Le quartier du Clos-Saint-Lazare, à Stains (Seine-Saint-Denis).
CYRUS CORNUT/DOLCE VITA/PICTURETANK
C'est son deuxième jour d'exclusion et Alice - son prénom a été changé - , 15 ans, a déjà réfléchi au sens de la sanction. " Je me suis accrochée avec une de mes profs, les mots sont sortis tout seuls ; je regrette... " Les parents de l'adolescente, en 3e au collège Travail-Langevin de Bagnolet (Seine-Saint-Denis), ont accepté la proposition que leur a faite l'établissement : une prise en charge de leur enfant durant toute la durée de l'exclusion - une semaine - par une association, l'APCIS (Accueils, préventions, cultures : intercommunautaire et solidaire), pionnière dans l'accueil des élèves exclus. " Sans regrets, reconnaît Alice. A la maison, j'aurais traîné devant la télé, alors qu'ici je révise le matin, on parle l'après-midi... Comme ça, je ne perds pas le fil. " Ne pas perdre le fil, c'est l'objectif de cette prise en charge. L'APCIS est l'une des associations à donner vie, sur le terrain, au dispositif ACTE, " Accompagnement des collégiens temporairement exclus ", lancé en 2008 par le conseil général et l'inspection académique de Seine-Saint-Denis. " ACTE, c'est une vraie coproduction ", affirme Claude Bartolone, le président (PS) du conseil général. Celui-ci a proposé, dans le cadre d'un appel à projets, aux collèges, aux villes et aux associations de s'unir pour déployer des " dispositifs locaux " d'accueil des collégiens provisoirement exclus - moins d'une semaine. Entre 3 000 et 29 000 euros sont alloués par dispositif, suivant le nombre d'élèves encadrés. Au total 400 000 euros sont engagés cette année. " Cette prise en charge proposée aux familles dès le premier dérapage vise à enrayer la spirale de l'exclusion qui peut, de sanction en sanction, conduire certains jeunes à s'éloigner de l'école, explique Claude Bartolone. A décrocher en somme. " Le président du conseil général n'est pas peu fier de son bilan : dans le département le plus jeune de France hexagonale, l'un des plus pauvres aussi, 22 villes et 63 collèges ont adopté le slogan : " Zéro collégien exclu dans la rue ". Sur les 680 jeunes pris en charge en 2010, 77 % n'ont pas connu de nouvelle sanction dans l'année. Or, en Seine-Saint-Denis, l'exclusion est d'ampleur, avec 800 conseils de discipline par an menant à des évictions définitives, pour 120 collèges, " et ce malgré tout le travail des chefs d'établissement en amont ", explique Daniel Auverlot, inspecteur d'académie, estimant qu'" il y a au moins deux fois plus d'exclusions provisoires ". " Quand un élève est exclu quelques jours, ACTE propose un accueil immédiat. Si c'est une première exclusion définitive, la réaffectation se veut la plus rapide possible. Mais pour des adolescents "polyexclus", c'est plus complexe... ", reconnaît-il. Alice, elle, a été prise en charge immédiatement. Ce matin à Bagnolet, dans l'ancienne loge de gardiens réaménagée en local associatif, elle a travaillé trois heures sur des exercices que le " référent " dans son collège, un enseignant, lui a transmis. Cet après-midi, c'est " conversation libre " avec trois membres de l'APCIS. Amitiés, flirts, contraception, grossesse accidentelle... " Tu vois, Alice, on ne contrôle pas tout, en amour comme au collège ; il y a toutes sortes d'imprévus ", explique Fatima Moumou, médiatrice sociale, recentrant le débat sur l'école. Parmi les jeunes accueillis, " pas de profil type ", soutient Zorica Kovacevic, la présidente de l'APCIS : " Des ados immatures qui se laissent aller, pensent se faire respecter en jouant des coudes ; des jeunes filles taxées d'absentéisme, mais qui doivent s'occuper de leur fratrie, des bons élèves qui dérapent une fois... " L'APCIS a ouvert son antenne à Bagnolet en novembre, et a déjà accueilli 27 collégiens. Presque autant qu'au Clos-Saint-Lazare, quartier difficile de Stains, et berceau de l'association. Au rez-de-chaussée d'un bâtiment de briques, dans un local mal chauffé mais plein de rires, les Stannois poussent la porte quand ils le veulent. " En 2003, la principale du collège Maurice-Thorez m'a contactée, car elle avait un ado à exclure qu'elle savait en danger dehors. On l'a pris avec nous, et, très vite, on a eu à gérer une salle de permanence externalisée ", raconte Zorica Kovacevic. L'accueil se rode progressivement. " On tâtonnait, poursuit-elle. Si on était trop répressif, les gamins ne revenaient pas, et on les retrouvait à dealer ; si on lâchait trop la bride, c'était le bazar... " Arrivé au conseil général en 2008, Claude Bartolone enfourche le cheval de bataille de l'éducation et décide de soutenir l'APCIS. En 2009, Martin Hirsch suit, avec son Fonds d'expérimentation pour la jeunesse. Les initiatives locales gagnent en visibilité. A Pierrefitte, l'Association pour la formation, la prévention et l'accès au droit (Afpad) entend elle aussi prévenir le décrochage. Il y a quatre ans, Hibat Tabib, son directeur, a lancé le projet " Fil continu ", un accueil d'élèves exclus " en inclusion ". " Nous les recevons dans un espace dédié au sein même du collège Gustave-Courbet, explique Hibat Tabib, mais nous travaillons en horaires décalés. " Cet après-midi, deux adultes encadrent deux élèves de 15 et 16 ans, occupés à commenter des caricatures, sorte de devinettes d'Epinal. " Dans une seule image, on peut voir deux choses en même temps ", relève le plus jeune. " Peut-être que c'est un peu comme dans la vie, non ? l'interroge Laurent Rorpach, médiateur. Peut-être que deux personnes peuvent vivre une même situation différemment, sans entrer en conflit pour autant... " Comment perçoit-on ces dispositifs dans les collèges ? " L'école ne peut pas tout, des regards et des actions croisés ont forcément du sens ", relève Christian Chevalier, secrétaire général du syndicat SE-UNSA. Constat peu différent de la part de Stéphane Larrieu, secrétaire départemental du SNPDEN, premier syndicat des chefs d'établissement. " Le bénéfice repose sur le lien avec l'établissement, et la limite, reconnaît-il, c'est qu'on ne trouve pas toujours, dans les collèges, un "référent" disponible, faute de temps, de moyens... D'autant que les collègues sont déjà impliqués dans leurs propres projets ! " ACTE n'est pas une potion magique. Quand les élèves reprennent les cours, beaucoup se tiennent à carreau... quelque temps seulement. Mais beaucoup, aussi, reviennent d'eux-mêmes vers les associations. Mattea Battaglia |
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