Vue prise le 13 novembre 2010 dans le quartier de la Villeneuve à Grenoble. AFP/JEAN-PIERRE CLATOT
Deux jeunes sont morts après avoir été attaqués vendredi 28 septembre au soir par un groupe qui a "fondu" sur eux, leur assénant des coups de couteau et de pioche, à la Villeneuve, un quartier sensible de la banlieue de Grenoble, a annoncé la police samedi.
Les deux victimes, des amis d'enfance, se trouvaient dans un parc de la Villeneuve, à Echirolles, vers 21 heures lorsqu'une quinzaine de personnes, à pied et à scooter, s'en sont pris à eux. Le premier jeune, âgé de 21 ans, est décédé à l'arrivée des secours, après avoir reçu plusieurs coups de couteau dont l'un mortel au thorax. Le second, âgé de 20 ans, dont le pronostic vital était engagé lors de son transfert au centre hospitalier de Grenoble, a rendu l'âme samedi matin.
"On n'est pas du tout dans le contexte qu'on voit parfois de règlement de comptes, de gangs, les deux victimes n'étaient pas connues des services de police", a expliqué le procureur de la République à Grenoble, Jean-Yves Coquillat. "L'un d'entre eux était étudiant en master, sa mère est pédiatre. Nous n'avons pas affaire à des délinquants. On n'est pas du tout dans le cadre de l'appropriation du territoire ou du trafic de stupéfiants", a-t-il insisté, lors d'une conférence de presse samedi.
Il s'agit d'"une bagarre d'une grande banalité qui a tourné de façon tragique, avec ces deux victimes, dans un déchaînement de violences difficilement explicable". Les deux jeunes, a ajouté le procureur, ont voulu protéger leurs jeunes frères qui étaient à l'origine d'une toute première altercation pour "une histoire de regard", survenue plus tôt dans la journée, vendredi, à la sortie d'un lycée d'Echirolles.
DISPOSITIF POLICIER RENFORCÉ
Dans un communiqué, le ministre de l'intérieur Manuel Valls a témoigné de son "intense émotion". Il a demandé au préfet et au directeur départemental de la sécurité publique "de mettre tous les moyens nécessaires à la disposition de l'enquête conduite sous l'autorité du procureur de la République, afin que les auteurs de ces actes barbares soient rapidement arrêtés". Le dispositif policier de présence sur le terrain est également "immédiatement renforcé pour les prochains jours", a annoncé le ministre.
Vers 20 heures, une rixe s'était déjà déroulée à quelques mètres du lieu du drame. Les policiers de la brigade spécialisée n'avaient toutefois constaté aucune victime."On peut penser raisonnablement qu'il y a un lien entre les deux disputes. Le rapport de force lors de cette première rixe était plus équilibré, et puis, sans doute que des personnes ont décidé de revenir en force", a estimé un responsable de la police.
Selon des voisins, les assaillants seraient des jeunes habitant un autre secteur du quartier, situé sur Grenoble et séparé d'Echirolles par un centre commercial. Une personne, considérée comme un témoin privilégié, a été entendue samedi à l'hôtel de police de Grenoble. Aucune autre interpellation n'a eu lieu pour le moment. "Les langues vont se délier. Nous allons entendre des témoins, ce qui devrait nous permettre d'en savoir plus sur ce qui s'est passé", a ajouté un responsable de la police.
Jean-Luc Primon, sociologue à l'université de Nice
Jean-Luc Primon, sociologue à l'université de Nice et chercheur à l'unité de recherches Migrations et société (Urmis), participe à l'enquête TEO, première base de données de l'Institut national des études démographiques (INED) sur les origines.
YJe ne parlerais pas de racisme anti-Blancs. Mais nous avons dans nos réponses une fraction (un peu plus d'un sur dix) de personnes classées dans la population dite majoritaire - qui ne sont ni immigrées, ni issues de l'immigration, ni originaires des DOM-TOM - et qui déclarent avoir vécu une expérience de racisme. Mais on a du mal à cerner le phénomène car notre enquête ne fait pas de distinction, à l'intérieur de cette population majoritaire, qui permette de repérer les minorités racisées, comme les personnes de confession juive ou musulmane, les descendants de troisième génération d'immigrés ou les Tziganes.
De quelle manière se manifeste ce racisme ?
Il s'agit généralement d'expériences limitées, et qui ont lieu souvent dans l'espace public. Ce qu'ils relatent, ce sont souvent une altercation entre automobilistes ou une bousculade dans la rue avec des quolibets ou des injures, des blessures verbales renvoyant ces personnes à leurs origines. Cela se passe rarement à l'école ou sur le lieu de travail.
Qui sont ces " Français blancs " déclarant en être les victimes ?
Quand on regarde les milieux de vie, on voit qu'il y a une fraction qui vit dans les quartiers populaires, dans des conditions socialement défavorisées : on sent qu'il y a des conflits de voisinage, dans des logements où on ne vit pas bien, des relations de quartiers pas simples, dans un contexte de concurrence dans la pauvreté.
On a une autre partie, plus nombreuse, qui vit dans des conditions confortables, loin des banlieues, et qui dit avoir été victime du racisme sans que l'on comprenne la forme que cela prend. Il est possible qu'il y ait une part d'imaginaire. Nous pensons aussi que certains, traités eux-mêmes de racistes, interprètent cette accusation comme une manifestation de racisme. Quand on travaille à un guichet et qu'on fait une remarque à quelqu'un qui s'impatiente, qu'on est alors accusé d'être raciste, on peut le vivre comme une agression raciste.
Qu'est-ce que vous inspire la résurgence de l'expression " racisme anti-Blancs " ?
Ce n'est pas nouveau. Il y a une ethnicisation des rapports sociaux en France. On ne peut pas nier que les relations sociales sont souvent perçues à travers les origines des uns et des autres, et qu'on s'envoie des injures raciales. Parce que le fait raciste en France existe, et qu'on a un vrai problème de discrimination et de ségrégation, qui rejaillit de manière globale sur les rapports sociaux mais aussi sur les relations interpersonnelles. Il faut se préoccuper plus du racisme en France, se donner les moyens d'en mesurer l'ampleur.
Il n'y a pas assez de données pour l'évaluer ?
Nous manquons cruellement de données en dehors des plaintes ou de ce qui remonte des mouvements antiracistes. Mais ce racisme diffus, on a peu de moyens pour le mesurer car il n'y aucune enquête. La seule étude existante est un sondage de la CNCDH- Commission nationale consultative des droits de l'homme - fait auprès des Français, à qui l'on demande s'ils se considèrent ou non comme racistes. Il faut mettre en place un dispositif d'observation plus poussé qui permette de mesurer tous les comportements hostiles, y compris ceux vécus par la population majoritaire.
Mais je tiens à rappeler que ceux qui vivent le racisme de manière récurrente sont d'abord les personnes d'origine étrangère et les minorités racisées. Notre enquête a montré la prégnance de ce phénomène notamment pour les populations venues d'Afrique subsaharienne, d'Asie, d'Afrique du Nord et des DOM-TOM.
Le secrétaire général de l'UMP et candidat à la tête du parti, à Valence pour une réunion publique, mercredi.
BRUNO AMSELLEM/SIGNATURES POUR " LE MONDE "
Dans son livre, le candidat à la présidence de l'UMP dénonce le " racisme anti-Blancs "
Jean-François Copé voulait provoquer le débat. C'est chose faite. Dans son livre,Manifeste pour une droite décomplexée (Fayard, 208 pages, 11,90 euros, parution le 3 octobre), il lance une nouvelle polémique en parlant de " racisme anti-Blancs ", une expression martelée depuis plusieurs années par le Front national. " Un "racisme anti-Blancs" se développe dans les quartiers de nos villes où des individus - dont certains ont la nationalité française - méprisent des Français qualifiés de "gaulois", au prétexte qu'ils n'ont pas la même religion, la même couleur de peau ou les mêmes origines qu'eux ", écrit-il.
Une formulation qui a provoqué un tollé à gauche et la gêne d'une partie des leaders de l'opposition, François Fillon en tête. Interrogé à ce sujet, l'ancien premier ministre, qui a vu la présentation de son programme éclipsée par les propos de son rival pour la présidence de l'UMP, a marqué ses distances. S'il reconnaît à son adversaire le droit de reprendre une expression utilisée par le FN, M. Fillon dit préférer " apporter des réponses " plutôt que de " dénoncer telle ou telle forme de racisme ".
Nathalie Kosciusko-Morizet, porte-parole de Nicolas Sarkozy pendant la campagne présidentielle, " n'aime pas trop ce type de formules " qui " demandent à être explicitées ". L'ancien ministre de l'intérieur et proche de M. Copé, Brice Hortefeux, a estimé que " chacun s'exprime avec ses mots ", même s'il est " d'accord sur le fond ". Le secrétaire général adjoint de l'UMP, Marc-Philippe Daubresse, n'a pas repris non plus l'expression de M. Copé qui, selon lui, décrit une " réalité ". " Il s'exprime avec ses mots (...), moi d'une autre manière ", a déclaré le centriste.
Marine Le Pen, interrogée par Le Monde, a jugé " hallucinante " cette reprise par le maire de Meaux (Seine-et-Marne) d'un thème du FN : " Pendant cinq ans au pouvoir, l'UMP de M. Copé a totalement nié ce racisme, hurlant avec les loups contre le Front national. Le cynisme de cet homme est sans aucune limite et en matière de revirements électoralistes, il a bien appris de Nicolas Sarkozy. "
Le député de Seine-et-Marne savait ce qu'il faisait en utilisant une formule chère au FN." Je brise un tabou en employant le terme de "racisme anti-Blancs", précise-t-il dans son livre, mais je le fais à dessein, parce que c'est la vérité que vivent certains de nos concitoyens et que le silence ne fait qu'aggraver les traumatismes. "
Nettement distancé par son adversaire dans les sondages, M. Copé mise sciemment sur un positionnement droitier pour plaire aux militants UMP, jugés plus sensibles aux thématiques régaliennes et d'immigration que les simples sympathisants. Depuis plusieurs jours, son entourage prévenait que le secrétaire général du parti allait frapper un grand coup en faisant des " propositions fortes " pour obliger M. Fillon à se positionner.
M. Copé a assumé ses propos lors du point de presse de l'UMP, mercredi 26 septembre." Personne n'est propriétaire ni des mots ni des idées. Ou alors, ce serait le monde à l'envers ", a-t-il expliqué. " Je ne vais pas m'excuser de dire une réalité ", a-t-il poursuivi, en soulignant que son expérience de maire de Meaux, sur laquelle il revient sans cesse dans son ouvrage, le rend légitime à " traiter les sujets qui indignent, qui exaspèrent, qui inquiètent les Françaises et les Français ". " Le maire de Meaux que je suis n'a de leçon à recevoir de personne par rapport à ce qu'il voit, ce qu'il entend ou a à gérer sur le terrain. " Une manière de signifier que M. Fillon, élu de la Sarthe puis de Paris, connaît moins bien que lui les quartiers difficiles.
Dans son Manifeste, le candidat à la présidence de l'UMP, qui mêle souvenirs personnels et considérations politiques, se distingue de son concurrent sur la position à adopter face au Front national. Si tous deux refusent les alliances avec le parti d'extrême droite, M. Copé reproche à M. Fillon son manque de " clarté " sur le " ni FN ni gauche " quand la droite est absente du second tour. " C'est une différence entre François Fillon et moi, je n'appellerai jamais à voter pour le PS, qui est allié avec l'extrême gauche de Mélenchon ", assure ainsi le secrétaire général de l'UMP dans un entretien au Point du 27 septembre.
Une divergence que M. Fillon revendique : " Je n'aime pas le ni-ni parce que c'est une absence de position ", a-t-il répondu lors de la présentation de son projet, mercredi. " Je condamne tout accord avec l'extrême droite " et " je n'ai jamais voté socialiste ", a fait valoir l'ex-premier ministre : " Je suis contre le FN, je vote contre le FN, point. "
Dans son livre, M. Copé prétend s'adresser " à tous ceux qui se sentent ignorés et méprisés " par les " bobos " de Saint-Germain-des-Prés et du " petit monde parisien " qui ne comprendraient pas leurs interrogations.
" Comme des millions de Français, j'ai été choqué par les images de la place de la Bastille le soir de l'élection de François Hollande, écrit-il encore. Pourquoi fêter l'élection du président de la République française avec un drapeau algérien ou palestinien ? " S'adressant aux " jeunes concernés par ces troubles identitaires ", il leur enjoint de " cesser d'exhiber des drapeaux " d'autres pays.
Autre cible de M. Copé, l'aide médicale d'Etat (AME), qui permet aux étrangers sans papiers et sans ressources d'être soignés. Il propose que cette prestation soit réservée uniquement aux enfants, aux femmes enceintes et aux situations sanitaires d'urgence, alors que Nicolas Sarkozy n'avait pas voulu " remettre en cause cette générosité française " lors de la campagne présidentielle. Autant de thématiques qu'il entend marteler jusqu'au 18 novembre.
Il faut "éviter toute implication religieuse ou communautariste dans les projets financés par le Qatar comme par tout autre pays", rappelle Ville & Banlieue de France, jeudi 27 septembre. Comme les prouvent les "réserves fortes" mises en avant par l'association d'élus de banlieue, le projet de fonds qatari d'aide aux territoires déshérités en France a beau avoir été modifié par le gouvernement, il suscite encore de fortes critiques dans la classe politique.
Sous la houlette du ministre Arnaud Montebourg, ce fonds, qui avait déjà suscité une polémique en novembre 2011 avant d'être suspendu, a vu son objet élargi et n'est plus destiné uniquement aux banlieues. Doté de 100 millions d'euros, il devrait soutenir des projets d'entrepreneurs également en zone rurale, et surtout être cofinancé à parité par l'Etat français et le privé.
Plutôt que de faire appel au riche émirat pétrolier du Qatar, il faut que "l'Etat français soit en première ligne pour réduire les inégalités devenues insupportables entre les territoires", demande Ville & Banlieue, qui rappelle sont attachement à la "République laïque".L'association souhaite également que le maire "soit partie prenante aux côtés de la région et de l'Etat dans le choix des dossiers retenus".
Une commission d'attribution doit être mise en place pour juger de la pertinence des dossiers. Le ministère du redressement productif y associera l'Association nationale des élus locaux pour la diversité (Aneld) mais aussi l'Association des maires de France (AMF) et l'Association des régions de France (ARF).
LE PEN À L'ATTAQUE, L'UMP "VIGILANTE"
Défendu par la majorité, le projet du Qatar a fait l'objet d'attaques à droite : le député UMP Lionnel Luca, de la Droite populaire, a demandé mardi la constitution d'une commission d'enquête sur l'action de l'émirat en France. Dans une lettre au président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, le membre du collectif situé à l'aile droite du parti d'opposition estime que la création d'un fonds cofinancé par Doha "n'aurait rien de préoccupant si le Qatar était un Etat démocratique laïque, ou même un Etat religieux non prosélyte". Mais, selon le député UMP, "il s'avère que cet Etat pratique un islam intégriste, qu'il encourage également partout dans le monde, ce qui n'est pas sans poser une certaine inquiétude sur la nature réelle de ses investissements dans notre pays".
Le secrétaire général de l'UMP, Jean-François Copé, s'est dit lui, "pas opposé" à la création de ce fonds, mercredi, lors de son point de presse hebdomadaire, estimant tout de même qu'"il faut être vigilant", en exerçant "un contrôle sur l'origine des fonds et en veillant à ce qu'il n' y ait pas de dérive communautaire".
Fin 2011, sous la président de Nicolas Sarkozy, l'ancien projet avait été reporté, afin d'éviter son instrumentalisation politique pendant l'élection présidentielle. La présidente du FN, Marine Le Pen,avait accusé le Qatar "d'investir massivement" sur une base communautaire dans les banlieues, où vivent de nombreux musulmans. Elle a de nouveau qualifié lundi de "faute politique majeure" et "de cheval de Troie de l'islamisme" le fonds qatari, y voyant aussi une remise en cause de l'"indépendance" nationale.
"PARTENARIAT MIEUX CONTRÔLABLE"
M. Bartolone a défendu, jeudi, sur France Inter, le nouveau projet du ministère du redressement productif. "Compte tenu de la proposition nouvelle qui est faite par le gouvernement un fonds 50 % français et 50 % qatari avec une orientation qui n'est plus du tout le ciblage particulier sur les quartiers populaires, (...) il peut y avoir un partenariat mieux compris, mieux ciblé et mieux contrôlable", a-t-il estimé, interrogé sur le sujet par un auditeur.
"Que l'extrême droite soit dans son délire du complot, c'est son fonds de commerce et cela a peu d'importance car la réalité est bien différente", a rétorqué lundi sur RTL le député centriste UDI de Seine-Saint-Denis, Jean-Christophe Lagarde, appelant la France à arrêter "de se faire peur". "Il ne s'agit pas de passer de l'argent pour contrôler quoi que ce soit. Mais d'investir dans de jeunes créateurs d'entreprises ou des entreprises qui ont le besoin de se développer là où le système bancaire français ne le fait pas", a expliqué celui qui est aussi président du groupe d'amitié France-Qatar de l'Assemblée.
"Il n'y aura pas de critères communautaires. L'ambassadeur du Qatar m'a toujours dit, depuis un an et demi : qu'on s'appelle Christian, Mohamed ou Ziad, cela n'a aucune espèce d'importance. Ce sont avant tout des hommes d'affaires qui placent de l'argent et veulent un retour", a-t-il assuré.
"COLONISATION PAR L'ARGENT", DIT MÉLENCHON
De son côté, le leader du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon, s'est aussi insurgé mercredi contre le fonds qatari, décrivant l'émirat comme "une espèce d'avatar d'un système monstrueux" de "colonisation par l'argent". "La présence du Qatar dans les banlieues est l'enfant de la politique pourrie de contractions des dépenses de l'Etat, de refus de services publics et de l'ouverture des marchés financiers", a-t-il dénoncé lors de "Questions d'Info" LCP-France Info-Le Monde-AFP.
Sport, grandes entreprises ou luxe, le royaume qatari a en effet multiplié les investissements en France, ces dernières années.
Au vu de la tonalité des réactions actuelles, on comprend pourquoi Nicolas Sarkozy, qui entretenait des relations étroites avec le gouvernement qatari, n'a pas communiqué sur le sujet avant la présidentielle.
Jusqu'à présent, l'utilisation politique du concept de "racisme anti-blanc" était l'apanage quasi exclusif de l'extrême droite.
Ainsi, le FN en a fait depuis plusieurs années l'un de ses thèmes, sans que cela soit le coeur du réacteur de son programme.
Discréditer les anti-racistes
Marine Le Pen utilise souvent la notion de "racisme antiblanc" pour discréditer la lutte des associations antiracistes, au premier rang desquels SOS Racisme à qui elle reproche de n'avoir jamais intenté d'action sur cette base. Cet été encore, la présidente du FN déclarait à propos de Christiane Taubira et du gouvernement socialiste : "[Mme Taubira] est totalement incapable de lutter contre le racisme anti-blanc. Le PS est incapable de lutter contre le racisme anti-blanc tout simplement parce qu'il le nie. De la même manière je ne crois pas que l'UMP était capable de lutter contre l'explosion du racisme anti-français et du racisme anti-blanc qui fait des ravages dans les banlieues."
Dans son programme présidentiel pour 2012, Marine Le Pen retient le seul "racisme anti-Français", (et non le "racisme anti-blanc"), pour lequel elle souhaite l'établissement d'une "circonstance aggravante" lorsqu'il motive les "crimes ou délits".
En 2003, son père, Jean-Marie Le Pen, avait lui estimé sur RMC qu'il y avait "un racisme important dont on ne parle pas, celui du racisme anti-blanc dont sont victimes les Français de souche".
"Racisme anti-blanc" accolé à "Français de souche" : celui qui est, à l'époque, président du FN en exercice, pioche, à ce moment, dans le vocabulaire d'une famille précise de l'extrême droite, celle du courant identitaire.
L'influence du courant identitaire
Dès 2003, en effet, les Jeunesses identitaires font de la dénonciation du "racisme anti-blanc" l'un de leur tout principaux thèmes. Il s'agit, certes, comme le fait le FN, de démonétiser les associations antiracistes. Mais s'y ajoute une autre dimension moins tactique et plus idéologique. Très influencés par la Nouvelle Droite des années 80 et par les écrits sur une supposée "guerre raciale" d'un Guillaume Faye ou d'un Jean-Yves Le Gallou, les Identitaires estiment que "les Européens blancs" sont menacés par "une immigration invasion" dans un mouvement de substitution des populations sur le Vieux continent. Dans ce contexte, ils deviennent "les nouveaux colonisés", et donc la minorité opprimée à défendre.
"Euphémisation syntaxique"
Le "racisme anti- blanc" permet aux Identitaires de tenir un discours racialiste blanc non explicite et suggéré, non passible de poursuites. "Ils utilisent une stratégie d'euphémisation syntaxique afin de légitimer des conceptions jusque-là considérées comme extrémistes", expliquent Stéphane François et Yannick Cahuzac, respectivement politologue et sociologue spécialisés sur l'extrême droite. "Il s'agit, au nom de la résistance au racisme anti-blanc de mener une lutte pour la défense de l'identité blanche", explique encore Stéphane François. Il s'agit enfin de démontrer que toute société multiculturelle est vouée à l'échec.
Les Identitaires feront d'ailleurs, à plusieurs reprises, des campagnes nationales d'autocollants sur ce thème. Et se féliciteront publiquement de "l'appel contre les ratonnades anti-Blancs" lancé en mars 2005 par des personnalités comme Alain Finkielkraut, Bernard Kouchner ou Jacques Julliard, suite aux violences commises lors de manifestations lycéennes. C'est encore au nom de la dénonciation du racisme anti-blanc que les identitaires mèneront des actions contre le groupe de rap Sniper. L'Agrif, ou Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne, présidée par Bernard Antony s'y associera par un curieux raccourci historique. L'Agrif avait en effet tenté de diffuser la notion, avec moins de succès que le Bloc identitaire.
Une publicité antimusulmans dans le métro de New York, le 24 septembre 2012. REUTERS/BRENDAN MCDERMID
Alors que le monde a les yeux tournés vers New York et l'Assemblée générale des Nations unies, le métro de la ville accueille, depuis le lundi 24 septembre, une campagne publicitaire ainsi libellée : "Dans toute guerre entre le civilisé et le sauvage, soutenez le civilisé. Soutenez Israël, faites échec au djihad." Sa promotrice, Pamela Geller, qui dirige l'Initiative américaine pour la défense de la liberté (AFDI), récuse toute offense raciste. Pour preuve, le "sauvage" n'est pas identifié. Elle-même l'est, cependant. Mme Geller patronne en effet une autre formation à l'intitulé plus explicite : "Halte à l'islamisation de l'Amérique".
L'environnement politique - l'assassinat par des salafistes de l'ambassadeur des Etats-Unis en Libye, les manifestations antiaméricaines dans l'espace musulman contre un film sur Internet dénigrant le prophète Mahomet... - apparaît favorable à sa spécialité : exacerber les passions. Mais sa campagne d'affichage avait été lancée auparavant, sans doute en lien avec l'élection présidentielle.
"DE L'ISLAMORÉALISME"
Elle a déjà été menée, du 13 août au 4 septembre, à San Francisco (où les autorités locales du transport public ont accueilli des contre-publicités "A bas le racisme" placées à côté des affiches controversées). En revanche, la mairie de Washington a "repoussé"leur diffusion devant le risque de trouble à l'ordre public.
A New York, Mme Geller avait récemment fait placarder sur une ligne de chemin de fer des affiches clamant : "Ce n'est pas de l'islamophobie, c'est de l'islamoréalisme. " Mais l'Autorité métropolitaine du transport public, la MTA, avait refusé de diffuser ses publicités en arguant de leur"langage avilissant". Pam Geller a obtenu gain de cause en justice.
Le juge Paul Engelmayer a estimé que son droit devait bénéficier "du plus haut niveau de protection sous le premier amendement" de la Constitution américaine, qui garantit la liberté d'expression. Ce, a admis le juge, bien que l'on puisse "raisonnablement considérer" que les "sauvages"incriminés sont effectivement les musulmans.
M. OBAMA "MÈNE LE DJIHAD"
Précédemment grande admiratrice du criminel serbe Radovan Karadzic - elle a beaucoup dénoncé le "mythe de Srebrenica" -, fondatrice du mouvement SION (Stop Islamization of Nations), Pam Geller est, avec David Horowitz et Robert Spencer, du site Jihad Watch, une des figures de proue aux Etats-Unis de la mouvance anti-musulmans (et/ou anti-arabes, selon les cas), dont la rhétorique, sous la protection du 1er amendement, dépasse dans l'outrance tout ce qui serait considéré comme "raisonnablement" licite en France.
M. Spencer a d'ailleurs été nommé par Anders Behring Breivik, l'auteur du massacre d'Oslo en juillet 2011, comme une de ses sources d'inspiration. Mme Geller, elle, voit en Barack Obama "Hussein, le mahométan". Un homme qui avance masqué "fera tout pour apaiser ses suzerains islamiques"et, a-t-elle expliqué, qui "mène le djihad".
En 2010, elle fut durant quelques mois régulièrement invitée par la première chaîne nationale américaine, Fox News, pour commenter les sujets ayant trait à l'islam, aux musulmans ou au conflit israélo-palestinien.
Une cérémonie d'hommage aux harkis a eu lieu à l'Hôtel des Invalides mardi. AFP/FRED DUFOUR
Comme il s'y était engagé, François Hollande a reconnu mardi 25 septembre la responsabilité et la"faute" de la France dans"l'abandon" des harkis, laissant toutefois sur leur faim les associations qui attendaient du chef de l'Etat l'inscription de cette reconnaissance dans un texte de loi.
"Il y a cinquante ans, la France a abandonné ses propres soldats, ceux qui lui avaient fait confiance, ceux qui s'étaient placés sous sa protection, ceux qui l'avaient choisie et qui l'avaient servie", a déclaré le chef de l'Etat dans un message, à l'occasion de la journée d'hommage national consacrée aux harkis et à leurs descendants depuis 2001.
"Ensuite, les harkis et leur familles ont été accueillis et traités de manière souvent indigne sur le sol français", a-t-il aussi reconnu, estimant que "la France se grandit toujours lorsqu'elle reconnaît ses fautes".
Il a notamment promis de réserver une place plus grande à leur histoire "dans les programmes scolaires, les travaux de recherche", mais aussi "davantage de solidarité" sociale et professionnelle.
Parti à New York pour l'Assemblée générale des Nations unies, M. Hollande avait confié au ministre délégué aux anciens combattants, Kader Arif, le soin de lire un texte lors d'une cérémonie dans la cour d'honneur des Invalides, à Paris.
M. Arif, né de parents restés fidèles à la France au moment de l'indépendance algérienne, a affirmé "la volonté du gouvernement" de franchir "une nouvelle étape dans la reconnaissance" des souffrances de cette communauté qui représente 500 000 personnes en France.
"Il faudra savoir sortir ensemble des exploitations de la douleur pour construire le chemin de la réussite", a-t-il dit, promettant une rédéfinition de la Mission interministérielle aux rapatriés ainsi que des mesures pour faciliter leur insertion et leur accession à des postes de responsabilité. Le ministre veut aussi créer "un site Internet" rassemblant "tous les documents sur l'histoire des harkis".
"QUE DES MOTS CREUX"
Mais ces annonces ont été jugées totalement insuffisantes par le Comité de liaison national des harkis, une des plus grandes organisations représentant plusieurs associations de cette communauté. "On n'a eu que des mots creux qui n'ont aucun sens, c'est une occasion ratée" à l'occasion du cinquantenaire des accords d'Evian, s'est insurgé un de ses représentants, Mohamed Otsmani, délégué des Bouches-du-Rhône.
Il fallait au moins "une loi ou un décret qui reconnaisse la responsabilité de la France dans l'abandon des harkis, comme on l'a fait pour la communauté juive", a-t-il dit.
Au lendemain des accords d'Evian du 18 mars 1962 consacrant le retrait français d'Algérie, 55 000 à 75 000 harkis, supplétifs de l'armée française, ont, selon les historiens, été abandonnés et victimes de sanglantes représailles. Environ 60 000 d'entre eux ont été admis en France, logés dans des camps de fortune dans le Sud du pays.
MALAISE À RIVESALTES AVEC LA PRÉSENCE DE MARINE LE PEN
La présidente du Front national, Marine Le Pen, s'est, pour la première fois, invitée à la cérémonie d'hommage organisée dans le plus important de ces camps, à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales).
Si elle a effectué le déplacement, cinquante ans après les accords d'Evian, c'est parce que Rivesaltes"rappelle la manière dont on les a traités [les harkis], la responsabilité de la classe politique de droite comme de gauche dans la manière dont ils ont été traités comme des animaux alors qu'ils s'étaient battus pour la France, alors qu'ils avaient choisi la France. Ce camp de Rivesaltes est un déshonneur et il est tout à fait normal que nous leur rendions cet hommage sur ce lieu même", a-t-elle dit.
Marine Le Pen s'est rendue à la cérémonie d'hommage aux harkis à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), mardi 25 septembre. AFP/RAYMOND ROIG
Au cours de la cérémonie, Mme Le Pen s'est retrouvée au premier rang avec les élus locaux, à gauche de l'une des grandes personnalités de droite, Jean-Paul Alduy, qui s'enorgueillit d'avoir toujours combattu le Front national.
A droite, on tâchait de minimiser cette présence inédite. M. Alduy faisait observer que, même sans mandat local, une députée européenne comme elle "est partout chez elle" en France. Mais, ajoutait-il, alors que les élus locaux sont là tous les ans, "Mme Le Pen vient faire son marché national, ça ne nous concerne pas".
Elle a présenté son parti comme le seul à avoir toujours défendu les harkis, à la suite de son père qui, a-t-elle rappelé, avait quitté l'Assemblée nationale pour aller combattre en Algérie.
Elle a réclamé la Légion d'honneur pour tous les harkis encore vivants."Cette Légion d'honneur qui est devenue une véritable breloque qui sert à remercier les copains (...), un des gestes pourrait être d'accorder la Légion d'honneur, qui pour le coup ne serait plus une breloque, à ces anciens combattants (...) avant qu'ils soient tous morts."
Après une longue pause estivale, Marine Le Pen fait sa rentrée à l'occasion de l'université d'été du Front national, qui se déroule à La Baule, les 22 et 23 septembre. Dans un entretien exclusif au Monde, la présidente du FN utilise les événements récents dans le monde musulman et les caricatures de Mahomet dans Charlie Hebdo(lire en édition abonnés) pour faire le procès en laxisme des gouvernements qui se sont succédé en France. Elle dresse un bilan sévère des premiers mois de François Hollande.
Que vous inspire l'affaire "Charlie Hebdo" ?
Il y a un bras de fer mené par des groupes politico-religieux fondamentalistes en France. Ces bras de fer ont été perdus, notamment par la droite sarkozyste. Et chaque fois que l'on a négocié, reculé, tortillé, on a préparé le terrain aux événements qui secouent le monde aujourd'hui. Il n'y a pas de négociations possibles.
Soit on dit que la liberté d'expression existe avec les réserves imposées par la loi, soit on remet en place la censure sur Internet, on soumet les journaux à une lecture préalable du gouvernement, on rétablit le délit de blasphème.
Pour le moment, il n'y a pas eu d'incident...
La laïcité est une valeur non négociable, comme la liberté. A chaque fois qu'on l'a laissée s'affaiblir, on a créé le terrain de revendications nouvelles. Hier, c'était les prières de rue, ils ont obtenu qu'on leur accorde des mosquées en contravention avec la loi de 1905 ; puis il y a eu des réclamations dans les écoles, les cantines...
Ce qui se passe est révélateur d'années de laxisme, de mollesse, par rapport aux principes, aux valeurs, par rapport à la protection qu'un Etat doit incarner. Il y a un besoin de clarté, de bon sens. Il y a un besoin d'autorité.
Revendiquer la construction de mosquées, c'est être fondamentaliste ?
Ce n'est pas ce que je dis. Les prières de rue et la revendication par les prières de rue sont le fait de fondamentalistes. L'objectif, c'est d'imposer à la France un certain nombre d'interdits. On est arrivé à l'interdit du blasphème. Je ne suis pas une adepte deCharlie Hebdo. Je suis quelqu'un de respectueux de la foi.
Je ne vois pas l'intérêt d'aller heurter les gens dans ce qu'ils ont de plus intime. Mais cette possibilité de la provocation est un inconvénient de la liberté d'expression qui, par ailleurs, a énormément d'avantages. Et la liberté d'expression, dont dépend la liberté de la presse, ne se négocie pas.
Êtes-vous pour un droit au blasphème ?
Je me félicite que le délit de blasphème n'existe plus. Ce que je trouve étonnant, c'est l'indignation à géométrie variable de la classe politique. Nous sommes dans un pays où 95 % des profanations concernent des lieux de culte ou des tombes catholiques et il n'y a pas une ligne, pas un communiqué d'un ministre. Et dès qu'il y a une profanation d'une mosquée ou d'un carré musulman, immédiatement, il faut faire le communiqué.
Vous dites être pour le droit à la caricature. Vous avez pourtant engagé une procédure contre "Charlie Hebdo" à propos d'un dessin vous concernant...
Oui, tout à fait. La limite de la liberté d'expression est la diffamation et l'injure.
Si vous étiez au pouvoir, que feriez-vous ?
Je mets à la porte tous les intégristes étrangers. Tous ! On les connaît très bien. Il faut une application stricte de la loi de 1905 : plus de financement, direct ou indirect des mosquées. Plus de financement étranger. Sauf cas spécifique de convention de réciprocité. Je veux bien qu'un Etat finance une mosquée dans notre pays s'il n'interdit pas sur son territoire le financement des églises ou de n'importe quel autre culte.
Comment se financeraient les mosquées ?
Avec l'argent des fidèles. Applicable pour toutes les autres religions. La loi ne reconnaît aucun culte. Plus de prières de rue, plus de spécificités alimentaires dans les écoles publiques.
Casher comme halal ?
Pareil. Je ferai inscrire dans la Constitution que "la République ne reconnaît aucune communauté". Ce qui permet de s'opposer à toutes les revendications communautaristes, y compris dans le secteur privé.
Êtes-vous toujours pour l'interdiction du voile dans l'espace public ? Dans la rue ?
Oui, les magasins, les transports, la rue...
C'est une mesure liberticide...
Ca dépend de ce que vous considérez comme la liberté. On vous interdit de vous balader nus dans la rue... C'est liberticide ?
Comment définissez-vous qu'un voile est religieux ou pas ? Cela pose un problème d'application de la loi...
C'est interdit. Le voile est interdit. C'est clair ! On est capable de faire la différence entre un voile religieux et un voile qui ne l'est pas.
Cette interdiction vaudrait pour tous les signes ostentatoires ?
Qu'appelez-vous des signes ostentatoires ?
La kippa par exemple...
Il est évident que si l'on supprime le voile, on supprime la kippa dans l'espace public.
Doit-on mener une action spécifique dans les banlieues ?
Quand vous aurez renvoyé dans leur pays les imams étrangers fondamentalistes – parce que l'immense majorité sont étrangers –, quand vous aurez arrêté de financer à tort et à travers l'islam, et par définition l'islam fondamentaliste, il faudra protéger les populations civiles des quartiers de la pression des fondamentalistes, y compris les populations musulmanes qui en sont victimes. Pour cela, il faut que l'ordre revienne à la loi, que la République reprenne la main sur un certain nombre de quartiers.
Comment la République reprend-elle la main ?
D'abord par l'école, à qui on va rendre son rôle. L'école primaire n'a pas à donner des cours de langue et de culture étrangères. Le rôle de l'école laïque, publique et républicaine, c'est de fabriquer des Français. Pas de renvoyer les enfants à leurs origines. Pour éviter que la religion devienne une identité, une nationalité de substitution, on va rendre un contenu à la nationalité française. C'est la priorité nationale.
Vous êtes français, jaune, vert, orange, marron, noir ; vous êtes agnostique, athée, musulman, juif... parce que vous êtes français, vous avez une priorité d'accès au logement social et à l'emploi. Vous allez savoir pourquoi vous êtes français. Il y a beaucoup de jeunes qui se définissent d'abord par leur origine et pas par leur nationalité. Donc, arrêt de la double nationalité.
Comment jugez-vous les conséquences des révolutions arabes ?
Le "printemps arabe" s'est transformé en hiver islamiste. C'est très inquiétant pour l'Europe, car cela risque d'entraîner une aggravation de l'immigration. Je pense aux intérêts des populations de ces pays dont beaucoup commencent à vivre dans la peur.
La Libye est peut-être la situation la plus dramatique et dans laquelle on a le plus de responsabilité. On a sciemment mis à la tête de l'Etat libyen des fondamentalistes armés par le Qatar. Nous avons été irresponsables en suivant aveuglément les Etats-Unis.
Voilà un pays, les Etats-Unis, qui ne cesse d'expliquer qu'il est en lutte contre le fondamentalisme et qui, à chaque fois qu'il est intervenu quelque part, a livré le pays où il est intervenu aux fondamentalistes islamistes.
Quant à l'affaire du film Innocence of Muslims, elle est éminemment suspecte. Cette espèce de sous-série Z est comme par hasard mise en ligne par une télévision salafiste, et comme par hasard, cela suscite cette attaque à Benghazi, un 11 septembre. Je ne crois pas au hasard en la matière.
Que faut-il faire avec la Syrie ?
Il fallait privilégier la voie diplomatique, ce qui n'a pas été fait. Il fallait se servir des alliés traditionnels – la Russie et la Chine – de Bachar Al-Assad, pour trouver un compromis. Et on a armé les rebelles, transformant une contestation populaire en guerre civile. Les deux camps ont des armes lourdes. Je veux espérer que la voie diplomatique n'est pas fermée. Mais il faut parler aux deux belligérants. Y compris avec Bachar Al-Assad.
Cette contestation populaire est-elle légitime pour vous ?
Oui, comme dans tous les endroits où il n'y a pas de démocratie. Sauf que parfois, elles sont écrasées dans le sang avec la bénédiction de l'Occident, d'autres fois pas.
Bachar Al-Assad doit-il quitter le pouvoir ?
Si sa sortie n'est pas négociée avec son remplacement par quelqu'un issu de la même minorité, sa minorité sera massacrée et les chrétiens seront massacrés.
Vous dites parfois qu'une dictature laïque vaut mieux qu'une dictature religieuse. On ne comprend pas...
Je remarque que dans les pays où il y a eu des dictatures laïques, les populations vivaient incontestablement mieux, avaient plus de libertés individuelles que sous des dictatures non pas religieuses, mais de fondamentalisme islamique.
Que pensez-vous de l'action de François Hollande ?
Il est très difficile de faire les différences avec les grandes orientations de Nicolas Sarkozy, par rapport notamment à l'Europe. François Hollande s'en rend compte. Il lance des débats de diversion – droit de vote des étrangers, mariage homosexuel – pour recréer une opposition factice entre la droite et la gauche. Sur les grandes ruptures qui pouvaient être menées par François Hollande, il n'y a rien.
Accepter le traité européen et donc la tutelle budgétaire, c'est abandonner toute capacité de changer économiquement ou politiquement les choses. Les Français ont conscience des grands choix qui ne sont pas faits.
Jean-François Copé lance une pétition contre le droit de vote des étrangers aux élections locales...
Il a huit mois de retard sur nous. Il a assez peu d'imagination. Il sait que la base de l'UMP est beaucoup plus proche de nous que d'un centre droit comme Fillon. Qu'il gagne ou qu'il perde, il abandonnera cette ligne, car ce n'est pas une ligne de conviction.
Y aura-t-il une différence pour le FN selon le vainqueur du congrès de l'UMP en novembre ?
Non, aucune. Ils sont profondément européistes, pour le sauvetage de l'euro, pervertis par la pensée unique de gauche. Ils se précipitent sur le droit de vote des étrangers pour éviter de parler du traité européen qu'ils voteront avec le PS. Les gens vont voir s'inviter ce traité, pendant des semaines, des mois et des années, dans leur vie quotidienne.
Vous parlez de l'austérité ?
Oui. On est les seuls à avoir critiqué l'euro en toutes circonstances. Il nous reste l'acte pédagogique majeur à faire : que les gens ne croient pas le catastrophisme de la classe politique en cas de retour au franc. Cela fait dix ans que je me bats pour introduire les thèmes économiques et sociaux. Si je n'avais pas fait ce travail, la présidentielle aurait été une catastrophe. Aujourd'hui, le Front national est associé à une politique protectionniste et eurosceptique.
François Hollande le 19 septembre lors d'une cérémonie d'hommage aux victimes du terrorisme, à Paris.AP/FRANCOIS MORI
Plusieurs personnalités qui venaient d'assister au discours de François Hollande pour l'inauguration du mémorial du camp de Drancy (Seine-Saint-Denis), ont réagi vendredi 21 septembre en fin de matinée aux propos de Marine Le Pen demandant, dans Le Monde,l'interdiction de la kippa et du voile dans la rue.
"Tout ce qui déchire, oppose, divise est maladroit. Les seules règles que nous connaissons sont celles de la République et de la laïcité", a déclaré le chef de l'Etat, interrogé par des journalistes à l'issue de son discours, sans vouloir en dire davantage.
"Tous ces amalgames, ces imprécisions, c'est le lit de l'obscurantisme et de la haine, a ajouté, plus disert, Vincent Peillon, le ministre de l'éducation nationale.On voit bien ces forces à l'oeuvre. Marine Le Pen jettera de l'huile sur le feu sur tous les intégrismes. Elle est la première des intégristes."
Plusieurs figures de la communauté juive ont également condamné les propos de la présidente du Front national : "Je déplore l'amalgame entre le port de la kippa dans la rue, que n'ont jamais demandé les juifs, et le port du voile", a déclaré Gilles Bernheim, le Grand Rabbin de France.
"C'est une nouvelle provocation. On ne peut tolérer pareille intolérance de la part de Marine Le Pen au moment même où le président de la République inaugure le mémorial de Drancy", a affirmé de son côté l'historien et avocat Serge Klarsfeld, président de l'Association des fils et filles des déportés juifs de France.
Marine Le Pen, au siège du Front national, à Nanterre, le 19 septembre. PATRICK MESSINA POUR "LE MONDE"
La nouvelle affaire des caricatures du prophète Mahomet est une aubaine pour Marine Le Pen. Elle permet à la présidente du Front national de se parer des habits des défenseurs de la laïcité face à l'Islam. Elle le fait avec d'autant plus de succès que les dessins deCharlie Hebdo ont été jugés par beaucoup inopportuns, ce qui permet à Marine Le Pen de mieux renvoyer ses adversaires à une prétendue mollesse.
La présidente du parti d'extrême droite, qui s'emploie à dénoncer un "printemps arabe" transformé, selon elle, en "hiver islamiste", est aidée par les violences intégristes dans le monde arabo-musulman et les peurs qu'elles véhiculent. Mais c'est bien sûr sur le terrain français qu'elle mène sa croisade.
Ces derniers mois, au nom de la "laïcité", Marine Le Pen a lancé deux débats liés aux pratiques religieuses musulmanes en France : elle a comparé les prières de rue - largement liées à l'absence de lieux de culte appropriés - à l'occupation allemande durant la seconde guerre mondiale et s'est inquiétée de la supposée mainmise de la filière halal dans le commerce de la viande. Ces polémiques furent autant de victoires, comme en témoigne son score de 17,9 % à l'élection présidentielle.
Paradoxalement, l'affaire des caricatures est aussi une aubaine pour ceux qui combattent Marine Le Pen. Dans un entretien accordé au Monde, elle franchit un pas de plus dans son prétendu combat laïque : elle exige désormais l'interdiction du voile religieux dans la rue et ajoute qu'"il est évident que, si l'on supprime le voile, on supprime la kippa dans l'espace public". Ainsi, les musulmans et les juifs sont priés de ne pas afficher leur appartenance religieuse dans la société.
La leader d'extrême droite commet une erreur d'interprétation historique de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat. Elle prétend rendre laïques les individus, en leur interdisant d'exhiber tout signe religieux, alors que la loi de 1905 entendait soustraire au fait religieux l'Etat et ses institutions. Interrogé par l'AFP, l'historien Jean Baubérot note ainsi que, à l'époque, "tous les amendements qui visaient à interdire les "manifestations de la religion" sur la voie publique avaient été massivement rejetés".
Marine Le Pen révèle son penchant totalitaire visant à traquer toute différence, en tout cas dans l'espace public, comme par hasard chez les juifs et les musulmans. La chef frontiste ne fait manifestement pas grand cas des exigences de l'Etat de droit lorsqu'elle assure que, si elle était élue, elle mettrait"à la porte tous les intégristes étrangers. Tous !"
Ces propos mettent à mal la stratégie dite de dédiabolisation de son parti appelée de ses voeux par Marine Le Pen depuis plusieurs années. La radicalité ainsi exprimée est le premier gros accroc visible à l'image policée que Marine Le Pen souhaite donner d'elle-même et de sa formation. Elle interroge sur la prétention du FN à devenir un parti de gouvernement, ou à être considéré comme tel. Marine Le Pen vient de démontrer que le FN a changé de visage mais pas de nature. Il demeure hors du champ républicain.
Manuel Valls aux côtés du rabin Gilles Bernheim, le 23 septembre, à la synagogue de la victoire de Paris.AFP/FRANCOIS GUILLOT
Une véritable ovation. Le discours de Manuel Valls à la grande synagogue de la Victoire, à Paris, dimanche 23 septembre, lors des voeux adressés aux responsables communautaires pour le Nouvel An juif a confirmé, aux yeux de nombre d'entre eux, le "sans-fautes" effectué depuis quatre mois par le ministre de l'intérieur, selon les termes du grand rabbin de Paris, Michel Gugenheim. Après des années de défiance entre la gauche et la communauté juive, la tonalité semble avoir changé. "La confiance débute. Espérons qu'elle soit pérenne", a lancé le grand rabbin de France, Gilles Bernheim.
Pour ce faire, M. Valls n'a omis aucun dossier. En réaction aux propos de Marine Le Pen, qui a suggéré d'interdire le port du voile islamique et de la kippa dans l'espace public, le ministre a tenu à rassurer des fidèles partagés entre incrédulité, inquiétude et mépris pour des propos jugés"antirépublicains". "Chaque religion a ses rites et ses traditions ; la liberté de croyance, c'est la liberté de porter la kippa, de manger casher, de réaliser la circoncision", a assuré le ministre chargé des cultes, sans faire allusion au voile islamique. "Je me méfie de ceux qui, comme Marine Le Pen, se disent avocats de la laïcité et sont en fait des incendiaires du débat public. La laïcité n'est pas faite pour jeter les uns contre les autres. Les juifs de France peuvent porter avec fierté leur kippa, a-t-il insisté.C'est la responsabilité des politiques de ne pas répondre à ces provocations."
M. Bernheim a aussi dénoncé les tentatives du "Front national pour diviser les religions". Elles"pervertissent les idées nobles de laïcité et d'égalité", a-t-il affirmé, regrettant que les attaques de la dirigeante de "ce parti xénophobe"contre "l'islam et le judaïsme"visent à "réduire la laïcité au christianisme". "Des juifs circoncis, mangeant casher et portant kippa ont contribué à la modernité de ce pays, a martelé le président du Consistoire, Joël Mergui. Tout ceci est compatible avec la citoyenneté et la République." Dans l'assistance, beaucoup se sont aussi inquiétés d'être "une nouvelle fois les victimes collatérales" de questions liées à l'islam.
"Forces obscures"
En présence du rabbin Samuel Sandler, père et grand-père des victimes toulousaines de Mohamed Merah, M. Valls a aussi évoqué une année "marquée du sceau de l'horreur pour les juifs et la France". Il a rappelé la réunion prochaine d'un comité interministériel consacré au racisme et à l'antisémitisme. "Un nouvel antisémitisme qui se cache derrière un antisionisme de façade a pris racine dans notre pays, aussi bien à l'extrême gauche qu'à l'extrême droite. Il ne faut pas nier ce problème", a ajouté M. Valls, reprenant une analyse développée dans la communauté juive depuis plusieurs années.
Dans ce contexte, il a souligné "la sagesse des représentants de l'islam" lors des tensions liées à la publication de dessins sur Mahomet par Charlie Hebdo. Comme le ministre, M. Bernheim s'est félicité que les musulmans aient su "ne pas offrir de prise aux caricatures".
Enfin, devant l'ambassadeur d'Israël en France, M.Valls a rappelé que "la France est attachée à l'existence d'Israël, à sa sécurité" et appelé à "la vigilance"face "aux forces obscures qui se mobilisent", allusion aux menaces de l'Iran sur l'Etat hébreu.
LE MONDE GEO ET POLITIQUE | 21.09.2012 à 16h01 • Mis à jour le 23.09.2012 à 15h42
Par Christophe Ayad
Depuis le début de la crise provoquée par la vidéo islamophobe L'Innocence des musulmans, les médias ont écrit à peu près sur tout : l'extrémisme copte, le danger salafiste, "l'arrogance" de l'Occident et "l'arriération" du monde arabe, le choc entre la civilisation du sacré et celle de la liberté d'expression, la différence entre chiisme et sunnisme, etc. Sur tout, sauf sur le traitement de cette affaire, relancée par les caricatures de Charlie Hebdo, par eux-mêmes.
Peut-on encore parler de journalisme quand la télévision égyptienne diffuse en boucle la vidéo concoctée par une poignée de coptes extrémistes aidés par des fondamentalistes chrétiens en Californie, alors même que personne n'en a entendu parler sur les rives du Nil ? Cette diffusion, suivie de débats et talk-shows, a fini par aboutir au résultat "souhaité" : une manifestation peu suivie (2 000 personnes dans une ville de 16 millions d'habitants), mais violente, autour de l'ambassade américaine au Caire.
Ce journalisme pyromane est l'exact pendant du journalisme préventif pratiqué de ce côté-ci de la Méditerranée, qui a consisté, pendant la soirée du 18 septembre, à tirer la sonnette d'alarme et à annoncer, à grands renforts d'éditions spéciales ou de titres racoleurs, les troubles à venir provoqués par les caricatures d'un journal satirique pas encore sorti dans les kiosques. Le journalisme consistant - en théorie, du moins - à rapporter des faits de la manière la plus exacte possible, on s'en est, en l'espèce, largement éloigné en confectionnant la bande-annonce d'un spectacle attendu, voire inconsciemment souhaité.
A Paris comme au Caire, on a annoncé le scandale mieux qu'on ne l'a couvert, en confondant une manifestation et une attaque planifiée par Al-Qaida contre le consulat américain de Benghazi, en sommant les politiques de réagir avant même que des troubles n'éclatent, en oubliant de mettre en exergue le peu d'écho rencontré par les appels à manifester. Comme si les chiffres, dont les médias, toujours en quête de faits quantifiables, sont si friands, étaient soudainement devenus vides de sens. Pour une fois, le monde arabe et l'Occident ont parlé à l'unisson. Et il n'y a, hélas, pas lieu de s'en féliciter.
Il ne s'agit pas ici de décerner des bons ou des mauvais points, mais de pointer une dérive qui consiste à annoncer les choses de peur de ne pas les avoir vues venir avant qu'elles surviennent. Et, au final, à les provoquer, par crainte qu'elles ne se produisent pas, puisque les médias, comme la nature, ont horreur du vide. Se souvient-on de la quasi-déception des commentateurs lorsqu'il s'est avéré que le "big bug" tant annoncé de l'an 2000 a fait un flop ? Toute cette couverture pour rien, tous ces envoyés spéciaux en pure perte, toutes ces apocalypses d'experts démenties, tous ces politiques sommés de réagir, d'annoncer des mesures et des plans...
Lorsqu'on fait de l'information un spectacle, ce dernier est au mieux décevant, toujours mauvais.