Tout est calé. Dimanche 1er janvier, André Frémont, généraliste à Stains (Seine-Saint-Denis), sera à la retraite. Il devait recevoir ses derniers patients, vendredi 30 décembre, et comptait repasser à son cabinet la semaine d'après pour dévisser sa plaque. Rien de plus normal, après trente-sept ans d'activité. Sauf que son départ, après celui d'un autre généraliste cet été, laisse patients et confrères dans la panade.
Le docteur Frémont, " 66 ans dans trois mois ", n'a pas trouvé de successeur, et ce n'est pas faute d'avoir cherché. Il a déposé une annonce à l'hôpital Bichat, à Paris, où il a commencé sa carrière, dans Le Quotidien du médecin, Le Généraliste et Impact Médecin. Au total, il a reçu trois appels. L'un d'Afrique, mais la formation du candidat pouvait poser problème, un autre d'une Roumaine qui parlait peu français, et un d'un urgentiste qui proposait deux jours par semaine...
En fait, l'absence d'intérêt pour son poste ne l'étonne pas. A la désaffection pour la médecine générale s'ajoute le fait que la nouvelle génération de praticiens, souvent des femmes, ne veulent plus des horaires extensibles. Et puis, il y a cette mauvaise réputation de la Seine-Saint-Denis. Difficile, dans ces conditions, d'attirer. Le docteur Frémont exerce pourtant dans un quartier plutôt favorisé. Le problème va s'aggraver, dit-il, " car c'est toute la génération du baby-boom qui s'en va ".
Ses patients, au nombre de 2 500, il les voyait au moins une fois par an. " Une partie ne pourra pas être suivie par mes deux associés. Ils devront se débrouiller ", explique-t-il. Laurence Mazzier, qu'il soigne depuis 1980, espère que le cabinet acceptera toujours de la prendre en consultation. " Mais pour les visites à domicile, je vais avoir des difficultés ", dit cette patiente qui souffre d'une pathologie grave, et, parfois, ne peut se déplacer. Le docteur Frémont continuait à faire des visites à domicile, mais elle sait que bien des médecins y ont renoncé, faute de temps ou par peur d'être agressés.
Germaine Messac, 82 ans, sera toujours suivie au cabinet - il faudra juste qu'elle s'y prenne plus tôt pour ses rendez-vous. Mais après sa dernière consultation avec le docteur Frémont, mardi 27 décembre, elle avait " la larme à l'oeil ". Ce qui l'embête, en outre, c'est que son kinésithérapeute, Jean-Claude Dupont, qu'elle a aussi vu arriver, en 1971, part également.
Marasme
Lui aussi sera à la retraite le 1er janvier. Lui aussi a cherché un successeur en vain. Très peu de candidats l'ont appelé ; aucun n'est venu au rendez-vous fixé. " Je dis aux patients que je suis désolé de n'avoir trouvé personne, et je culpabilise ", lâche-t-il.Dans le quartier pavillonnaire où il exerce, il y a beaucoup de personnes âgées, mais bientôt plus aucun kiné.
A ceux qui demandent vers quel confrère se tourner, il refuse de lâcher un nom : " Mon délai d'attente était de trois mois. Je sais que c'est pareil pour tout le monde. " Ce qui l'agace, c'est que cela fait longtemps que le marasme, qui ne touche pas que Stains, était annoncé.
Interrogés sur le nom de leur futur kiné, les patients présents dans le cabinet haussent les épaules, pour montrer leur impuissance. " Ce sera au petit bonheur la chance, mais je sais que ça va être difficile de trouver ", dit Fernand Limonta, 82 ans, dont la femme a besoin de trois séances par semaine. " On essaiera ailleurs, mais on sait bien que si on va chez ceux qui restent, on va les accabler ", juge Michel François, qui fait la liste de tous les professionnels de santé partis depuis quelques années.
Comme d'autres habitants, il a participé aux pétitions et manifestations organisées par les soignants de Stains et de la commune voisine de Pierrefitte pour dire " stop à la violence " envers les professionnels (Le Monde du 22 février 2011), à la suite de plusieurs agressions. Mais aussi alerter sur les risques des départs non remplacés.
Les choses s'accélèrent : en 2011, dans les deux villes, il y a eu dix annonces de départs (généralistes, ophtalmologue, infirmière...) sur cent libéraux. Parmi eux, il y a ceux qui prennent leur retraite, et ceux qui n'en peuvent plus d'une telle tension. Selon Jocelyne Buruchian, kinésithérapeute et présidente de l'Association des professionnels de santé de Stains, les autorités ont désormais conscience du problème de violence, mais pour parer la désertification, rien n'est fait : " On parle dans le vide. On nous rabâche que la solution, ce sont les maisons et les centres de santé, mais cela ne résout pas le problème des visites à domicile. "
Même s'il a activé ses droits à la retraite, Jean-Claude Dupont exercera jusqu'au printemps. Son associée est enceinte, et elle ne reviendra pas après son congé maternité. " Je ne veux pas la laisser seule d'ici là et tiendrai jusqu'à son départ, mais après je partirai ", prévient-il. Pour lui aussi, la charge de travail serait trop énorme s'il était seul. S'il connaît les réticences à s'installer dans le département, il ne comprend pas que " les gens renoncent à venir avant même d'avoir essayé ". Lundi 2 janvier, il fera encore le tour des écoles de kiné, dans l'espoir qu'un étudiant en dernière année accepte un stage, puis s'installe en juillet. Dans ce cas, il restera jusqu'à l'été.
Laetitia Clavreul
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