"Notre responsabilité est d'ouvrir les yeux sur la frustration qui monte face aux retards accumulés et aux inégalités qui se creusent."Quelques heures après avoir prononcé ces mots devant un parterre d'élus et de représentants de l'Etat, à la préfecture des Bouches-du-Rhône, en ouverture de sa visite officielle à Marseille vendredi 8 novembre, Jean-Marc Ayrault est allé voir de plus près cette réalité qu'il veut combattre. En début d'après-midi, il est arrivé à la cité de la Castellane, dans le 16e arrondissement.
Un ensemble symbole des quartiers nord, regroupant plus de mille logements. Une forêt de tours imposantes que l'Etat a ciblée comme "prioritaires" dans son "plan d'action pour l'agglomération Aix-Marseille", dévoilé dans la matinée.
La Castellane, c'est également un des dossiers que la sénatrice socialiste Samia Ghali, maire du secteur, souhaitait voir pris en main immédiatement par l'Etat. Aux côtés de Patrick Mennucci, le candidat socialiste aux municipales, l'élue des quartiers nord, qui a désormais l'oreille du gouvernement, ne cachait pas sa satisfaction d'avoir "fait venir le premier ministre" : "L'Etat prend enfin en compte la fracture nord-sud de Marseille", assurait-elle, radieuse. Dans la foule des élus suivant le cortège. Pas de représentant, en revanche, du maire UMP, Jean-Claude Gaudin, qui, le matin, avait dénoncé une"tournée électorale visant à soutenir le candidat socialiste".
"ON ESPÈRE FORT, FORT, FORT QU'ELLE SERA SUIVIE D'EFFETS"
Sous le regard d'habitants dubitatifs, M. Ayrault a soigneusement évité le sempiternel couplet sur la sécurité des visites ministérielles. Dans la délégation, sous forte escorte, pas de Manuel Valls ou Christiane Taubira. Le chef du gouvernement avait choisi de s'entourer de François Lamy, le ministre de la ville, Marylise Lebranchu, la ministre à la décentralisation, et Marie-Arlette Carlotti, marseillaise et ministre à la lutte contre l'exclusion. Face aux habitants et aux responsables associatifs, le premier ministre a préféré parler emploi, rénovation urbaine, transports et amélioration de la vie quotidienne. Tous des volets importants de son plan de 3,5 millions d'euros engagés pour la métropole marseillaise.
En visite à Marseille, vendredi 8 novembre, le premier ministre a annoncé plus de 3 milliards d'euros de crédit pour la ville, dans la lignée du "plan d'action pour Marseille" lancé le 6 septembre 2012. Parmi les mesures abordées, Jean-Marc Ayrault a évoqué la nécessité de s'attaquer aux transports et au système ferroviaire, annonçant la réalisation d'une gare souterraine sur le site de Marseille Saint-Charles, ce qui représente un investissement de 2,5 milliards d'euros.
La Castellane a beau avoir vu grandir Zinédine Zidane, elle cumule aujourd'hui les maux des quartiers nord de Marseille. En juin 2013, c'est dans ces tours que les policiers ont saisi 1,3 million d'euros en liquide, 53 kilos de cannabis et des armes. Un démantèlement de réseau de drogue qui reste un des succès majeurs de la nouvelle stratégie du gouvernement en matière de sécurité à Marseille.
La Castellane, c'est aussi une cité totalement enclavée, à près d'une demi-heure de voiture du Vieux-Port, desservie par une seule ligne de bus. Un territoire où le taux de chômage atteint 42 % des actifs.
Dans la grande salle du centre social, le directeur adjoint Philippe Amet ne cache pas l'asphyxie face au premier ministre.
"Nous étions arrivés à un point où, malgré toute la ténacité de la population, il était devenu très difficile de surmonter la précarité, le chômage, la dégradation du cadre de vie et bien sûr la délinquance et les difficultés économiques. Votre visite est une bouffée d'oxygène. On espère fort, fort, fort qu'elle sera suivie d'effets."
"Si je reviens à la Castellane, ça sera pour visiter un quartier transformé, a promis en retour Jean- Marc Ayrault. A la fois rénové pour les habitations, renforcé pour les services publics… Pour redonner une perspective et un avenir. Je prends l'engagement que ce qui est dit ici sera fait."
COMME TOUJOURS, ILS JUGERONT LES ANNONCES SUR PIÈCE
Evoquant un "château-fort à ouvrir", image assez proche de la réalité, François Lamy a promis le premier coup de pioche de la rénovation pour "la fin du premier semestre 2014".
Une rénovation à "mieux définir avec la population" mais dont les budgets sont d'ores et déjà réservés par l'Etat sur les crédits ANRU, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine. En attendant l'arrivée du métro à l'hôpital Nord, annoncée également par le gouvernement, 2 millions d'euros seront débloqués immédiatement pour une "opération de désenclavement et d'amélioration du cadre de vie quotidien".
"Ici, tout est trop grand, trop dégradé. Il y a quatre bailleurs sociaux différents. C'est impossible à gérer", lâchait, blasée, la pimpante patronne du studio de coiffure K2 après avoir serré la main du premier ministre. A 63 ans, dont quarante-trois passés à la Castellane, elle ne voit, elle, qu'une solution : "Ce n'est pas une rénovation, c'est une démolition qu'il nous faut !"
A la table des ministres, face aux jeunes de la Castellane, la présence du nouveau directeur général national de Pôle Emploi, Jean Bassère, se veut symbolique. Dans le "plan d'action" du gouvernement, la "mobilisation en faveur de l'emploi dans les quartiers" occupe une large place. Les agences marseillaises vont recevoir 53 conseillers supplémentaires, dont certains seront en poste dans les centres sociaux. L'école de la Deuxième Chance, située à quelques kilomètres seulement de la Castellane, sera renforcée pour accueillir 67 élèves de plus.
Et l'Etat, comme l'a fait Jean-Marc Ayrault en rencontrant un peu plus tôt les entrepreneurs à la chambre de commerce et d'industrie, compte bien sensibiliser les entreprises pour qu'elles recrutent en priorité dans ces quartiers. "La mobilisation paye, assure Jean Bassère. Nous venons de boucler l'embauche de 422 personnes par une grande enseigne qui vient de s'installer dans ce secteur. Et 40 % des emplois sont revenus aux habitants des 14e, 15e et 16e arrondissements." A la sortie des ministres, les habitants de la Castellane ont regardé partir le cortège. Comme toujours, ils jugeront les annonces sur pièce.
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