28.10.11 | 09:17 | LEMONDE.FR Jean-Louis Pan Ké Shon, chercheur
Encore une fois, la religion musulmane et les banlieues servent à se faire peur avec la gourmandise et les délices des spectateurs de films d'horreur à l'imagerie pourtant improbables. On peut s'étonner que les résultats de l'enquête Banlieue de la République portant sur 100 personnes soient repris sans aucune prudence et déclenche de telles réactions que révèlent les titres de ces tribunes : La fable de la mixité urbaine et L'Islam reste une menace [points de vue issus du dossier Islamisation des cités : mythe ou réalité ?].
Les auteurs de l'étude brouillent les cartes en reconnaissant eux-mêmes à la fois qu'elle n'est pas représentative de la population des deux communes de Seine-Saint-Denis mais posent "en postulat de départ que Clichy-Montfermeil, c'est la France même". De plus, les situations sociales exceptionnellement défavorables de ces villes et leurs forts taux d'immigrés non-européens les situent dans les cas extrêmes d'une région parisienne qui concentre à elle seule 40 % des immigrés de France. La revendication des auteurs de tirer des conclusions d'une agglomération idéale-typique (d'un modèle à partir du quel penser) est pertinente uniquement sur des communes aux situations extrêmes.
De fait, 75 % de la population de Clichy-sous-Bois, 30 % de la population de Montfermeil résident en un même quartier sensible à cheval sur ces deux villes et où 61 % des ménages sont non imposables. En aucun cas, il n'est possible d'extrapoler aux situations bien moins spectaculaires de la majorité des populations immigrées qui peuvent partager une même religion mais qui se distinguent par leurs caractéristiques sociales notamment par une intégration plus avancée dans le corps social français. En forçant le trait, cela reviendrait à penser les conditions de logement en France à partir des locataires d'HLM !
Prenons l'exemple de la soi-disante "sécession culturelle" affirmée dans la tribune de Christophe Guilluy, La fable de la mixité urbaine, suite à cette enquête, et qui renvoie à la ségrégation des immigrés non-européens sur nos territoires. Que nous disent les chiffres des recensements sur nos quartiers ? Entre 1968 et 1999 (il n'existe pas d'études plus récentes pour le moment), c'est bien une baisse de la ségrégation qui s'est opérée dans l'ombre pour les Maghrébins et les Africains sur l'ensemble du territoire français (Verdugo, 2011). Ce constat fort sérieux vient contrarier les représentations communes et demi-savantes d'une aggravation de la ségrégation au point que des ghettos se seraient formés en France.
Cette rhétorique a occulté l'incorporation sans bruit de la majorité des immigrés et la localisation de la majorité d'entre eux dans des quartiers populaires mais sans histoire. La fixation du regard sur la ségrégation "ethnique" contribue à ce que les immigrés soient vus et construits comme des problèmes dans la société française. Si le phénomène ségrégatif n'est pas à nier, il demeure que la dramaturgie de la "sécession des territoires" ne correspond pas à la situation française, ni d'ailleurs aux diverses situations des pays européens.
Même en Île-de-France où la présence immigrée est la plus importante sur le territoire national, la ségrégation a globalement baissé (Préteceille, 2009). Un cas extrême de ségrégation "ethnique" est relevé dans un unique quartier de cette région. Il est composé à plus de 70 % d'immigrés et situé... à Clichy-sous-Bois. L'étude dont sont tirés ces résultats précise qu'en 1999, il n'y avait en Île-de-France que 14 quartiers d'en moyenne 6 000 habitants chacun où les immigrés non-européens étaient majoritaires dans la population locale. Ils représentaient 4,8 % de cette population immigrée et 1,34 % de la population totale...
Mais hors des chiffres que l'on se reporte aux années 1960 : les immigrés vivaient dans des conditions aujourd'hui impensables, relégués loin des regards dans des bidonvilles aux portes de Paris, à Nanterre, à Gennevilliers, à Noisy-le-Grand... Ce progrès bien réel des conditions d'habitat des immigrés a été "masqué" par une plus grande acuité à l'immigration et aux rapports d'altérité. La bonne question à se poser est pourquoi cet intérêt épidermique en France, mais aussi en Europe, pour les problèmes touchant à l'immigration et la ségrégation des populations anciennement colonisées ?
En réalité, le modèle multiculturel d'intégration, qui prévalait jusque-là, a laissé place à un modèle basé sur le concept d'assimilation. Implicitement, les immigrés doivent abandonner les signes extérieurs de leur culture et de leur religion pour se fondre dans la culture dominante, dans l'ordre social établi, ordre qui est implicitement blanc et chrétien. D'aucuns remarquent que "les espaces musulmans, ancrés autour des mosquées et" d'autres "institutions islamiques, sont lus par certains comme les symboles d'insularité et les sites possibles d'insurrection"(Philipps, 2006). L'impensé loge dans un imaginaire républicain blanc et chrétien qui s'accommode mal d'une diversité musulmane, ou perçue comme telle, devenue pathologique et audible après le 11-Septembre.
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