Le Monde | 04.03.11 |
Le cardinal Philippe Barbarin est archevêque de Lyon depuis 2002. Engagé dans le dialogue avec les juifs et les musulmans, il est, à 60 ans, l'un des prélats les plus influents de l'épiscopat français.
Le président de la République a chargé l'UMP de mener un débat sur la laïcité et la place de l'islam en France. Est-il nécessaire ?
Ce débat est important et il peut porter ses fruits. Mon interrogation porte sur la méthode. Puisque le chef de l'Etat estime que c'est un problème de société, je ne crois pas que ce débat doive être engagé par lui ou, à sa demande, par un parti politique. Il vaudrait mieux qu'il soit mené directement dans la société civile, et, si le cadre de la loi ne suffit plus à régler les problèmes actuels, c'est à nous, les citoyens, de nous tourner vers ceux qui gouvernent.
Faut-il modifier la loi de 1905 sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat ?
Une loi n'est pas un dogme. Elle peut être modifiée ou abrogée, si la réalité sociale change. La loi de 1905 n'est pas un "bloc de béton" ; elle a déjà été modifiée à plusieurs reprises. Les musulmans étaient très peu nombreux en France en 1905. Aujourd'hui, on dit qu'ils représentent 10 % de la population, et dans certains endroits, il y a plus de monde à la mosquée le vendredi qu'à l'église le dimanche !
Quand les musulmans demandent pourquoi l'Etat aide l'Eglise catholique, en finançant l'entretien des édifices construits avant 1905, alors qu'il n'aide pas la communauté musulmane, on peut leur opposer la loi, mais il reste que leur question est légitime.
Certains estiment pourtant que la loi de 1905 est "sacrée".
La République se prend parfois pour le "grand prêtre" de la nation française ! Les "valeurs de la République" sont belles, mais lorsqu'on les met trop en avant, cela devient un concept fluctuant, un peu "fourre-tout". Il est clair que notre vie personnelle se fonde sur des valeurs que chacun sait énoncer, ou sur une foi. Mais une nation est normée par des lois. Je préfère que l'on parle des "lois de la République" et qu'on puisse les connaître.
Un exemple : avant 1975, l'adultère était une faute pénale grave, entraînant le divorce ; aujourd'hui, non. La fidélité est-elle pour autant une "valeur" qui aurait disparu ? De même, le code civil dit que "la loi garantit le respect de la vie humaine dès le commencement de sa vie", mais on a introduit tellement d'exceptions, et même, comme un "droit" à l'avortement, que l'on ne sait plus si la vie est une "valeur" qui compte encore. Au milieu de tant de fluctuations, le message de la Bible sur ces sujets traverse les siècles et les cultures.
Dans les milieux catholiques, comme ailleurs, monte une crainte voire un rejet de l'islam. Comment l'expliquez-vous ?
Aujourd'hui, sur cette question cohabitent trois positions. Certains rappellent que nous sommes tous des frères et savent montrer de beaux exemples de cette fraternité, mais font silence sur les problèmes. Les seconds pensent que c'est une grande naïveté que de laisser l'islam prendre sa place dans notre société ; pour eux, nous sommes clairement en danger. Enfin, d'autres refusent l'opposition violente comme la candeur, et savent vivre un chemin de respect, voire d'amitié. C'est l'exemple laissé par les moines de Tibéhirine.
Pour les chrétiens, les musulmans sont des frères que le Christ nous demande d'aimer. Mais les difficultés objectives doivent être dénoncées : la non-réciprocité dans les pays à majorité musulmane, les problèmes lorsqu'un musulman demande le baptême, lors d'un mariage mixte... Ce qui est particulièrement intolérable, ce sont les violences meurtrières contre les chrétiens : Bagdad fin octobre 2010, Alexandrie fin décembre, un prêtre assassiné à Tunis le 18 février, et le 3 mars, le seul ministre chrétien du Pakistan. Aujourd'hui, la voix de nombreux musulmans se joint à la nôtre pour dénoncer ces scandales.
Côté catholiques, il est vrai que beaucoup sont rongés par la peur. C'est peut-être le discours lénifiant tenu durant des années, qui entraîne, par retour de balancier, ce rejet, cette peur d'être convertis de force, cette peur d'une invasion, de l'instauration d'une loi islamique en France... Face à cela, je dis comme Jean Paul II, ou plutôt comme Jésus : "N'ayez pas peur !", sans oublier d'ajouter pour les chrétiens : "Ouvrez toutes grandes les portes de votre vie au Christ." Si les 60 % de Français qui se disent catholiques l'étaient vraiment, on n'entendrait pas tous ces discours angoissés.
Quel genre de "difficultés objectives" pose l'islam ?
Il arrive, par exemple, qu'un musulman qui se convertit au catholicisme soit maltraité dans sa communauté et dans sa propre famille. J'ai présenté un jour un cas douloureux à mon ami Azzedine Gaci, le président du conseil régional du culte musulman de Rhône-Alpes. Il a fait une fatwa pour condamner cela, affirmant qu'il ne doit y avoir aucune contrainte en religion. C'est lui qui m'a dit qu'il était inquiet de la violence de certaines prédications dans les mosquées.
En 2007, face aux demandes de viande halal dans les cantines scolaires, la ville de Lyon a réuni des représentants des différents courants religieux pour régler cette question. Une solution a été proposée, qui n'est pas forcément la bonne, mais il y a eu discussion.
Vous êtes né et avez vécu au Maroc, vous êtes engagé dans le dialogue avec l'islam. Cette religion vous apparaît-elle compatible avec la réalité française ?
L'islam est compatible avec les lois de la République, à condition que les musulmans le veuillent. Beaucoup s'inscrivent dans cette ligne de loyauté et veulent voir naître un "islam de France". Mais des progrès restent à faire. Encore une fois, des problèmes concrets se posent (dans les cantines, les piscines, avec la burqa...), et il y a de la provocation et de la violence dans certains comportements.
La règle donnée par la France est la suivante : elle garantit la liberté des cultes, dans la mesure où elle ne trouble pas l'ordre public. Cela vaut pour nous, comme pour tous. Si un maire ou un préfet estime qu'un chemin de croix dans les rues trouble l'ordre public, il n'aura pas lieu. En France, le cadre existant permet à un chrétien d'être chrétien, à un juif d'être juif et à un musulman d'être musulman.
Cela dit, il est vrai que dans l'islam, le rapport entre le religieux et le social ou le politique est différent du nôtre. C'est une question de fond que se posent les musulmans en France, et nous pouvons en parler avec eux. En outre, il est clair que des questions spirituelles ne vont pas trouver leur réponse dans la seule sphère du politique.
Propos recueillis par Stéphanie Le Bars
Article paru dans l'édition du 05.03.11
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