jeudi 4 septembre 2014

Najat Vallaud-Belkacem, visée par les « snipers » de la droite Par Olivier Faye, Matthieu Goar, Abel Mestre, Le Monde le 4 septembre 2014 à 16h19


La nouvelle ministre de l'éducation nationale est l'objet d'une campagne haineuse qui cible ses origines marocaines.

La ministre de l'éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, à  Paris, le 29 août.

La ministre de l'éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, à Paris, le 29 août. | LEA CRESPI POUR "LE MONDE"

L'extrême droite et la droite radicale adorent cela : avoir une cible. Ce fut le cas avec Christiane Taubira, ministre de la justice, notamment au moment de l'adoption de la loi sur le mariage homosexuel. Depuis la nomination de Najat Vallaud-Belkacem au ministère de l'éducation nationale, les coups pleuvent sur la jeune ministre.

POUR APPROFONDIR

Le portrait :  Najat Vallaud-Belkacem rejoint la cour des grands

Deux images résument la teneur de ces attaques : les « unes » des hebdomadaires Minute et Valeurs actuelles. Le premier titre sur « Une Marocaine musulmane à l'éducation nationale : la provocation Vallaud-Belkacem ». Le second, encore plus outrancier, n'hésite pas à la qualifier d'« ayatollah » et promet une « enquête sur la ministre de la rééducation nationale ».

« LA NAUSÉE ET LES MAINS SALES »

Face à un tel déferlement, la ministre de l'éducation a réagi à la sortie du conseil des ministres, mercredi 3 septembre. « Je ne sais pas si vous connaissez la formule de Pierre Desproges : "Pour le prix d'un journal, vous avez la nausée et les mains sales" », a-t-elle lancé, l'humoriste faisant alors référence àMinute et à deux œuvres de Jean-Paul Sartre.

Les socialistes se sont également mobilisés. Invitée au bureau national du PS, Mme Vallaud-Belkacem a été longuement applaudie. Le premier secrétaire du parti, Jean-Christophe Cambadélis, a demandé à ce que la couverture de Minute « soit juridiquement condamnée ».

Pourquoi tant de haine à l'encontre de la plus jeune ministre du gouvernement ? Mme Vallaud-Belkacem est vivement critiquée à droite et à l'extrême droite, et ce depuis longtemps. Elle se voit accusée de défendre une supposée « théorie du genre » qui voudrait gommer – selon ses détracteurs – les différences entre garçons et filles. Ce sont notamment les militants de La Manif pour tous qui enfourchent ce cheval de bataille, estimant que la nomination de cette féministe Rue de Grenelle est « une provocation », voire pour certains une« déclaration de guerre ». D'ailleurs, ce collectif se sert de Mme Vallaud-Belkacem comme d'un épouvantail pour mobiliser avant la manifestation prévue le 5 octobre. Mais avec Minute etValeurs actuelles, les attaques ciblent ouvertement les origines de la ministre.

Au FN, les attaques ne se focalisent pas sur ce thème, mais le parti d'extrême droite place Mme Vallaud-Belkacem au même niveau d'estime que MmeTaubira. C'est dire. Et quand Marine Le Pen cite la ministre de l'éducation lors de son discours de rentrée à Brachay (Haute-Marne), le 30 août, la foule ne s'y trompe pas et siffle bruyamment, comme pour chaque tête de Turc du parti, à l'image d'un Bernard-Henri Lévy ou d'un Jacques Attali. « L'on sacrifie l'école de la République pour promouvoir une ministre, qui n'a aucune compétence en matière d'éducation et dont personne ne peut citer le moindre début de bilan dans ses mandats précédents, à part avoir lancé des polémiques dont la nation, sûre de ses valeurs, se passerait volontiers », a ainsi lancé la présidente du FN lors de ce discours.

« KHMER ROSE »

L'UMP a également concentré ses tirs sur l'ancienne ministre des droits des femmes. Une façon de cerner le nouveau gouvernement sur le terrain des valeurs alors que le nouveau ministre de l'économie, le social-libéral Emmanuel Macron, offrait moins d'angles d'attaques.

Dès sa nomination, Laurent Wauquiez, le député de la Haute-Loire, avait ainsi qualifié la nouvelle ministre « d'ultra pro-gender », avant de supprimer son tweet. La députée européenne, Nadine Morano, avait évoqué son opposition passée à la loi anti-niqab puis les députés proches de La Manif pour tous avaient embrayé. Hervé Mariton, député de la Drôme, a ainsi surnommé Mme Vallaud-Belkacem, la « Khmer rose ».

Certains ont même été jusqu'à des attaques sexistes comme Franck Keller, conseiller municipal à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), qui avait posté une photo de la ministre en robe avec ce commentaire : « Quels atouts Najat Vallaud-Belkacem a utilisés pour convaincre Hollande de la nommer à un grand ministère ? » M. Keller s'est depuis défendu de toute allusion sexiste.

Pour l'UMP, le nom de Mme Vallaud-Belkacem est un moyen de mobiliser les adhérents qui l'ont sifflée au Touquet les 30 et 31 août. « Comme Christiane Taubira, elle est un peu le chiffon rouge qui excite les oppositions. Je salue sa réussite mais elle est très idéologue sur certains sujets. Je continue à penser que c'est une provocation de la part du gouvernement », plaide Philippe Gosselin, député de la Manche en pointe sur le combat contre le mariage pour tous, qui se démarque des attaques sur les origines ou sur le sexe :« J'avais trouvé ça honteux vis-à-vis de Rachida Dati. Il y a assez à dire sur les idées de la ministre pour ne pas s'abaisser à ça. »

DES ATTAQUES « REGRETTABLES »

Car certaines voix s'élèvent à droite pour ramener les débats sur le terrain des idées. « Najat Vallaud-Belkacem est ministre, elle n'est pas illégitime »,rappelle Thierry Solère, député (UMP) des Hauts-de-Seine, qui « trouve odieux » de s'en prendre à elle pour ses origines. « Je ne lui fais pas de procès d'intention. Les Français attendent de la droite qu'elle soit constructive, pas qu'elle ait des propos déplacés », insiste-t-il.

La séquence « ne donne pas une bonne image de l'opposition » abonde Claude Goasguen, député (UMP) de Paris. « Que l'on soit un opposant, d'accord. Mais on n'est pas obligé de faire des attaques racistes et sectaires, c'est regrettable », dit celui qui a été un participant actif de La Manif pour tous.

L'UMP doit-elle alors en appeler collectivement à la fin des hostilités ? Pas la peine d'aller jusque-là selon le maire du 16e arrondissement : « Chacun de temps en temps commet des dérapages, ça a aussi été mon cas par le passé. C'est une affaire individuelle plus qu'une question de parti. »

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