Propos recueillis par Jean-Baptiste de Montvalon,
le 28 janvier 2015 à 19h05
Le patron de l'institut Ipsos, Brice Teinturier, explique pourquoi les attaques n'ont pas accru la défiance envers l'islam, qui a au contraire diminué en un an.
Lors de la "marche républicaine" du 11 janvier, à Paris. | MARTIN BUREAU / AFPLe directeur général délégué d'Ipsos, Brice Teinturier, commente les résultats du sondage Ipsos/Sopra-Steria réalisé pour Le Monde et Europe 1, auprès de 1 003 personnes interrogées les 21 et 22 janvier par Internet, portant notamment sur la perception des attentats et de la mobilisation du 11 janvier, ainsi que sur la place de l'islam.
Quelle est la part des attentats dans le besoin de sécurité exprimé par les Français ?
Le besoin de sécurité et la valorisation des institutions qui incarnent l'ordre et l'autorité sont bien antérieurs à la séquence des attentats. Dans les enquêtes que nous réalisons régulièrement sur les fractures françaises, l'armée et la police obtenaient déjà 79 % et 73 % de confiance, loin devant la justice (46 %), les syndicats (31 %), les médias (23 %) ou les partis politiques (8 %). De même, cela fait longtemps que l'opinion publique souhaite une sévérité accrue de la part des tribunaux. Mais bien évidemment, ces attentats ont transformé ce qui était une menace virtuelle et lointaine en un cauchemar concret et localement présent, dont chacun se dit qu'il peut recommencer demain.
Les Français souhaitent donc qu'il y ait unité de vue entre la majorité et l'opposition pour renforcer la sécurité et la lutte contre le terrorisme djihadiste. Ils veulent un durcissement des conditions de détention des détenus qui contribuent à propager des idées extrémistes et accepteraient aussi qu'on s'affranchisse de certaines règles de droit, comme l'accord préalable d'un magistrat pour des perquisitions ou des écoutes téléphoniques. Il n'y a donc pas un basculement au sens propre de l'opinion publique sur ces questions de sécurité mais un renforcement de ce qu'ils souhaitaient déjà très largement.
Comment analysez-vous les résultats du sondage sur la perception de l'islam ?
Le regard porté sur l'islam dans la foulée de ces attentats est un point clé sur lequel l'enquête apporte des réponses claires. Contrairement à certaines hypothèses ou affirmations péremptoires, la séquence des attentats n'a pas induit une défiance accrue à l'égard des musulmans et de l'islam. Elle semble au contraire avoir généré des clarifications qui ont fait baisser les tensions.
Il faut ici bien distinguer les niveaux et les évolutions. En termes de niveau, il y a toujours 47 % de Français qui estiment, en pensant à la façon dont la religion musulmane est pratiquée en France, que « cette religion n'est pas compatible avec les valeurs de la société française ». C'est donc un niveau élevé. Mais en termes d'évolution, il est de dix points inférieur et non pas supérieur à ce que l'on mesurait il y a un an. C'est là où l'on voit bien qu'il n'y a pas eu accroissement de la défiance.
Au fond, les Français nous disent trois choses qui expliquent un tel résultat : d'abord, que si nous sommes en guerre – ce que la moitié de la population trouve exagéré de dire –, c'est contre le terrorisme djihadiste uniquement et non l'islam en général. Et même, pour 66 %, que « l'islam est une religion aussi pacifiste que les autres et le djihadisme une perversion de cette religion ». Seuls 33 % jugent que « même s'il ne s'agit pas de son message principal, l'islam porte en lui des germes de violence et d'intolérance ». Les Français font donc une distinction nette entre l'islam et ce qu'ils estiment être sa perversion, le terrorisme djihadiste.
Ensuite, ils ont trouvé que les responsables musulmans en France ont eu raison de prendre la parole et de condamner ces attaques et qu'ils ont été globalement convaincants. Ces prises de position ont donc contribué à éviter simplifications abusives et amalgames. Il faut aussi souligner que les responsables politiques de la majorité et de l'opposition se sont efforcés de faire de même et qu'ils ont certainement, eux aussi, contribué à distinguer et clarifier les choses.
Enfin, l'énorme mobilisation des Français leur a renvoyé le miroir non pas d'une France fragmentée, confrontée à des communautés en concurrence ou en lutte, mais d'une France beaucoup plus unie que ce qu'ils pensaient. Même si la réalité est évidement plus complexe que cela, cette mise en scène de nous-mêmes, ce collectif qui soudain se donne à voir comme uni autour de valeurs partagées, a eu un effet rassurant et apaisant.
Le sondage a été réalisé dix jours après la mobilisation du 11 janvier. N'était-on pas encore dans une période propice aux discours plutôt consensuels ? Cette tendance n'est-elle pas vouée à disparaître au fil des semaines ?
C'est naturellement la question qu'il faut se poser, même si justement nous avons voulu faire non pas une étude à chaud et au cœur de l'événement mais une étude approfondie, dix jours après. Mon sentiment est que rien n'est écrit : les tendances lourdes et la défiance peuvent revenir, naturellement, tout comme l'esprit de ce moment historique perdurer pendant plusieurs mois. Cela va dépendre en réalité de l'actualité, de la présence ou pas de nouveaux attentats, du comportement des autorités religieuses et politiques, etc.
La perception de l'islam n'est-elle pas devenue, sous la pression de l'extrême droite, le principal sujet de clivage droite-gauche ?
C'est effectivement un clivage aujourd'hui très important, voire structurant, mais attention, il y a aussi, et notre enquête le montre, de fortes zones de consensus. Cela étant, le clivage gauche-droite perdure avec une défiance à l'égard de l'islam beaucoup plus importante chez les sympathisants UMP que chez les sympathisants de gauche et du PS. Sur certains points, on mesure également une porosité entre les sympathisants UMP et FN. Ce qui est clair, c'est que l'affaiblissement des clivages économiques laisse davantage la place à d'autres clivages et qu'il y a bien une singularité du FN. Les sympathisants de cette formation se caractérisent depuis très longtemps et encore aujourd'hui par un sentiment beaucoup plus marqué de déclin de la société française et par une préoccupation ultra-dominante à l'égard des étrangers en général et de l'islam en particulier.
Le 28 janvier 2015 à 19h05
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