samedi 21 juin 2014

Les étudiants qui votent FN de plus en plus nombreux et décomplexés


Par Nathalie Brafman, Isabelle Rey-Lefebvre, 
21.06.2014 à 18h25

Jusqu'à il y a peu, les sympathisants d'extrême droite étaient peu visibles sur les campus.

AUREL

Petit à petit, les idées du Front national s'installent dans les universités. Certes, la présence du parti de Marine Le Pen reste encore discrète mais, fait nouveau, les étudiants qui votent pour lui ne cachent plus leur appartenance, même dans des établissements réputés très à gauche, comme Paris-X-Nanterre, Paris-VIII-Saint-Denis.

Un phénomène jugé « logique » par Sylvain Crépon, sociologue et chercheur à Paris-X-Nanterre, vis-à-vis d'un parti qui s'est lancé dans une stratégie de dédiabolisation. Aux élections européennes, le vote FN a recueilli 30 % de ses voix chez les moins de 35 ans.

S'il y avait jusqu'à présent, comme le rappelle le politologue Dominique Reynié, une sur-représentation du FN chez les jeunes non diplômés, on constate aujourd'hui une présence croissante parmi les jeunes diplômés qui ont le sentiment d'être déclassés. « Dans un pays fermé à l'ouverture aux nouvelles générations et aux entrants dans le système, les idées du FN peuvent trouver leur place à l'université », dit-il.

POUR APPROFONDIR

Lire notre enquête : Cette jeunesse que le Front national n'effraie pas

Pour diffuser leurs idées, les étudiants qui s'affichent FN surfent sur la dépolitisation de leurs condisciples et l'entreprise de lissage de Marine Le Pen.« Il ne s'agit pas forcément de revendiquer notre appartenance FN mais de ne pas la cacher lorsqu'on discute entre étudiants », explique Jordan Bardella, 18 ans, étudiant en première année de licence de géographie à Paris-IV-Sorbonne.

ASSUMER CE CHOIX EST PLUS SIMPLE QU'AVANT

Et manifestement, assumer ce choix est plus simple qu'avant. « Certains adultes me racontent que lorsqu'ils faisaient leurs études, ils n'affichaient pas trop leurs affinités politiques. Aujourd'hui, c'est plus décomplexé car le FN est vu comme un parti comme un autre, avec des citoyens lambda qui ont juste envie de se battre », affirme le jeune homme encarté à 16 ans.

Il existerait donc une certaine indifférence, voire une plus grande acceptation du vote FN sur les campus.« Ce que l'on voit, ce sont des étudiants qui assument ce choix, mais aussi de plus en plus d'étudiants qui disent se reconnaître dans les idées du FN. Et c'est très sensiblement supérieur à ce que l'on avait pu constater pour les élections précédentes », affirme Sacha Reingewirtz, président de l'Union des étudiants juifs de France, qui combat le FN.

Même constat pour Patrick Vassort, professeur de sociologie à l'université de Caen : « Les étudiants sont décomplexés, certains défendent des positions virulentes. Cela n'existait pas il y a encore quelques années. » Pour Gilles Parmentier, 21 ans, étudiant en troisième année de licence de science politique à Paris-VIII-Saint-Denis, il n'y a aucune raison de se cacher. « Moi, je dis ouvertement que je suis FN. Je ne vois pas pourquoi je ne défendrai pas mes idées et mon parti. » Il aurait du mal à le cacher : il a été candidat sous la bannière du parti frontiste aux dernières élections municipales à Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne). Mais cette exposition politique a un prix : sur les murs de la fac, accolé à son nom, le mot « facho » a été tagué.

MULTIPLICATION DE TAGS D'EXTRÊME DROITE

Ce basculement des étudiants vers le FN, Camille Froidevaux-Metterie, professeure de science politique à l'université de Reims, a pu l'observer. Depuis dix ans, elle les sonde avant chaque échéance électorale. En mars, juste avant les municipales, elle a organisé une simulation de vote pour ses 150 étudiants de première année de licence de droit. Le vote a eu lieu à bulletin secret. « Ce fut un vrai choc » : 30 % des voix sont allées au FN.« Lorsque j'ai commencé ces simulations, ils se comptaient sur les doigts d'une main, puis des deux mains et aujourd'hui… »

Elle se souvient que, au moment du dépouillement, il y avait une vraie« émotion ». Les étudiants présents étaient « effondrés », certains au bord des larmes. « Au premier tour, l'UMP et le FN sont arrivés en tête. Au deuxième, ceux qui n'avaient pas voté FN au premier se sont lâchés », raconte Younès Zakari. Ce militant des jeunesses socialistes et de l'UNEF estime que la parole s'est libérée à l'occasion de la loi sur le mariage pour tous. C'est aussi à cette période que des affiches et des tags de groupuscules d'extrême droite ou religieux intégristes se sont multipliés sur les murs de certains campus – Bordeaux, La Rochelle, Clermont-Ferrand, Toulouse…

Comment expliquer l'émergence de cette génération FN ? « C'est une génération qui n'a pas connu le choc du 21 avril 2002. Elle n'a pas été marquée par un sursaut républicain et un élan de la jeunesse antifasciste. Elle est aussi arrivée à l'âge adulte en pleine crise économique, sociale… », avance Camille Froidevaux-Metterie.

« PAS VOCATION À S'INSTALLER DANS LES UNIVERSITÉS »

Pour autant, entre assumer son vote, discuter entre étudiants, argumenter et organiser des actions militantes et des listes étudiantes, il y a un gouffre. « Le FN n'a pas vocation à s'installer dans les universités », affirme ainsi Jordan Bardella. Pour diffuser ses idées, Marine Le Pen compte sur le Collectif Marianne, un think tank étudiant. Créée en mars et associée au Rassemblement Bleu Marine, cette structure revendique une centaine de membres.

Sur son site Internet, elle a déjà pris des positions sur la nécessaire sélection à l'entrée des universités, la fin des bourses au mérite… « Des sujets sur lesquels on ne nous attend pas forcément, mais qui touchent le quotidien des étudiants », dit David Masson-Weyl, étudiant à Paris-II-Assas et par ailleurs président de ce collectif.

POUR APPROFONDIR

Lire notre post de blog : Un « national-bolchévique » chez les enseignants bleu Marine

A la rentrée, le Collectif Marianne veut passer à la vitesse supérieure. « Dès septembre, nous allons tracter dans les universités. » Avec sans aucun doute l'objectif que les idées et les propositions du FN se diffusent avant l'échéance présidentielle de 2017.

21.06.2014 à 18h25

Nathalie Brafman
Isabelle Rey-Lefebvre

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