mercredi 23 juillet 2014

Réinventer le dialogue intercommunautaire entre juifs et musulmans, Farhad Khosrokhavar Sociologue (c) Le Monde

La France se trouve à la croisée de quatre logiques impitoyables. En premier lieu, le spectacle de la souffrance du peuple palestinien suscite l'indignation de nombre de citoyens qui ne sauraient être soupçonnés d'antisémitisme. La disproportion entre le nombre des tués du côté israélien (moins d'une trentaine) et ceux du côté palestinien (plusieurs centaines de morts, quelques milliers de blessés) et la souffrance de plus d'une centaine de milliers d'habitants de Gaza déplacés et bombardés engendrent un mouvement d'opinion que le gouvernement français n'a pas bien apprécié dans son ampleur en interdisant les manifestations à Paris.

En second lieu, le transfert de cette guerre sur le territoire national témoigne de l'absence de dialogue entre les communautés juive et musulmane. L'Etat laïque ne saurait tout régir, les différentes communautés se doivent de construire des canaux de communication. Au lieu de monter en épingle des épisodes exceptionnels comme l'affaire Merah, on ferait mieux de se pencher sur la vie quotidienne des villes comme Créteil ou Sarcelles, où se côtoient juifs et musulmans sans incident majeur, sauf à l'apogée de la crise palestinienne, pour comprendre qu'il n'y a pas d'antisémitisme viscéral d'un côté, ni d'islamophobie congénitale de l'autre.

En troisième lieu, chaque communauté semble développer des symptômes d'autisme dans une frange plus ou moins significative de ses membres. Du côté musulman, chez certains jeunes hommes des cités se développe un sentiment de victimisation qui prétend que la souffrance liée à l'exclusion sociale et à la stigmatisation des " Arabes " justifie, de leur part, la violence et le rejet du " Blanc ". Un peu partout en Europe, le taux d'incarcération des musulmans est de loin supérieur à leur proportion dans la société. La délinquance des jeunes d'origine immigrée qui se considèrent musulmans (même quand ils ne sont pas pratiquants) n'est pas uniquement l'effet du racisme ou de la stigmatisation. Elle est fondée sur l'échec de leur intégration sociale et sur la tentation de tirer vengeance de l'exclusion, sans se pencher sur des solutions constructives.

D'autres phénomènes, comme la glorification ostentatoire par certains supporteurs de l'équipe algérienne de foot, témoignent d'un manque de respect pour ceux qui ne partagent pas, pour des raisons liées à une histoire douloureuse, le même enthousiasme. Certains y voient même un rejet de la France. En outre, le départ de jeunes en Syrie pour combattre aux côtés des djihadistes, même si l'indignation face à la tragédie syrienne est légitime, atteste de l'incapacité des musulmans à instaurer un réel dialogue intracommunautaire.

Du côté juif, une partie de la communauté prend fait et cause pour Israël jusque dans sa répression la plus brutale des Palestiniens, s'étonnant qu'une partie des musulmans la prennent au mot et dirigent leur ire contre elle. Le reproche d'antisémitisme devient le subterfuge facile pour continuer dans cette attitude qui rend impossible l'ouverture à l'autre. Les membres de la communauté juive sont moins nombreux que ceux de la communauté musulmane (600 000 contre 4 à 5 millions). Une partie des juifs de France se laissent bercer par l'imaginaire de l'alya, introduisant du coup un hiatus dans leur identité française, qui semble passer au second plan. Les relations entre les juifs séfarades et les jeunes musulmans de France sont aussi teintées d'animosité par le partage d'une histoire commune. Au lieu de les rassembler, à cause même d'Israël, ce passé commun est source de dissensions et d'animosité. L'appartenance à la France ne semble pas suffire à panser les plaies liées à la création de l'Etat d'Israël.

Etant de classes moyennes, disposant en théorie de la faculté de s'implanter en Israël pour y habiter, certains juifs français développent une attitude méprisante vis-à-vis des " Arabes " (Français d'origine maghrébine). Israël s'interpose sur le plan imaginaire et empêche tout dialogue avec leurs concitoyens originaires du sud de la Méditerranée. Ils reproduisent mentalement l'attitude des colons les plus intransigeants en Israël pour qui un bon Arabe est un Arabe dominé, voire mort de peur.

Une plus grande pondération vis-à-vis d'Israël, même si on y voit l'incarnation de l'identité juive, serait de mise afin de montrer que l'on respecte les citoyens musulmans en France et que même Israël est à critiquer dans certains de ses actes vis-à-vis des Palestiniens, ne serait-ce que du fait de la " droitisation " des divers gouvernements israéliens au cours des deux dernières décennies.

Enfin, depuis la présidence de Nicolas Sarkozy, Paris semble avoir abandonné sa politique proarabe, ce qui mécontente une partie des Français musulmans. Pour y remédier, il faudrait créer des ponts entre l'opinion musulmane et l'Etat. Trop souvent, les autorités donnent l'impression de reproduire le modèle colonial en manipulant certaines élites contestées de l'islam de France.

L'Etat n'a pas encore développé une capacité de dialogue réelle avec ses musulmans alors qu'avec la communauté juive, le consistoire, même en crise, joue effectivement ce rôle. La crise que traversent les juifs et les musulmans de France ne se résorbera pas facilement. Il faudra créer les conditions d'une vraie intersubjectivité traversant la barrière des communautés et se nourrissant du respect mutuel, sans nécessairement passer par le truchement de l'Etat laïque.

Farhad Khosrokhavar

Sociologue

1 commentaire:

  1. QUi crie morts aux Juifs? qui lance des roquettes vers Israel? Le "respect mutuel" commence d'une maniere tout diffrente

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