permis que les croyances soient individualisées, non qu'elles disparaissent complètement. " De son côté, Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat, régulièrement appelé à trancher dans ce domaine, rappelle : " La laïcité n'est pas la négation du fait religieux ou son ignorance par la puissance publique, mais le respect des opinions religieuses. C'est l'exigence de neutralité religieuse des services publics, mais cela n'a jamais été un athéisme d'Etat. "Gardien du temple, le Conseil constitutionnel a récemment livré sa propre définition condensée de la laïcité à la française : " Neutralité de l'Etat, non-reconnaissance des cultes, respect de toutes les croyances, égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion, garantie du libre exercice du culte et le fait que la République ne salarie aucun culte. "

En dépit de fortes oppositions, cette conception s'est forgée lors des discussions préalables à l'adoption de la loi, en 1905. Faut-il rappeler que cette loi fondatrice n'emploie pas le mot " laïcité ", mais qu'elle organise juridiquement et politiquement les relations entre l'Etat et les cultes concordataires ? catholicisme, protestantisme et judaïsme ? Et que la France ne devient constitutionnellement laïque qu'en 1946 ? La loi de 1905 sonne la fin des crucifix dans l'" espace public " : elle interdit en effet " d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des monuments funéraires ". Au fil du XXe siècle, l'absence totale de signes religieux dans les services publics, l'accueil indifférencié des usagers, quelle que soit leur confession, s'imposent comme les marques les plus évidentes de cette nouvelle neutralité.

Mais au-delà de ces réserves fondatrices, c'est bien la vision d'Aristide Briand, rapporteur de la loi, qui l'emporte. Ce partisan de la liberté de conscience et de culte, défenseur de l'expression sociale du fait religieux, s'impose sur ceux qui tiennent à cantonner la religion dans l'espace privé, comme le président du Conseil, Emile Combes. Pour Aristide Briand, explique le chercheur Philippe Portier, la rue était conçue comme un prolongement de la sphère privée : elle ne devait pas être aseptisée. Quand Emile Combes propose d'interdire le port d'habits religieux dans la rue ou les processions religieuses, Briand estime qu'il s'agit d'une atteinte à la liberté de conscience. Lui défend surtout la séparation ? plus forte que dans d'autres pays ? entre l'ordre de l'Etat, qui est la Raison incarnée, et la croyance. D'où l'interdiction de signes religieux pour les personnels de l'Etat. " Ni plus ni moins, aurait-on envie de dire aujourd'hui.

Car, pour la plupart des spécialistes, c'est bien cette notion de " neutralité " de l'Etat à l'égard des religions qui, instrumentalisée ou réellement incomprise, suscite depuis quelques années la plus grande confusion. " Aujourd'hui, on se retrouve face à de nombreux combistes qui ont tendance à confondre ordre de l'Etat et espace public,juge Philippe Portier. Vouloir neutraliser les rues, les commerces, les associations, ce n'est pas la laïcité originelle. En 1905, la rue prolongeait l'espace privé. En 2013, il y a la tentation que la rue prolonge l'espace d'Etat. " " Depuis vingt-cinq ans, des responsables politiques semblent vouloir élargir la neutralité de la puissance publique au citoyen, renchérit Jean Baubérot. Si les républicains de 1905 ont pu être libéraux sur ces questions, c'est parce qu'ils avaient confiance en la République. Aujourd'hui, cette confiance semble avoir disparu. "

Avec en ligne de mire principale l'islam, les uns, comme Marine Le Pen, souhaitent, au nom d'une laïcité réinventée, interdire " le voile et la kippa dans la rue ". D'autres, à l'instar d'une sénatrice du Parti radical de gauche, Françoise Laborde, proposent d'interdire le port du voile aux femmes qui gardent des enfants à domicile. Dans la foulée, un député UMP, Eric Ciotti, défend une proposition de loi visant à prohiber tout port de signe religieux dans les entreprises privées? Sans s'inquiéter de savoir si la société fait face à un trouble à l'ordre public, à un prosélytisme actif ou à une atteinte à la sécurité ? critères généralement admis pour limiter l'expression de la liberté de religion.

Régulièrement, les responsables religieux s'inquiètent de ce climat, dénonçant une " laïcité radicale ", à l'instar de Joël Mergui, président du Consistoire israélite de France. Le nouveau président de la Conférence des évêques de France n'a pas dit autre chose à François Hollande le 7 octobre : Mgr Georges Pontier a mis en garde contre " le glissement d'une laïcité de l'Etat à un désir de laïciser la société et de ne laisser comme espace à la dimension de la foi que la vie privée ". Le philosophe Jean-Marc Ferry, auteur des Lumières de la religion (Bayard, 2013), dénonce, lui, " l'excommunication politique du religieux, une séparation qui devient malheureusement une amputation ".

L'attachement de certains à la neutralité religieuse intégrale a indéniablement pris racine avec l'installation de l'islam comme deuxième religion en France. Des pratiques vestimentaires ou alimentaires qui débordent dans la vie en société sont venues bousculer une société largement sécularisée, quoique toujours culturellement marquée par le christianisme. Cette nouvelle donne provoque des débats récurrents sur l'interdiction du port du foulard islamique, qui concentre toutes les crispations.

Dans son rapport de 2003 " Pour une nouvelle laïcité ", remis au premier ministre de l'époque, Jean-Pierre Raffarin, le député (UMP) François Baroin, alors vice-président de l'Assemblée nationale, plaidait pour " une clarification " de ces questions et résumait parfaitement l'enjeu " culturel " que recouvre désormais pour certains le respect de la laïcité. " Les républicains doivent être prêts à assumer les conséquences du fait que certains comportements, qui sont admis dans d'autres pays ou d'autres cultures, n'ont pas leur place en France et doivent donc être désapprouvés et dans certains cas combattus. "

Jean Baubérot voit dans ce rapport un tournant. " La nouvelle laïcité , marqueur culturel de l'identité française, se transforme en catho-laïcité ", estime-t-il. Pour Jean Glavany, spécialiste du sujet au Parti socialiste, l'affaire est entendue : " Pour une majeure partie de la droite française, défendre la laïcité aujourd'hui n'est ni plus ni moins que protéger les racines chrétiennes de la France contre la menace musulmane. " " Cette volonté d'instaurer une laïcité de surveillance est en grande partie liée à la panique morale qui, depuis une trentaine d'années, s'est emparée de la société face à un risque de dissolution d'elle-même et de ses repères moraux ou culturels ", analyse, de son côté, le chercheur Philippe Portier.

Cette conception radicale de la laïcité se heurte régulièrement au droit et aux positions du Conseil d'Etat. " Depuis la fin du XIXe siècle, le Conseil d'Etat est sur une ligne dont il n'a pas dévié, explique M. Sauvé. Sa boussole est : la liberté est la règle, la restriction l'exception. " D'où ses réserves sur la loi de 2010 contre la dissimulation du visage dans l'espace public. De fait, le Conseil d'Etat rend régulièrement des avis plutôt favorables à l'exercice du culte. Et les tentatives pour limiter l'abattage rituel ou interdire le port de signes religieux au-delà des services publics ont pour l'heure échoué.

M. Portier voit, dans cette jurisprudence, une continuité et une fidélité à " l'esprit de Briand ", marqué par la défense de la liberté de conscience et de culte. " En matière de financement, la loi de 1905 elle-même a prévu les premiers accommodements. Ils ont été complétés dès les années 1920. A partir des années 1950, on constate même une plus grande reconnaissance du fait religieux dans l'espace social. La loi Debré, en 1959, la manifeste en faisant de l'école privée un élément du système éducatif. On peut aussi citer l'instauration de l'objection de conscience pour motif religieux, la prise en compte des fêtes religieuses pour les congés des fonctionnaires, les mesures bancaires ou fiscales facilitant le financement de lieux de culte. "

Aujourd'hui, cette laïcité ouverte perdure, y compris pour l'islam, à travers les rencontres régulières entre les pouvoirs publics et les religieux, et les dispositifs de financement indirect? Mais elle doit désormais compter avec la mise en avant des principes de l'égalité homme-femme et de l'autonomie des individus, que certains jugent incompatibles avec toute croyance religieuse.

Dans ce contexte, le port du foulard islamique est devenu le symbole des atteintes supposées à ces deux principes. La mixité, notion récente dans la plupart des sociétés démocratiques, est aussi convoquée pour contester certaines pratiques musulmanes, comme les demandes d'activités sportives et culturelles exclusivement réservées aux femmes. " Ajoutez à ce contexte un discours global sur le religieux dont on se méfie et dont il faudrait se protéger , on peut dire que la laïcité est entrée dans une nouvelle phase hybride ", estime M. Portier.

De bonne ou de mauvaise foi, les contours de la laïcité sont aujourd'hui questionnés, fragilisés par une remise en cause de la frontière entre public et privé, entre " mission de service public " et " mission d'intérêt général ", ces fameuses " zones grises " que certains voudraient mieux codifier. Pourtant, même le militant Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) reconnaît que la majorité des conflits se résolvent par la médiation.

La bataille judiciaire engagée depuis cinq ans dans le dossier de la crèche Baby Loup, les coups de théâtre à répétition d'une justice qui ne semble plus savoir à quelle laïcité se vouer, les récupérations politiques auxquelles cette affaire donne lieu constituent un contre-exemple de cette réalité. Elle illustre, surtout, de manière spectaculaire, la porosité sur ces questions entre le politique et le judiciaire. En France, la longue histoire de la laïcité a pourtant permis de poser des cadres et fournit toujours un arsenal législatif et juridique cohérent. A quelques aménagements près, la société française aurait tout intérêt à se les réapproprier.

Stéphanie Le Bars