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mercredi 28 janvier 2015

Le Monde Après les attentats, « des clarifications qui ont fait baisser les tensions sur l’islam


Propos recueillis par Jean-Baptiste de Montvalon, 
le 28 janvier 2015 à 19h05

Le patron de l'institut Ipsos, Brice Teinturier, explique pourquoi les attaques n'ont pas accru la défiance envers l'islam, qui a au contraire diminué en un an.

Lors de la "marche républicaine" du 11 janvier, à Paris.

Lors de la "marche républicaine" du 11 janvier, à Paris. | MARTIN BUREAU / AFPLe directeur général délégué d'Ipsos, Brice Teinturier, commente les résultats du sondage Ipsos/Sopra-Steria réalisé pour Le Monde et Europe 1, auprès de 1 003 personnes interrogées les 21 et 22 janvier par Internet, portant notamment sur la perception des attentats et de la mobilisation du 11 janvier, ainsi que sur la place de l'islam.

Lire aussi : Les Français après les attentats

Quelle est la part des attentats dans le besoin de sécurité exprimé par les Français ?

Le besoin de sécurité et la valorisation des institutions qui incarnent l'ordre et l'autorité sont bien antérieurs à la séquence des attentats. Dans les enquêtes que nous réalisons régulièrement sur les fractures françaises, l'armée et la police obtenaient déjà 79 % et 73 % de confiance, loin devant la justice (46 %), les syndicats (31 %), les médias (23 %) ou les partis politiques (8 %). De même, cela fait longtemps que l'opinion publique souhaite une sévérité accrue de la part des tribunaux. Mais bien évidemment, ces attentats ont transformé ce qui était une menace virtuelle et lointaine en un cauchemar concret et localement présent, dont chacun se dit qu'il peut recommencer demain.

Les Français souhaitent donc qu'il y ait unité de vue entre la majorité et l'opposition pour renforcer la sécurité et la lutte contre le terrorisme djihadiste. Ils veulent un durcissement des conditions de détention des détenus qui contribuent à propager des idées extrémistes et accepteraient aussi qu'on s'affranchisse de certaines règles de droit, comme l'accord préalable d'un magistrat pour des perquisitions ou des écoutes téléphoniques. Il n'y a donc pas un basculement au sens propre de l'opinion publique sur ces questions de sécurité mais un renforcement de ce qu'ils souhaitaient déjà très largement.

Lire aussi : Les Français plébiscitent les mesures pour « lutter contre l'extrémisme religieux »

Comment analysez-vous les résultats du sondage sur la perception de l'islam ?

Le regard porté sur l'islam dans la foulée de ces attentats est un point clé sur lequel l'enquête apporte des réponses claires. Contrairement à certaines hypothèses ou affirmations péremptoires, la séquence des attentats n'a pas induit une défiance accrue à l'égard des musulmans et de l'islam. Elle semble au contraire avoir généré des clarifications qui ont fait baisser les tensions.

Il faut ici bien distinguer les niveaux et les évolutions. En termes de niveau, il y a toujours 47 % de Français qui estiment, en pensant à la façon dont la religion musulmane est pratiquée en France, que « cette religion n'est pas compatible avec les valeurs de la société française ». C'est donc un niveau élevé. Mais en termes d'évolution, il est de dix points inférieur et non pas supérieur à ce que l'on mesurait il y a un an. C'est là où l'on voit bien qu'il n'y a pas eu accroissement de la défiance.

Au fond, les Français nous disent trois choses qui expliquent un tel résultat : d'abord, que si nous sommes en guerre – ce que la moitié de la population trouve exagéré de dire –, c'est contre le terrorisme djihadiste uniquement et non l'islam en général. Et même, pour 66 %, que « l'islam est une religion aussi pacifiste que les autres et le djihadisme une perversion de cette religion ». Seuls 33 % jugent que « même s'il ne s'agit pas de son message principal, l'islam porte en lui des germes de violence et d'intolérance ». Les Français font donc une distinction nette entre l'islam et ce qu'ils estiment être sa perversion, le terrorisme djihadiste.

Lire aussi : La religion musulmane est jugée plus compatible avec les valeurs de la société qu'auparavant

Ensuite, ils ont trouvé que les responsables musulmans en France ont eu raison de prendre la parole et de condamner ces attaques et qu'ils ont été globalement convaincants. Ces prises de position ont donc contribué à éviter simplifications abusives et amalgames. Il faut aussi souligner que les responsables politiques de la majorité et de l'opposition se sont efforcés de faire de même et qu'ils ont certainement, eux aussi, contribué à distinguer et clarifier les choses.

Enfin, l'énorme mobilisation des Français leur a renvoyé le miroir non pas d'une France fragmentée, confrontée à des communautés en concurrence ou en lutte, mais d'une France beaucoup plus unie que ce qu'ils pensaient. Même si la réalité est évidement plus complexe que cela, cette mise en scène de nous-mêmes, ce collectif qui soudain se donne à voir comme uni autour de valeurs partagées, a eu un effet rassurant et apaisant.

Le sondage a été réalisé dix jours après la mobilisation du 11 janvier. N'était-on pas encore dans une période propice aux discours plutôt consensuels ? Cette tendance n'est-elle pas vouée à disparaître au fil des semaines ?

C'est naturellement la question qu'il faut se poser, même si justement nous avons voulu faire non pas une étude à chaud et au cœur de l'événement mais une étude approfondie, dix jours après. Mon sentiment est que rien n'est écrit : les tendances lourdes et la défiance peuvent revenir, naturellement, tout comme l'esprit de ce moment historique perdurer pendant plusieurs mois. Cela va dépendre en réalité de l'actualité, de la présence ou pas de nouveaux attentats, du comportement des autorités religieuses et politiques, etc.

La perception de l'islam n'est-elle pas devenue, sous la pression de l'extrême droite, le principal sujet de clivage droite-gauche ?

C'est effectivement un clivage aujourd'hui très important, voire structurant, mais attention, il y a aussi, et notre enquête le montre, de fortes zones de consensus. Cela étant, le clivage gauche-droite perdure avec une défiance à l'égard de l'islam beaucoup plus importante chez les sympathisants UMP que chez les sympathisants de gauche et du PS. Sur certains points, on mesure également une porosité entre les sympathisants UMP et FN. Ce qui est clair, c'est que l'affaiblissement des clivages économiques laisse davantage la place à d'autres clivages et qu'il y a bien une singularité du FN. Les sympathisants de cette formation se caractérisent depuis très longtemps et encore aujourd'hui par un sentiment beaucoup plus marqué de déclin de la société française et par une préoccupation ultra-dominante à l'égard des étrangers en général et de l'islam en particulier.

Lire aussi : Après les attentats à Paris, un ressenti différent chez les sympathisants FN

Le 28 janvier 2015 à 19h05

Jean-Baptiste de Montvalon

dimanche 25 janvier 2015

« Notre société a produit ce qu’elle rejette aujourd’hui comme une monstruosité infâme » Le Monde.fr | 15.01.2015 à 15h37 En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/01/15/notre-societe-a-produit-ce-qu-elle-rejette-aujourd-hui-comme-une-monstruosite-infame_4557235_3232.html#QmiDu1OtCZhIJ7RC.99

« Notre société a produit ce qu'elle rejette aujourd'hui comme une monstruosité infâme »

Le Monde.fr | 15.01.2015 à 15h37

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image: http://s2.lemde.fr/image/2015/01/15/534x0/4557234_6_8da2_les-deputes-observent-une-minute-de-silence_390b73885c4d465168a9034ced0a7a15.jpg

Les députés observent une minute de silence en hommage aux victimes des attentats avant le discours du premier ministre Manuel Valls sur la poursuite de l'engagement des forces armées françaises en Irak, le 13 janvier 2015

Par Didier Fassin, professeur de sciences sociales à l'Institute for Advanced Study de Princeton (New Jersey)

Après le temps de la sidération, le temps de la communion et le temps du recueillement autour des victimes des assassinats des 7, 8 et 9 janvier, devra venir le temps de la réflexion sur ces événements tragiques. Or l'émotion légitime et l'apparent consensus qui en a résulté tendent à délimiter l'espace du pensable et a fortiori du dicible. Un périmètre de sécurité idéologique impose ce qu'il est acceptable d'interroger et ce qui ne saurait l'être.

Condamner est nécessaire, analyser devient suspect. « Il y en a assez de toujours essayer de comprendre. À force de trop vouloir expliquer, nous avons fait preuve de complaisance depuis trop longtemps », me disait une personnalité de gauche connue pour ses engagements citoyens. Comprendre, ce serait déjà justifier. Ne plus comprendre, donc : se contenter de juger. Non seulement les tueurs, mais aussi les lycéens de Seine-Saint-Denis qui ne veulent pas respecter la minute de silence, les musulmans qui refusent de dire qu'ils sont Charlie, les personnes qui n'ont pas manifesté le 11 janvier, les collectivités qui offrent la possibilité de repas hallal dans les cantines des écoles – et les chercheurs qui essaient, justement, de comprendre.

 

« Excuses sociologiques »

On devine en effet le danger qu'il y aurait à tenter d'expliquer : ce serait s'exposer au risque de découvrir en quoi notre société a produit ce qu'elle rejette aujourd'hui comme une monstruosité infâme. Les causes sociales n'ont certes jamais eu bonne presse dans la pensée libérale, pour laquelle le sujet est le seul responsable de ses actes, mais elles ont longtemps nourri la réflexion socialiste, du moins jusqu'à ce qu'un Premier ministre les assimile à des « excuses sociologiques ».

Exeunt les causes sociales – et avec elles tous les travaux de sciences sociales qui s'efforcent de les analyser. Ne restent que des individus, démonisés et pathologisés, dont un commentateur décrit les « tares morales », incluant dans un même diagnostic les meurtriers et tous ceux qui leur ressemblent par leurs caractéristiques sociales, ethniques et religieuses supposées : les « jeunes de banlieue ». Prenons pourtant le risque d'éclairer l'expérience qu'ont ces derniers de notre société tant célébrée pour sa défense des valeurs républicaines.

Vivant dans des quartiers fortement ségrégués dans lesquels les taux de chômage et de précarité sont particulièrement élevés, ils prennent très tôt l'habitude de la stigmatisation et des discriminations. En guise d'éducation civique, leurs parents leur enseignent qu'ils doivent subir sans broncher les provocations des policiers lorsqu'ils sont soumis à des contrôles d'identité en raison de leur apparence. Quand ils recherchent un emploi, ils observent que, quelque diplômés qu'ils soient, leur couleur et leur patronyme érigent des obstacles difficilement franchissables, et quand ils sont en quête d'un logement, ils constatent que les mêmes causes produisent les mêmes effets.

 

Prier dans des lieux indignes

Les informations glanées dans les médias leur apportent quotidiennement leur lot de commentaires racistes, xénophobes et islamophobes de la part de responsables politiques, solennellement réprouvés par les autorités qui ajoutent néanmoins que ces formules extrêmes sont « de mauvaises réponses à de bonnes questions ».

S'ils sont musulmans, ils prient dans des sous-sols ou des préfabriqués, faute d'avoir obtenu une autorisation pour construire un lieu de culte digne, et bénéficient de jours fériés à Noël et à Pâques, pour le jeudi de l'Ascension et le lundi de Pentecôte, pour l'Assomption de la Vierge et la Toussaint, tandis qu'on les rappelle à l'ordre de la laïcité s'ils viennent à manquer l'école ou le travail le jour de l'Aïd.

À l'occasion, ils découvrent que, dans les prisons irakiennes et afghanes, des GIs urinent sur les corans des détenus pour les humilier ; ils constatent que la persécution des chrétiens par l'Etat islamique suscite bien plus de réprobation internationale que la torture des musulmans par l'armée des États-Unis ; ils apprennent que, dans les territoires palestiniens, une opération militaire soutenue par le gouvernement de la France fait des milliers de victimes parmi la population civile et que les manifestations de protestation contre ces bombardements sont interdites par le ministère de l'Intérieur.

Fait remarquable au regard de ces circonstances, dans leur très grande majorité, tous ces jeunes se taisent pourtant ; ils essaient de s'en sortir ; ils apprécient les efforts méritoires de professionnels et d'associations qui s'efforcent de les y aider ; et comme leurs parents avant eux, ils espèrent que leurs enfants auront plus de chance. En somme, ils respectent un pacte républicain et une promesse démocratique que la société n'honore guère à leur égard. Et lorsqu'un hebdomadaire satirique tourne en dérision ce qu'ils ont de plus sacré et qu'ils se sentent insultés au nom de ce qu'on leur dit être la liberté d'expression, ils détournent simplement le regard.

 

Prédicateurs illuminés ou cyniques

Cependant, quelques-uns parmi eux entrent dans la délinquance ou la criminalité, voire, au contact de prédicateurs illuminés ou cyniques, basculent dans la radicalité religieuse et la violence meurtrière, quand d'autres, peut-être tentés de les suivre, vivent par procuration ces carrières de révolte dans lesquelles ils n'entrent heureusement jamais.

Alors, se réclamant de valeurs dont ils oublient qu'eux-mêmes les appliquent sélectivement tandis qu'elles sont reconnues par la plupart des musulmans, celles et ceux qui considèrent qu'il serait dangereux de comprendre s'indignent. Contrairement à ce collectif d'enseignants et de citoyens qui déclare lucidement que « nos enfants ont tué nos frères », eux pensent qu'analyser serait risquer de dévoiler un passé problématique, un présent difficile et un futur compromis – risquer de devoir reconnaître une responsabilité dans une tragédie qui meurtrit mais rassemble. Décidément, mieux vaut juger, c'est-à-dire condamner – à l'opprobre, à la prison, au silence, peu importe pourvu que ce soit dans la conscience du devoir accompli.

« Nous sommes un peuple », titre avec enthousiasme un quotidien au lendemain de la manifestation du 11 janvier. Et tous ceux qui savent qu'ils n'en sont pas, de ce peuple, qu'ils n'y sont pas les bienvenus, tolérés tout au plus, continuent de se taire. Ils voient se mettre en place une protection policière aux abords des synagogues mais non des mosquées où profanations et agressions se multiplient. Ils regardent le président de la République aller prier aux côtés du chef de cet Etat israélien auquel il avait naguère déclaré son « amour » et se demandent quand il en fera de même dans un de leurs lieux de culte. Ils entendent le Premier ministre affirmer, dans un bel élan de solidarité : « Sans les Juifs de France, la France n'est plus la France ». Et, sans guère d'illusion, ils rêvent du jour où un chef de gouvernement français oserait prononcer ces mots : « Sans les musulmans de France, la France n'est plus la France ».


En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/01/15/notre-societe-a-produit-ce-qu-elle-rejette-aujourd-hui-comme-une-monstruosite-infame_4557235_3232.html#QmiDu1OtCZhIJ7RC.99

samedi 10 janvier 2015

Diam's : «Je suis Française, je suis musulmane et je suis affligée»


Par  Damien Mercereau, Le Figaro 10/01/2015 | 
Vendredi soir, la chanteuse a confié son malaise face aux événements qui se déroulent depuis mercredi à Charlie Hebdo.

En retrait de la scène médiatique depuis plus de deux ans, Mélanie Georgiades, mieux connue sous le nom de Diam's, se contente de quelques rares messages via ses réseaux sociaux. Vendredi soir, la chanteuse a tenu à témoigner son ressenti suite à l'attentat qui a touché Charlie Hebdo et les prises d'otages qui ont suivi. 

«48h que je suis pétrifiée devant la télé à regarder et lire les informations, débute-t-elle sur son compte Facebook. Je suis si atterrée et choquée de la vague de violence qui s'est abattue sur la France, que les mots me viennent difficilement. Je tiens à exprimer toute mon horreur et ma tristesse devant les actes inexcusables qui se sont produits. Les mots ne seront jamais assez forts pour exprimer ce que je ressens.»

« J'écris ces quelques lignes des larmes plein le cœur »
Diam's

Puis Diam's entame une nouvelle phrase marquante: «Je suis Française, je suis musulmane et je suis affligée. Je m'indigne de toutes les barbaries perpétrées ici et là au nom de l'islam. Je crains qu'une porte ne se soit ouverte de haine mutuelle, de violence... Des fous agissent, du sang coule et c'est bien plus de gens qu'on ne pense qui sont touchés.»

Elle poursuit: «L'islam interdit le terrorisme et appelle à la paix et non à la terreur. L'islam n'enseigne pas la vengeance ni le meurtre mais appelle à propager la lumière du bien et de l'excellence dans le comportement. N'en déplaise à ceux qui pensent le contraire par ignorance, racisme ou esprit d'amalgame.»

Elle conclut: «Le chaos est voulu mais ne nous laissons pas prendre au jeu diabolique de l'escalade des haines... J'écris ces quelques lignes des larmes plein le cœur. Tristement» en signant «Mélanie (Diam's)» avec les hashtags «#Française» et «#Musulmane».

vendredi 9 janvier 2015

Hommage à Mustapha, homme discret mais brillant Blog : Langue sauce piquante, le 9 janvier 2015 à 00h42



Gohar était réveillé à présent ; il venait de rêver qu'il se noyait. Il se souleva sur un coude et regarda autour de lui, les yeux emplis d'incertitude, encore hébété par le sommeil. Il ne rêvait plus, mais la réalité était si proche de son rêve qu'il demeura un instant perplexe, fortement conscient d'un danger qui le menaçait.(Albert Cossery, Mendiants et Orgueilleux)

  D'ordinaire, Mustapha venait dans les locaux de Charlie le lundi, pour le bouclage. Ce mercredi, il y était aussi, à la table de la conférence de rédaction. Mauvais jour, bien mauvais jour, les armes lourdes se mirent à crier, plus de Mustapha, d'un coup devenu l'un des douze assassinés. Cela faisait sept ou huit ans qu'il venait corriger chez Charlie.

Marc, qui le connut au Livre de Paris, Claude, qui travailla dix ans avec lui, notamment chez Viva Presse, Marie-Do, actuellement à MetroNews, qui le rencontra aussi à Viva, Sylvie et Claire, secrétaires de rédaction chez Viva, Linette, une amie de longue date... baignés d'un chagrin profond, les mots tournent et reviennent : tact, discret mais brillant, acuité, humour, l'amour de la langue, la poésie, la littérature, délicatesse, on pouvait compter sur lui. "Quand j'avais besoin d'un conseil sur la langue, dit Marie-Do, c'était toujours un interlocuteur subtil." Autodidacte lettré né en Algérie (où il avait vécu à la dure) mais kabyle avant tout, Mustapha, qui se disait "athée soufi", aimait parler par paraboles, raconte Marie-Do. Telle celle-ci : Deux hommes ont un différend, ils vont alors consulter un sage soufi pour les départager. Le premier expose son cas ; le sage lui dit : "Je te comprends, tu as raison." Le second expose alors sa vision des choses ; "Oui, je te comprends, lui dit le sage, tu as raison." Un témoin de la scène s'étonne alors face au sage : "Comment peux-tu dire à chacun qu'il a raison ? ce n'est pas possible..."  "Tu as raison", répond le sage.

"Face à cette ironie de l'histoire, dit Linette, il aurait peut-être trouvé une phrase de Baudelaire." Mustapha Ourrad aimait aussi lire Albert Cossery, il avait 60 ans, deux enfants, une fille et un garçon.

Les imams appellent les musulmans à « se désolidariser de ces actes et le faire savoir » Le Monde lle 9 janvier 2015 à


« Il s'agit d'une usurpation de notre religion », a déclaré le président de l'UIOF, Amar Lasfar, à la mosquée Lille Sud.

"Je suis Charlie", le slogan de solidarité après l'attentat contre l'hebdomadaire satirique, le 9 janvier.

"Je suis Charlie", le slogan de solidarité après l'attentat contre l'hebdomadaire satirique, le 9 janvier. | REUTERS/ALY SONG

Les musulmans de France luttent contre l'amalgame entre terrorisme et islam. Immédiatement après l'attentat contre Charlie Hebdo, mercredi 7 janvier, l'islam « officiel » a condamné l'agression.

Toutes les fédérations qui assurent sa représentation institutionnelle, réunies jeudi matin à la Grande Mosquée de Paris, ont appelé les imams à condamner « la violence et le terrorisme » lors de la prière, vendredi, et les fidèles à se joindre aux rassemblements dimanche.

« USURPATION DE NOTRE RELIGION »

A Marseille, Haroun Derbal, l'imam de la mosquée El-Islah, a relayé l'appel, déclarant : « 99 % des membres de la communauté musulmane en France ne sont pas des frères Kouachi, pas des Mohamed Merah, pas des Mehdi Nemmouche. » L'imam a appelé à« se désolidariser de ces actes et le faire savoir. Les musulmans doivent faire le pas. Pas parce que nous avons quelque chose à nous reprocher mais parce que certains Français ne connaissent l'islam que par l'intermédiaire des médias. Il faut montrer le vrai visage de notre religion. »

« Bien sûr, il faut appeler les gens à ne pas faire d'amalgame, mais ici, entre nous, il faut se dire un certain nombre de choses. Premièrement, je vois ces réactions sur les réseaux sociaux : "Bien faits pour eux..." Ces gens se réjouissent de la mort d'êtres humains ? Non ! C'est mal. On ne peut se réjouir de ça. »

A la mosquée de Lille-Sud, le recteur Amar Lasfar a également appelé à « manifester dimanche non pas en tant que musulman mais comme citoyen ». Sur un ton emprunt de gravité, il a lancé, en introduction de la prière du vendredi : « Mercredi, à 11 heures, la France a été attaquée. Nous avons connu, nous, Français de confession musulmane, notre 11-Septembre. » Brandissant une affichette « Pas en mon nom », l'imam a invité les fidèles à en faire autant. « Il s'agit d'une usurpation de notre religion. Par notre silence, on donne du crédit. »

Après la prière, les fidèles lillois se sont retrouvés devant la mosquée pour une minute de silence, réunis derrière une banderole « Touche pas à mon pays », tout en brandissant des drapeaux français. Combien iront manifester dimanche ? Beaucoup ont peur. « Il y a des messages qui circulent sur les réseaux sociaux disant que certains veulent en découdre avec nous mais bien sûr que je vais manifester », affirme Bouchra. La jeune femme voilée regrette d'ailleurs que le FN ait été écarté de la manifestation. « Ça va les énerver. Je pense que ça va être notre fête pendant quelques mois... »

« NE PAS RÉPONDRE À LA HAINE PAR LA HAINE » 

A Gennevilliers, dans les Hauts-de-Seine, le responsable de la mosquée Ennour savait que son prêche était attendu. C'est dans ce lieu de culte que l'un des deux auteurs de la tuerie à Charlie Hebdo, Chérif Kouachi, est venu souvent prier. Mohamed Benali a donc préparé minutieusement son sermon. Devant quelque trois mille fidèles, il a appelé « tous les Français, et surtout les musulmans, à ne pas tomber dans le piège que certains veulent [leur] tendre. Ne pas répondre à la haine par la haine quand certains extrémistes profitent de l'occasion pour appeler à la vengeance ». 

M. Benali ne cache pas qu'il craint une réaction de repli de ses coreligionnaires. Il a vu certains messages sur les réseaux sociaux cherchant à minimiser la tuerie en arguant que les journalistes de Charlie Hebdo « l'avaient bien cherché » : « Je suis consterné par ce type de propos », nous confie-t-il en aparté. Alors, il martèle son message de tolérance. A la sortie, les mines sont graves. « Ce qu'ils ont fait n'est pas l'islam que je suis », assure Fousseynou Diakité, 40 ans. Nabila, drapée dans un voile turquoise, résume le sentiment général : « Comme tous les Français, je suis en deuil. »

« UN CIEL SANS ÉTOILES »

Dans le 19e arrondissement de la capitale, Larbi Kechat, le responsable de la mosquée située porte de la Villette, faisait face à cinq cents croyants réunis sous la structure métallique, posée en bordure du périphérique. « Ce vendredi, nous le vivons sous un ciel sans étoiles, a-t-il déclaré. Nous sommes attristés par cet acte sauvage et barbare qui a fauché des innocents. »

« Sans hésitation, chaque être humain ne doit avoir face à cette barbarie qu'un seul mot : condamnation ! »

« On n'a pas à répondre d'actes de délinquants, on a de l'amertume au fond de nous », souligne devant le bâtiment un bénévole d'une quarantaine d'années qui ne souhaite pas donner son nom. « On est victimes, comme tout le monde. Les caricatures ont touché les gens dans leur cœur », pointe Ahmed. Mais, ajoute Khaled El Khouly, 52 ans, « on ne tue pas les gens qui pensent contre nous ».

« ON EST INQUIETS »

Au Mans, dans la Sarthe, la grande prière du vendredi s'est déroulée dans le calme à la mosquée des Sablons. Le grand pavillon où se pressent chaque vendredi quelque cinq cents fidèles est désormais gardé par deux policiers vêtus de lourds gilets par balles. La mosquée avait fait l'objet dans la nuit de mercredi de deux lancers de grenades à plâtre qui n'ont fait ni dégât ni victime.

>> Lire aussi : Des mosquées prises pour cibles, les musulmans de France inquiets

Reydouane, un bénévole vêtu d'un gilet jaune, filtre les entrées.« Ce n'est pas un jour comme les autres, on est inquiets », mais « il ne faut pas être parano ». L'imam Mohamed Lamaachi a d'ailleurs appelé à la tolérance et à ne pas répondre aux provocations.

« Bien sûr qu'on est tristes. Cabu, c'est notre jeunesse, c'est aussi notre patrimoine », s'indigne Mohamed Bentar, consultant en système d'information et président de l'association des travailleurs algériens. Mais ce dernier remarque que certains sont plus révoltés. « Attaquer la religion, ça ne se fait pas », reconnaissent trois jeunes qui« bien sûr » désapprouvent l'attentat terroriste. « Nous, les musulmans, on nous voit comme des terroristes, renchérit un jeune converti qui refuse de donner son nom. Bien sûr qu'on redoute l'amalgame. La France est une société islamophobe. »

Des mosquées prises pour cibles, les musulmans de France inquiets Le Monde le 9 janvier 2015


Plusieurs lieux de culte musulmans ont de nouveau été pris pour cibles, avec des tags racistes, des incendie ou des tirs de fusil.

Devant la mosquée de Saint-Etienne, le 9 janvier.

Devant la mosquée de Saint-Etienne, le 9 janvier. | AFP/JEAN-PHILIPPE KSIAZEK

Tags racistes, incendie, tirs de fusil... Plusieurs lieux de culte musulmans ont de nouveau été pris pour cibles, vendredi 9 janvier, après l'attentat contre Charlie Hebdo qui a coûté la vie, mercredi, à 12 personnes. Jeudi, des tirs avaient déjà visé une mosquée dans l'Aude et une explosion s'était produite dans un snack jouxtant la mosquée à Villefranche-sur-Saône (Rhône).

Le ministère de la justice a diffusé une circulaire demandant aux juridictions de faire remonter tout signalement d'actes islamophobes. Ces signalements sont centralisés à la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG).

  • Au Mans, dans la Sarthe

A la mosquée des Sablons au Mans, la surveillance policière a été renforcée. Cette mosquée où, selon les termes du commissaire de police venu sur place, se pratique un « islam apaisé, intégré, un islam de France » avait fait l'objet dans la nuit de mercredi à jeudi de deux lancers de grenade à plâtre qui n'ont fait ni dégât ni victime.

La tension est montée dans la nuit de jeudi à vendredi. Vers 22 heures, des petits groupes de jeunes du quartier voisin des Sablons – réagissant à la rumeur qui a circulé sur Facebook affirmant que des skinheads voulaient saccager la mosquée – ont allumé des feux de poubelle et de voiture et brisé les vitres de l'arrêt du tram. Les échauffourées avec les forces de l'ordre ont duré deux heures.

  • A Saint-Juéry, dans le Tarn

Quatre coups de feu ont été tirés jeudi, vers 23 heures, sur la façade d'une mosquée de la commune tarnaise de Saint-Juéry, proche d'Albi, sans faire de blessé. Vendredi matin, les premiers fidèles qui ouvraient la mosquée située dans un bâtiment sans signe distinctif ont constaté les dégâts, et des responsables ont ensuite porté plainte, selon un enquêteur de police.

  • A Aix-les-Bains, en Savoie

Une mosquée a été incendiée jeudi 8 janvier vers 22 heures, selon le Dauphiné libéré. Vendredi, le procureur de la République de Chambéry a annoncé « privilégier la thèse criminelle ».

  • A Liévin et Béthune, dans le Pas-de-Calais

Deux mosquées en chantier ont été profanées dans le Pas-de-Calais. Des croix gammées, des slogans nazis et une inscription « Charlie est vivant » ont été taguées sur la future mosquée de Liévin, en construction, selon La Voix du Nord. Une tête de cochon a également été trouvée sur le sol. A Béthune, le tag « dehors les Arabes » était visible sur une palissade de la mosquée en construction.

  • A Vendôme, dans le Loir-et-Cher

La mosquée de Vendôme, dans le Loir-et-Cher, a été la cible de deux coups de feu, selon La Nouvelle République. Deux impacts ont été retrouvés, vendredi au petit matin, sur les portes du lieu de prière. Deux autres impacts ont été relevés sur un tabac-presse, à l'autre bout de la ville.

  • A Corte, en Haute-Corse

En Corse, une tête de porc et des viscères ont été découverts, vendredi matin, accrochés à la porte d'une salle de prière musulmane, à Corte (Haute-Corse), a annoncé la gendarmerie.

  • A Rennes

A Rennes, les inscriptions « Er maez » – « dehors » en breton – et « Arabes », ont été taguées à la bombe dans la nuit de jeudi à vendredi sur la façade d'un centre culturel islamique en construction, a rapporté à l'AFP un responsable du centre.

  • A Bischwiller, dans le Bas-Rhin

A Bischwiller, dans le Bas-Rhin, une inscription « Ich bin Charlie »(« je suis Charlie », en allemand) et un dessin obscène ont été découverts jeudi matin sur le mur extérieur d'une mosquée en construction, relève L'Alsace.fr.

  • Inquiétude des fidèles, prêches des imams

Ces profanations et tirs contre des mosquées inquiètent la communauté musulmane de France. Jeudi, toutes les fédérations qui assurent sa représentation institutionnelle avaient appelé les imams à condamner « la violence et le terrorisme » lors de la grande prière du vendredi. Un appel qui a été relayé par de nombreux imams, qui ont condamné la violence dans leurs prêches et appelé à lutter contre l'amalgame entre terrorisme et islam.

mardi 6 janvier 2015

L’Allemagne se mobilise contre l’islamophobie Par Frédéric Lemaître, Le Monde le 6 janvier 2015 à



18 000 manifestants ont défilé contre l'islam à Dresde, suscitant un fort mouvement de rejet dans le pays.

Manifestation contre le mouvement Pegida, le 5 janvier à Dresde.

Manifestation contre le mouvement Pegida, le 5 janvier à Dresde. | ROBERT MICHAEL / AFP

Derrière une grande banderole « Bienvenue aux réfugiés », plusieurs milliers de personnes ont manifesté, lundi 5 janvier en début de soirée, dans les rues de Berlin. Parmi elles, Heiko Maas, le ministre (SPD) de la justice. Pas question pour la gauche ni pour la majorité des partis politiques allemands de laisser la rue aux « pegidistes », ces « patriotes européens contre l'islamisation de l'Occident » qui, chaque lundi, manifestent dans plusieurs villes à l'appel du mouvement Pegida, parti de Dresde (Saxe).

Comme c'est souvent le cas, les contre-manifestants étaient nettement plus nombreux à Berlin que les quelques centaines de pegidistes, même si les associations turques, qui avaient annoncé vouloir réunir 10 000 manifestants devant la porte de Brandebourg, n'en ont attiré que quelques dizaines. Déjà, fin décembre, 12 000 personnes avaient manifesté dans les rues de Munich contre Pegida, un mouvement pourtant quasi inexistant dans la capitale bavaroise. Ils étaient 10 000 à Munster lundi, 8 000 à Stuttgart et 4 000 à Hambourg.

Critique de la chancelière

Ce lundi 5 janvier, le principal opposant à Pegida n'a même pas eu besoin de descendre dans la rue. Pour montrer son désaccord avec les thèses extrémistes de ce mouvement, le cardinal Woelki, responsable de la cathédrale de Cologne, a décidé d'éteindre l'éclairage de cet édifice devant lequel les pegidistes avaient prévu de défiler. Il ne pouvait faire davantage contre les manifestants qui, souvent, brandissent une grande croix aux couleurs de l'Allemagne : le parvis relève des seules autorités municipales. Cette initiative a inspiré un mouvement intitulé « Pas de lumière pour les racistes ».

A Cologne, outre la cathédrale, c'est toute la vieille ville qui a été plongée dans le noir par la mairie, ainsi que les ponts que devaient emprunter les manifestants. A Dresde, où Pegida a rassemblé 18 000 manifestants – un record à ce jour –, l'opéra de la ville, le célèbre Semperoper, est resté dans l'obscurité, tout comme les bâtiments de Volkswagen. « Nous sommes en faveur d'une société ouverte, libre et démocratique » a expliqué le groupe automobile pour justifier son engagement. Même la porte de Brandebourg à Berlin a été éteinte lundi soir.

Lors de ses vœux, le 31 décembre, Angela Merkel avait surpris en critiquant, sans le nommer, ce mouvement qui prétend« défendre l'Occident » et manifeste aux cris de : « Nous sommes le peuple », le slogan des opposants à la RDA en 1989. « Ils disent : nous sommes le peuple. Mais en fait, ils veulent dire : vous n'en faites pas partie, à cause de la couleur de votre peau ou de votre religion », a déclaré la chancelière. Quelques jours plus tôt, dans le Spiegel, l'ancien ministre de l'intérieur Hans-Peter Friedrich, membre de l'Union sociale-démocrate (CSU) qui siège au gouvernement, avait rendu la politique trop centriste d'Angela Merkel directement responsable de la montée de Pegida. « Je crois que dans le passé, nous nous sommes trop peu préoccupés de la question de l'identité de notre peuple et de notre nation », avait-il déclaré. Manifestement, la chancelière n'en a tenu aucun compte.

Mardi 6 janvier, le quotidien populaire Bild s'est à son tour clairement engagé contre Pegida, publiant un appel de 50 personnalités, la plupart issues de la politique, des affaires, du sport et du spectacle contre ce mouvement.

Fracture confirmée

Alors que pegidistes et anti-pegidistes se toisent désormais chaque lundi soir, plusieurs chercheurs, réunis au sein du conseil pour les migrations, ont présenté lundi 5 janvier une étude sur « l'Allemagne post-migratoire ». Les résultats confirment la fracture qui caractérise la société allemande sur ce sujet. 36 % des Allemands approuvent une culture de l'accueil et de l'intégration plus forte, mais 31 % n'en voient pas la nécessité. 47 % des Allemands approuvent la diversité mais 25 % la rejettent. Et si 54 % des Allemands trouvent bien que « les migrants se sentent chez eux en Allemagne », seuls 36 % se félicitent que « tant d'immigrés choisissent l'Allemagne comme nouvelle patrie ». Pour ces chercheurs, « la thèse selon laquelle l'intégration des immigrés balaie les préjugés est fausse. […] Les personnes qui pensent que la cohésion de la société est en danger le pensent parce qu'elles croient à une nation culturellement homogène et refusent la diversité ».

69 % des personnes interrogées surévaluent d'ailleurs le nombre de musulmans qui vivent en Allemagne. 23 % des sondés estiment que les musulmans constituent plus de 20 % de la population alors qu'ils en représentent environ 5 %.

Allemagne : mobilisation record « contre l'islamisation », et contre-manifestations Le Monde.fr avec AFP | 06.01.2015 à 00h08 • Mis à jour le 06.01.2015 à 09h50



Dans la manifestation "anti-islamisation" de Dresde, lundi, qui a connu un nouveau record d'affluence.

Dresde a connu lundi 5 janvier un nouveau record de mobilisation « contre l'islamisation de l'Allemagne et de l'Occident » : près de 18 000 personnes se sont réunies à l'appel d'un mouvement se faisant appeler « les Européens patriotes contre l'islamisation de l'Occident » (Pegida).

Voir le reportage : En Allemagne, le discours raciste se banalise

Défiant l'appel de la chancelière Angela Merkel à rejeter ces rassemblements « racistes » qui ont lieu chaque lundi depuis le début d'octobre, les manifestants ont de nouveau scandé « Wir sind das Volk ! »(« Nous sommes le peuple ! »), un slogan naguère entonné par les manifestants contre le régime de la RDA, peu avant la chute du mur de Berlin.

Lire aussi : En Allemagne, les élites démunies face aux manifestations « contre l'islamisation »

Mais cette mobilisation record s'est cette fois heurtée à de nombreux contre-rassemblements dans plusieurs villes du pays. 

RAPPORT DE FORCE INVERSÉ

A Dresde, quelque 3 000 contre-manifestants s'étaient rassemblés notamment à l'initiative d'un collectif d'associations baptisé « Dresde pour tous ». « Venez, on va parler ! Attaquons-nous vraiment aux problèmes ! », scandaient-ils. Dans le reste du pays, le rapport de force entre partisans et détracteurs de Pegida était même inversé.

A Cologne, « quelques milliers » d'individus ont fait face à « quelques centaines » de personnes dénonçant l'« islamisation ». Les ponts sur le Rhin, l'hôtel de ville et l'emblématique cathédrale avaient été éteints en signe de protestation contre Pegida.

Ainsi à Rostock, autre ville d'ex-RDA, ce sont les opposants au mouvement qui se sont fait entendre, scandant en particulier « Willkommen im Abendland ! » (« Bienvenue en Occident ! »).

A Cologne (dans l'Ouest), « quelques milliers » d'individus ont fait face à« quelques centaines » de personnes dénonçant l'« islamisation ». Les ponts sur le Rhin, l'hôtel de ville et l'emblématique cathédrale avaient été éteints en signe de protestation contre Pegida. L'Eglise catholique a expliqué qu'elle militait contre les discriminations, pour la liberté religieuse et ne voulait pas « offrir un beau décor » à ce mouvement. « Critiquer l'islam, oui, mais la haine de l'étranger, c'est inhumain », pouvait-on lire sur une banderole des contre-manifestants.

« EUROPÉENS CONTRE LA CRÉTINISATION DE L'OCCIDENT »

A Berlin, environ 300 militants anti-« islamisation » s'étaient réunis aux abords de l'hôtel de ville tandis que quelque 5 000 contre-manifestants, selon l'agence de presse allemande DPA, se sont dirigés vers la porte de Brandebourg, parmi lesquels le ministre fédéral de la justice, Heiko Maas. Il avait récemment qualifié les manifestations de Pegida de « honte pour l'Allemagne »L'éclairage du bâtiment symbole de la capitale allemande avait, lui aussi, été coupé.

Dans les villes de Munster (Nord-Ouest, 10 000 personnes), Stuttgart (Sud, 8 000) ou encore Hambourg (Nord, 4 000), les anti-Pegida s'étaient également mobilisés. Dans cette dernière ville, la manifestation avait été organisée par un collectif baptisé « Européens tolérants contre la crétinisation de l'Occident » (Tegida).

Le mouvement Pegida affirme refuser « l'islamisation » de la société allemande, s'opposer aux djihadistes ou aux étrangers qui refuseraient de s'intégrer. Ses cibles : l'islam, les étrangers, les médias (« tous des menteurs »), les élites politiques, le multiculturalisme, etc., qui dilueraient la culture chrétienne allemande.

Dans son allocution du Nouvel An, Angela Merkel a appelé ses compatriotes à ne pas participer à ses manifestations, estimant qu'elles étaient organisées par des gens au « cœur » rempli de « préjugés » et de« haine ».

dimanche 4 janvier 2015

L’idéologie meurtrière promue par Eric Zemmour, 04 JANVIER 2015 | PAR EDWY PLENEL, MEDIAPART

Dans le sillage de l'écrivain Renaud Camus, Éric Zemmour prétend que le peuple français subit un « grand remplacement » dont il devrait se défendre en expulsant de son territoire les musulmans. Cette pensée, déclinée en fiction par Michel Houellebecq, n'est pas une opinion dont il faudrait débattre mais une idéologie potentiellement meurtrière qui renoue avec les pires aveuglements de la catastrophe européenne.


    Le récent arrêt de l'émission d'iTélé, dont Éric Zemmour était un débatteur rémunéré depuis une décennie, a été provoqué par l'interview qu'il a accordée auCorriere della Sera sur son livre, Le Suicide français (Albin Michel). Ce choix éditorial de la chaîne d'information ne saurait évidemment être qualifié de censure puisque, loin d'être privé de parole, l'intéressé continuera de cumuler professionnellement chroniques bi-hebdomadaires sur RTL, émission hebdomadaire sur Paris Première, tribune ouverte dans Le Figaro et son magazine, invitations dans d'autres médias (à France Culture bientôt), sans compter ses ouvrages en librairie.

    Le plus surprenant, au contraire, c'est que n'ait pas été posée plus tôt la question de la large place accordée, dans l'espace médiatique dominant, à une parole explicitement xénophobe et raciste, stigmatisant des individus en raison de leur origine ou de leur croyance, et contrevenant de ce fait aux droits humains fondamentaux tels qu'ils ont été proclamés par la Déclaration universelle de 1948. Dans l'entretien au quotidien italien, Zemmour ne faisait que redire, de façon abrupte, ce qu'il n'a cessé d'énoncer ou de suggérer ces dernières années, y compris sur iTélé (par exemple ici, en avril 2014), à savoir que « les musulmans » n'ont pas leur place en France, formulation générale qui exclut de notre peuple plusieurs millions de personnes en raison de leur origine, de leur culture ou de leur religion.

    C'est Jean-Luc Mélenchon qui, le 15 décembre 2014, a exhumé sur son blog cet entretien paru en Italie un mois et demi plus tôt, le 30 octobre. La polémique organisée en contrefeu autour du mot « déporter » est une diversion grossière qui ne résiste pas à l'examen des faits, tant elle ne change rien aux propos de Zemmour lui-même (lire l'interview en italien sur le blog du confrère, ironiquement intitulé « Superdupont »). « Les musulmans ont leur code civil, c'est le Coran. Ils vivent entre eux, dans les périphéries. Les Français ont été obligés de s'en aller », déclare Zemmour au fil de cet entretien avec Stefano Montefiori. « Mais alors que suggérez-vous de faire ? Déporter cinq millions de musulmans français ? », lui demande le journaliste.

    Depuis, à la demande de Zemmour, Montefiori a modifié cette formulation par laquelle il résumait son interpellation. La question est devenue : « Mais alors que suggérez-vous de faire ? Ne pensez-vous pas qu'il est irréaliste de mettre sur des avions ("ou sur des bateaux", ajoute Zemmour) cinq millions de musulmans français pour les chasser ? »Plus précis, l'énoncé n'en est pas moins accablant, d'autant que Zemmour y contribue lui-même. De fait, le journaliste du Corriere accompagne sa rectification de ce commentaire : « Je ne suis pas sûr que, en français comme en italien, "mettre cinq millions de musulmans sur des avions ou sur des bateaux pour les chasser" soit plus léger ou, de toute façon, différent de "déporter cinq millions de musulmans". Mais j'accueille évidemment la mise au point de l'interviewé. »

    Cette mise au point ne concerne donc en rien les propos de Zemmour qui, loin de repousser l'hypothèse suggérée d'une expulsion de leur propre pays de « cinq millions de musulmans français », répond : « Je sais, c'est irréaliste mais l'Histoire est surprenante. Qui aurait dit en 1940 qu'un million de pieds-noirs, vingt ans plus tard, seraient partis d'Algérie pour revenir en France ? Ou bien qu'après la guerre, cinq ou six millions d'Allemands auraient abandonné l'Europe centrale et orientale où ils vivaient depuis des siècles ? » « Vous parlez d'exodes provoqués par des tragédies immenses », lui rétorque le journaliste italien. Or la réponse de Zemmour est, tout simplement, un appel à la répétition de ces tragédies : « Je pense que nous nous dirigeons vers le chaos. Cette situation d'un peuple dans le peuple, des musulmans dans le peuple français, nous conduira au chaos et à la guerre civile. Des millions de personnes vivent ici, en France, et ils ne veulent pas vivre à la française ».

    Nous ne sommes pas ici en présence d'une opinion qu'il s'agirait de discuter ou de réfuter. Mais d'une idéologie meurtrière dont les ressorts sont ceux-là même qui, par la construction fantasmée d'une question juive, ont, hier, entrainé l'Europe dans l'abîme du crime contre l'humanité. Avant d'organiser à partir de 1941 leur destruction par la solution finale, l'idéologie nazie a construit les juifs comme un peuple à part, dangereux et menaçant, dont la seule présence ruinait et corrompait une identité prétendue immuable qu'il fallait défendre et restaurer par l'expulsion de ce corps allogène et étranger.

    Avant l'anéantissement par le génocide, dont le programme fut tenu secret, l'antisémitisme européen, qui n'était pas réservé à la seule Allemagne, loin de là, revendiquait haut et fort son projet d'exclusion et d'expulsion des juifs. A tel point que l'île de Madagascar, alors française, fut envisagée comme ultime destination pour des juifs européens préalablement stigmatisés et discriminés, autrement dit exclus des peuples nationaux qui étaient les leurs. 

    Les mots d'Éric Zemmour installent un imaginaire semblable, par la construction arbitraire d'une question musulmane : celui d'un « peuple dans le peuple », d'allogènes qui menacent les indigènes, d'individus étrangers par essence, naissance et nature, vivant à part et tenus à distance, qu'il faut rendre invisibles en les excluant de la cité, puis en les expulsant du pays. Qu'il faut effacer en somme. Que ces délires meurtriers ne soient plus aujourd'hui, en France, des pensées marginales mais tiennent lieu d'opinion acceptable dans le débat médiatique est la question posée par l'affaire Zemmour. Celle d'une longue régression française qui, progressivement, a rendu présentable, sous de nouveaux masques, l'idéologie inégalitaire et identitaire que la défaite du nazisme avait, depuis 1945, reléguée aux marges de l'espace public. Et celle des aveuglements qui, à droite surtout mais aussi à gauche, ont permis cette défaite intellectuelle. 

    Renaud Camus et l'invention du « Grand Remplacement »

    Fussent-elles potentiellement criminelles, les idéologies ont leurs logiques internes qui font entrer au forceps la réalité dans leurs fictions. Popularisé par Éric Zemmour, le raisonnement qui conduit à la nécessité vitale d'une expulsion des musulmans a pour point de départ l'affirmation que la France est victime d'un « grand remplacement », autrement dit d'un changement de peuple insidieux et silencieux, lequel appellerait en réponse, par réflexe de survie, le départ des supposés envahisseurs, une sorte de grand retour des Français issus de l'immigration venue des anciennes colonies françaises.

    Tel un furet de mauvais augure, cette formule court désormais, bien au-delà des cercles militants, comme en témoigne sa revendication par Valeurs Actuelles, trait d'union hebdomadaire entre extrême droite et droite extrémisée.

    « La puissance des mots est si grande qu'il suffit de termes bien choisis pour faire accepter les choses les plus odieuses » : l'invention du « grand remplacement » témoigne de la fécondité de cette intuition de Gustave Le Bon, l'auteur de Psychologie des foules (1895), essai précurseur dont les intellectuels fascistes et nazis sauront tirer d'utiles enseignements pratiques. Son auteur est un intellectuel justement, figure éminente des confusions propres aux temps obscurcis où la transgression tient lieu de radicalité. Symbole de la cause homosexuelle dans les années 1970, quand elle ébauchait ses premières visibilités militantes, Renaud Camus est devenu le principal propagandiste de la nouvelle idéologie raciste.

    En l'an 2000, dans La Campagne de France (Fayard), il s'était signalé en s'alarmant d'une supposée trop grande présence juive sur les ondes de France Culture. La polémique qui s'ensuivit fut une sorte de répétition générale des régressions à venir : la réprobation dominante ne visa pas Camus mais ceux qui le critiquaient, et notamment Le Monde dont je dirigeais alors la rédaction. Loin d'être isolé, l'écrivain reçut notamment le soutien, jamais démenti depuis, d'Alain Finkielkraut, preuve que les passions identitaires rendent aveugles au point qu'un juif revendiqué ne sache plus reconnaître un antisémite à peine masqué.

    Revisiter cette scène primitive, où figurait déjà Michel Houellebecq, permet de prendre la mesure de la longue durée de cet obscurcissement dont Zemmour est l'ultime produit – c'est pourquoi je republie sur Mediapart ma mise au point de 2002 (elle est ici). 

    Depuis, Renaud Camus a mis en sourdine son obsession juive pour mieux libérer ses obsessions antimusulmanes où la question religieuse est l'alibi d'une stigmatisation générale des Français issus des immigrations maghrébines, africaines, méditerranéennes, antillaises, etc. Mais son originalité est d'aller bien au-delà, en redonnant vie aux idéologies identitaires qui ont produit la catastrophe européenne, entre 1914 et 1945. Dès 2005, sur le site de son « Parti de l'In-nocence », il le fait comprendre en s'alarmant de « la deuxième carrière d'Adolf Hitler », cette « reductio ad Hitlerum » qu'il doit affronter et dont, avec une fausse ingénuité, il montre lui-même qu'elle voudrait l'empêcher de penser comme Hitler, c'est-à-dire en termes de « distinctions ethniques », de « dimensions héréditaires des civilisations », d'« appartenances natives », d'« origines », de « races »… C'était cinq ans avant sa trouvaille de 2010,  cette invention du « grand remplacement », devenue slogan de ralliement du nouveau racisme.

    C'est sur le même site que l'on trouve son discours de soutien, en 2012, à la candidature de Marine Le Pen, prononcé au premier congrès du SIEL, petite formation du Rassemblement Bleu Marine fondée par l'ex-chevènementiste Paul-Marie Coûteaux. Se portraiturant devant la candidate d'extrême droite en « producteur de concepts, d'expressions ou de thèmes dont certains font leur chemin, et parfois jusqu'en votre bouche, Madame », Renaud Camus consacre tout son propos à « la question pour nous primordiale, essentielle, fondamentale du Grand Remplacement, ou, pour parler de façon séculière, de l'immigration ».

    Il y appelle à « modifier profondément la loi et même les engagements internationaux de la France » pour « mettre un terme, par toutes mesures appropriées, au Grand Remplacement du peuple français par d'autres peuples de toute origine et à la substitution, sur son territoire même, d'autres cultures et d'autres civilisations à celles qu'il avait lui même portées si haut »

    « La France n'est pas une terre d'islam », insiste-t-il, souhaitant en conséquence une politique qui fasse disparaître les musulmans de notre paysage, soit en les faisant renoncer à leur foi, soit en leur faisant quitter le territoire. Car tous ces mots sont potentiellement des actes, et la violence symbolique des premiers est un appel à la violence concrète des seconds. Le « grand remplacement » de Camus, que popularisent aussi bien Zemmour par l'essai que Houellebecq par le roman, est ainsi devenu le mantra du Bloc identitaire, cette formation radicale de l'extrême droite dont nombre de cadres sont aussi présents au Front national, notamment dans ses municipalités.

    Orateur vedette des premières « Assises de la remigration », organisées le 15 novembre 2014 par ces identitaires, Renaud Camus parraine également l' « Observatoire du grand remplacement » récemment lancé sur Internet par les mêmes« Je salue avec d'autant plus de plaisir et d'enthousiasme votre démarche actuelle, écrit-il à Fabrice Robert, président du Bloc identitaire, que pour moi la constatation et le refus absolu du Grand Remplacement — ce "concept" dont vous voulez bien me reconnaître la paternité — ont toujours impliqué comme leur complément indispensable, et leur substance même, la Remigration, puisque c'est le mot que vous avez choisi de mettre en avant : je disais pour ma part "le renversement des flux migratoires", mais c'est la même chose. »


    « La remigration ou la guerre, une opération chirurgicale »

    Avec la « remigration », c'est bien à une guerre que Renaud Camus et ses divers épigones, dont Éric Zemmour, préparent la France et, au-delà, l'Europe. Une guerre civile, une guerre de la France et de l'Europe contre elles-mêmes, contre une partie de leurs peuples, ces hommes, ces femmes, ces enfants vivant, habitant et travaillant ici même que, par toutes les armes du préjugé et de l'ignorance, ils auront préalablement construit comme étrangers, en raison de leur naissance, de leur apparence ou de leur croyance.

    Qui en douterait doit s'infliger la lecture des textes qui en témoignent. Une littérature triste et grise qui n'a d'autre fil conducteur que l'obsession inégalitaire, cette passion raciste de la hiérarchie des origines, des cultures, des civilisations, des religions, où celui qui l'énonce se place au-dessus de l'humanité. De l'exigence d'humanité, des droits de l'humanité, de l'humanité concrète.

    « La remigration ou la guerre : voici les termes du débat, écrit ainsi Renaud Camusaprès sa participation aux Assises de la remigration. Il y en aurait bien un troisième, mais il est plus effrayant qu'eux : la soumission – l'acceptation de la conquête par les conquis, du remplacement par les remplacés, de la colonisation par les colonisés ; la conversion, qui sait ? Faute de consentement au statut de dhimmi, la guerre est inévitable. » Nul hasard évidemment si, au détour de cette rhétorique violente écrite avant qu'on n'apprenne sa sortie, l'on tombe sur le scénario du nouveau roman de Houellebecq, précisément titré Soumission (Flammarion). « La remigration, poursuit Camus, est une façon de traiter le mal, une solution [il souligne le mot], c'est même la seule qui ait été proposée jusqu'à présent. »

    « Une opération chirurgicale », insiste-t-il à destination des âmes sensibles que « la perspective de certains traitements [pourrait] inquiéter ». Dans son discours de novembre 2014 aux Assises de la Remigration, il jouait avec cette perspective violente, la souhaitant en la sous-entendant, par l'évocation de « tout un arsenal qu'il n'est pas facile, qu'il n'est peut-être pas opportun, et qu'en tout cas, il n'est pas urgent de détailler à présent – j'en laisse le soin à mes amis identitaires, qui ont la tête plus pratique que la mienne et qui sont si précis sur les voies et les moyens qu'on se dispute de toute part, à ce que je vois, leurs compétences ».

    Il suffit de se reporter aux « vingt-six mesures pour une politique de remigration » proposées par le Bloc identitaire pour comprendre de quoi parle Camus. La première est l' « abrogation du droit du sol », la dernière la « création d'un grand ministère de l'identité et de l'enracinement ». Interdisant notamment la visibilité, et donc la présence, du culte musulman, toutes ces mesures tendent à imposer « le retour dans leurs pays d'origine d'une majorité des immigrés extra-européens présents sur notre territoire ». Cette France prétendument éternelle qu'il s'agirait de rétablir est simplement l'antithèse de la République telle que la proclame encore notre Constitution, démocratique et sociale, ne faisant pas de distinction selon l'origine, l'apparence ou la religion, respectant toutes les croyances, revendiquant l'universalité des droits humains.

    Ainsi devenu l'intellectuel de référence de la nouvelle idéologie raciste, dans ses variantes militantes et médiatiques, l'identitaire Camus ne peut que se prendre au sérieux. En 2013, avant de participer début 2014 à la manifestation « Jour de colère » sous cette bannière, il avait lui-même lancé une pétition pour dire « non au changement de peuple et de civilisation »« Il faut entrer en résistance, concluait-elle. Il faut se rendre assez forts pour changer les lois, dénoncer les traités, soustraire officiellement la France à des conventions qui la livrent pieds et poings liés, de même que tous les pays d'Europe, à la substitution démographique et au changement de civilisation. Révision du droit d'asile, fermeture des frontières, défense du territoire, retour à une conception de la France et de l'Europe comme des puissances et non plus comme un droit de l'homme. » 

    Menée contre les droits de l'homme, cette résistance est évidemment la négation de la Résistance et de la France Libre – lesquelles accueillirent nombre de combattants étrangers et coloniaux qu'aujourd'hui, Camus et Zemmour expulseraient tout comme leurs descendants. « Le pitre ne rit pas », disait David Rousset à propos de cette basse littérature, propagandiste ou administrative, qui a accompagné l'accoutumance européenne à l'antisémitisme sous le nazisme. Cette indifférence, cette inconscience. Et c'est ainsi qu'en France, de nos jours, sans qu'on s'en inquiète, l'histrion raciste Renaud Camus peut, sans rire, détourner le Chant des partisans en Chant des remplacés, pour mieux revendiquer « le droit du sang » (c'est à écouter ici, chanté par l'auteur).

    Officiellement, du moins par la voix de sa présidente, le Front national n'épouse pas la prétendue « théorie du grand remplacement », jugée par Marine Le Pen quelque peu « complotiste ». Mais, dans sa diversité, l'extrême droite, élus, cadres et militants du Front national compris (voir par exemple cette vidéo du député FN Gilbert Collard), s'en régale tandis que l'électorat de droite extrémisé ou déboussolé n'y est pas insensible. Faisant passer le racisme sur le terrain religieux et culturel, détournant la laïcité libérale en laïcisme sectaire, facilitant la promotion d'un imaginaire identitaire contre l'espérance égalitaire, c'est une formidable arme d'hégémonie idéologique.


    Le message du suicide de Dominique Venner

    De fait, Camus hier, Zemmour aujourd'hui, Houellebecq demain ne sont aucunement des marginaux. Brouillant la frontière entre droite et gauche, les soutiens – intellectuels, médiatiques, politiques – qu'ils ont reçus ou qu'ils reçoivent donnent crédit à l'idéologie raciste qu'ils propagent : on conviendra qu'elle est sans doute discutable, mais on proclamera d'abord qu'elle est acceptable et tolérable, sinon respectable. En témoigne par exemple, une paisible conversation organisée en 2011 par Alain Finkielkraut, sur les ondes de France Culture, entre Renaud Camus et Manuel Valls. Il faut attendre la toute fin de l'émission pour que le futur – et actuel – premier ministre s'émeuve un peu des conséquences du « grand remplacement », au terme de trois quarts d'heure d'échanges courtois durant lesquels le philosophe animateur ne cache pas sa communauté de pensée avec l'écrivain (c'est à écouter sous l'onglet Prolonger). 

    Alain Finkielkraut n'est pas inquiet car « le fascisme est mort en 1945 », définitivement mort. C'est ce qu'il écrit dans Causeur, à propos du livre d'Éric Zemmour dont il regrette « les errements sur Vichy » mais juge « pertinent » le constat d'une France qui « se quitte », sous l'effet notamment « de l'immigration de peuplement ». Pour reprendre Camus, pas de deuxième carrière d'Hitler et, donc, nous pouvons désormais librement revenir à nos obsessions identitaires sans mémoire des crimes auxquels elles ont conduit dans le passé.

    Mais les héritiers intellectuels des « droites révolutionnaires » qui ont accompagné cette modernité terrible que fut la révolution conservatrice fasciste et nazie n'ont pas besoin de cet alibi. Car ils savent bien, eux, que c'est la même histoire qui se remet en marche, celle à laquelle ils sont restés fidèles et dont ils ont préservé les idéaux, cette vision du monde qui dresse le peuple et le sang contre l'individu et l'humanité, qui brandit l'identité contre l'égalité (voir le récent livre de Johann Chapoutot, chroniqué sur Mediapart : La carte mentale du nazisme).

    En 2013, un événement en a apporté le témoignage. Le 22 mai de cette année là, devant l'autel de Notre-Dame de Paris, se suicidait avec une arme à feu Dominique Venner, figure de cette Nouvelle Droite, issue de l'extrême droite à la fois la plus radicale et la plus intellectuelle des années 1960, qui opta ensuite pour une stratégie gramscienne de conquête progressive d'une hégémonie culturelle et idéologique. Or, dans une posture esthétique de « samouraï de l'Occident », l'athée Dominique Venner entendait par son sacrifice lancer un appel à la mobilisation contre… le « grand remplacement ».

    C'est ce qu'il écrit la veille de sa mort dans un billet où, tout en les soutenant, il interpelle les participants à la prochaine « Manif pour tous », prévue le 26 mai 2013, contre la loi Taubira : « Le "grand remplacement" de population de la France et de l'Europe, dénoncé par l'écrivain Renaud Camus, est un péril autrement catastrophique pour l'avenir ». Dans sa dernière lettre, Dominique Venner dit se « sacrifier pour rompre la léthargie qui nous accable » « Je m'insurge contre le crime visant au remplacement de nos populations », conclut-il. Savourant cet hommage, Renaud Camus lui retournera le compliment dans un discours prononcé le 31 mai 2013 sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris : « Cette mort de Dominique Venner, nous lui devons d'en faire un point de non-retour. » 

    Au même moment, dans une salle parisienne, se tenait l'hommage des siens à Dominique Venner, celui de cette extrême droite à la fois intellectuelle et radicale dont les références sont explicitement celles de la révolution conservatrice allemande, à la fois païennes et européennes, identitaires et élitaires. Une vidéo en témoigne qui mérite d'être vue jusqu'au bout (sous l'onglet Prolonger), pauses chantées comprises : Les LansquenetsLa Petite pisteJ'avais un camarade, les trois chants retenus sont tous des versions françaises de chansons prisées par la Wehrmacht. Entre un Espagnol phalangiste et un Italien rouge-brun, on y entend dans la bouche des orateurs au moins deux références au « grand remplacement » de Camus.

    A la tribune, l'hommage sans doute le plus fidèle, car le plus en communion de pensée avec Venner, est celui d'Alain de Benoist, principal théoricien de cette nouvelle droite révolutionnaire, habitée par la hantise du métissage et la phobie du multiculturalisme, déterminée à remplacer l'éthique en politique par une esthétique de l'élite. Lequel Alain de Benoist sort de plus en plus fréquemment de son apparente tour d'ivoire intellectuelle pour commenter cette victoire de la stratégie gramscienne d'hégémonie idéologique dont il fut le premier promoteur à droite.

    En 2010, il se contentait de saluer « l'anticonformiste Zemmour ». Fin 2014, il le crédite de ne pas parler « au nom de la droite mais du peuple ». Mieux encore, interrogé sur la « remigration », cette expulsion qu'appelle le « grand remplacement », et sur le refus de Marine Le Pen d'employer ce mot, il confie « n'en penser rien, car j'attends qu'on m'explique en quoi cela pourrait consister ».

    Habile et politique, sa réponse discute la faisabilité, pas l'éventualité : « J'ai lu avec attention toutes les mesures proposées par les tenants de la "remigration". Ce sont des mesures qui, si elles étaient appliquées, auraient certainement pour effet de diminuer les flux migratoires, de couper certaines pompes aspirantes, de décourager d'éventuels candidats à l'immigration. Ce qui est déjà beaucoup. Je n'en ai pas vu une seule, en revanche, qui soit de nature à faire repartir vers un improbable "chez eux" – avec, on le suppose, leurs parents "de souche" – des millions de Français d'origine étrangère installés ici depuis parfois des générations et qui n'ont nullement l'intention d'en bouger. Cela dit, tout le monde n'est pas forcé d'être exigeant sur le sens des mots. Et il n'est pas interdit non plus de rêver… »

    Contre le « tout est possible » totalitaire

    Le rêve qu'évoque Alain de Benoist est évidemment le cauchemar de tous ceux qui restent attachés aux plus élémentaires valeurs démocratiques. Mais son propos éclaire la sombre dynamique dont il s'accommode volontiers : peu importe le sens des mots, l'essentiel étant qu'ils rendent possible le rêve – notre cauchemar. Car de quoi parle-t-on ici, très paisiblement, comme s'il s'agissait d'un problème physique de flux et d'échangeur sur une autoroute ? Rien moins que de la possibilité pratique d'une émigration forcée de Français et de résidents en France parce qu'ils sont « d'origine étrangère » !

    Dans ses écrits sur le totalitarisme, la philosophe Hannah Arendt se référait toujours à cette affirmation de David Rousset dans L'Univers concentrationnaire, paru en 1946 à son retour des camps nazis : « Les hommes normaux ne savent pas que tout est possible ». Le propre des idéologies totalitaires, c'est de rendre possible l'impossible et, donc, l'impensable. D'où le rôle essentiel d'un langage habilement meurtrier, de cette langue de tous les jours qui habitue, accoutume, prépare au pire, met en condition au point de le rendre souhaitable, acceptable, faisable.

    Du témoin Victor Klemperer au philosophe Jean-Pierre Faye, en passant par l'historien Johann Chapoutot déjà cité, une littérature abondante nous avertit de ce piège : l'idéal démocratique, c'est au contraire l'affirmation que tout n'est pas possible, et notamment pas la destruction de l'humanité par l'homme.

    Tout n'est pas possible, et tout n'est donc pas dicible dans l'espace public comme s'il s'agissait d'une opinion en valant une autre – et notamment pas que les Noirs sont inférieurs aux Blancs, que l'Islam est inférieur à la chrétienté, que les musulmans ne sont pas européens, que les Juifs dominent les médias, que l'expulsion des Français d'origine étrangère est une solution, que la stigmatisation d'une religion est légitime, que la discrimination à l'embauche l'est tout autant, tout comme le contrôle au faciès, etc. C'est ce que, pour ma part, je n'ai cessé de rappeler, d'articles en livres, face à cette régression française commencée il y a trente ans. C'est, hélas, ce que politiques, intellectuels et journalistes, ont trop souvent renoncé à défendre, concédant sans cesse du terrain à ce nouveau racisme transgressif, comme en ont encore témoigné les soutiens à Éric Zemmour au nom du libre débat d'opinion (quelques exemples ici, aussi et encore ).

    Il est aisé de faire porter la principale responsabilité à Nicolas Sarkozy dont la présidence a libéré tous les monstres du passé, se plaçant d'emblée sous la terrifiante promesse d'un « ministère de l'identité nationale et de l'immigration » tenu par un transfuge socialiste. De fait, la radicalisation, entre 2007 et 2012, de la droite anciennement gaulliste fut la double mort symbolique de Charles de Gaulle : en ouvrant grand la porte aux nostalgiques du pétainisme et de l'OAS, aux héritiers de la collaboration et de la colonisation, le sarkozysme a tué le gaullisme résistant de 1940 et le gaullisme décolonisateur de 1962. Mais l'évolution ayant rendu possible, et si facile, ce meurtre symbolique s'est jouée en amont, sous la quiétude apparente du chiraquisme, dans un paysage politique dont le premier acteur à gauche était l'actuel président de la République, alors premier secrétaire d'un PS défait à la présidentielle de 2002.

    Dans un grand écart entre le monde et la France, entre la position défendue à l'ONU contre la guerre des civilisations étatsunienne et les accommodements politiciens avec l'islamophobie française, la seconde présidence Chirac fut l'occasion manquée, avec la complicité de la gauche socialiste. Au lieu de cet imaginaire alternatif qu'appelaient les désordres du monde, cette tentation de la guerre sans fin des identités, le Parlement français, droite et gauche unanimes, vota, en 2004, une loi discriminatoire contre une religion, l'islam, au prétexte de défendre une laïcité entendue, à tort, comme l'interdiction d'afficher publiquement sa croyance. Dans la foulée, la majorité de droite vota, en 2005, une loi proclamant le rôle positif de la colonisation. Si la seconde a été depuis heureusement corrigée, la première fut prolongée sous la droite en 2012 par une circulaire, que la gauche n'a pas abrogée, étendant la discrimination contre l'islam aux mères d'enfants scolarisés à l'école publique.

    Les mots de Zemmour, Camus, Houellebecq ne sont pas hors sol. Ils accompagnent des politiques étatiques et des vulgates médiatiques qui, depuis dix ans, légitiment une désignation négative de nos compatriotes musulmans, de leur croyance, de leur culture et de leur histoire. C'est ainsi que commence l'apprentissage des ségrégations, et cette propédeutique infernale de l'inégalité est sans fin, n'épargnant dès lors aucune minorité, aucune différence, aucune dissemblance.

    On ne peut l'enrayer qu'avec un imaginaire concurrent, qui mobilise et rassemble, entraîne et élève. Rien ne sert de faire la morale ou la leçon aux idéologies racistes, et c'est bien pourquoi on ne s'abaissera pas à en débattre. Notre choix est de les combattre par la défense de la France telle qu'elle est, telle qu'elle vit, telle qu'elle travaille, multiculturelle, plurielle, diverse, riche du monde qui fit sa richesse.

    Loin d'être une idée abstraite, cette défense appelle des solidarités concrètes. Une politique de l'empathie, un souci des causes communes, un refus des silences complices. Car rien n'est plus désolant, aujourd'hui, que la solitude qui entoure l'humanité, ces hommes, ces femmes, ces enfants que les idéologies racistes ici inventoriées envisagent d'exclure, d'expulser, de déporter. Lors d'une rencontre provoquée par mon livre Pour les musulmans, avec l'association Mamans toutes égales, l'une des intervenantes suggéra que le pire, « ce n'étaient pas les bruits de bottes, mais le silence des pantoufles ». Notre silence, votre silence. Si d'aventure, nous ne réussissons pas collectivement à empêcher la catastrophe qu'appellent de leurs vœux Camus, Zemmour et Houellebecq, nous nous souviendrons avec honte de cette alarme.