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samedi 28 avril 2012

26 avril 2012 « Ça fait déjà cinq ans qu’on est gouvernés par le Front national »


Ce soir, c'est virée à l'opéra de Massy (Essonne) pour les militants socialistes. Martine Aubry y tient meeting d'entre deux tours. Départ collectif en fourgonnettes familiales. Passer une soirée entre convaincus, quel intérêt ? Les démonstrations de force galvanisent les troupes, qui y trouvent aussi de quoi enrichir leur argumentaire de porte-à-porte, s'entend-on répondre. « Pour le militant, ces causeries géantes, c'est comme un prêche. D'après vous, pourquoi est-ce que les catholiques vont tout le temps à l'église alors qu'ils sont déjà croyants ? »

Réunion publique PS à l'opéra de Massy avec Martine Aubry. © Fabrice Gaboriau

Réunion publique PS à l'opéra de Massy avec Martine Aubry. © Fabrice Gaboriau

L'argument de Patrice Nendjot fait hurler ses comparses militants. Et attise notre curiosité. Nous n'avions jamais rencontré ce socialiste gabonais, en France depuis 1998, qui travaille à Paris dans un cabinet d'audit financier. Adhérent du PS depuis 2006, il passe trop de temps à voyager pour être très présent sur le terrain militant. Mais rien ne presse, tempère le trentenaire en rigolant. « Nous sommes ici en mission quasi-prophétique de longue haleine pour arracher la ville et le département à la droite!».

La poignée de militants scéens pénètre dans l'opéra, grimpe tout en haut de la salle de 400 places déjà comble une heure avant le démarrage prévu. Et déjà sonorisée par des « Le changement c'est maintenant ! », des « François président !», des « On va gagner ! » hurlés, chantés, sur tous les tons par les premiers arrivés. En attendant Martine Aubry, la rangée échange sur les dernières déclarations de Nicolas Sarkozy. Et soudain, Patrice se met à nous parler. Comme s'il se libérait d'un poids oppressant.

Réunion publique PS à l'opéra de Massy avec Martine Aubry. © Fabrice Gaboriau

« Ces derniers jours, c'est seulement amplifié. Depuis cinq ans, on a été gouvernés par le Front national. Directement ou indirectement, on se sent agressés par toutes ces lois, tous ces amalgames. Tenez ! Moi je me suis marié en 2004 avec une Française. Par amour. Je pourrais demander la nationalité française mais je ne le fais pas pour éviter les soupçons". Patrice se sent bien intégré, il vient d'un pays où le Français est la langue officielle, c'est la seule langue qu'il ait jamais parlé, il a fait l'école en français, a obtenu des diplômes reconnus en France, puis décroché en France un Master de finances à l'Institut supérieur de gestion… Mais il se sent"catalogué". "Parce que je viens d'un pays étranger, je suis susceptible de faire des choses répréhensibles.

" Parce que je viens d'un pays étranger, je suis susceptible de faire des choses répréhensibles" lance Patrice Nendjot © Fabrice Gaboriau

"Ça m'a même traversé l'esprit de partir aux Etats-Unis ou au Canada, mais je suis très attaché aux valeurs françaises qui ont bercé mon enfance. Pourtant, cela devient de plus en plus pénible de vivre ici. Sarkozy a libéré le racisme, les gens n'ont plus de retenue. Dans le RER, on me dévisage parce que je suis noir. A Boulogne, récemment, j'entre dans un restaurant avant mes collègues de bureau, il n'y a pas de table libre. Ils arrivent deux minutes après moi, on les amène à une table. Au boulot, avant, j'allais en clientèle faire de la comptabilité. Mais des clients ont demandé à ce qu'on ne leur envoie plus d'Africains, ils sont trop mal perçus dans la boîte. Ce sont des petits exemples, je m'en fous un peu, mais multipliés à l'infini, ça commence à me toucher. Me fragiliser. M'humilier".

Le climat, selon lui, a changé ces dernières années en France. Au lieu de poser un diagnostic sérieux de la crise, le président a cherché des bouc-émissaires. "Mais ce n'est pas l'Africain qui empêche le Français d'avoir un pouvoir d'achat élevé, ou les communes de construire des logements ! La France m'a beaucoup déçu. Ma femme, quand je l'ai rencontrée, elle était à droite à 100%, maintenant, elle vote à gauche, elle ne se reconnaît plus dans cette droite". A l'en croire, nombre de ses compatriotes installés en France auraient même voté Marine Le Pen au premier tour pour tenter d'humilier Sarkozy, faire en sorte qu'il ne soit pas présent au second tour. "Ce qui me fait froid dans le dos, aussi, c'est qu'au Gabon un sentiment anti-français très fort est en train de monter. Même ma femme commence à être mal vue quand on y va. Parce que les jeunes qui viennent se former ici, et qui sont la future élite dirigeante du pays, sont maltraités, et chassés comme des malpropres à la seconde où ils ont fini leurs études ».

Dans un opéra plein à craquer, Martine Aubry prononce un discours enflammé. A la sortie, les militants de Sceaux se disent tous qu'elle ferait un bon premier ministre: quand elle décrit des difficultés des Français, elle a l'air se savoir de quoi elle parle.© Fabrice Gaboriau

Hurlements, Martine Aubry monte sur scène, démarre son discours fleuve. On se prend à l'écouter avec, pour filtre, les paroles de Patrice - qui la filme intégralement avec son I-Phone pour tout verser sur YouTube en rentrant. Quel espoir saura-t-elle lui donner ? La voilà qui évoque la « France rétrécie »« montrée du doigt après l'horrible discours de Grenoble », le droit de vote des étrangers aux élections locales. « Je suis fière de cette mesure. Tant d'années que je l'attends ! Ne vous inquiétez pas, nous la ferons avant les élections de 2014. Leurs enfants sont les amis de nos enfants. Ils sont parents d'élèves, représentants de locataires, ils sont chez eux ici. Nous voulons bien vivre notre diversité. Le meilleur moyen de résoudre les problèmes d'intégration c'est de lutter contre les discriminations. Nicolas Sarkozy, Guéant et tous les autres nous ont fait honte ».

On se tourne vers Patrice pour mesurer l'impact des mots. « C'est rien que des discours, nous dit-il. Les actes, c'est autre chose. Et puis, il va falloir un changement de mentalités, ça peut prendre du temps ». Silence. « Mais ça fait du bien d'entendre ça ».

Patrice Nendjot entouré des autres militants de Sceaux lors du meeting PS à l'opéra de Massy avec Martine Aubry. © Fabrice Gaboriau

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