| 10.01.11 | 13h37 • Mis à jour le 10.01.11 | 13h37
Hypocondriaque, ou réellement malade, et même gravement ? Régulièrement, la France a la fièvre et gémit : si elle souffre, c'est la faute aux étrangers. Plus précisément, aux musulmans - qui, paraît-il, ne s'"intègrent" pas et, pis, menacent l'"identité nationale".
Mais que signifie ce diagnostic ? Qu'est-ce qu'un musulman "intégré" ? Un musulman qui parle le français ? C'est le cas de la majorité, qui le parle fort bien, et bien mieux que le président de la République. Un musulman qui boit l'apéro ? Il y en a, comme il y a des Français qui n'en boivent pas. Un musulman qui mange du porc ? Mais bien des Français préfèrent le poulet ou le poisson. Un musulman monogame ? Mais quasiment tous le sont, et de nombreux Français sont officieusement bi- ou trigames, sinon plus...
Arrêtons cet inventaire absurde : l'intégration n'est qu'un pseudo-concept, ou un concept-prétexte, qui dit autre chose que ce qu'il semble dire. Et quelque chose que, de nos jours, il n'est pas plaisant, il est même dangereux d'avouer : le racisme est un délit. Alors, autant jouer sur les mots, ou avec, et parler d'intégration, ou de non-intégration : une façon, socialement acceptable et politiquement correcte, d'exprimer son rejet de l'autre. Son racisme.
Même surdiplômé et "bien sous tous rapports", un musulman reste en effet un musulman et, si aucune bizarrerie ne révèle cette "musulmanité", elle est quand même là, en lui, invisible, certes, mais capable, on ne sait jamais, de se manifester : quand on s'appelle Mustapha Kessous, un journaliste du Monde, on n'est pas vraiment "intégré". Ni "intégrable". Et même si l'on sort de Sciences Po, on a du mal à se faire embaucher.
Reprocher aux musulmans de n'être pas, ou pas assez, intégrés n'a qu'un sens : c'est leur reprocher d'être ce qu'ils sont. Et d'être de trop chez nous. Le rejet des musulmans n'est qu'une variante, la variante actuelle, d'une constante nationale : le rejet de l'étranger, que Montaigne, il y a plus de quatre siècles, dénonçait déjà.
Un étranger qu'ont représenté les Noirs - longtemps interdits de séjour en "douce France", les Russes ("Grattez le Russe, vous trouvez le Tatar", fait dire Dostoïevski aux Français), les Polonais, auxquels les Lillois et autres "nordiques" reprochaient de n'être pas de "vrais" catholiques, les juifs, expédiés à Auschwitz, les musulmans, confinés dans des cités poubelles : tout au long de leur histoire, les Français, comme bien d'autres peuples, évidemment, se sont inventé des boucs émissaires qu'ils accusaient de tous les maux et badigeonnaient de leurs fantasmes.
Parmi ces fantasmes : cette "menace" que les musulmans, assure-t-on, font peser sur "nos valeurs". Mais là encore, lesquelles ? On est ici en plein déni. Et en pleine projection.
Déni : "Liberté, Egalité, Fraternité" ne sont jamais descendues du frontispice des mairies et moins que jamais elles n'informent ni ne structurent les réalités de la société française. La liberté reste celle du renard dans le poulailler, l'écart ne cesse de croître entre riches et pauvres, de plus en plus de citoyens perdent logement et travail, les classes moyennes ne cessent de s'appauvrir et l'école n'a qu'une fonction : dégager une élite, en laissant en friche des centaines de milliers de potentialités.
La laïcité bat de l'aile : un curé est mieux placé qu'un instituteur, déclare le président de la République, pour former la conscience des enfants, et la fraternité n'a jamais été qu'un beau rêve. Nos valeurs menacées par les musulmans ? Mais nous sommes les premiers à les bafouer !
Quant au non-respect des femmes, qu'on leur reproche souvent par projection inconsciente, c'est d'abord notre société qu'il convient d'accuser. Une société toujours très patriarcale, profondément conservatrice et machiste, qui tient la majorité des femmes à la lisière des postes de direction et de représentation.
Pis, une société incapable de les protéger : chaque jour, 200 femmes sont violées (654 000 en 2010, soit 25 % de plus qu'en 2009), tous les deux jours et demi, une femme meurt d'avoir été battue. Plutôt que de le reconnaître et, surtout, de mettre en oeuvre une politique qui protège la vie - le droit à la vie - et l'intégrité de la moitié de la population française, on part en guerre contre la burqa !
S'indigner, comme le demande Stéphane Hessel ? Sans doute. Et dénoncer. Et s'insurger. Mais, dans l'aboulie générale qui caractérise cette société, où, "à droite comme à gauche, l'enjeu est de servir les droits acquis plutôt que de développer ceux de demain", il est peu probable que se dissipent bientôt les fantasmes à travers lesquels on perçoit les musulmans et à cause desquels on s'interdit de comprendre à quel point la plupart d'entre eux sont parfaitement intégrés dans la société française.
Maurice T. Maschino, journaliste-écrivain
mardi 11 janvier 2011
vendredi 7 janvier 2011
Point de vue Il faut lever les tabous sur l'islam
LEMONDE.FR | 03.01.11 | 10h43
A l'occasion des difficultés de l'islam en Europe (le dernier exemple étant la question des prières sur la voie publique), on s'aperçoit que le débat n'est déjà plus possible, comme s'il était déjà posé qu'évoquer ces problèmes était le propre de mauvaises gens (de droite, d'extrême-droite, ou apolitiques, etc.) qui en parlent parce que c'est leur symptôme, et qu'en fait il n'y a pas de problème pour les gens sains que nous sommes. Du coup, impossible de lire l'événement, de le décoder.
Un journaliste raconte un meeting de laïcs où on lui dit que des policiers se déguisent en juifs pour arrêter les musulmans qui les agressent ; alors il questionne : "C'est quoi, se déguiser en juif ?", et il obtient la réponse stupide qu'il veut : "Il n'y a qu'à mettre un chapeau et un manteau noir!" Or chacun sait ce qu'est un juif "visible", en banlieue, et déjà dans le XIXe ou le XXe arrondissement : il peut porter ou non une kippa, être grand blond ou petit brun ; il peut se faire attaquer (il peut même se faire "déconseiller" de s'inscrire dans un établissement public car la direction ne peut pas assurer sa sécurité. On n'en dit rien car cela relève déjà d'un silence d'ou d'un renoncement antérieur…). De même pour les prières massives sur la voie publique, puisque c'est l'extrême droite qui en parle, c'est qu'elles relèvent de ses obsessions. Pourtant, des laïcs débonnaires vous diront que si la laïcité protège les gens dans leur religion, elle protège aussi l'espace public contre l'empiétement des religions. C'est en tout cas son travail.
Je sais, par ma pratique, que la pensée est sous-tendue par des affects ; mais de là à ce qu'une pensée ou une idée ou une question soit écartée du fait que des gens que l'on n'aime pas l'ont touchée du doigt, et l'ont pour ainsi dire contaminée, il y a de quoi s'inquiéter. Ou de quoi se demander quelle grosse culpabilité est en jeu (car c'est souvent cela qui impose le tabou là où il y aurait de quoi penser et inventer). Et ce tabou devient risible tant on en parle. Ainsi, certains disent que dans l'islam les femmes et les homos sont maltraités ; "Mais nous, est-ce qu'on les traite mieux ? Franchement ? Non ? Alors…" Alors, il n'y a plus de problème. Ou encore, d'aucuns disent : l'islam n'a pas fait la séparation entre pouvoir politique et religion ; "Et nous ? Depuis quand l'avons-nous faite ? Depuis quelques siècles ? C'est quoi, quelques siècles ?…" Pas grand chose… Allez, encore un problème en moins. On "se remet en question" devant l'homme démuni supposé inférieur ; le tout dopé par la culpabilité de la Shoah (où expulser de gens, c'est comme les déporter, les envoyer à Auschwitz). Tout ce paquet de culpabilité, qui est surtout le fait des élites, est vécu à l'occasion de l'islam, ou consommé sur son dos., on brandit les extrémistes et cela supprime les problèmes que l'on a avec l'autre. Ce qu'on y gagne est douteux, mais qu'est-ce qu'on paie ? Quelle culpabilité ? Celle du colonialisme ? Très peu en ont profité ; outre que c'est un peu loin ; est-ce la vindicte envers ses parents qui n'ont pas été "bien" ? C'est peut-être plus profond. Il y a la culpabilité "humaniste", celle de l'européen qui est sûr d'être supérieur et qui "trouve ça profondément injuste" ; doublée d'une culpabilité "chrétienne".
CULPABILITÉ ET REFOULEMENT
Or cela se complique parce qu'en face, il y a aussi un paquet de culpabilité, plus refoulée, mais que les "jeunes", inconscients comme ils sont, expriment ou passent à l'acte. Il y a une souffrance chez ces jeunes beurs violents qui ignorent que par leur acte ils paient une dette à leur tradition ancestrale que leurs parents ont mise de côté par impuissance, et qu'ils font vivre, eux, par des "mini-jihads maison", en agissant ce qu'ils entendent ou qu'ils décodent dans leur famille comme discours sur les "juifs" et les "chrétiens", dans le fil de cette tradition non-relookée. Parfois, les parents eux-mêmes souffrent de prolonger, par routine, ce qui dans leur tradition est assez hostile aux autres, comme s'ils honoraient là une dette inquestionnable. La réalité les invite à la questionner, et c'est très difficile. Ils savent comme tout un chacun, plus ou moins consciemment, que les livres fondateurs fonctionnent aussi comme des textes identitaires, au-delà ou en marge de toute croyance religieuse. Et là, tout se passe comme si beaucoup de musulmans appréhendaient que leur livre fondateur fût le seul à fustiger des peuples vivants et actuels, notamment les chrétiens et les juifs ; comme s'ils savaient que les autres savaient, que ça ne devait pas se dire mais que chacun n'en pense pas moins, et gamberge d'autant plus fort qu'il n'y a jamais eu de mots là-dessus, ni d'explication (Des responsables musulmans, même sans être interpellés se défendent en arguant que "La Bible aussi est très violente ! " C'est vrai, elle est violente, surtout envers les siens, mais elle ne fustige aucun des peuples actuels, et pour cause, elle les précède). En tout cas, il s'ensuit chez eux une culpabilité, dont le refoulement est cher payé dans les faits, et ne peut que craquer un jour ou l'autre.
On a donc deux culpabilités face à face, avec interdit de parler. Comme blocage, on ne fait pas mieux. D'où ces effets aberrants : on nous prévient qu'en parler risque de faire le jeu de ceux-ci, surtout si ceux-là s'en mêlent. Pour plus de sûreté, il ne faut faire le jeu de personne ; et l'on se retrouve à jouer tout seul, sous le regard narquois du réel.
Or si ce qui touche à l'islam devient tabou, ce sont surtout les musulmans qui en souffrent, du côté du convivial, de l'être-avec. Souffrance de dire son nom au téléphone pour une recherche d'emploi, et d'entendre le silence de l'autre, même s'il est de bonne foi il ne veut pas de "problème" ; et l'emploi est déjà pris. Celle de voir que ceux-là même qui dénoncent l'islamophobie, c'est-à-dire la peur de l'islam, la provoquent soigneusement, par des menaces ou des violences. Celle de se sentir pris en otage par les fondamentalistes, alors que ce qu'on veut c'est vivre avec les autres, tous les autres, sans devoir rendre compte des actes extrémistes, qu'on désavoue mais qu'on ne peut pas dénoncer sans être pris pour un traître et menacé à son tour. On doit donc ravaler son silence, qui rejoint l'autre Silence, dans la même amertume.
Tout doit rester dans le non-dit ; et c'est cette exigence (perçue comme de santé mentale) qui a poussé nos élites zélées à poser et imposer que quiconque "touche" à l'islam est un "facho" ; la preuve c'est que les fachos sont très enclins à y toucher… Mais le refoulement n'empêche pas l'inconscient de "travailler". Prenez l'exemple des minarets, pourquoi feraient-ils question ? Il faut bien des lieux de culte. Or tout se passe comme si ça se savait, sans que ce soit dit, qu'en terre d'islam il était interdit depuis toujours d'élever un bâtiment qui ne soit pas au-dessous des bâtiments musulmans, a fortiori moins haut que les mosquées. Est-ce cette trace dans l'inconscient qui fait que beaucoup, en toute bonne foi, ne veulent pas de minaret, mais admettent sans problème qu'il y ait des lieux de culte musulmans et que ceux-ci se cotisent pour louer de grands espaces (gymnases, etc.) pour les prières en attendant de construire ? En somme, faut-il attendre que des provocateurs soulèvent les problèmes pour enfin… ne pas les aborder ? Pendant ce temps, l'effort du refoulement alimente la souffrance des principaux intéressés, des femmes, des gays, des juifs, des musulmans, qui veulent seulement "vivre avec" et ne se sentent coupables de rien ; tout juste redevables et désireux d'une certaine mise au point, très simple, que des gribouilles en tout genre veulent coûte que coûte empêcher. On ne peut pas changer les textes, mais on peut transformer le rapport qu'on a avec ; tout comme on ne change pas son passé mais le regard qu'on a sur lui.
Daniel Sibony a publié le roman Marrakech, le départ (Odile Jacob, 2009) et Les sens du rire et de l'humour (Odile Jacob, 2010).
Daniel Sibony, psychanalyste et écrivain
A l'occasion des difficultés de l'islam en Europe (le dernier exemple étant la question des prières sur la voie publique), on s'aperçoit que le débat n'est déjà plus possible, comme s'il était déjà posé qu'évoquer ces problèmes était le propre de mauvaises gens (de droite, d'extrême-droite, ou apolitiques, etc.) qui en parlent parce que c'est leur symptôme, et qu'en fait il n'y a pas de problème pour les gens sains que nous sommes. Du coup, impossible de lire l'événement, de le décoder.
Un journaliste raconte un meeting de laïcs où on lui dit que des policiers se déguisent en juifs pour arrêter les musulmans qui les agressent ; alors il questionne : "C'est quoi, se déguiser en juif ?", et il obtient la réponse stupide qu'il veut : "Il n'y a qu'à mettre un chapeau et un manteau noir!" Or chacun sait ce qu'est un juif "visible", en banlieue, et déjà dans le XIXe ou le XXe arrondissement : il peut porter ou non une kippa, être grand blond ou petit brun ; il peut se faire attaquer (il peut même se faire "déconseiller" de s'inscrire dans un établissement public car la direction ne peut pas assurer sa sécurité. On n'en dit rien car cela relève déjà d'un silence d'ou d'un renoncement antérieur…). De même pour les prières massives sur la voie publique, puisque c'est l'extrême droite qui en parle, c'est qu'elles relèvent de ses obsessions. Pourtant, des laïcs débonnaires vous diront que si la laïcité protège les gens dans leur religion, elle protège aussi l'espace public contre l'empiétement des religions. C'est en tout cas son travail.
Je sais, par ma pratique, que la pensée est sous-tendue par des affects ; mais de là à ce qu'une pensée ou une idée ou une question soit écartée du fait que des gens que l'on n'aime pas l'ont touchée du doigt, et l'ont pour ainsi dire contaminée, il y a de quoi s'inquiéter. Ou de quoi se demander quelle grosse culpabilité est en jeu (car c'est souvent cela qui impose le tabou là où il y aurait de quoi penser et inventer). Et ce tabou devient risible tant on en parle. Ainsi, certains disent que dans l'islam les femmes et les homos sont maltraités ; "Mais nous, est-ce qu'on les traite mieux ? Franchement ? Non ? Alors…" Alors, il n'y a plus de problème. Ou encore, d'aucuns disent : l'islam n'a pas fait la séparation entre pouvoir politique et religion ; "Et nous ? Depuis quand l'avons-nous faite ? Depuis quelques siècles ? C'est quoi, quelques siècles ?…" Pas grand chose… Allez, encore un problème en moins. On "se remet en question" devant l'homme démuni supposé inférieur ; le tout dopé par la culpabilité de la Shoah (où expulser de gens, c'est comme les déporter, les envoyer à Auschwitz). Tout ce paquet de culpabilité, qui est surtout le fait des élites, est vécu à l'occasion de l'islam, ou consommé sur son dos., on brandit les extrémistes et cela supprime les problèmes que l'on a avec l'autre. Ce qu'on y gagne est douteux, mais qu'est-ce qu'on paie ? Quelle culpabilité ? Celle du colonialisme ? Très peu en ont profité ; outre que c'est un peu loin ; est-ce la vindicte envers ses parents qui n'ont pas été "bien" ? C'est peut-être plus profond. Il y a la culpabilité "humaniste", celle de l'européen qui est sûr d'être supérieur et qui "trouve ça profondément injuste" ; doublée d'une culpabilité "chrétienne".
CULPABILITÉ ET REFOULEMENT
Or cela se complique parce qu'en face, il y a aussi un paquet de culpabilité, plus refoulée, mais que les "jeunes", inconscients comme ils sont, expriment ou passent à l'acte. Il y a une souffrance chez ces jeunes beurs violents qui ignorent que par leur acte ils paient une dette à leur tradition ancestrale que leurs parents ont mise de côté par impuissance, et qu'ils font vivre, eux, par des "mini-jihads maison", en agissant ce qu'ils entendent ou qu'ils décodent dans leur famille comme discours sur les "juifs" et les "chrétiens", dans le fil de cette tradition non-relookée. Parfois, les parents eux-mêmes souffrent de prolonger, par routine, ce qui dans leur tradition est assez hostile aux autres, comme s'ils honoraient là une dette inquestionnable. La réalité les invite à la questionner, et c'est très difficile. Ils savent comme tout un chacun, plus ou moins consciemment, que les livres fondateurs fonctionnent aussi comme des textes identitaires, au-delà ou en marge de toute croyance religieuse. Et là, tout se passe comme si beaucoup de musulmans appréhendaient que leur livre fondateur fût le seul à fustiger des peuples vivants et actuels, notamment les chrétiens et les juifs ; comme s'ils savaient que les autres savaient, que ça ne devait pas se dire mais que chacun n'en pense pas moins, et gamberge d'autant plus fort qu'il n'y a jamais eu de mots là-dessus, ni d'explication (Des responsables musulmans, même sans être interpellés se défendent en arguant que "La Bible aussi est très violente ! " C'est vrai, elle est violente, surtout envers les siens, mais elle ne fustige aucun des peuples actuels, et pour cause, elle les précède). En tout cas, il s'ensuit chez eux une culpabilité, dont le refoulement est cher payé dans les faits, et ne peut que craquer un jour ou l'autre.
On a donc deux culpabilités face à face, avec interdit de parler. Comme blocage, on ne fait pas mieux. D'où ces effets aberrants : on nous prévient qu'en parler risque de faire le jeu de ceux-ci, surtout si ceux-là s'en mêlent. Pour plus de sûreté, il ne faut faire le jeu de personne ; et l'on se retrouve à jouer tout seul, sous le regard narquois du réel.
Or si ce qui touche à l'islam devient tabou, ce sont surtout les musulmans qui en souffrent, du côté du convivial, de l'être-avec. Souffrance de dire son nom au téléphone pour une recherche d'emploi, et d'entendre le silence de l'autre, même s'il est de bonne foi il ne veut pas de "problème" ; et l'emploi est déjà pris. Celle de voir que ceux-là même qui dénoncent l'islamophobie, c'est-à-dire la peur de l'islam, la provoquent soigneusement, par des menaces ou des violences. Celle de se sentir pris en otage par les fondamentalistes, alors que ce qu'on veut c'est vivre avec les autres, tous les autres, sans devoir rendre compte des actes extrémistes, qu'on désavoue mais qu'on ne peut pas dénoncer sans être pris pour un traître et menacé à son tour. On doit donc ravaler son silence, qui rejoint l'autre Silence, dans la même amertume.
Tout doit rester dans le non-dit ; et c'est cette exigence (perçue comme de santé mentale) qui a poussé nos élites zélées à poser et imposer que quiconque "touche" à l'islam est un "facho" ; la preuve c'est que les fachos sont très enclins à y toucher… Mais le refoulement n'empêche pas l'inconscient de "travailler". Prenez l'exemple des minarets, pourquoi feraient-ils question ? Il faut bien des lieux de culte. Or tout se passe comme si ça se savait, sans que ce soit dit, qu'en terre d'islam il était interdit depuis toujours d'élever un bâtiment qui ne soit pas au-dessous des bâtiments musulmans, a fortiori moins haut que les mosquées. Est-ce cette trace dans l'inconscient qui fait que beaucoup, en toute bonne foi, ne veulent pas de minaret, mais admettent sans problème qu'il y ait des lieux de culte musulmans et que ceux-ci se cotisent pour louer de grands espaces (gymnases, etc.) pour les prières en attendant de construire ? En somme, faut-il attendre que des provocateurs soulèvent les problèmes pour enfin… ne pas les aborder ? Pendant ce temps, l'effort du refoulement alimente la souffrance des principaux intéressés, des femmes, des gays, des juifs, des musulmans, qui veulent seulement "vivre avec" et ne se sentent coupables de rien ; tout juste redevables et désireux d'une certaine mise au point, très simple, que des gribouilles en tout genre veulent coûte que coûte empêcher. On ne peut pas changer les textes, mais on peut transformer le rapport qu'on a avec ; tout comme on ne change pas son passé mais le regard qu'on a sur lui.
Daniel Sibony a publié le roman Marrakech, le départ (Odile Jacob, 2009) et Les sens du rire et de l'humour (Odile Jacob, 2010).
Daniel Sibony, psychanalyste et écrivain
En Allemagne, la thématique anti-islam fait politiquement recette
Le Monde | 04.01.11 | 13h53
BERLIN CORRESPONDANT - Selon une étude réalisée pour l'université de Münster en décembre 2010 dans cinq pays européens (Allemagne, France, Pays-Bas, Portugal et Danemark), ce sont les Allemands qui ont l'opinion la plus négative sur les musulmans. D'après cette enquête menée auprès de 1 000 personnes dans chacun des pays par l'institut TNS Emnid, un tiers seulement des Allemands ont une opinion positive des musulmans, contre 56 % des Français et 62 % des Néerlandais. Plus de la moitié des Allemands associent l'islam à la discrimination contre les femmes, au fanatisme et à l'intolérance. Detlef Pollack, le sociologue auteur de ce travail, note que les résultats sont pires à l'est qu'à l'ouest de l'Allemagne. Pour lui, "plus vous fréquentez les musulmans, plus votre opinion tend à être positive".
Les résultats de cette enquête ont été indirectement corroborés par le succès phénoménal du livre de Thilo Sarrazin, Deutschland schafft sich ab ("L'Allemagne court à sa perte"), publié début septembre 2010. En quatre mois, cet ouvrage qui décrit une Allemagne condamnée au déclin en raison du poids pris par les musulmans, pauvres et donc, selon lui, moins intelligents, s'est vendu à plus de 1,2 million d'exemplaires.
2,5 millions de Turcs
D'abord condamnées par la quasi-totalité de la classe politique, ses thèses ont néanmoins été bien accueillies par une partie de l'opinion, incitant les dirigeants à nuancer leurs propos. Après avoir critiqué ce livre, la chancelière, Angela Merkel, a estimé que le multiculturalisme "avait échoué". Le président de la République, Christian Wulff, lui aussi membre de la CDU, a suscité un tollé à droite en affirmant que "l'islam fait partie de l'Allemagne". Le SPD, dont Thilo Sarrazin est membre, a de son côté les plus grandes difficultés à l'exclure de ses rangs, comme le souhaitait à l'origine Sigmar Gabriel, président du parti.
Alors que l'Allemagne compte 15,4 millions de personnes immigrées ou dont un des parents est immigré, le débat porte essentiellement sur les 2,5 millions de Turcs. Les critiques insistent sur leur méconnaissance de la langue allemande, une réalité exacerbée par le manque de places pour accueillir les plus jeunes dans les crèches et les jardins d'enfants.
Ce débat pourrait provoquer la naissance d'un parti anti-musulman, à la droite des chrétiens-démocrates. C'est en tout cas ce qu'essaie de faire René Stadtkewitz, un ancien responsable berlinois de la CDU qui vient de créer un groupuscule "La Liberté", s'inspirant du leader populiste néerlandais Geert Wilders. Tous les experts politiques jugent qu'il y a là un créneau mais qu'aucun leader n'est jusqu'à présent capable de l'exploiter.
Frédéric Lemaître
Article paru dans l'édition du 05.01.11
BERLIN CORRESPONDANT - Selon une étude réalisée pour l'université de Münster en décembre 2010 dans cinq pays européens (Allemagne, France, Pays-Bas, Portugal et Danemark), ce sont les Allemands qui ont l'opinion la plus négative sur les musulmans. D'après cette enquête menée auprès de 1 000 personnes dans chacun des pays par l'institut TNS Emnid, un tiers seulement des Allemands ont une opinion positive des musulmans, contre 56 % des Français et 62 % des Néerlandais. Plus de la moitié des Allemands associent l'islam à la discrimination contre les femmes, au fanatisme et à l'intolérance. Detlef Pollack, le sociologue auteur de ce travail, note que les résultats sont pires à l'est qu'à l'ouest de l'Allemagne. Pour lui, "plus vous fréquentez les musulmans, plus votre opinion tend à être positive".
Les résultats de cette enquête ont été indirectement corroborés par le succès phénoménal du livre de Thilo Sarrazin, Deutschland schafft sich ab ("L'Allemagne court à sa perte"), publié début septembre 2010. En quatre mois, cet ouvrage qui décrit une Allemagne condamnée au déclin en raison du poids pris par les musulmans, pauvres et donc, selon lui, moins intelligents, s'est vendu à plus de 1,2 million d'exemplaires.
2,5 millions de Turcs
D'abord condamnées par la quasi-totalité de la classe politique, ses thèses ont néanmoins été bien accueillies par une partie de l'opinion, incitant les dirigeants à nuancer leurs propos. Après avoir critiqué ce livre, la chancelière, Angela Merkel, a estimé que le multiculturalisme "avait échoué". Le président de la République, Christian Wulff, lui aussi membre de la CDU, a suscité un tollé à droite en affirmant que "l'islam fait partie de l'Allemagne". Le SPD, dont Thilo Sarrazin est membre, a de son côté les plus grandes difficultés à l'exclure de ses rangs, comme le souhaitait à l'origine Sigmar Gabriel, président du parti.
Alors que l'Allemagne compte 15,4 millions de personnes immigrées ou dont un des parents est immigré, le débat porte essentiellement sur les 2,5 millions de Turcs. Les critiques insistent sur leur méconnaissance de la langue allemande, une réalité exacerbée par le manque de places pour accueillir les plus jeunes dans les crèches et les jardins d'enfants.
Ce débat pourrait provoquer la naissance d'un parti anti-musulman, à la droite des chrétiens-démocrates. C'est en tout cas ce qu'essaie de faire René Stadtkewitz, un ancien responsable berlinois de la CDU qui vient de créer un groupuscule "La Liberté", s'inspirant du leader populiste néerlandais Geert Wilders. Tous les experts politiques jugent qu'il y a là un créneau mais qu'aucun leader n'est jusqu'à présent capable de l'exploiter.
Frédéric Lemaître
Article paru dans l'édition du 05.01.11
Islam : Nicolas Sarkozy met en garde contre la "défiance"
Le Monde.fr | 07.01.11 | 13h28 • Mis à jour le 07.01.11 | 14h37
C'est dans un contexte géopolitique particulier et alors que les polémiques sur la place des religions dans l'espace public reviennent de manière récurrente dans le débat politique français, que le président de la République, Nicolas Sarkozy, a présenté, vendredi 7 janvier, ses vœux aux autorités religieuses.
Invités exceptionnels de cette cérémonie traditionnelle, les représentants des Eglises d'Orient, et notamment les responsables de la communauté copte, ont été l'objet d'un long et fort hommage de M. Sarkozy, une semaine tout juste après l'attentat qui a coûté la vie à 23 fidèles dans une église d'Alexandrie en Egypte. Il leur a présenté ses "condoléances personnelles et celles de la France".
Evoquant également les attentats qui endeuillent régulièrement les communautés chrétiennes de Bagdad en Irak, le chef de l'Etat a estimé que ces victimes étaient "nos martyrs". "Ils sont les martyrs de la liberté de conscience", a-t-il ajouté, rappelant aux responsables religieux que "la France condamne ces crimes avec la plus grande fermeté et qu'elle les condamnera depuis toutes les tribunes que lui offrent le droit international et son rang dans le monde".
Sans évoquer explicitement le supposé choc des cultures entre l'Orient et l'Occident, M. Sarkozy a estimé que "le sort des chrétiens d'Orient symbolise les enjeux du monde globalisé dans lequel nous sommes entrés, irréversiblement". "Nous ne pouvons pas accepter que cette diversité humaine, culturelle et religieuse qui est la norme en France, en Europe, disparaisse de cette partie du monde. Les droits qui sont garantis chez nous à toutes les religions doivent être réciproquement garantis dans les autres pays". "La liberté de culte et la liberté de conscience sont consubstantielles à la démocratie", a-t-il rappelé.
NE PAS S'ENFERMER "DANS L'AMALGAME"
Saluant le "rejet massif" par le monde musulman et les responsables de l'islam en France des attaques antichrétiennes, M. Sarkozy s'est néanmoins inquiété des conséquences de tels "massacres" sur les opinions occidentales. Le fait que l'islam soit considéré comme une "menace pour leur identité" par quelque 40% des Français et des Allemands, selon un sondage IFOP, publié par Le Monde, le "préoccupe".
"L'islam n'a évidemment rien à voir avec la face hideuse de ces fous de Dieu", a-t-il martelé, rappelant "l'accueil et la protection" accordés au cours de l'histoire par le monde musulman aux "gens du Livre". "Si telle religion est irrationnellement perçue, chez nous, comme une menace, nous devons combattre cette réaction irrationnelle par la connaissance mutuelle", condition pour que "les opinions occidentales ne s'enferment pas dans la défiance, dans la peur et dans l'amalgame".
En décembre 2009, M. Sarkozy, dans les colonnes du Monde, et en plein débat sur l'identité nationale, largement réduit à la place de l'islam dans la société française, reconnaissait l'existence d'une "sourde menace" que les gens "à tort ou à raison" sentaient peser sur leur identité.
"UN DIALOGUE PERMANENT AVEC LES RELIGIONS"
Sans jamais employer le terme de "laïcité positive", théorisée au début de son quinquennat, le chef de l'Etat a aussi, devant les responsables religieux, redit sa conception de ce principe républicain et du rôle des religions dans le débat public, estimant notamment que les croyants ne devaient pas être enfermés "dans leurs églises, leurs synagogues, leurs temples ou leurs mosquées".
"Une République laïque entretient un dialogue permanent avec les religions, de façon à les entendre et parfois, pourquoi pas à les écouter." Même si, précise-t-il, "la République ne laissera jamais aucune religion lui imposer sa loi".
Assumant sans la citer la loi interdisant le port du voile intégral, M. Sarkozy estime que la République doit en revanche intervenir "lorsque des pratiques, présentées souvent à tort comme religieuses portent atteinte à d'autres principes démocratiques". Il évoque enfin sans s'appesantir le paradoxe qui entoure la question de la construction des lieux de culte musulman et les récentes polémiques soulevées par Marine Le Pen sur "les prières de rue". "La République ne peut pas accepter qu'une religion investisse l'espace public sans son autorisation mais cela implique que la République tienne ses promesses en permettant que chacun puisse prier dans des lieux dignes", a-t-il indiqué, sans rappeler que la loi de 1905 interdit de subventionner les cultes.
Stéphanie Le Bars
Les cultes unis contre les violences antichrétiennes
Créée en novembre 2010, la Conférence des responsables de culte en France, reçue vendredi 7 janvier par Nicolas Sarkozy, a condamné "avec la plus grande vigueur les attentats" antichrétiens de Bagdad et d’Alexandrie. "Ces violences faites 'au nom de Dieu' contre d’autres croyants ne blessent pas seulement une religion mais l’humanité tout entière", soulignent les responsables chrétiens, juifs, musulmans et bouddhistes. "Nul ne peut se prévaloir des religions que nous représentons pour légitimer des violences, poursuivent-ils. Nous encourageons les fidèles à résister au repli et à la peur. Nous ne voulons pas que la religion soit instrumentalisée."
Article paru dans l'édition du 08.01.11
C'est dans un contexte géopolitique particulier et alors que les polémiques sur la place des religions dans l'espace public reviennent de manière récurrente dans le débat politique français, que le président de la République, Nicolas Sarkozy, a présenté, vendredi 7 janvier, ses vœux aux autorités religieuses.
Invités exceptionnels de cette cérémonie traditionnelle, les représentants des Eglises d'Orient, et notamment les responsables de la communauté copte, ont été l'objet d'un long et fort hommage de M. Sarkozy, une semaine tout juste après l'attentat qui a coûté la vie à 23 fidèles dans une église d'Alexandrie en Egypte. Il leur a présenté ses "condoléances personnelles et celles de la France".
Evoquant également les attentats qui endeuillent régulièrement les communautés chrétiennes de Bagdad en Irak, le chef de l'Etat a estimé que ces victimes étaient "nos martyrs". "Ils sont les martyrs de la liberté de conscience", a-t-il ajouté, rappelant aux responsables religieux que "la France condamne ces crimes avec la plus grande fermeté et qu'elle les condamnera depuis toutes les tribunes que lui offrent le droit international et son rang dans le monde".
Sans évoquer explicitement le supposé choc des cultures entre l'Orient et l'Occident, M. Sarkozy a estimé que "le sort des chrétiens d'Orient symbolise les enjeux du monde globalisé dans lequel nous sommes entrés, irréversiblement". "Nous ne pouvons pas accepter que cette diversité humaine, culturelle et religieuse qui est la norme en France, en Europe, disparaisse de cette partie du monde. Les droits qui sont garantis chez nous à toutes les religions doivent être réciproquement garantis dans les autres pays". "La liberté de culte et la liberté de conscience sont consubstantielles à la démocratie", a-t-il rappelé.
NE PAS S'ENFERMER "DANS L'AMALGAME"
Saluant le "rejet massif" par le monde musulman et les responsables de l'islam en France des attaques antichrétiennes, M. Sarkozy s'est néanmoins inquiété des conséquences de tels "massacres" sur les opinions occidentales. Le fait que l'islam soit considéré comme une "menace pour leur identité" par quelque 40% des Français et des Allemands, selon un sondage IFOP, publié par Le Monde, le "préoccupe".
"L'islam n'a évidemment rien à voir avec la face hideuse de ces fous de Dieu", a-t-il martelé, rappelant "l'accueil et la protection" accordés au cours de l'histoire par le monde musulman aux "gens du Livre". "Si telle religion est irrationnellement perçue, chez nous, comme une menace, nous devons combattre cette réaction irrationnelle par la connaissance mutuelle", condition pour que "les opinions occidentales ne s'enferment pas dans la défiance, dans la peur et dans l'amalgame".
En décembre 2009, M. Sarkozy, dans les colonnes du Monde, et en plein débat sur l'identité nationale, largement réduit à la place de l'islam dans la société française, reconnaissait l'existence d'une "sourde menace" que les gens "à tort ou à raison" sentaient peser sur leur identité.
"UN DIALOGUE PERMANENT AVEC LES RELIGIONS"
Sans jamais employer le terme de "laïcité positive", théorisée au début de son quinquennat, le chef de l'Etat a aussi, devant les responsables religieux, redit sa conception de ce principe républicain et du rôle des religions dans le débat public, estimant notamment que les croyants ne devaient pas être enfermés "dans leurs églises, leurs synagogues, leurs temples ou leurs mosquées".
"Une République laïque entretient un dialogue permanent avec les religions, de façon à les entendre et parfois, pourquoi pas à les écouter." Même si, précise-t-il, "la République ne laissera jamais aucune religion lui imposer sa loi".
Assumant sans la citer la loi interdisant le port du voile intégral, M. Sarkozy estime que la République doit en revanche intervenir "lorsque des pratiques, présentées souvent à tort comme religieuses portent atteinte à d'autres principes démocratiques". Il évoque enfin sans s'appesantir le paradoxe qui entoure la question de la construction des lieux de culte musulman et les récentes polémiques soulevées par Marine Le Pen sur "les prières de rue". "La République ne peut pas accepter qu'une religion investisse l'espace public sans son autorisation mais cela implique que la République tienne ses promesses en permettant que chacun puisse prier dans des lieux dignes", a-t-il indiqué, sans rappeler que la loi de 1905 interdit de subventionner les cultes.
Stéphanie Le Bars
Les cultes unis contre les violences antichrétiennes
Créée en novembre 2010, la Conférence des responsables de culte en France, reçue vendredi 7 janvier par Nicolas Sarkozy, a condamné "avec la plus grande vigueur les attentats" antichrétiens de Bagdad et d’Alexandrie. "Ces violences faites 'au nom de Dieu' contre d’autres croyants ne blessent pas seulement une religion mais l’humanité tout entière", soulignent les responsables chrétiens, juifs, musulmans et bouddhistes. "Nul ne peut se prévaloir des religions que nous représentons pour légitimer des violences, poursuivent-ils. Nous encourageons les fidèles à résister au repli et à la peur. Nous ne voulons pas que la religion soit instrumentalisée."
Article paru dans l'édition du 08.01.11
mardi 4 janvier 2011
L'islam est considéré comme une menace par 40% des Français et des Allemands
LE MONDE | 04.01.11 | 13h12 • Mis à jour le 04.01.11 | 13h37
Banalisation du discours sur les dangers de l'"islamisation" porté par une partie des droites européennes? Effets des analyses des dirigeants français et allemands sur l'échec de l'intégration des populations immigrées ? Dernier avatar du débat sur l'identité nationale ? Poussée réelle des revendications religieuses ? Tout ou partie de ce cocktail semble avoir convaincu une partie des opinions publiques française et allemande de la difficile intégration de l'islam et des musulmans dans leur société respective.
Ce jugement apparaît clairement dans un sondage de l'IFOP réalisé du 3 au 9 décembre 2010 dans les deux pays et publié en exclusivité par Le Monde. Alors que 42% des Français et 40% des Allemands considèrent la présence d'une communauté musulmane comme "une menace" pour l'identité de leur pays, 68% et 75% estiment que les musulmans ne sont "pas bien intégrés dans la société".
Au-delà du constat, relayé récemment par les discours des responsables politiques, les raisons avancées pour expliquer cet échec débordent les explications socio-économiques généralement admises, illustrant une cristallisation sur les différences culturelles et confessionnelles.
CRISPATION DES OPINIONS
Ainsi, 61% des Français (67% des Allemands) qui estiment que les musulmans ne sont pas intégrés mettent tout d'abord en avant "leur refus" de le faire, puis "les trop fortes différences culturelles" (40% pour la France, 34% pour l'Allemagne), avant le phénomène de ghettos (37% ; 32%) ou les difficultés économiques (20% ; 10%).
Le "racisme et le manque d'ouverture de certains Français-Allemands" sont avancés par 18% des premiers, 15% des seconds. "Malgré une histoire coloniale différente, une immigration différente et des modes d'intégration différents, il est frappant de relever que le constat, dur et massif, est le même dans les deux pays, souligne Jérôme Fourquet, de l'IFOP. On passe en outre d'un lien entre immigration et sécurité ou immigration et chômage au lien entre islam et menace identitaire."
L'installation durable de l'islam dans les pays européens et sa visibilité accrue vont clairement de pair avec une crispation des opinions publiques, même si des clivages apparaissent entre jeunes et personnes âgées et entre électeurs de droite et de gauche. Globalement, en 2010, 31% des Français associent en premier lieu l'islam au "rejet des valeurs occidentales", alors qu'ils n'étaient que 12% dans ce cas en 1994 et 17% en 2001. Par le passé, "fanatisme" et "soumission" étaient les mots les plus massivement associés à l'islam.
DÉBAT SUR LE FOULARD
La question du voile islamique montre l'importance prise par la visibilité de l'islam dans le débat public. Aujourd'hui, 59% des Français sont opposés au port du foulard par les musulmanes dans la rue et seuls 32% se disent "indifférents" ; un chiffre en forte baisse par rapport aux vingt dernières années, au cours desquelles 55% des personnes sondées affichaient leur indifférence à cette question.
Les positions face à l'édification de mosquées connaissent depuis une dizaine d'années une évolution similaire : 39% des Français s'y disent opposés en 2010, contre 22% en 2001. Mais surtout, alors que près d'un Français sur deux était "indifférent" (46%) à cette question en 2001, ils ne sont plus que 34% aujourd'hui dans ce cas.
Moins marqués par la laïcité et la neutralité religieuse dans l'espace public, les Allemands se montrent plus indifférents au port du voile islamique dans la rue (45%). De même, 44% d'entre eux ne sont pas hostiles à des partis politiques ou des syndicats se référant à l'islam, contre 14% des Français. Les proportions sont en revanche comparables face à l'éventualité d'élire "un maire d'origine musulmane": 52% de Français et 49% d'Allemands n'y sont "pas hostiles", un chiffre en progression constante depuis vingt ans en France.
Les évolutions de l'opinion publique française ont, pour l'anthropologue Dounia Bouzar, un lien logique avec les discours politiques actuels. "Les responsables politiques, à droite comme à gauche, valident la définition de l'islam portée par les radicaux de tous bords ; l'apogée ayant été atteint avec la loi sur le voile intégral", explique la chercheuse qui a analysé les discours politiques au cours des dernières années.
MISE EN GARDE
"Jusqu'alors, l'islam y était présenté comme une différence, il est devenu une barrière à l'adhésion aux valeurs de la République. Alors que, dans le même temps, les demandes d'associations musulmanes sur la manière de respecter la laïcité ou de lutter contre les radicaux se multiplient", assure Mme Bouzar, qui a créé le cabinet Cultes et Cultures Consulting.
Pour Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman (CFCM), la perception actuelle de l'islam par l'opinion publique est "réversible". "On traverse une période difficile liée à la nouvelle visibilité de l'islam, reconnaît-il. Mais les crispations sont principalement dues aux groupes rigoristes qui créent un sentiment de peur." Il préfère mettre en avant "la normalisation" des relations entre les responsables musulmans et les pouvoirs publics ou les représentants des autres confessions.
Dans le contexte actuel, il met toutefois en garde les musulmans contre tout ce qui peut "attiser les tensions, qu'il s'agisse des demandes de viande halal dans les cantines, de temps ou de salles de prière sur le lieu de travail, de lieux de culte imposants ou jugés ostentatoires". "Il ne s'agit pas de s'effacer, prévient-il, mais de tenir compte du contexte." Ses appels à organiser plusieurs services le vendredi dans les mosquées bondées, pour éviter "les prières de rue", sont jusqu'à présent restés lettre morte. Ces pratiques marginales ont été abondamment dénoncées par le Front national.
Stéphanie Le Bars
Article paru dans l'édition du 05.01.11
Banalisation du discours sur les dangers de l'"islamisation" porté par une partie des droites européennes? Effets des analyses des dirigeants français et allemands sur l'échec de l'intégration des populations immigrées ? Dernier avatar du débat sur l'identité nationale ? Poussée réelle des revendications religieuses ? Tout ou partie de ce cocktail semble avoir convaincu une partie des opinions publiques française et allemande de la difficile intégration de l'islam et des musulmans dans leur société respective.
Ce jugement apparaît clairement dans un sondage de l'IFOP réalisé du 3 au 9 décembre 2010 dans les deux pays et publié en exclusivité par Le Monde. Alors que 42% des Français et 40% des Allemands considèrent la présence d'une communauté musulmane comme "une menace" pour l'identité de leur pays, 68% et 75% estiment que les musulmans ne sont "pas bien intégrés dans la société".
Au-delà du constat, relayé récemment par les discours des responsables politiques, les raisons avancées pour expliquer cet échec débordent les explications socio-économiques généralement admises, illustrant une cristallisation sur les différences culturelles et confessionnelles.
CRISPATION DES OPINIONS
Ainsi, 61% des Français (67% des Allemands) qui estiment que les musulmans ne sont pas intégrés mettent tout d'abord en avant "leur refus" de le faire, puis "les trop fortes différences culturelles" (40% pour la France, 34% pour l'Allemagne), avant le phénomène de ghettos (37% ; 32%) ou les difficultés économiques (20% ; 10%).
Le "racisme et le manque d'ouverture de certains Français-Allemands" sont avancés par 18% des premiers, 15% des seconds. "Malgré une histoire coloniale différente, une immigration différente et des modes d'intégration différents, il est frappant de relever que le constat, dur et massif, est le même dans les deux pays, souligne Jérôme Fourquet, de l'IFOP. On passe en outre d'un lien entre immigration et sécurité ou immigration et chômage au lien entre islam et menace identitaire."
L'installation durable de l'islam dans les pays européens et sa visibilité accrue vont clairement de pair avec une crispation des opinions publiques, même si des clivages apparaissent entre jeunes et personnes âgées et entre électeurs de droite et de gauche. Globalement, en 2010, 31% des Français associent en premier lieu l'islam au "rejet des valeurs occidentales", alors qu'ils n'étaient que 12% dans ce cas en 1994 et 17% en 2001. Par le passé, "fanatisme" et "soumission" étaient les mots les plus massivement associés à l'islam.
DÉBAT SUR LE FOULARD
La question du voile islamique montre l'importance prise par la visibilité de l'islam dans le débat public. Aujourd'hui, 59% des Français sont opposés au port du foulard par les musulmanes dans la rue et seuls 32% se disent "indifférents" ; un chiffre en forte baisse par rapport aux vingt dernières années, au cours desquelles 55% des personnes sondées affichaient leur indifférence à cette question.
Les positions face à l'édification de mosquées connaissent depuis une dizaine d'années une évolution similaire : 39% des Français s'y disent opposés en 2010, contre 22% en 2001. Mais surtout, alors que près d'un Français sur deux était "indifférent" (46%) à cette question en 2001, ils ne sont plus que 34% aujourd'hui dans ce cas.
Moins marqués par la laïcité et la neutralité religieuse dans l'espace public, les Allemands se montrent plus indifférents au port du voile islamique dans la rue (45%). De même, 44% d'entre eux ne sont pas hostiles à des partis politiques ou des syndicats se référant à l'islam, contre 14% des Français. Les proportions sont en revanche comparables face à l'éventualité d'élire "un maire d'origine musulmane": 52% de Français et 49% d'Allemands n'y sont "pas hostiles", un chiffre en progression constante depuis vingt ans en France.
Les évolutions de l'opinion publique française ont, pour l'anthropologue Dounia Bouzar, un lien logique avec les discours politiques actuels. "Les responsables politiques, à droite comme à gauche, valident la définition de l'islam portée par les radicaux de tous bords ; l'apogée ayant été atteint avec la loi sur le voile intégral", explique la chercheuse qui a analysé les discours politiques au cours des dernières années.
MISE EN GARDE
"Jusqu'alors, l'islam y était présenté comme une différence, il est devenu une barrière à l'adhésion aux valeurs de la République. Alors que, dans le même temps, les demandes d'associations musulmanes sur la manière de respecter la laïcité ou de lutter contre les radicaux se multiplient", assure Mme Bouzar, qui a créé le cabinet Cultes et Cultures Consulting.
Pour Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman (CFCM), la perception actuelle de l'islam par l'opinion publique est "réversible". "On traverse une période difficile liée à la nouvelle visibilité de l'islam, reconnaît-il. Mais les crispations sont principalement dues aux groupes rigoristes qui créent un sentiment de peur." Il préfère mettre en avant "la normalisation" des relations entre les responsables musulmans et les pouvoirs publics ou les représentants des autres confessions.
Dans le contexte actuel, il met toutefois en garde les musulmans contre tout ce qui peut "attiser les tensions, qu'il s'agisse des demandes de viande halal dans les cantines, de temps ou de salles de prière sur le lieu de travail, de lieux de culte imposants ou jugés ostentatoires". "Il ne s'agit pas de s'effacer, prévient-il, mais de tenir compte du contexte." Ses appels à organiser plusieurs services le vendredi dans les mosquées bondées, pour éviter "les prières de rue", sont jusqu'à présent restés lettre morte. Ces pratiques marginales ont été abondamment dénoncées par le Front national.
Stéphanie Le Bars
Article paru dans l'édition du 05.01.11
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