De Copenhague à Madrid, de Paris à Budapest, les élections européennes du 22 au 25 mai seront fortement influencées par l'une des questions les plus importantes que devra affronter l'Europe à l'avenir, celle de l'immigration. L'Union européenne accueille le plus grand nombre d'immigrés au monde, soit un peu plus de 71 millions.
Ce thème a beau être accaparé par Marine Le Pen et ceux qu'elle rejoindra, à Strasbourg, dans un groupe d'extrême droite transnational, leurs diatribes ne changeront rien aux tendances lourdes. Leur propagande contre l'étranger brouillera un peu plus la compréhension d'un phénomène complexe qui a façonné les sociétés depuis des siècles et continuera à le faire, quoi qu'en disent ces tribuns populistes et, ou, europhobes.
L'espoir étant qu'en définitive, leur présence, probablement massive, dans le futur Parlement des Vingt-Huit, ait une conséquence positive en forçant les autres responsables à afficher un discours plus courageux et plus conscient des réalités. Le projet que doit endosser, en juin, le Conseil européen n'est qu'une première étape, sans doute insuffisante. Car il est temps de forger un large consensus européen sur ce sujet.
Quelles sont ces réalités ? Primo, la démographie européenne, malgré une exception marquante – celle de la France –, devient globalement négative. Et si elle ne chute pas plus brutalement dans certains pays, c'est pour une large part en raison de l'immigration. Or, que la pyramide des âges s'inverse, avec une population âgée de 45 à 60 ans devenant majoritaire, et c'est la question de l'avenir des systèmes sociaux, de santé et de retraite qui est posée. En Allemagne, on devrait compter 30 % de plus de 65 ans et moins de 20 % de jeunes en 2030. La question de la dépendance sera un défi collatéral pour ces sociétés, et des démographes estiment que seule une ouverture à une main-d'œuvre étrangère pouvant s'occuper de cette population permettra de l'affronter. De quoi enrichir le débat sur l'immigration de travail…
Sans être entendue par les Etats, la commissaire européenne aux affaires intérieures, la Suédoise Cecilia Malmström, a prudemment évoqué cette réalité, déjà étayée par de nombreuses données. Sans nouvelle immigration, la population européenne en âge de travailler se réduira de 12 % d'ici à 2 030. Le secteur de la santé devrait recruter 2 millions de personnes, qu'il ne trouvera pas. L'Allemagne manque d'ingénieurs, d'autres pays sont prêts à recruter massivement des techniciens spécialisés, des patrons peinent à trouver des cadres compétents, même là où le chômage est élevé. L'étranger comme remède, et non comme coupable ou comme menace ? Si aucun politique n'ose tenir ce discours, d'autres le relayent avec force : " Compte tenu d'un taux de natalité en baisse, nous avons besoin d'une politique d'immigration et d'intégration cohérente. Des mesures nationales fragmentées (…) feront régresser l'économie européenne sur la scène de la mondialisation ", écrivait Tom Enders, le président d'EADS, dans Le Monde, en janvier 2013.
L'Europe doit agir
La deuxième grande donnée est la fin de ce que les spécialistes appellent les " flux cycliques " de migrants. Ni " tsunami " ni " exode biblique ", mais phénomène durable : les migrations changeront de nature mais s'amplifieront. Les Nations unies estiment qu'aux alentours de 2025, de 800 millions à 1 milliard de personnes seront déplacées dans le monde.
La migration classique, dictée par des raisons économiques, régresse en Europe, relève l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), sans pouvoir estimer si ce phénomène est durable ou lié à la crise. En revanche, les migrations issues des zones de conflits ou découlant des effets du dérèglement climatique se multiplieront, forçant les nations développées à ébaucher des réponses. Si elle ne veut pas affronter d'autres drames à répétition et rester fidèle à ses valeurs, l'Europe devra agir. En affichant sa solidarité, en traçant des voies légales pour l'immigration, mais surtout en amenant ses membres à agir de concert.
Au courd des dernières années, l'Union s'est beaucoup émue des divers drames en Méditerranée. Ces derniers jours, cinquante personnes au moins y sont mortes et, en vingt ans, on a totalisé quelque 20 000 victimes. Pour une part, ces drames ne furent que les conséquences de mesures de dissuasion coordonnées, alors que la définition d'une politique migratoire sur le long terme restait à la traîne. Faisant cavalier seul, chaque pays jouait la fâcheuse partition consistant à désigner deux adversaires habituels : le voisin, qui n'en fait jamais assez, et " Bruxelles ", accusée d'être une bureaucratie sans notion des réalités nationales.
Une mesure pourrait aider à combattre cette funeste myopie : la nomination d'un véritable commissaire européen à l'immigration, capable de jouer simultanément sur les tableaux de la sécurité intérieure, des affaires étrangères, de l'humanitaire, du développement et de l'intégration. Capable, aussi, d'inscrire cette thématique à l'agenda du Conseil, à savoir des Etats. Il est temps de fédéraliser ce sujet crucial et de rappeler aux capitales qu'elles ont ouvert la porte, dans le traité de Lisbonne, à une telle évolution. Timide, mais, en tout cas, indispensable.
par Jean-Pierre Stroobants
Correspondant à Bruxelles
stroobants@lemonde.fr
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