MEDIPAPART, 10 JANVIER 2012 | PAR CARINE FOUTEAU
« Cette politique de fermeture… euh de fermeté », en un lapsus Claude Guéant a résumé sa politique en matière d'immigration.
Ses projets pour l'avenir sont à l'avenant. Toujours plus d'expulsions, poursuite de la réduction des entrées légales via des quotas, davantage de verrous au rapprochement des conjoints de Français, une réforme du système d'asile « engorgé par les demandes infondées » : l'ex-secrétaire général de l'Élysée n'est pas le candidat du Front national, mais cela ne l'empêche pas de raser gratis à quelques semaines de l'élection présidentielle, tout en se défendant de toute « instrumentalisation ».
Lors de la présentation de son bilan sur la politique menée à l'égard des étrangers, mardi 10 janvier place Beauvau à Paris, le ministre de l'intérieur a commencé par s'offusquer que ses pratiques lui soient reprochées. « Certains commentateurs, plus ou moins bienveillants, ne retiennent que les chiffres, ce qui conduit l'opposition à critiquer une 'politique du chiffre' sur laquelle nous serions prétendument focalisés (…). Notre politique ne se réduit pas à des chiffres », a-t-il insisté. « Même s'ils sont très bons ! », a-t-il néanmoins glissé.
Zélé, Claude Guéant, et content de lui. En 2011, selon les statistiques officielles, 32 912 mesures d'éloignement ont été exécutées, soit plus que ce qui lui avait été commandé. « En début d'année, rappelle-t-il, l'objectif fixé aux services était de 28 000 mesures d'éloignement. En juillet dernier, j'avais décidé de relever cet objectif à 30 000 mesures. En 2011, (…) ce résultat est le plus élevé jamais atteint. »
Outre le fait que cette politique a un coût budgétaire élevé, le ministre ne précise pas qu'il doit son « succès » aux Roms et aux Tunisiens. Près d'un tiers des reconduites à la frontière sont en effet constituées de « retours aidés », c'est-à-dire accompagnés d'une somme d'argent et proposés, voire imposés, majoritairement à des ressortissants européens de nationalité roumaine ou bulgare, qui ont le droit de revenir en France quand ils le souhaitent, selon la législation de l'UE. Quant à son soutien aux révolutions arabes, il s'est traduit par l'interpellation, selon ses chiffres, de 8 000 à 9 000 Tunisiens, parmi lesquels 5 000 ont été expulsés dans leur pays d'origine ou en Italie.
Sur sa lancée, Claude Guéant a indiqué avoir fixé l'objectif à 35 000 en 2012. « Au regard de la situation dans leur département, les préfets seront avisés personnellement de la déclinaison départementale de cet objectif d'ici quelques jours », a-t-il déclaré, contredisant son propos introductif sur la politique du chiffre.
« Ceux qui prétendent l'être et qui ne le sont pas »
À la « tolérance zéro sur l'immigration clandestine », s'ajoute l'objectif de poursuivre la baisse des arrivées légales. Selon ses estimations, 182 595 premiers titres de séjour ont été délivrés en 2011, soit un recul de 3,6 % par rapport à 2010, après une hausse continue depuis 2007. Ce qu'il omet de rappeler, c'est que le volume des migrations, à l'échelon international, se réduit en raison de la crise économique et sociale, comme le confirment les rapports annuels de l'OCDE consacrés à cette question. Claude Guéant lui estime que « ce résultat est à relier directement à notre réforme du regroupement familial ». Il entend d'ailleurs poursuivre le mouvement en visant 150 000 entrées annuelles.
Pour ce faire, le ministre a pensé à une « nouvelle méthode », ressortant le projet de quotas d'immigration par « types » (professionnelle, familiale, étudiants, etc.) voulu par le chef de l'État lorsqu'il était ministre de l'intérieur, longtemps débattu mais remisé une fois que Nicolas Sarkozy a été élu. Prudent, Guéant a reconnu qu'il était un peu tard pour lancer une réforme constitutionnelle, reportant cette possibilité au prochain quinquennat.
« C'est la fierté de la France que d'accueillir les personnes opprimées dans le monde », a lancé le ministre à propos du dispositif d'asile, focalisant son attention sur les « demandes infondées », les « abus », les « détournements », les « demandes formulées à des fins d'immigration économique qui s'appuient fréquemment sur des filières organisées » ou encore « ceux qui prétendent l'être et qui ne le sont pas ».
Dans un récent communiqué de presse, adressé indirectement à Marine Le Pen, dans lequel il se propose de « rétablir la vérité sur les chiffres de l'immigration », il souligne que la proportion de demandeurs d'asile ayant obtenu le statut est en baisse, passant de 19 % en 2010 à 18 % en 2011. Et quand, lors de la conférence de presse, il s'engage à réduire les délais d'instruction, sa préoccupation n'est ni d'amoindrir le calvaire des demandeurs d'asile, ni de fluidifier le travail des agents de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), mais de « faciliter le retour des personnes déboutées » car « sinon c'est de plus en plus difficile d'expulser les gens ».
En matière d'intégration, renonçant définitivement à l'idée d'efforts mutuels, il a répété que « c'est aux étrangers de s'adapter à nous et non l'inverse » au motif que « nos concitoyens refusent de se laisser imposer des règles de vie qui ne sont pas les nôtres ». Il a souhaité qu'en cas de non-respect du « contrat de responsabilité parentale », les étrangers se voient refuser le renouvellement de leur titre de séjour.
Concernant la nationalité, il s'est vanté d'une baisse de 30 % des naturalisations en 2011, celles-ci chutant de 94 500 à 66 000 sur un an, à la suite du durcissement des conditions d'octroi et du transfert de compétences aux préfectures. Et cela, alors même que la droite a mis en avant, cet automne, ce processus pour mieux rejeter le droit de vote des étrangers aux élections locales.
Deux ans après le séisme qui a ravagé Haïti, interrogé sur la promesse faite par Éric Besson d'assouplir le regroupement familial à l'égard des ressortissants de ce pays, le ministre a renvoyé vers le ministère, qui a fait savoir que les admissions au séjour avaient augmenté (de 45,6 %), de même que la délivrance de visas de court et de long séjour, en 2010 par rapport à 2009, sans préciser si ces évolutions s'étaient poursuivies. Mais les chiffres de base étaient si faibles que cela n'empêche pas des drames à répétition, selon des associations comme RESF et la Ligue des droits de l'homme, qui continuent de dénoncer le « chemin de croix bureaucratique »imposé par l'ambassade de France « interdisant aux familles de se retrouver » et la reprise des expulsions d'Haïtiens depuis la Guadeloupe, autrement dit à l'abri des regards.
Au total, les seuls à avoir bénéficié d'une mini-clémence de la part de Claude Guéant sont les étudiants étrangers, qui, à l'issue de plusieurs mois de contestation relayée par des universitaires, des scientifiques et des patrons, ont obtenu de n'être pas reconduits à la frontière... le temps que leur dossier soit réexaminé.
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