Par Elise Vincent, Le Monde
Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a confirmé le refus d'accès au motif que le salarié serait engagé dans « un processus de radicalisation religieuse ». Son avocat dénonce une discrimination « islamophobe ».
Illustration | Aurel
Après plusieurs recours, un ingénieur de confession musulmane s'est vu confirmer, lundi 1er septembre, par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, son interdiction d'accès à l'ensemble des sites nucléaires français, au motif qu'il serait « engagé dans un processus de radicalisation religieuse ». Le tribunal a estimé que l'homme, âgé de 29 ans, entretenait notamment « des liens étroits » avec « un imam impliqué dans le recrutement » de jeunes djihadistes combattants les troupes américaines en Irak.
Le cas de ce jeune ingénieur – dont l'identité n'a pas été révélée – dépasse le simple résultat d'une enquête de police. Celui-ci estime en effet, par la voix de son avocat, qu'il est victime d'une discrimination « islamophobe ». « Il n'y a aucune preuve de ses supposés liens, cette décision s'appuie sur des affirmations non circonstanciées qui ne sont pas dignes d'un état de droit », dénonce ainsi Me Sefen Guez Guez, qui est aussi le conseil du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF).
L'association créée depuis 2003 qui s'est spécialisée dans la défense des musulmans, y compris les plus traditionalistes. Le CCIF s'est notamment fait remarquer en soutenant les femmes agressées parce qu'elles portaient le voile intégral ou dont le contrôle de police a pu déraper.
« LA PLUPART LÂCHENT L'AFFAIRE »
Le client de Me Guez Guez travaillait depuis 2008 pour des sous-traitants dans le secteur du nucléaire. Pour entrer dans les centrales, les employés de ces entreprises doivent, chaque année, remplir une fiche individuelle d'autorisation d'accès (Fidaa). Une enquête de police est alors réalisée. Si elle ne révèle rien, la personne peut travailler sans être inquiétée.
Cela n'a pas été le cas du jeune ingénieur. Lorsqu'il s'est présenté, à l'hiver 2013, à la centrale de Nogent-sur-Seine (Aube), l'accès lui a été interdit. Un refus qui n'était pas motivé car couvert par le secret défense. « La plupart de ceux qui se voient notifier un refus lâchent l'affaire », explique sous couvert d'un strict anonymat un responsable d'un sous-traitant basé dans le sud de la France. « Il peut suffire d'avoir eu des soucis d'alcoolémie au volant, d'avoir son nom dans une procédure ou d'avoir été cité comme témoin », précise-t-il.
Suspectant un refus lié à son engagement religieux, l'ingénieur a, lui, décidé de ne pas en rester là et a fait appel au CCIF qui le soutient. Après un premier recours, le tribunal de Châlons-en-Champagne lui a d'ailleurs donné raison, en juin, estimant qu'il y avait un doute sur la légalité de la décision « puisque ni EDF ni le préfet de l'Aube n'avaient précisé ce qui justifiait l'interdiction d'accès », selon Me Guez Guez. L'ingénieur avait pu retourner travailler.
Mais fin juillet, le jeune homme s'est vu une nouvelle fois refuser l'accès à la centrale de Nogent-sur-Seine. Il a formulé un deuxième recours. Et, cette fois-ci, un avis défavorable des renseignements ayant transité par le ministère de l'écologie – auprès duquel il avait fait, en avril, un recours hiérarchique – a été versé au dossier. C'est dans cette note qu'il est fait état de « ses liens probables » avec un imam« radical », « adepte de l'idéologie salafiste ».
« UNE FAILLE DE SÉCURITÉ »
Le salafisme est une interprétation littérale et ultraorthodoxe de la religion musulmane. En France, cette mouvance reste très majoritairement opposée au djihad armé. Mais elle a aussi ses dérives et est en forte progression, surtout dans les quartiers populaires. « La seule chose qui a changé dans la vie de mon client entre 2013 et cette année, c'est qu'il est passé de simple bénévole de sa mosquée, à secrétaire général de l'association qui la gère », insiste MeGuez Guez
Le tribunal a estimé que, même si le casier du jeune ingénieur est vierge et « que les fichiers de police ne contiennent aucun élément établissant avec certitude [son] engagement personnel dans un islam violent », le fait qu'il ait accès à des « installations particulièrement sensibles » était « une faille de sécurité » et justifiait de lui refuser l'accès aux sites nucléaires. Une décision qui s'appuie sur le code de la défense.
Dans le secteur des sous-traitants d'EDF, l'affaire est suivie de près. Beaucoup des employés de ces entreprises prestataires chargées du nettoyage, de la maintenance ou du démantèlement, sont en effet d'origine maghrébine et de confession musulmane. L'ingénieur soutenu par le CCIF supervisait de petites équipes de ces ouvriers de l'ombre, qui font les 3/8, manipulent de lourdes charges, tout en devant porter de contraignantes combinaisons de protection.
« 60 % À 70 % DE MES GARS SONT DES MUSULMANS DÉCLARÉS ! »
« 60 % à 70 % de mes gars sont des musulmans déclarés !, détaille ainsi un responsable de site, lui aussi sous couvert d'un strict anonymat. Si je ne les avais pas, je n'aurais personne, on ne tient qu'avec eux. Ce sont des chasseurs de prime qui ne rêvent que de s'acheter une maison, mais ce sont les seuls à accepter ce boulot. »
Ce gestionnaire expérimenté assure toutefois n'avoir jamais eu, jusqu'à présent, de refus d'accès aux sites nucléaires parmi ces salariés-là : « J'en ai qui sont très pratiquants et s'affichent. Ils portent la barbe ou ont la marque sur le front à force de se prosterner. Mais ça n'a jamais posé de problème. » Sa société a même, selon lui, désormais « intégré comme un risque industriel les potentiels malaises lors des périodes de Ramadan ».
Les interdictions d'accès resteraient ainsi « très rares », selon le chef de site du sous-traitant du sud de la France. « Et quand il y en a, c'est généralement que la personne a fait quelque chose », indique-t-il. « On ne peut pas dire qu'EDF soit raciste. Chez les prestataires, il y a des employés de tous horizons », abonde-t-il tout en estimant que le fait que certains « fassent la prière au travail », nourri inutilement « la méfiance ».
L'avocat de l'ingénieur recalé indique vouloir étudier les possibilités d'appel.« Même s'il n'a pas encore été licencié par son entreprise, la situation de mon client est en train de devenir très compliquée », explique-t-il.
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