Encore une promesse de campagne de François Hollande qui se rappelle à son bon souvenir : « Lutter contre le "délit de faciès" lors des contrôles d'identité avec une nouvelle procédure respectueuse des citoyens »(proposition n° 30).
Deux sondages publiés vendredi 9 mai révèlent non seulement la réalité vécue lors de ces contrôles, mais également son effet négatif sur l'image des forces de l'ordre. La pratique est massive : 10 % des personnes déclarent avoir été contrôlées au moins une fois lors des douze derniers mois, soit plus de 5,3 millions d'habitants âgés de 18 ans et plus. En moyenne, ils l'ont été 2,65 fois : cela donne plus de 14 millions de contrôles par an.
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Le premier sondage concerne « l'opinion sur les forces de l'ordre ». Il a été réalisé par OpinionWay en ligne auprès de 2 273 personnes représentatives de la population, selon la méthode des quotas, entre février et mars. Soixante-trois pour cent des personnes interrogées pensent que « les policiers et les gendarmes se livrent à des contrôles d'identité au faciès » et 53 % ne pensent pas que « la police et la gendarmerie traitent chaque personne de la même manière quelle que soit son origine ». Pourtant, seuls 16 % ont vu un policier et un gendarme traiter quelqu'un « de manière irrespectueuse » dans les douze derniers mois.
Le deuxième sondage, réalisé dans les mêmes conditions auprès d'un échantillon élargi de 7 556 personnes, a isolé les 594 répondants qui ont fait l'objet d'au moins un contrôle lors des douze derniers mois. Sans surprise, les personnes d'origine maghrébine sont surreprésentées : elles constituent 7 % de la population générale, mais 12 % du nombre des personnes contrôlées. Le chiffre le plus spectaculaire concerne la fréquence des contrôles : en moyenne, les Français n'ayant pas d'ascendant étranger l'ont été 1,85 fois, contre 4,76 fois pour les personnes étrangères ou d'origine étrangère et 8,18 fois pour les personnes d'origine maghrébine.
L'enquête avait été commandée avant le changement de gouvernement, mais elle arrive à point nommé, alors qu'un nouveau ministre, Bernard Cazeneuve, s'est installé il y a un mois à l'intérieur. A l'œuvre, trois organisations qui ont fait de la lutte contre les « contrôles au faciès » leur cheval de bataille. Open Society Justice Initiative, la fondation américaine du milliardaire George Soros, avait déjà financé une grande enquête sur le sujet, réalisée par des sociologues du CNRS dans la gare du Nord et à Châtelet-Les Halles et publiée en 2009. Elle est ici associée à Graines de France et à Human Rights Watch.
SUJET SENSIBLE À GAUCHE ET DANS LES MILIEUX ASSOCIATIFS
Après l'élection de M. Hollande, le débat s'était cristallisé autour de la création d'un récépissé de contrôle d'identité, un modèle expérimenté à l'étranger mais jamais à l'échelle d'un pays comme la France. La mesure avait été rejetée par le ministre de l'intérieur d'alors, Manuel Valls. Trop compliqué, trop lourd, selon lui : « Je ne veux pas imposer un dispositif qui, très vite, tournerait au ridicule et serait inopérant », affirmait-il en juin 2012.
Le sujet est resté sensible à gauche et dans les milieux associatifs. « Ces contrôles et fouilles publics sont vécus comme humiliants. Pour les très jeunes, c'est souvent la première fois où ils se sentent visés de manière discriminatoire, et cela construit une véritable méfiance face aux institutions », constate Jean-Marie Fardeau, directeur France de Human Rights Watch. « Depuis deux ans, ces pratiques continuent. Le sentiment est que rien n'a été fait depuis que la gauche est au pouvoir. Il faut un outil qui permette de demander des comptes aux policiers », regrette Réda Didi, délégué général de Graines de France.
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Rien ? Pas tout à fait. « Mon prédécesseur avait pris de nombreuses mesures. Ce sont des réformes importantes, qui permettent de progresser. Ce qui a été fait mérite d'être stabilisé, approfondi et évalué. Si cela est nécessaire, nous compléterons », défend M. Cazeneuve. Un numéro d'identification a été apposé sur l'uniforme des policiers. Le nouveau Code de déontologie des forces de l'ordre proscrit le tutoiement, et précise, un peu, les conditions du contrôle et de la palpation.
« LEVER LES TABOUS »
L'inspection générale de la police nationale (IGPN, « police des polices ») a été réformée, un conseil d'orientation ouvert aux personnalités extérieures, dont M. Didi, y a été créé, ainsi qu'une plateforme de signalement sur Internet — il y a eu 1 154 signalements depuis sa mise en place en septembre, dont 751 ont donné lieu à des suites.
Associés à d'autres organisations, telles que la Ligue des droits de l'homme, le Gisti, le Syndicat des avocats de France ou le Syndicat de la magistrature, les commanditaires de l'étude réitèrent deux demandes majeures : l'instauration du récépissé et la réforme du Code de procédure pénale. Sur ce dernier point, le Défenseur des droits a mis en place un groupe de travail qui devrait rendre prochainement ses conclusions. « Ce serait de vrais signes de rétrécissement des pouvoirs de la police et un moyen de contrôle », insiste Nathalie Ferré, présidente d'honneur du Gisti.
Pas certain que ces associations soient davantage entendues par Manuel Valls premier ministre que par Manuel Valls ministre de l'intérieur. Les syndicats de policiers étaient et sont toujours opposés au récépissé. « Pour transposer la pratique chez nous, il faudrait d'abord lever le tabou des statistiques ethniques et prendre en compte le fait qu'en France le citoyen doit porter une pièce d'identité sur lui ; ce qui n'est pas le cas dans la plupart des pays qui le pratiquent », assure Jean-Marc Bailleul (SCSI, premier syndicat d'officiers).
Tous nient de toute façon tout contrôle « au faciès » : « C'est faux, s'insurge Jean-Claude Delage (Alliance, deuxième syndicat). Tout dépend des lieux où ont lieu les contrôles, et de la population qui fréquente ces lieux. » Circulez, y'a rien à voir !
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