mercredi 22 juin 2011

A Belleville, les Chinois critiquent l'inaction de la police

A Belleville, les Chinois critiquent l'inaction de la police

"Qui est allé à la manifestation dimanche ?" Donatien Schramm inscrit les mots au feutre vert sur le petit tableau blanc de sa salle de classe à mesure qu'il les prononce. Il se tourne vers la quarantaine d'élèves, serrés dans le petit local de l'association Chinois de France-Français de Chine, et reprend la phrase en mandarin. Quelques mains, hésitantes, se lèvent parmi les rangs. Le professeur insiste, interpelle tel ou tel en lui rappelant qu'ils se sont croisés sur place. Chaque jour, le quinquagénaire enseigne les rudiments de la langue française à ces élèves qui n'ont plus l'âge d'aller à l'école. Ils sont d'origine chinoise et appartiennent pour la plupart à la communauté Wenzhou, du nom de cette ville située au sud de Shanghaï.

Mardi 21 juin, la présence d'un journaliste dans l'assistance a perturbé le programme du dernier quart d'heure de cours. Il y sera question de la manifestation du 19 juin, où plusieurs milliers de personnes d'origine asiatique sont descendus dans les rues de Paris pour protester contre l'insécurité qu'ils ressentent, en particulier à Belleville. D'après M. Schramm, plus de la moitié des élèves y ont participé.

"Pourquoi es-tu allé(e) à la manifestation ?" Une deuxième question est inscrite au tableau et la discussion s'emballe. "Pour la sécurité, pour que tout le monde ait la sécurité", lance Mme Li en chinois. "Je suis vieille, et quand je fais mes courses, je me fais souvent agresser", poursuit-elle. Au fond de la salle, une deuxième élève, particulièrement vindicative, prend le relais : "Ce sont les arabes et les noirs." M. Schramm la reprend, indiquant que ces jeunes agresseurs sont avant tout Français. De l'autre côté de la pièce, Bernard Dinh, l'autre cadre de l'association, tempère ces accusations. "Il y a des préjugés de part et d'autre",explique-t-il.

"IL Y A PLUS DE SÉCURITÉ EN CHINE"

La discussion se poursuit sur les autorités publiques, accusées de délaisser cette question, et pas seulement à Belleville. Ces problèmes d'insécurité, "c'est un sujet qui leur tient à coeur"résume le professeur. Le cours se termine et une bonne partie des élèves, en majorité des femmes âgées, se dispersent dans la rue Rébeval. Il ne reste qu'une dizaine d'entre elles. Elles veulent manifestement poursuivre la conversation. "Nous ne parlons pas bien français et ils le savent",indique Mme Li. Elle montre les petites cicatrices de son poignet, et raconte avoir été agressée à deux reprises au cours des trois derniers mois. "Nous avons peur quand nous marchons dans la rue", renchérit sa voisine. L'inaction de la police française est vivement critiquée. "Il y a plus de sécurité en Chine" martèle Mme Li. Une habitante d'Aubervilliers, plus jeune, ajoute qu'elle ne transporte plus de papiers importants ni d'argent liquide dans son sac à main.

Assise à côté de Mme Li, Zheng Shaoyan, une petite femme aux cheveux auburn, montre sa cuisse, et explique qu'un voleur lui a cassé la jambe il y a un an. Elle reviendra dans l'après-midi avec toutes sortes de papiers dans un sac en plastique, dont le compte rendu d'infraction initial. Le 23 février 2010, cette couturière rentrait chez elle rue de Belleville, lorsque dans le hall de son immeuble, un homme tente de lui arracher son sac. "X tente d'arracher le sac de la victime, qui résiste, il en résulte une chute avec fracture", indique le document. La suite signale une fracture de la hanche gauche et précise que la victime ne parle pas français. C'est sa fille qui sert d'interprète, et, en bas du document, Mme Zheng signe en chinois.

Madame Zheng a été agressée en 2010.

"Le vol  à l'arraché a toujours existé, mais aujourd'hui, il y a un sentiment de ras-le-bol." Au bar Le Celtic, Patrick Huang, le gérant, exprime sa colère, dans un français parfait. Cet homme de 41 ans, originaire de Wenzhou, a grandi en France et vit à Belleville depuis quinze ans. C'est le vice-président de l'association des commerçants bellevillois, créée après la manifestation de juin 2010, qui portait déjà sur les questions d'insécurité. S'il mentionne l'agression d'une personne de type caucasien lundi soir sur le trottoir d'en face, il explique que "les victimes sont essentiellement asiatiques". Des cibles de choix, qui privilégient l'argent liquide aux autres moyens de paiement. Pour Donatien Schramm, cela s'explique d'abord parce que les sans-papiers sont une composante importante des différentes communautés chinoises de Belleville. Ils ne peuvent donc pas ouvrir de compte bancaire. Patrick Huang remarque également que "pour faire un chèque, il faut savoir écrire en français".

Cela relève aussi d'une question de culture : lors d'un mariage, "si quelqu'un met un chèque dans [l']enveloppe [qu'on remet traditionnellement aux mariés], c'est la honte" s'exclame-t-il. Mais beaucoup "sont imprudents", regrette M. Schramm. Pour illustrer son propos, il mentionne l'agression, lundi soir, d'une restauratrice, à la fermeture de son restaurant : "Il faut un peu de jugeotte : tu ne te balades pas avec la recette du jour dans un sac", s'agace-t-il. "Je suis d'accord, mais ce n'est plus une vie", rétorque M. Huang, qui ajoute qu'"il ne faut pas changer nos habitudes à cause de quelques voyous".

"ON LAISSE POURRIR LES ÉTRANGERS DANS LEUR COIN"

Lui aussi critique vivement le travail de la police, insuffisamment présente sur le terrain, ou trop lente à intervenir. Lors d'une récente agression dans un parking, la police aurait mis 45 minutes avant d'arriver sur les lieux. "On laisse pourrir les étrangers dans leur coin, dans les arrondissements du 18e, 19e et 20e arrondissement", résume-t-il. Et quand bien même l'agresseur"est pris en flagrant délit, il n'aura que quinze jours de prison.Mais il peut se faire 1 000 euros[s'il réussit son coup]. A ce prix-là, même moi, je le fais",s'emporte-t-il. Ainsi, le sentiment d'injustice gagne du terrain. "Là, ça commence à bouillir, nous allons prendre notre sécurité en charge nous-mêmes", menace Patrick Huang.

Le problème posé par ces agressions est également qu'il avive les tensions entre communautés, alors même que, selon Donatien Schramm, les auteurs de ces actes sont "des jeunes Français, des gamins du quartier, de toutes origines", et parfois-même asiatique. Il regrette d'ailleurs que les organisateurs de la manifestation n'aient pas réellement cherché à associer l'ensemble des communautés du quartier, averties sur le tard.

Le local de l'association Chinois de France-Français de Chine, rue Rébeval.

Pourtant, depuis l'année dernière, des efforts ont été faits pour redresser la situation. La création de l'association des commerçants bellevillois, à l'initiative de la mairie du 20e, l'un des arrondissements sur lequel se trouve le quartier de Belleville, a permis d'améliorer la situation sur quelques points, comme le dépôt de plainte. M. Huang explique que l'association aide les victimes à porter plainte et leur explique que"même si elles n'ont pas de papiers, elles ne risquent rien".

"CELA NE SERT À RIEN DE PORTER PLAINTE"

Par ailleurs, une brigade de sécurité territoriale (BST) a été spécifiquement mise en place. Sans réussir à inverser la situation : "La BST, je ne l'ai vue qu'une seule fois, et pas sur le terrain",témoigne Hu Jianguo, le frère de l'homme dont l'agression a suscité la manifestation du 19 juin.

Ce 21 juin, il se trouve au Nouveau Palais de Belleville, un gigantesque restaurant, rue de Belleville, où travaillait son frère. Accompagné d'Olivier Wang, le porte-parole du collectif qui a organisé la manifestation de dimanche, il discute avec trois collaborateurs de la mairie du 20e. Ceux-ci insistent sur le manque d'effectifs de police, l'opportunité de mieux équiper les commerces en terminaux pour carte bancaire, et la nécessité de porter plainte systématiquement, sans sembler convaincre leur interlocuteur. "Nous pensons que cela ne sert à rien de porter plainte", leur lance-t-il. 

Arrive alors une équipe de France Télévisions, venue interroger le frère de la victime. Celui-ci hésite à parler, mais Olivier Wang tente de le convaincre. "Les gens en Bretagne ou à Marseille, ils ne savent pas ce qui se passe ici", lui explique-t-il, en français. Il pointe du doigt l'équipe de la mairie,"eux, ce sont les pouvoirs publics". Puis les journalistes,"eux, c'est l'opinion publique"."Toi, tu as un poids important", ajoute-t-il. Résigné, M. Hu accepte finalement de répondre.


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