Bilan en demi-teinte pour l'intégration des immigrés et de leurs enfants
| 20.12.10 | 15h07 • Mis à jour le 20.12.10 | 15h07 Le Monde
S'il est un sujet qui préoccupe les exécutifs européens - Angela Merkel en Allemagne, David Cameron au Royaume-Uni - et dont se nourrit l'extrême droite, notamment en France, c'est celui de l'intégration des immigrés et de leurs enfants. Un sujet dont le bilan, par essence, est délicat à établir. Les études françaises produites sur le sujet ces dernières années permettent toutefois d'en dresser un tableau en demi-teinte.
DES CHIFFRES INQUIÉTANTS
Le taux de chômage des immigrés est de 1,5 à deux fois supérieur à celui des natifs français. Cet écart se retrouve dans d'autres pays européens. Mais, en valeur absolue - plus de 12 % des immigrés étaient au chômage en 2008, en France - c'est l'un des plus élevés des Etats membres de l'Organisation de coopération et développement économiques (OCDE). La crise a toutes les chances de l'avoir aggravé. Ces résultats ne sont pas meilleurs pour la deuxième génération. Alors que l'écart des taux de chômage des primo-arrivants était de 5 à 7 points supérieur à celui des natifs en 2008, selon les derniers chiffres de l'OCDE, pour leurs enfants, il était de 10 points.
Ce constat se retrouve aussi en matière d'éducation. D'après la dernière enquête PISA menée auprès de jeunes de 15 ans dans les pays de l'OCDE, les élèves issus de l'immigration ont au moins deux fois plus de risques d'être parmi les "peu performants". Une situation comparable à celle de l'Autriche ou de la Suède, mais près de trois fois moins bonne qu'au Canada ou en Australie.
LES POPULATIONS D'ORIGINE AFRICAINE EN DÉCROCHAGE
Avec l'essor des études fondées sur des statistiques ethniques, on sait désormais qu'il y a des différences importantes d'intégration selon le pays d'origine des immigrés. D'après une enquête de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) du 16 novembre, les descendants d'immigrés maghrébins sont ceux qui connaissent le plus de difficultés sur le marché du travail. Entre 2005 et 2009, leur écart de taux d'emploi avec les natifs français était de 20 points - contre 6 points pour ceux originaires d'Europe de l'Est.
Un élément qui se retrouve dans les enquêtes sur les dépenses sociales. D'après un travail mené en 2006 par Didier Gelot, secrétaire général de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, en collaboration avec Claude Minni, statisticien, les immigrés du Maghreb et d'Afrique subsaharienne représentaient pour chaque minimum social 11 à 13 % des allocataires, "soit environ trois fois plus que leur poids dans la population des 25-64 ans". Une tendance qui se confirmait pour leurs descendants, contrairement à d'autres pays où la deuxième génération était "moins présente que les Français d'origine".
UNE ANALYSE PARTAGÉE DES CHERCHEURS
Ces chiffres relativement sombres suscitent des analyses pessimistes de certains chercheurs. Ainsi de Pap Ndiaye, historien et maître de conférence à l'école des hautes études en sciences sociales (EHESS), qui voit en France une évolution "à l'américaine".
Trois groupes se forment, selon lui. D'un côté, "une élite qui s'en sort plutôt bien - avec ou sans les mécanismes de type discrimination positive". Au milieu, "un groupe moyen qui flotte et évolue en fonction de la conjoncture économique" : sociologiquement proche des "classes populaires françaises", il est composé d'employés et d'ouvriers qualifiés. Enfin, un "groupe qui décroche", et que l'on retrouve en partie en banlieue.
Patrick Simon, socio-démographe à l'Institut national d'études démographiques (INED), rejoint cette analyse de "décrochage" et s'inquiète en particulier du sort des populations d'origine algérienne. "En théorie, ce devrait être les plus assimilées, note-t-il. Elles sont peu organisées en association, maintiennent peu de lien avec leur pays d'origine et pourtant, pour elles, c'est comme si tout fonctionnait à l'inverse." Une situation qui serait le résultat de discriminations plus fortes pour elles que pour les autres, notamment du fait de la "couleur de peau". D'après M. Simon, les politiques publiques d'aide aux défavorisés devraient être plus "ciblées".
Parmi les chercheurs, il en est toutefois qui font un bilan de l'intégration à la française un peu plus optimiste. Ainsi Patrick Weil, historien, chercheur au CNRS, et professeur associé à l'université de Yale (Etats-Unis). "Les immigrés et leurs enfants ne s'intègrent pas si mal que ça si on regarde le contexte de chômage qui sévit depuis 1975, dit-il. On est obsédé parce que l'on voit (comme les violences dans les banlieues) mais on ne s'intéresse pas à ce que l'on ne voit pas et on manipule l'opinion comme ça !" Pour M. Weil, il suffit notamment de "faire une recherche dans les pages jaunes des grandes villes de France". En regardant les noms de ceux qui exercent des professions libérales (médecin ou avocat), "on se rend vite compte du grand nombre à consonance étrangère".
M. Weil rejoint ainsi Claudine Attias-Donfut, directrice de recherche à la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) et coauteur du Destin des enfants d'immigrés (Stock, 2009). Pour elle, "l'intégration fonctionne en général, il y a simplement des problèmes de politique urbaine". D'après Mme Attias-Donfut, quand on compare les parcours entre immigrés et natifs "à caractère socio-démographique égal", les choses se "lissent".
Selon ses travaux, "il y a plus de cadres chez les enfants d'ouvriers immigrés que chez les enfants d'ouvriers français d'origine". Les premiers feraient également des études plus longues que les seconds. Si leur insertion sur le marché de l'emploi est compliquée, ce serait en partie du fait d'un manque de "réseau", leur présence en France étant plus courte que la population majoritaire.
L'ÉMERGENCE D'UNE CLASSE MOYENNE
Selon Mme Attias-Donfut une "classe moyenne" issue de l'immigration a aujourd'hui émergé. Un groupe de plus en plus qualifié "avec les codes sociaux qui vont avec", renchérit Soumia Belaidi Malinbaum, présidente de l'Association française des managers de la diversité (AFMD). Mais "une classe moyenne silencieuse et qui le restera". D'après elle, les entreprises du CAC 40 l'ont déjà compris et ont un rôle moteur. "Certes, pour deux millions d'entreprises, on est encore loin du sujet. Mais beaucoup ont vu que cela pouvait avoir un impact positif pour le développement à l'étranger ou dans la compréhension des marchés, par exemple en cosmétiques chez L'Oréal."
S'il demeure un "plafond de -verre" pour les jeunes issus de l'immigration, d'après Mme Belaidi Malinbaum, c'est en partie parce qu'ils "s'autostigmatisent". Pour elle, "les politiques ont un train de retard dans les discours qu'ils tiennent à l'opinion publique". La diversité c'est la "suite de l'histoire".
Elise Vincent
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