Comment punir le racisme ordinaire au sein d'une entreprise de plus de 250 000 personnes ? Comment prouver l'insulte, le SMS graveleux ou la blague potache à caractère raciste pour qu'ils aboutissent à des sanctions judiciaires ? C'est la difficulté à laquelle a été confrontée la SNCF. En 2012, plusieurs dérapages manifestes n'ont été sanctionnés qu'à la marge, comme l'a révélé Mediapart le 5 janvier. Des faits dont le Défenseur des droits a décidé de se saisir, et pour lesquels une visite de terrain va être organisée, le 24 janvier.
Cette visite devrait avoir lieu à Montpellier, là où les actes les plus graves ont été recensés. Plus particulièrement au sein d'une antenne de la sécurité ferroviaire appelée à la SNCF " sûreté générale " – ou SUGE. Des unités constituées d'agents de sécurité armés qui circulent à bord des trains et interviennent en cas d'incident. Courant 2012, deux agents de cette SUGE de Montpellier ont été témoins d'actes racistes qui les ont choqués et pour lesquels ils ont alerté la direction de la SNCF.
L'un de ces actes est un SMS envoyé par un agent à plusieurs de ses collègues de la SUGE. Un texto qui parodiait une publicité Citroën en se félicitant de la mort de plusieurs Arabes dans des accidents de la route. " Vous n'imaginez pas tout ce que Citroën peut faire pour vous ", disait le SMS. L'autre dérapage a consisté en la diffusion de musique d'un groupe néonazi au sein même du bureau de la gare. De la musique dont les paroles appelaient sans équivoque au " massacre des sales rebeus ".
Tous ces actes ont fait l'objet d'une enquête interne. Des " rappels déontologiques " ont eu lieu. Une " mission d'évaluation " a été lancée. Un nouvel adjoint au chef de sûreté a aussi été nommé, en septembre 2013. Mais au final, aucun de ces dérapages n'a abouti à des sanctions disciplinaires ou pénales comme le permet la loi.
Après avoir consulté ses juristes, la SNCF a conclu que le SMS ayant été réalisé dans " la sphère privée ", il ne pouvait aboutir à une sanction disciplinaire ou à une saisine du parquet. La diffusion de chants nazis, elle, a manqué de témoignages. La SNCF dit n'avoir réussi à en recueillir qu'un seul. Insuffisant à ses yeux pour engager des actions. Seul un cas de violences d'un agent de la SUGE sur un voleur d'origine maghrébine a entraîné le retrait immédiat de cet employé. Mais cette fois, c'est le parquet qui n'a pas suivi la SNCF et n'a pas engagé de poursuites.
Les accusations d'impunité dont jouirait le racisme à la SNCF font toutefois bondir ses cadres dirigeants. " Nous sommes furieux car nous estimons en conscience avoir été juste et suffisamment sévère ! ", explique aujourd'hui au Monde Stéphane Volant, secrétaire général de la SNCF. " Nous avons une police ferroviaire mais nous n'exerçons pas notre propre justice ", dit-il, précisant être, dans ce type de dossiers, contraint par la jurisprudence, les parquets et la nécessité de ne pas risquer le " désaveu ", notamment aux prud'hommes. " Nous devons être très attentifs aux preuves et aux aveux plus qu'aux rumeurs ", plaide-t-il.
Depuis 2005, la SNCF estime par ailleurs s'être dotée d'un grand nombre d'outils pour lutter au maximum contre les dérapages. Elle a notamment créé une " direction de l'éthique ". Un service consacré à la gestion des " alertes " des employés sur des comportements " inappropriés " : le plus souvent des faits de harcèlement, d'homophobie ou plus largement de discrimination. Depuis 2012, n'importe quel agent de la SNCF peut la saisir, y compris par mail – autrefois cette démarche ne pouvait passer que par les manageurs.
Chez le Défenseur des droits, on estime à ce titre que la direction de la SNCF n'est pas forcément directement en cause, son comportement étant, sous d'autres aspects, exemplaire. En 2004, l'entreprise a ainsi été parmi les premiers signataires de la charte de la diversité, un texte qui contraint à mettre en place en interne des actions de sensibilisations contre les discriminations. " Le problème de la SNCF, c'est plutôt qu'elle a un fonctionnement très déconcentré et que la sensibilité en région n'est pas toujours la même qu'à Paris ", décrypte-t-on chez M. Baudis. D'où l'initiative d'une visite de terrain, à Montpellier, le 24 janvier.
Au siège de la SNCF, même si on nie les reproches faits par Mediapart, on dit toutefois prendre très à cœur cette affaire. Autant pour des questions d'image qu'à cause de la " sensibilité en interne, chez nos clients, et plus largement dans la société des questions de discriminations ". " Nous sommes une entreprise plus emblématique que d'autre ",estime-t-on. Afin d'attester de sa bonne foi, M. Volant annonce avoir d'ores et déjà pris rendez-vous, fin janvier, avec M. Baudis pour " balayer l'ensemble des procédures internes ". " Nous allons voir s'il n'y a pas eu un manque de vigilance quelque part et comment être plus juste, plus vite et plus fort ", déclare-t-il.
Dans cet esprit, plusieurs mesures devraient être prises dans les prochains mois. Les formations initiales en déontologie des nouveaux agents de la SUGE – soit 2 700 personnes au total – devraient voir leur quota d'heures doublé. Dans le cadre de la formation continue, une nouvelle sensibilisation devrait être " dispensée avant l'été "pour les agents déjà en poste. Tous se verront à cette occasion distribuer une carte professionnelle qui mentionne leurs " droits et devoirs " sur le terrain.
Elise Vincent
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