Prière du vendredi. Ici, à la mosquée de Tremblay-en-France (93), ouverte en avril 2010, qui peut accueillir jusqu'à 1 500 fidèles.
Après le nombre de burqa qui circulent dans l'Hexagone, voici le nouveau sujet de débat qui agite la France : combien y a-t-il de musulmans « en plein air » chaque vendredi ? Le débat lancé par Marine Le Pen, qui, comme d’autres, semble vouloir remplacer l’image du bolchévik portant un couteau entre les dents par celle du musulman barbu et enturbanné, enrichit une production phantasmatique déjà riche.
Les murs n’ont pas des oreilles, mais les rues de nos villes sont envahies de mahométans ! Tout un chacun peut le constater. Déjà, dans les années 1980, son père prophétisait que les musulmans transformeraient la cathédrale Notre-Dame de Paris en mosquée, Marine Le Pen voit plus loin, en annonçant presque la colonisation de nos rues tel le parvis de la mosquée de La Mecque lors du pèlerinage.
La probable future candidate du Front national aux élections présidentielles, qui, à l’heure actuelle, cherche à récupérer le fauteuil paternel, copie ses recettes avec succès. Petit à petit, elle « marinise » les esprits ; peu importe les moyens, peu importe la solidité des arguments.
Gageons qu’il adviendra de cette histoire de mosquée comme de celle de la burqa : pour moins de 500 voiles intégraux (chiffre des renseignements généraux), des mois de débats et de polémiques et finalement une loi, dont on attend encore de voir comment elle sera appliquée alors que la fameuse amende de Nantes, qui avait tout déclenché, vient d’être invalidée…
Peu importe la réalité, seul comptent l’effet produit et l’« anxyogénisation » du rapport à l’islam avec, en arrière-pensée, une vraie volonté de perturber le rapport à l’étranger.
Et, pourtant, ramenons les choses à leur juste proportion. 5 millions de musulmans en France, moins de 1 million pratiquant les cinq piliers, dont la prière, et combien d’entre eux sur la voie publique, bloquant les rues chaque semaine ? 5 millions de musulmans et combien de mètres carrés pour qu’ils puissent prier ? Pas plus de 200 000 à 300 000 mètres carrés actuellement, et sans doute proportionnellement encore moins dans les quelques endroits à forte densité de fidèles posant problème.
Si l'on considère qu’il faut tout au moins un mètre carré pour prier, il faudrait donc des surfaces au moins 3 à 4 fois plus grandes, comment s’étonner alors que le contenant trop petit laisse déborder le contenu, c’est ce qui se produit toujours dans ce cas, qu’il s’agisse d’une mosquée ou d’une boîte de nuit !
Ce n’est d’ailleurs pas un phénomène récent, nombreux sont ceux qui gardent le souvenir des grandes prières de l’Aïd à la Grande Mosquée de Paris dans les années 180, quand les jardins une fois pleins voyaient les trottoirs avoisinants du 5e arrondissement se couvrir de tapis sous le regard bonhomme des policiers et des badauds. Les choses ont bien changé, l’extrême droite, la crise, la pauvreté du discours politique, mais aussi le terrorisme, l’islamisme agressif sont passés par là.
Les musulmans ont eux aussi changé : ils sont français, à l’état civil mais aussi dans leur âme et dans leur tête ; et ils ne supportent pas cette discrimination supplémentaire qu’ils associent aux autres, que certains d’entre eux vivent déjà pour leur couleur de peau, leur nom ou leur quartier de résidence. Ils ne comprennent pas pourquoi, à l’instar de leurs compatriotes israélites, catholiques, protestants, ils ne peuvent pratiquer leur culte dans la dignité.
Imagine-t-on d’ailleurs que ces gens-là aient une particulière affection pour le caniveau et le macadam ? Quel mépris pour eux de vouloir faire croire qu’ils le font par choix avec une obscure planification de conquête de l’espace à la manière de panzers enturbannés ? Bien au contraire, on peut penser que nombre d’entre eux refusent de prier pour ne pas se trouver exposer à cette humiliation que constitue la pratique de l’acte religieux sous le regard de tous, dans un pays qui n’est pas culture musulmane et où il y a peu d’empathie pour le phénomène.
Les musulmans de France ne sont pas différents des autres habitants de ce pays, ils ne sont, à l’évidence, pas moins pudiques ni plus hystériques. Nombre d’entre eux cultivent d’ailleurs une certaine forme de discrétion, héritée du désir de transparence qu’ont pu avoir pendant longtemps ici les immigrés.
Que faire donc ? Demander à l’État d’aider à la construction des moquées ? Impossible : la loi de 1905 ne le permettrait pas. Tout au plus les collectivités locales peuvent-elles, pour peu qu’elles le veuillent et qu’elles n’aient pas peur d’une sanction dans les urnes, concéder des baux emphytéotiques aux associations cultuelles, à qui elles peuvent aussi accorder des subventions. Faire appel à des financements non publics ? Pourquoi pas, cela semble logique. Mais on voit alors resurgir le spectre, probablement aussi fantasmagorique que la théorie de la cinquième colonne propagée par les tenants de l’invasion, de la mainmise de l’étranger.
Nouvel écueil à la construction de lieux de culte bien commode tout de même, car on ne s’est, semble-t-il, jamais posé ces questions lors de la construction d’une synagogue, d’un temple bouddhiste, ou lorsque l’on a vu un certain nombre de cinémas, par exemple, transformés en temples évangéliques, fréquentés souvent par des populations aux moyens aussi modestes que la plupart des musulmans.
Il faut donc, pour sortir de la quadrature du cercle qui veut que l’on ne puisse faire appel ni à de l’argent public ni à de l’argent venu d’outre-Méditerranée, qu’on laisse financer qui le veut et qui le peut ces mosquées qui manquent tant. Charge aux pouvoirs publics de promouvoir la formation d’imams par les universités ou en partenariat avec les instituts de théologie ; et aux renseignements généraux… qui ne se privent déjà pas de le faire, de surveiller ce qui s’y dira ou fera dans le secret du minbar. Ou, alors, serait-ce que l’on préfère l’islam des caves, invisible, lui ?
Il serait temps aussi de changer ce regard soit compassé, soit anxieux, souvent hostile, que l’on peut avoir sur les 5 millions de musulmans de France : ils n’ont vocation ni à changer l’identité culturelle de notre pays – ce que font peut-être plus sûrement les multinationales de l’agroalimentaire ou de l’entertainment – ni, à plus forte raison, à lui nuire. Ils demandent à être assimilés et non pas intégrés.
Si on ne veut plus les voir dans les rues, qu’on les mette à leur place… dans les mosquées !
* Madjid Si Hocine est médecin, militant associatif et animateur du site www.legalitedabord.fr
dimanche 26 décembre 2010
mardi 21 décembre 2010
Assimilation" ou "intégration", le sens politique des mots
Assimilation" ou "intégration", le sens politique des mots
| 20.12.10 | 15h07 • Mis à jour le 20.12.10 | 15h07 Le Monde
Le concept d'"assimilation" des immigrés est en train de prendre le pas sur celui d'"intégration" dans le langage politique français. On a pu l'entendre, le samedi 11 décembre, dans la bouche du premier ministre, François Fillon, lors du conseil national de l'UMP. Le lire, le 13 décembre, dans le cadre d'une interview accordée au Monde par le conseiller spécial du chef de l'Etat, Henri Guaino. Il est aussi présent dans plusieurs amendements du projet de loi immigration, actuellement en navette au Parlement.
Or, à en croire les spécialistes, ce regain du terme "assimilation" - il était tombé en désuétude dans les années 1980 - signifie, sur le fond, plus qu'un simple glissement sémantique. Même si dans leur emploi, les mots "intégration" et "assimilation" sont "assez proches", selon Pap Ndiaye, historien et maître de conférence à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), le premier "avait quelque chose de plus accueillant par rapport à la diversité". Pour lui, avec "l'assimilation", on demande aux immigrés "de se comporter en tous points pareillement que ceux que l'on appelle "Français"". C'est une vraie "injonction", note-t-il.
Or, déplore Patrick Simon, socio-démographe à l'Institut national d'études démographiques (INED), que l'on emploie ou pas le mot "assimilation", "il serait important de définir avant ce que l'on croit être l'intégration". Pour les immigrés dernièrement arrivés en France, "l'intégration telle qu'on l'entend, c'est-à-dire le fait de devenir invisible selon les modalités historiques que l'on a connu jusqu'à présent (comme les Italiens ou les Portugais, par exemple) ne va pas se produire". Notamment du fait de la "couleur de peau". "Les immigrés d'origine maghrébine ou subsaharienne, même s'ils le voulaient, ne le pourraient pas", rappelle-t-il.
DÉBAT "ABSURDE"
Pour Patrick Weil, historien, chercheur au CNRS et professeur associé à l'université Yale (Etats-Unis), le débat entre les mots "intégration" et "assimilation" est "absurde". Aux Etats-Unis, d'après lui, pays souvent pointé du doigt pour son modèle "communautariste", "il y a aussi de l'assimilation au sens littéral du terme, soit le fait de rendre semblable". Il prend pour exemple l'hymne américain, chanté à l'ouverture de chaque match de football.
La réalité, selon M. Weil, c'est qu'il "n'y a pas d'opposition entre "assimilation" et "diversité"". "Il y a des moments où chacun d'entre nous aspire à être traité comme ses semblables devant les institutions et d'autres où il demande à être reconnu dans sa particularité culturelle", résume-t-il.
Le problème, note encore M. Weil, rejoignant ainsi M. Simon, c'est que "les hommes politiques français ne savent pas ce qu'ils veulent assimiler". Or, d'après lui, "si l'intégration se produit bien dans la vie quotidienne, les autorités politiques entretiennent un climat qui a des effets plus ou moins négatifs".
Elise Vincent
Article paru dans l'édition du 21.12.10
| 20.12.10 | 15h07 • Mis à jour le 20.12.10 | 15h07 Le Monde
Le concept d'"assimilation" des immigrés est en train de prendre le pas sur celui d'"intégration" dans le langage politique français. On a pu l'entendre, le samedi 11 décembre, dans la bouche du premier ministre, François Fillon, lors du conseil national de l'UMP. Le lire, le 13 décembre, dans le cadre d'une interview accordée au Monde par le conseiller spécial du chef de l'Etat, Henri Guaino. Il est aussi présent dans plusieurs amendements du projet de loi immigration, actuellement en navette au Parlement.
Or, à en croire les spécialistes, ce regain du terme "assimilation" - il était tombé en désuétude dans les années 1980 - signifie, sur le fond, plus qu'un simple glissement sémantique. Même si dans leur emploi, les mots "intégration" et "assimilation" sont "assez proches", selon Pap Ndiaye, historien et maître de conférence à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), le premier "avait quelque chose de plus accueillant par rapport à la diversité". Pour lui, avec "l'assimilation", on demande aux immigrés "de se comporter en tous points pareillement que ceux que l'on appelle "Français"". C'est une vraie "injonction", note-t-il.
Or, déplore Patrick Simon, socio-démographe à l'Institut national d'études démographiques (INED), que l'on emploie ou pas le mot "assimilation", "il serait important de définir avant ce que l'on croit être l'intégration". Pour les immigrés dernièrement arrivés en France, "l'intégration telle qu'on l'entend, c'est-à-dire le fait de devenir invisible selon les modalités historiques que l'on a connu jusqu'à présent (comme les Italiens ou les Portugais, par exemple) ne va pas se produire". Notamment du fait de la "couleur de peau". "Les immigrés d'origine maghrébine ou subsaharienne, même s'ils le voulaient, ne le pourraient pas", rappelle-t-il.
DÉBAT "ABSURDE"
Pour Patrick Weil, historien, chercheur au CNRS et professeur associé à l'université Yale (Etats-Unis), le débat entre les mots "intégration" et "assimilation" est "absurde". Aux Etats-Unis, d'après lui, pays souvent pointé du doigt pour son modèle "communautariste", "il y a aussi de l'assimilation au sens littéral du terme, soit le fait de rendre semblable". Il prend pour exemple l'hymne américain, chanté à l'ouverture de chaque match de football.
La réalité, selon M. Weil, c'est qu'il "n'y a pas d'opposition entre "assimilation" et "diversité"". "Il y a des moments où chacun d'entre nous aspire à être traité comme ses semblables devant les institutions et d'autres où il demande à être reconnu dans sa particularité culturelle", résume-t-il.
Le problème, note encore M. Weil, rejoignant ainsi M. Simon, c'est que "les hommes politiques français ne savent pas ce qu'ils veulent assimiler". Or, d'après lui, "si l'intégration se produit bien dans la vie quotidienne, les autorités politiques entretiennent un climat qui a des effets plus ou moins négatifs".
Elise Vincent
Article paru dans l'édition du 21.12.10
Bilan en demi-teinte pour l'intégration des immigrés et de leurs enfants
Bilan en demi-teinte pour l'intégration des immigrés et de leurs enfants
| 20.12.10 | 15h07 • Mis à jour le 20.12.10 | 15h07 Le Monde
S'il est un sujet qui préoccupe les exécutifs européens - Angela Merkel en Allemagne, David Cameron au Royaume-Uni - et dont se nourrit l'extrême droite, notamment en France, c'est celui de l'intégration des immigrés et de leurs enfants. Un sujet dont le bilan, par essence, est délicat à établir. Les études françaises produites sur le sujet ces dernières années permettent toutefois d'en dresser un tableau en demi-teinte.
DES CHIFFRES INQUIÉTANTS
Le taux de chômage des immigrés est de 1,5 à deux fois supérieur à celui des natifs français. Cet écart se retrouve dans d'autres pays européens. Mais, en valeur absolue - plus de 12 % des immigrés étaient au chômage en 2008, en France - c'est l'un des plus élevés des Etats membres de l'Organisation de coopération et développement économiques (OCDE). La crise a toutes les chances de l'avoir aggravé. Ces résultats ne sont pas meilleurs pour la deuxième génération. Alors que l'écart des taux de chômage des primo-arrivants était de 5 à 7 points supérieur à celui des natifs en 2008, selon les derniers chiffres de l'OCDE, pour leurs enfants, il était de 10 points.
Ce constat se retrouve aussi en matière d'éducation. D'après la dernière enquête PISA menée auprès de jeunes de 15 ans dans les pays de l'OCDE, les élèves issus de l'immigration ont au moins deux fois plus de risques d'être parmi les "peu performants". Une situation comparable à celle de l'Autriche ou de la Suède, mais près de trois fois moins bonne qu'au Canada ou en Australie.
LES POPULATIONS D'ORIGINE AFRICAINE EN DÉCROCHAGE
Avec l'essor des études fondées sur des statistiques ethniques, on sait désormais qu'il y a des différences importantes d'intégration selon le pays d'origine des immigrés. D'après une enquête de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) du 16 novembre, les descendants d'immigrés maghrébins sont ceux qui connaissent le plus de difficultés sur le marché du travail. Entre 2005 et 2009, leur écart de taux d'emploi avec les natifs français était de 20 points - contre 6 points pour ceux originaires d'Europe de l'Est.
Un élément qui se retrouve dans les enquêtes sur les dépenses sociales. D'après un travail mené en 2006 par Didier Gelot, secrétaire général de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, en collaboration avec Claude Minni, statisticien, les immigrés du Maghreb et d'Afrique subsaharienne représentaient pour chaque minimum social 11 à 13 % des allocataires, "soit environ trois fois plus que leur poids dans la population des 25-64 ans". Une tendance qui se confirmait pour leurs descendants, contrairement à d'autres pays où la deuxième génération était "moins présente que les Français d'origine".
UNE ANALYSE PARTAGÉE DES CHERCHEURS
Ces chiffres relativement sombres suscitent des analyses pessimistes de certains chercheurs. Ainsi de Pap Ndiaye, historien et maître de conférence à l'école des hautes études en sciences sociales (EHESS), qui voit en France une évolution "à l'américaine".
Trois groupes se forment, selon lui. D'un côté, "une élite qui s'en sort plutôt bien - avec ou sans les mécanismes de type discrimination positive". Au milieu, "un groupe moyen qui flotte et évolue en fonction de la conjoncture économique" : sociologiquement proche des "classes populaires françaises", il est composé d'employés et d'ouvriers qualifiés. Enfin, un "groupe qui décroche", et que l'on retrouve en partie en banlieue.
Patrick Simon, socio-démographe à l'Institut national d'études démographiques (INED), rejoint cette analyse de "décrochage" et s'inquiète en particulier du sort des populations d'origine algérienne. "En théorie, ce devrait être les plus assimilées, note-t-il. Elles sont peu organisées en association, maintiennent peu de lien avec leur pays d'origine et pourtant, pour elles, c'est comme si tout fonctionnait à l'inverse." Une situation qui serait le résultat de discriminations plus fortes pour elles que pour les autres, notamment du fait de la "couleur de peau". D'après M. Simon, les politiques publiques d'aide aux défavorisés devraient être plus "ciblées".
Parmi les chercheurs, il en est toutefois qui font un bilan de l'intégration à la française un peu plus optimiste. Ainsi Patrick Weil, historien, chercheur au CNRS, et professeur associé à l'université de Yale (Etats-Unis). "Les immigrés et leurs enfants ne s'intègrent pas si mal que ça si on regarde le contexte de chômage qui sévit depuis 1975, dit-il. On est obsédé parce que l'on voit (comme les violences dans les banlieues) mais on ne s'intéresse pas à ce que l'on ne voit pas et on manipule l'opinion comme ça !" Pour M. Weil, il suffit notamment de "faire une recherche dans les pages jaunes des grandes villes de France". En regardant les noms de ceux qui exercent des professions libérales (médecin ou avocat), "on se rend vite compte du grand nombre à consonance étrangère".
M. Weil rejoint ainsi Claudine Attias-Donfut, directrice de recherche à la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) et coauteur du Destin des enfants d'immigrés (Stock, 2009). Pour elle, "l'intégration fonctionne en général, il y a simplement des problèmes de politique urbaine". D'après Mme Attias-Donfut, quand on compare les parcours entre immigrés et natifs "à caractère socio-démographique égal", les choses se "lissent".
Selon ses travaux, "il y a plus de cadres chez les enfants d'ouvriers immigrés que chez les enfants d'ouvriers français d'origine". Les premiers feraient également des études plus longues que les seconds. Si leur insertion sur le marché de l'emploi est compliquée, ce serait en partie du fait d'un manque de "réseau", leur présence en France étant plus courte que la population majoritaire.
L'ÉMERGENCE D'UNE CLASSE MOYENNE
Selon Mme Attias-Donfut une "classe moyenne" issue de l'immigration a aujourd'hui émergé. Un groupe de plus en plus qualifié "avec les codes sociaux qui vont avec", renchérit Soumia Belaidi Malinbaum, présidente de l'Association française des managers de la diversité (AFMD). Mais "une classe moyenne silencieuse et qui le restera". D'après elle, les entreprises du CAC 40 l'ont déjà compris et ont un rôle moteur. "Certes, pour deux millions d'entreprises, on est encore loin du sujet. Mais beaucoup ont vu que cela pouvait avoir un impact positif pour le développement à l'étranger ou dans la compréhension des marchés, par exemple en cosmétiques chez L'Oréal."
S'il demeure un "plafond de -verre" pour les jeunes issus de l'immigration, d'après Mme Belaidi Malinbaum, c'est en partie parce qu'ils "s'autostigmatisent". Pour elle, "les politiques ont un train de retard dans les discours qu'ils tiennent à l'opinion publique". La diversité c'est la "suite de l'histoire".
Elise Vincent
| 20.12.10 | 15h07 • Mis à jour le 20.12.10 | 15h07 Le Monde
S'il est un sujet qui préoccupe les exécutifs européens - Angela Merkel en Allemagne, David Cameron au Royaume-Uni - et dont se nourrit l'extrême droite, notamment en France, c'est celui de l'intégration des immigrés et de leurs enfants. Un sujet dont le bilan, par essence, est délicat à établir. Les études françaises produites sur le sujet ces dernières années permettent toutefois d'en dresser un tableau en demi-teinte.
DES CHIFFRES INQUIÉTANTS
Le taux de chômage des immigrés est de 1,5 à deux fois supérieur à celui des natifs français. Cet écart se retrouve dans d'autres pays européens. Mais, en valeur absolue - plus de 12 % des immigrés étaient au chômage en 2008, en France - c'est l'un des plus élevés des Etats membres de l'Organisation de coopération et développement économiques (OCDE). La crise a toutes les chances de l'avoir aggravé. Ces résultats ne sont pas meilleurs pour la deuxième génération. Alors que l'écart des taux de chômage des primo-arrivants était de 5 à 7 points supérieur à celui des natifs en 2008, selon les derniers chiffres de l'OCDE, pour leurs enfants, il était de 10 points.
Ce constat se retrouve aussi en matière d'éducation. D'après la dernière enquête PISA menée auprès de jeunes de 15 ans dans les pays de l'OCDE, les élèves issus de l'immigration ont au moins deux fois plus de risques d'être parmi les "peu performants". Une situation comparable à celle de l'Autriche ou de la Suède, mais près de trois fois moins bonne qu'au Canada ou en Australie.
LES POPULATIONS D'ORIGINE AFRICAINE EN DÉCROCHAGE
Avec l'essor des études fondées sur des statistiques ethniques, on sait désormais qu'il y a des différences importantes d'intégration selon le pays d'origine des immigrés. D'après une enquête de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) du 16 novembre, les descendants d'immigrés maghrébins sont ceux qui connaissent le plus de difficultés sur le marché du travail. Entre 2005 et 2009, leur écart de taux d'emploi avec les natifs français était de 20 points - contre 6 points pour ceux originaires d'Europe de l'Est.
Un élément qui se retrouve dans les enquêtes sur les dépenses sociales. D'après un travail mené en 2006 par Didier Gelot, secrétaire général de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, en collaboration avec Claude Minni, statisticien, les immigrés du Maghreb et d'Afrique subsaharienne représentaient pour chaque minimum social 11 à 13 % des allocataires, "soit environ trois fois plus que leur poids dans la population des 25-64 ans". Une tendance qui se confirmait pour leurs descendants, contrairement à d'autres pays où la deuxième génération était "moins présente que les Français d'origine".
UNE ANALYSE PARTAGÉE DES CHERCHEURS
Ces chiffres relativement sombres suscitent des analyses pessimistes de certains chercheurs. Ainsi de Pap Ndiaye, historien et maître de conférence à l'école des hautes études en sciences sociales (EHESS), qui voit en France une évolution "à l'américaine".
Trois groupes se forment, selon lui. D'un côté, "une élite qui s'en sort plutôt bien - avec ou sans les mécanismes de type discrimination positive". Au milieu, "un groupe moyen qui flotte et évolue en fonction de la conjoncture économique" : sociologiquement proche des "classes populaires françaises", il est composé d'employés et d'ouvriers qualifiés. Enfin, un "groupe qui décroche", et que l'on retrouve en partie en banlieue.
Patrick Simon, socio-démographe à l'Institut national d'études démographiques (INED), rejoint cette analyse de "décrochage" et s'inquiète en particulier du sort des populations d'origine algérienne. "En théorie, ce devrait être les plus assimilées, note-t-il. Elles sont peu organisées en association, maintiennent peu de lien avec leur pays d'origine et pourtant, pour elles, c'est comme si tout fonctionnait à l'inverse." Une situation qui serait le résultat de discriminations plus fortes pour elles que pour les autres, notamment du fait de la "couleur de peau". D'après M. Simon, les politiques publiques d'aide aux défavorisés devraient être plus "ciblées".
Parmi les chercheurs, il en est toutefois qui font un bilan de l'intégration à la française un peu plus optimiste. Ainsi Patrick Weil, historien, chercheur au CNRS, et professeur associé à l'université de Yale (Etats-Unis). "Les immigrés et leurs enfants ne s'intègrent pas si mal que ça si on regarde le contexte de chômage qui sévit depuis 1975, dit-il. On est obsédé parce que l'on voit (comme les violences dans les banlieues) mais on ne s'intéresse pas à ce que l'on ne voit pas et on manipule l'opinion comme ça !" Pour M. Weil, il suffit notamment de "faire une recherche dans les pages jaunes des grandes villes de France". En regardant les noms de ceux qui exercent des professions libérales (médecin ou avocat), "on se rend vite compte du grand nombre à consonance étrangère".
M. Weil rejoint ainsi Claudine Attias-Donfut, directrice de recherche à la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) et coauteur du Destin des enfants d'immigrés (Stock, 2009). Pour elle, "l'intégration fonctionne en général, il y a simplement des problèmes de politique urbaine". D'après Mme Attias-Donfut, quand on compare les parcours entre immigrés et natifs "à caractère socio-démographique égal", les choses se "lissent".
Selon ses travaux, "il y a plus de cadres chez les enfants d'ouvriers immigrés que chez les enfants d'ouvriers français d'origine". Les premiers feraient également des études plus longues que les seconds. Si leur insertion sur le marché de l'emploi est compliquée, ce serait en partie du fait d'un manque de "réseau", leur présence en France étant plus courte que la population majoritaire.
L'ÉMERGENCE D'UNE CLASSE MOYENNE
Selon Mme Attias-Donfut une "classe moyenne" issue de l'immigration a aujourd'hui émergé. Un groupe de plus en plus qualifié "avec les codes sociaux qui vont avec", renchérit Soumia Belaidi Malinbaum, présidente de l'Association française des managers de la diversité (AFMD). Mais "une classe moyenne silencieuse et qui le restera". D'après elle, les entreprises du CAC 40 l'ont déjà compris et ont un rôle moteur. "Certes, pour deux millions d'entreprises, on est encore loin du sujet. Mais beaucoup ont vu que cela pouvait avoir un impact positif pour le développement à l'étranger ou dans la compréhension des marchés, par exemple en cosmétiques chez L'Oréal."
S'il demeure un "plafond de -verre" pour les jeunes issus de l'immigration, d'après Mme Belaidi Malinbaum, c'est en partie parce qu'ils "s'autostigmatisent". Pour elle, "les politiques ont un train de retard dans les discours qu'ils tiennent à l'opinion publique". La diversité c'est la "suite de l'histoire".
Elise Vincent
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