Voilà près de deux semaines que William Vidal et Monique Guindon, 44 ans tous deux, sont en prison. Dans la nuit du 4 au 5 août à Aigues-Mortes (Gard), ils s'en sont pris à une dizaine de jeunes qui bavardaient devant l'épicerie Viva, à l'angle des rues du Vieux-Bourgidou et Jeanne-Demessieux, quartier du Bosquet, un endroit ni beau ni moche, situé un peu à l'extérieur de la cité fortifiée. Cette nuit-là, entre minuit et demi et 1 heure, alors qu'ils circulaient à bord de leur Citroën Xsara, William et Monique ont voulu " se faire des Arabes ". Une ratonnade à eux tout seuls. Lui était un peu alcoolisé - 1,8 gramme dans le sang - et elle, à jeun. Ils se sont arrêtés une première fois à la hauteur du groupe de jeunes gens. Lorsque l'un d'eux s'est approché pour demander s'ils voulaient un renseignement, ils ont démarré. Ils sont revenus dix minutes plus tard, armés d'un fusil de chasse. Ils se sont de nouveau arrêtés au même endroit et, sans sortir de sa voiture, William s'est écrié : " C'est pas un Arabe qui va me donner un renseignement ! " Puis il a tiré une première fois en l'air. Effrayés, les jeunes se sont enfuis, les uns à gauche vers le terrain de basket, les autres à droite dans un lotissement. William et Monique ont alors entamé la poursuite - " la chasse à l'homme ", dira le procureur. Fenêtres de la voiture grandes ouvertes, William brandissait son fusil tandis que Monique criait : " On est en France ici. On est chez nous ! " La scène s'est prolongée pendant une vingtaine de minutes, le temps pour William de tirer au moins neuf coups, de blesser un jeune à l'épaule et au bras, de viser une dame et sa fille de 9 ans qui passaient en voiture. A ses côtés, Monique - la plus vindicative, selon les jeunes - rechargeait le fusil. Alertés, les gendarmes ont fini par intercepter le couple, qui a été condamné dès le 6 août par le tribunal correctionnel de Nîmes en comparution immédiate pour " violence avec armes et incitation à la haine raciale ". William a pris quatre ans ferme et Monique, deux ans. Incarcérés à l'issue de l'audience, l'un et l'autre ont fait appel du jugement. Par miracle, il n'y a eu ni mort ni blessé grave, mais l'affaire laisse un profond traumatisme et les victimes restent sous le choc : " On n'a jamais eu de souci avec personne. On est tous né ici. On est allé à l'école ici. Tout le monde nous connaît. " Agés de 20 à 25 ans, les uns sont étudiants en master à Montpellier, les autres ingénieur dans une société à Marseille ou vendeur en téléphonie, ou encore employé saisonnier dans la commune. Aucun d'eux n'a jamais eu affaire à la police, pas plus qu'ils n'ont eu " la moindre embrouille " avec leurs agresseurs. Lesquels, tous deux également habitants et natifs d'Aigues-Mortes, ne sont pas non plus des voyous. Certes, William a écopé d'une condamnation pour conduite en état d'ivresse, mais de là à brosser le portrait d'un dangereux délinquant, il y a un pas. Depuis plusieurs années, William et Monique vivent ensemble dans cette petite ville du coeur de la Camargue où, l'été, les touristes se pressent par milliers le long des rives du canal et dans les rues étroites à l'intérieur des remparts. Lui travaille au cimetière où la municipalité l'emploie. Un honnête travailleur, qui boit sûrement plus qu'il ne faudrait mais sans déchoir pour autant. Probablement un brave type ! C'est en tout cas ce qu'assurent tous ceux qui, dans la ville, le connaissent et prennent aujourd'hui sa défense, n'hésitant pas, sur Internet, à fustiger la justice trop clémente " avec les Arabes " et trop dure " avec les Français ". " Ils oublient la gravité des faits ", s'agace le procureur de la République de Nîmes, Robert Gelli, qui " n'avait jamais vu ça : un tel niveau de violence qui aurait pu tourner au carnage ". Réaction identique du préfet du Gard, Hugues Bousiges, qui, tout en condamnant " avec la plus grande fermeté ces actes ", regrette que " manifestement, des gens n'ont pas compris la gravité des faits et la sanction qui a suivi ". Seul Cédric Bonato, maire (PS) d'Aigues-Mortes, refuse de commenter les faits, soucieux, selon ses proches, de " pacifier " une situation décrite comme explosive. C'est que, loin de manifester la moindre compassion à l'égard des jeunes tirés comme des lapins, nombre de ses administrés ont choisi le camp des coupables avec d'autant moins de complexes qu'" il n'y a pas eu mort d'homme ". Tout juste une sorte de jeu, peut-être un coup de sang qui, dans leur esprit, doit bien se justifier d'une manière ou d'une autre. " Pour eux, la justice est injuste. Ils sont en incapacité de comprendre ", indique un responsable local qui souhaite conserver l'anonymat. Les autorités administrative et judiciaire locales ne le dissimulent pas : une atmosphère lourde de menaces plombe ce coin du Gard où la population tend de plus en plus à se replier sur elle-même et où, à chaque élection, le Front national réalise des scores importants. Gilbert Collard, l'un de ses représentants, a été élu député dans cette circonscription en juin avec le soutien tacite des élus de la droite locale. " Les propos qu'on tenait sous le manteau il y a quelques années émergent aujour&d'hui dans la sphère publique ", constate le procureur Gelli. Ainsi, le 5 août, dans les heures qui ont suivi la ratonnade, des jeunes gens ont profité d'une course camarguaise au Cailar, à quelques encablures d'Aigues-Mortes, pour faire irruption dans l'arène au cri de : " On n'a pas de bougnoules chez nous ! On est des fachos ! " La mairesse a aussitôt condamné cet acte et le parquet de Nîmes a ouvert une enquête préliminaire afin de retrouver les auteurs. Même le président (PS) du conseil général du département, Damien Alary, s'inquiète de ces dérives de plus en plus fréquentes. L'élu voit dans " cette escalade le résultat de dix ans de banalisation d'un discours de rejet ". Un Aiguemortais, impliqué dans les affaires de la commune, s'alarme également de ce passage à l'acte : " Quand les difficultés sociales et économiques pèsent sur cette terre camarguaise, il est de bon ton de rendre l'autre responsable. La haine de l'autre est exacerbée. " Au premier trimestre 2012, le taux de chômage dans le département atteignait 13,1 %. Chacun ici garde en mémoire un épisode tragique de l'histoire locale qui remonte au 16 août 1893. Ce jour-là, des ouvriers aiguemortais ont massacré des immigrés italiens venus pour échapper à la misère, et ouvriers comme eux aux Salins du Midi. Il y eut au moins 8 morts côté italien, et les autochtones, relayés par la presse locale, en profitèrent pour rivaliser de propos nationalistes et xénophobes contre " les ritals ". Yves Bordenave |
jeudi 16 août 2012
REPORTAGE Le racisme anti-Arabes se banalise dans le Gard
LE MONDE, 16 août 2012
Nîmes et Aigues-Mortes (Gard) Envoyé spécial
Début août, un couple sans histoire a tiré sur des jeunes Maghrébins. Les élus et les services de l'Etat s'inquiètent
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