A mesure qu'il étend son influence, les crispations que suscite Manuel Valls se font chaque jour plus vives dans le gouvernement. La dernière sortie du ministre de l'intérieur, qui a estimé, mardi 24 septembre, que les Roms "ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres" et qu'"une minorité de familles veut s'intégrer en France",a causé quarante-huit heures plus tard une intense réplique de la ministre écologiste du logement Cécile Duflot. Laquelle l'a accusé d'être "allé au-delà de ce qui met en danger le pacte républicain".
Depuis la tribune des journées parlementaires d'Europe Ecologie-Les Verts, à Angers, où elle siégeait aux côtés de deux ministres socialistes, Philippe Martin (écologie) et Alain Vidalies (relations avec le Parlement), et près du président PS de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, Mme Duflot a sorti l'arme lourde. Au point de tracer le parallèle entre les usages sarkozyste et vallsiste du ministère de l'intérieur : "Quand, tous, nous avons dit que le discours de Grenoble était un scandale absolu, nous ne pouvons pas laisser penser que nous pourrions utiliser les mêmes méthodes", a-t-elle lâché au nez de ces trois responsables socialistes stupéfaits et passablement embarrassés.
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La ministre du logement, qui s'était déjà confrontée à M. Valls pendant l'été 2012 sur ce dossier et qui n'a pas digéré sa dernière sortie, en a même appelé à l'arbitrage du chef de l'Etat : "Ce n'est pas la responsabilité des ministres, c'est la responsabilité du président de la République", a lancé Mme Duflot, qui, à la fin du conseil des ministres de la veille, avait déjà eu une discussion qualifiée de franche avec le président. Après cette charge, la plus lourde portée contre le ministre de l'intérieur par un de ses collègues depuis le début du quinquennat, le premier ministre Jean-Marc Ayrault tentait d'évacuer en renvoyant à la circulaire interministérielle d'août 2012.
"IL Y A UN CONSENSUS SUR LA RÉALITÉ"
Cette escalade a néanmoins percuté de plein fouet le déplacement hautement symbolique qu'effectuait, le même jour à Florange, le chef de l'Etat, dont le staff, prenant connaissance des propos de Mme Duflot à la sortie d'une visite à l'usine Crown Bevcan de Pompey (Meurthe-et-Moselle), se montrait exaspéré de voir ainsi "bousiller la séquence du jour". S'adressant à la presse, le président insistait sur l'espoir que pouvait redonner l'Etat, face à la montée de l'extrême droite, dans les régions touchées par la crise. Mais tournait les talons à peine la question des Roms abordée : "Je ne suis pas là pour commenter les phrases des uns et des autres…"
Pas de commentaire mais une certitude : l'Elysée, qui juge inconcevable, dans les conditions actuelles, que Roumanie et Bulgarie entrent dans l'espace Schengen 2014, n'a nullement l'intention de démentir la place Beauvau. "Arrêtons les débats sémantiques, il y a un consensus sur la réalité", glisse-t-on dans l'entourage du président. "Les Roms ne sont globalement pas dans une logique d'intégration",ajoute un conseiller. "Fermeté et humanité" : la ligne définie à l'orée du quinquennat, officiellement, demeure.
Cependant, comme sur la réforme pénale ou l'affaire du bijoutier de Nice, les atours de l'équilibre ne camouflent plus un positionnement présidentiel de plus en plus tourné vers le terme le plus sécuritaire de l'alternative. Même si François Hollande laisse à son ministre de l'intérieur le soin de clamer avec fracas ce qu'il envisage tout bas. "C'est le président qui fait passer sa ligne à travers Valls, estime-t-on place Beauvau. On a le mauvais rôle. Mais le boulot, il faut le faire."
"LA FORCE VA À LA FORCE, DONC À VALLS"
Comme à l'accoutumée, M. Valls a beau jeu de dissimuler l'énormité des transgressions sous la blouse immaculée du meilleur élève de la classe hollandaise. Dans l'équipe du ministre de l'intérieur, où l'on accuse Mme Duflot d'"allumer un contre-feu pour ne pas parler de ses difficultés, comme le départ de Noël Mamère ou la place des Verts au gouvernement", on pousse même le vice jusqu'à souligner que M. Valls, pour sa part, avait calé exprès la présentation de son plan anticambriolage la veille du déplacement présidentiel à Florange, afin de ne pas perturber celui-ci.
Dans la chronique, déjà longue, des menées expansionnistes du ministre, ce nouveau scandale est un pas de plus dans l'extension du domaine de Manuel Valls sur la ligne gouvernementale. Un conseiller ministériel résume :"Valls énerve une partie du gouvernement et de la majorité, mais il est intouchable. Il est populaire, efficace et l'opinion est de son côté, y compris dans l'électorat de gauche. La force va à la force, donc à Valls." A l'orée d'une campagne municipale qui s'annonce axée avant tout sur la sécurité, nul socialiste ne semble en mesure de contester sa ligne.
Certes, l'irritation gagne dans la majorité, comme aux journées parlementaires du PS à Bordeaux."Une fois de plus, on est réunis entre socialistes et une fois de plus, on parle de Valls qui déplace le sujet sur un terrain qui n'était pas prévu", pestait un député. Mais même sur l'aile gauche, les protestations restent ténues sur ce sujet localement sensible. Ainsi Arnaud Montebourg, qui avait semblé désavouer Manuel Valls en estimant mercredi "qu'il n'existe pas de théorie selon laquelle tel peuple, telle personne de telle origine ne pourraient jamais au grand jamais s'intégrer", dînait encore avec lui jeudi soir.
LE MINISTRE A QUARTIER LIBRE
Fort de l'approbation de nombreux maires socialistes et du soutien du président, le ministre a quartier libre. "J'ai le devoir d'écouter l'exaspération, les colères, les souffrances de notre peuple", a-t-il maintenu jeudi 26 septembre.
Déjà fort sollicité pour les municipales, toujours très haut dans l'opinion là où François Hollande s'effrite encore, le ministre de l'intérieur, dans la mission de l'envoyé spécial sur le front du FN, compte déjà sur la campagne pour faire prospérer ses vues. "Nous sommes en train de faire gagner une gauche social-démocrate, en prise avec la réalité, contre une gauche dogmatique et incantatoire", jubile un proche de M. Valls. Avec toutefois ce risque, mis en avant par un conseiller ministériel : "Il ne faut pas perdre nos mairies, bien sûr. Mais il ne faut pas non plus perdre totalement notre électorat."
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