dimanche 27 février 2011

L'intégration culturelle va-t-elle enfin s'imposer ?

LEMONDE.FR | 24.02.11 | 18h35

Le multiculturalisme est un échec. David Cameron vient de le déclarer dans le sillage d'Angela Merkel qui en a fait le constat en octobre 2010. L'Etat français triomphe : n'avons-nous pas eu raison de pratiquer une politique d'assimilation culturelle ? Nous risquons de rester enfermés dans l'alternative stérile et anachronique : assimilationnisme ou multiculturalisme ? N'y aurait-il pas une voie d'intégration des migrants plus adaptée à la société multiculturelle et moderne ?
Le multiculturalisme est une politique née dans la mouvance de la décolonisation. Au lieu de détruire des cultures non occidentales sous le prétexte de leur apporter le progrès, la repentance a conduit des gouvernements occidentaux à prendre des gants pour critiquer les cultures des autres. Le politiquement correct demandait que l'on laisse les groupes auparavant colonisés disposer du droit au respect de leurs cultures et communautés. Appliqués aux politiques de l'immigration, ces bons sentiments ont conduit à la constitution de minorités mal intégrées, insuffisamment respectueuses des us et coutumes des cultures majoritaires et rejetées à la marge de la société globale. David Cameron et Angela Merkel en ont tiré les conclusions que l'on connaît. Ce multiculturalisme est en échec.
Cependant, la société moderne est multiculturelle. C'est une réalité sociale avant d'être un modèle politique. Le multiculturalisme est seulement une façon particulière de vivre avec cette réalité. Sa particularité est d'admettre l'organisation des minorités sur des bases culturelles. Le respect des communautés culturelles prévaut sur l'unité politique. On accepte que des minorités s'entourent de barrières en s'opposant à tout ce qui pourrait ressembler à une influence culturelle de la majorité. De son côté, la majorité contribue à renforcer ces barrières en désignant du doigt ces minorités, souvent déclarées comme boucs émissaires de maux sociaux. Le multiculturalisme a encouragé les uns et les autres à s'enfermer, et donc à s'opposer aux autres, au lieu de chercher à vivre ensemble.
Le problème, c'est qu'en critiquant le multiculturalisme on a l'air de canoniser le républicanisme français qui a toujours refusé de parler de minorités, qui a créé un Etat qui ne reconnaît que des individus et qui, jusqu'à une date récente, n'a jamais voulu parler de diversité culturelle. Je vois déjà des hommes politiques reprendre le discours sur l'assimilation des migrants (même de ceux qui ne le sont plus depuis longtemps) pour revenir à une pratique française peu regardante sur les droits culturels des personnes et des minorités. Les problèmes soulevés par les jeunes de banlieue doivent venir conforter le redémarrage de cette politique ancienne.
Cameron et Merkel n'ont pas tort, mais cela ne dit pas que la France traditionnelle a raison. L'alternative multiculturalisme/assimilationnisme n'est plus adaptée à la société moderne. Nous avons besoin d'un modus vivendi qui tienne compte de la grande diversité culturelle qui existe non seulement entre les populations, mais encore à l'intérieur de chaque communauté. Nous appartenons tous à une multiplicité de milieux culturels, chacun avec ses codes, son langage. Les cultures elles-mêmes évoluent en permanence, comme le font nos identités personnelles et collectives. Les musulmans que nous côtoyons sont aussi nos collègues, nos voisins, nos amis, membres de nos associations sportives et de nos partis politiques, nos concitoyens français ou non français. Plus personne ne se laisse enfermer dans son appartenance religieuse, sauf les nationalistes, les intégristes ou les rares femmes qui à travers le port de la burqa manifestent leur souhait de ne pas se mêler à leurs concitoyens.
VIVRE ENSEMBLE
La porte de sortie de ce dilemme s'appelle intégration. Il est regrettable que le terme d'intégration ait perdu sa bonne réputation dans de larges secteurs de la société, et surtout chez les migrants. L'intégration, c'est cette capacité et cette volonté de vivre ensemble et de participer à la même existence sociale. Il s'agit là d'un processus à double sens, la majorité qui donne aux minorités l'occasion de s'intégrer dans une société englobante, et les minorités qui acceptent de s'adapter à des règles qui rendent possible le vivre ensemble dans une même société, sur un même territoire, dans un même quartier…
Concrètement, l'intégration se fait par l'inclusion dans des réseaux de travail, de voisinage, d'amitié, d'activités de tout genre où des personnes d'origines diverses se rencontrent, échangent, défendent des causes communes ou entrent en conflit. L'intégration est un processus social et non un contrat juridique formulé en termes de droits et de devoirs, obligeant les étrangers à apprendre la langue du pays et à en respecter certaines valeurs avant de leur reconnaître le droit à l'accueil dans la société (accueil d'ailleurs mal assuré par les instances administratives et policières, même pour les étrangers qui ont fait l'effort de remplir les conditions du contrat).
Ce qui motive les étrangers à s'intégrer, c'est la possibilité qui leur est offerte de faire partie de réseaux, de nouer des relations, d'avancer dans l'existence quotidienne avec l'espoir d'échapper à la condition misérable ou stagnante qui était la leur avant l'arrivée en terre promise. Prenons l'exemple de l'apprentissage de la langue : la plupart des migrants n'apprennent pas le français en commençant par des cours didactiquement au point, mais par l'envie de pouvoir s'insérer dans un circuit qui mène à l'emploi. C'est aussi l'envie de dialoguer avec ses enfants, des collègues, des voisins … Pour un jeune immigré rien de tel pour apprendre rapidement le français que de tomber amoureux d'une Française !
S'il faut donner un mot à cette conception de l'intégration culturelle par la voie des interactions je préfère celui d'interculturel. Les échanges et les rencontres ont lieu entre des personnes et des groupes et non entre cultures ou identités. La pratique de l'interculturel suppose que l'on accepte que les cultures ne soient plus des essences immuables, mais qu'elles évoluent. Il suppose que les identités ne soient plus des entités historiques figées, mais dynamiques, en perpétuelle recomposition.
Tirons de l'échec du monoculturalisme et du multiculturalisme la leçon que nos façons classiques d'envisager les cultures et les identités ne sont plus adaptées à la vie moderne. S'il nous permet de sortir des ornières d'une alternative stérile et d'inventer de nouvelles voies pour faire co-exister nos cultures nous ne pouvons que nous réjouir de l'aveu de nos voisins européens.
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Gilles Verbunt est l'auteur de La société interculturelle (Seuil, 2001), La question interculturelle dans le travail social (La Découverte, 2e édition : 2009 ), Penser et vivre l'interculturel (La Chronique sociale, 2011).
Gilles Verbunt, sociologue et essayiste

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