Le Monde.fr | 29.11.2012 à 19h58 • Mis à jour le 29.11.2012 à 21h48
Par Patrick Roger
Le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution, jeudi 29 novembre, la proposition de loi reconnaissant le 19 mars comme journée nationale du souvenir à la mémoire des victimes de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc. Le 8 novembre, le Sénat adoptait une proposition de loi demandant la reconnaissance du 19 mars comme "Journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc". Le texte, défendu par Alain Néri, sénateur (PS) du Puy-de-Dôme, reprenait à l'identique celui d'une proposition de loi défendue par le même Alain Néri, alors député, et adopté par l'Assemblée nationale le 22 janvier 2002, sous la XIe législature. Le Sénat l'ayant approuvé sans amendement, il a été ainsi considéré comme définitivement adopté. Les députés et les sénateurs UMP ont toutefois saisi le Conseil constitutionnel.
Quels étaient les griefs invoqués pour demander la censure de ce texte ? Tout d'abord, le fait que dix ans se soient écoulés entre son adoption en première lecture à l'Assemblée nationale et son adoption définitive au Sénat. Un délai"manifestement excessif", estiment les requérants, "en raison des changements qui ont affecté la composition des deux assemblées et le système constitutionnel français dans son ensemble". Certes, l'article 45 de la Constitution autorise sans aucune limite temporelle la poursuite d'une "navette" parlementaire entre les deux chambres, même en cas de changement de la composition – et de majorité – de l'une ou de l'autre. Cependant, observent-ils, entre les deux lectures, trois élections présidentielles et trois élections législatives ont eu lieu. "Il ne peut être sérieusement soutenu que la volonté de l'Assemblée de 2002 serait intemporelle et que le vote de 2002 lie l'Assemblée dans sa composition actuelle", moins de 10 % des députés ayant participé au vote de 2002 étant toujours députés aujourd'hui. Selon les députés UMP, il s'agit là d'"un détournement de procédure".
Ils invoquent également la jurisprudence du Conseil constitutionnel en ce qui concerne les lois dites "mémorielles", "démontrant que ne relèvent pas du domaine de la loi des dispositions dénuées de tout caractère impératif et de toute portée normative".
ARGUMENTS JURIDIQUES, DÉBAT POLITIQUE
Ils constatent enfin que ce texte "ne fait que se surajouter aux dispositions antérieures aboutissant à une telle commémoration". Une date d'hommage aux combattants morts pour la France en Afrique du Nord a été fixée au 5 décembre par le décret du 26 décembre 2003, et rappelée dans la loi 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des français rapatriés. "Cette loi, examinée postérieurement à l'adoption en première lecture par l'Assemblée nationale le 22 janvier 2002 de la proposition de loi qui vous est déférée, a été votée successivement par les deux assemblées du Parlement, celles-ci reconnaissant la date du 5 décembre. Il ne peut revenir au Sénat, seul, de se substituer de commémoration", contestent les requérants. La loi du 28 février 2012 a également fixé, depuis, le 11 novembre comme une commémoration nationale pour tous les morts. "Le texte déféré aboutirait à deux dates spécifiques de commémorations distinctes pour le même événement : 19 mars et 5 décembre, auxquelles se surajoute une commémoration de portée générale, le 11 novembre", concluent-ils.
Autant d'arguments juridiques qui dissimulaient, en fait, un débat politique, posé de longue date, sur la commémoration de la guerre d'Algérie. Pour la principale association de vétérans, la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, au Maroc et en Tunisie (Fnaca), le 19 mars 1962, jour de l'entrée en vigueur du cessez-le-feu au lendemain des accords d'Evian, marque le début du processus de "paix". Une grande partie des "anciens d'Algérie", cependant, s'y refusent, jugeant à la fois que cette date est le symbole d'une "trahison" et que les"massacres" perpétrés par les combattants du FLN ont continué bien après cette date. Le 5 décembre, proposé par décret en 2003, ne correspond à rien sinon à une tentative de surmonter la "guerre des mémoires".
C'est cependant en droit, et en droit seul, que le Conseil constitutionnel est appelé à se prononcer. C'est en droit qu'il a jugé cette loi conforme à la Constitution. Sa décision ne va cependant pas manquer de faire polémique.
Patrick Roger
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