Béziers (Hérault), envoyé spécial
Qu'y a-t-il de changé dans la vie des Biterrois depuis qu'ils ont élu Robert Ménard ? Le chômage bat toujours des records, le centre-ville se meurt toujours autant. Même le linge pend encore aux fenêtres, en dépit de l'arrêté municipal du nouveau maire élu avec le soutien du Front national dont toute la presse a parlé. Malgré cela, Jackie (qui n'a accepté de donner que son prénom), venue profiter de la douceur de cette fin d'après-midi de juin avec ses camarades retraités sur les allées Paul-Riquet, est formelle : « C'est plus propre, et maintenant je peux venir ici l'esprit tranquille. »
Une voiture de police est postée en permanence sur les « allées », et les SDF qui squattaient avec leurs chiens les marches du théâtre ont été délogés. D'ici quelques mois, les policiers municipaux devraient recevoir les renforts de dix agents supplémentaires, travailler toute la nuit, puis être armés. « Mais si nous sommes plus ici, c'est que nous sommes moins dans les autres quartiers », ne cachent pas deux agents en patrouille.
Qu'importe. L'essentiel est de donner l'impression que le centre-ville, qui s'est paupérisé et ghettoïsé ces dernières années avec l'arrivée de populations immigrées dans des logements dégradés, est de nouveau fréquentable. Si l'on y ajoute la baisse de 4 % des impôts locaux, payés ici par moins de la moitié des habitants, l'on comprend pourquoi M. Ménard bénéficie, deux mois après son élection, d'un véritable état de grâce.
« JE CROIS QUE LES BITERROIS SONT CONTENTS »
L'ancien président de Reporters sans frontières jubile : « Je crois que les Biterrois sont contents. On n'a jamais autant parlé de Béziers qu'en ce moment. Malgré votre idéologie dominante, vous avez des côtés positifs : au moins les gens savent que Béziers existe », lâche celui qui, presque chaque semaine, annonce une nouvelle mesure ciselée pour faire le « buzz » : interdiction aux moins de 13 ans de rester seuls dans les rues après 23 heures, interdiction des paraboles et du linge aux fenêtres dans le centre historique, proposition d'offrir des blouses aux écoliers…
Mais, en parallèle, M. Ménard coupe dans les dépenses. 400 000 euros destinés à financer la réforme des rythmes scolaires ont été supprimés, le budget du centre d'action sociale (CCAS) a été diminué de 5 %, alors qu'une baisse similaire avait déjà été décidée par l'équipe précédente. « Nous avons trouvé un moyen de faire la réforme des rythmes pour 50 000 euros, et le CCAS avait un surplus dont il n'avait plus besoin. Il n'y aura aucune baisse des prestations », promet M. Ménard. Il a toutefois décidé de réserver les garderies du matin aux seuls enfants dont les parents travaillent et de priver d'aides sociales les personnes qui ne se rendent pas aux convocations des « commissions de rappel à l'ordre », instances destinées à sermonner les auteurs de menues incivilités. « Vous ne pouvez pas mépriser la puissance publique tout en lui demandant de l'aide », défend-il.
Le personnel communal a reçu pour consigne de limiter les dépenses et les heures supplémentaires. Elles ne sont pas un « dû », proclame le nouveau journal municipal, calqué sur la maquette d'un tabloïd. « Il y avait bien quelques abus, mais ce n'était pas la majorité des cas. Cela laisse planer une suspicion malsaine », s'inquiète Yvan Vialettes, élu CGT de la ville, qui assure que sa base est « très inquiète ». Le débarquement du directeur de la police municipale au lendemain de l'élection de M. Ménard a été fait de « manière totalement illégale », juge M. Vialettes. « Il a fait une politique totalement contraire à ce que je veux mettre en place », se justifie le maire.
Pour l'heure, ces mesures ne semblent guère émouvoir l'électorat de M. Ménard. A Béziers, les bénéficiaires d'aides sociales sont majoritairement immigrés ou issus de l'immigration. Les propos racistes sont exprimés de plus en plus ouvertement. A l'image de ce bénévole des Restos du coeur, qui n'hésite pas à s'épancher sur ses bénéficiaires : « Jusqu'à 90 % de musulmans, qui ne travaillent pas et viennent juste bénéficier des aides sociales. Sans compter les Roumains… » Un peu partout, il suffit de tendre son stylo pour entendre des remarques similaires. « Depuis qu'il est élu, il y a une catégorie de gens qui pensent qu'ils peuvent l'ouvrir, ils se lâchent un peu », s'inquiète Aimé Couquet, le chef de file des communistes de la ville.
>> Lire aussi : Aimé Couquet, leader isolé d'une opposition atone face à Ménard
Au vu du pedigree des deux plus proches collaborateurs du maire, André-Yves Beck et Christophe Pacotte, passés par le Bloc identitaire, les Biterrois issus de l'immigration pourraient avoir de quoi s'inquiéter. « Personnellement, je ne vois pas beaucoup de changements et je n'ai pas trop peur, même si j'ai une voisine qui s'inquiète et qui parle de partir », affirme Dounya, qui n'a pas souhaité donner son nom. Cette Franco-Marocaine de 27 ans, venue s'inscrire aux Restos du cœur, ne met « plus que des petites serviettes » à sécher aux fenêtres.
« HYPERMÉDIATISATION »
M. Ménard se prévaut toujours de l'ambiguïté de sa liste, seulement « soutenue » par le FN, et de ses collaborateurs aux parcours variés. Un de ses chargés de mission est socialiste. Et l'ancien « M. Météo » de TF1 et ancien communiste Michel Cardoze a accepté récemment de le conseiller « bénévolement »pour la création d'un festival autour du vin. Au Monde, M. Cardoze explique désormais « avoir été un peu naïf ». « Si j'avais su le tam-tam que ça allait déclencher, y compris parmi mes amis, j'aurais peut-être pris une autre décision », assure-t-il, en refusant cependant de dire clairement s'il compte ou non stopper ses activités pour la mairie de Béziers.
M. Ménard a aussi réussi à s'entendre avec l'UMP locale pour gouverner l'agglomération, après avoir échoué à en prendre seul la présidence. Basée sur une répartition des postes, cette entente a toutefois laissé de côté la question du programme, alors que l'emploi, compétence de l'agglomération, est la première préoccupation des Biterrois. « Je mise sur le tourisme. Je rencontre beaucoup de chefs d'entreprise », promet M. Ménard. Ses opposants l'attendent au tournant. « Il y a une hypermédiatisation de toutes ses mesures. Mais au fond, jusqu'ici, il n'y a rien qui a changé à Béziers sur ces questions », juge Jean-Michel Du Plaa, conseiller municipal socialiste.
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