Par Nicolas Truong, Le Monde
L'islamologue franco-tunisien est mort d'un cancer, à Paris. Cet écrivain et homme de radio passionné était soucieux de lutter à la fois contre le fanatisme islamiste et contre les préjugés antimusulmans.
Poète, islamologue, essayiste et romancier, né en 1946 à Tunis, Abdelwahab Meddeb est mort à la clinique Bizet, à Paris, mercredi 5 novembre, d'un cancer du poumon. Grand érudit, pétri de culture musulmane et occidentale, il plaidait sans relâche pour un Islam des Lumières, un dialogue des civilisations face au choc des nations, des images et des représentations. Abdelwahab Meddeb a enseigné la littérature comparée à l'université Paris-X-Nanterre, dirigé la revue Dédaleet produit l'émission « Cultures d'Islam », sur France Culture. Il est l'auteur d'une trentaine d'ouvrages, dont Talismano(Christian Bourgois, 1979),Contre-prêches (Seuil, 2006),Sortir de la malédiction. L'Islam entre civilisation et barbarie(Seuil, 2008), Pari de civilisation (Seuil, 2009),Printemps de Tunis, la métamorphose de l'histoire(Albin Michel, 2011) et uneHistoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours (Albin Michel, avec Benjamin Stora, 2013).
Passionné par la littérature la plus exigeante, ce sont les attentats du 11 septembre 2001 qui conduisirent ce poète et romancier franco-tunisien à descendre dans l'arène des débats. « Si, selon Voltaire, l'intolérance fut la maladie du catholicisme, si le nazisme fut la maladie de l'Allemagne, l'intégrisme est la maladie de l'islam », écrivait-il en ouverture à La Maladie de l'islam (Seuil, 2002), son ouvrage-phare, dans lequel il invitait le monde musulman à balayer « devant sa porte » et à rompre avec la spirale de la violence et du ressentiment. Il ne cessa de combattre l'islamisme radical, tout comme le mépris ignare pour les musulmans dans lequel se complaisent certains intellectuels français.
« Je porte en moi la maladie de l'islam »
Une position singulière, qui lui valut d'avoir des adversaires dans chaque camp. Mais aussi de nombreux amis et soutiens, tels l'islamologue Christian Jambet, le philosophe Jean-Luc Nancy, l'historien d'art Jean-Hubert Martin, l'essayiste Olivier Mongin, ancien directeur d'Esprit, qui lui proposa d'entrer dans le comité de rédaction de la revue. Ou encore le musicien Michel Portal, qui vint jouer Mozart et Schubert et improviser à la clarinette dans sa chambre d'hôpital, afin d'apaiser les souffrances de cet irréductible amoureux des arts.
« Je porte en moi la maladie de l'islam », disait-il encore alors qu'il luttait contre son cancer. Dans une dernière tribune, parue le 9 octobre dans Le Monde à la suite de l'exécution de l'otage Hervé Gourdel, il enjoignait aux siens de « protester, en tant que musulman, ces horreurs puissent être faites en notre nom » et de ne pas cesser à « transmettre les merveilles de l'Islam ».
Pour lutter contre le littéralisme et l'intégrisme, séparer le politique du théologique, il propose de chercher dans la tradition du soufisme d'Ibn Arabi (1165-1240) notamment, la voie d'un islam ouvert à la pluralité des mondes. Cette préoccupation est au cœur du Portrait du poète en soufi, son dernier ouvrage, qui vient de paraître aux éditions Belin (181 pages, 19 euros), dans lequel un poète nomade s'adresse à Aya, sujet de son amour : « Quand tu donnes tu donnes tout/C'est la passion qui te meut. » Un vers qui va comme un gant à Abdelwahab Meddeb, qui fut toute sa vie animé par la passion de l'Islam et dévoré par sa maladie.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire