Mohamed Mechmache est le président de l'association AC LE FEU, qui s'est créée à Clichy-sous-Bois à la suite des révoltes urbaines de 2005. Pour Mediapart, il fait le point sur l'usage des banlieues par les candidats pendant cette campagne présidentielle.
Jusqu'ici, les quartiers populaires étaient les grands oubliés de cette présidentielle…
Au départ, les banlieues étaient totalement exclues de la campagne. Comme si c'était un mot tabou, comme si les politiques avaient peur de faire fuir l'électorat traditionnel, ou comme si les candidats de gauche se disaient : « De toute façon, ils ne votent pas dans ces quartiers, et ceux qui votent le font pour nous. » On a voulu remettre les quartiers populaires dans le débat avec notre initiative du Ministère de la crise des banlieues (lire ici). Depuis, Hollande et même Sarkozy ont repris certaines de nos idées ou certains de nos mots. Nos 23 propositions (lire ici) ont déjà été signées par plus de 50 000 personnes au cours de notre tour de France, et on voit que le monde rural se sent aussi concerné par l'abandon des services publics.
Mais les choses bougent un peu, avec un regain d'intérêt récent de la part de François Hollande (lire ici) et Jean-Luc Mélenchon (lire ici). Le candidat socialiste a même repris certaines de vos propositions , comme les emplois francs, ou la « clause d'insertion » dans les contrats publics…
Ça va dans le bon sens, même si on est un peu étonné. On reprend les mesures qu'on préconise, mais sans reparler de méthodologie. Du coup, on craint de retomber dans la démagogie du passé. Par exemple, on reparle des Maisons de service de santé, très bien. Mais on rajoute qu'on enverra des jeunes médecins dans les quartiers. On n'est pas des cobayes. C'est comme pour l'éducation. Il faut reprendre les choses à zéro, faire en sorte qu'il y ait des classes à vingt élèves. Mais pas promettre des primes de danger pour les profs qui viendraient. C'est blessant !
Quant à Mélenchon, c'est malheureux à dire car il est l'un des rares parmi les candidats à ne pas être venus nous voir au Ministère de la crise des banlieues, mais il a tout compris et il gagne des voix dans les quartiers. Car il incarne l'attente des gens et qu'il utilise un vocabulaire simple et pas trop technique. Mais je ne comprends pas pourquoi il n'est pas venu nous rendre visite. Le fait de ne pas venir nous reconnaître tel qu'on est, c'est ne pas reconnaître notre légitimité.
Que pensez-vous de la proposition de Hollande de créer un grand ministère à l'égalité des territoires, et plus globalement de sa volonté, également affichée par Mélenchon, de rompre avec une politique spécifique, dite « de la ville » ?
Ça fait cinq ans qu'on le dit ! Un secrétaire d'État à la politique de la ville, ça ne règle rien. Il faut faire ce que Sarkozy a fait avec Borloo à l'environnement, au début de son quinquennat : un numéro deux du gouvernement qui aurait sous ses ordres l'emploi, l'éducation, la santé, la formation… Ainsi, on ne serait plus dans le saupoudrage, mais dans la vision d'ensemble. Il faut un grand ministre du droit commun, pour en remettre là où il n'y en a plus.
Vous qui insistez et faites de nombreuses campagnes d'inscriptions sur les listes électorales, craignez-vous une forte abstention, après le relatif regain civique de 2007 ?
En 2007, il y avait eu 2005 juste avant. Le sentiment très fort d'avoir été insulté a motivé l'élan de civisme. À l'époque, on disait même que la banlieue allait faire l'élection. Mais aujourd'hui, je suis assez inquiet. Comment se fait-il que ce soit nous qui fassions l'essentiel du travail, qu'il n'y ait pas eu de vraie campagne d'inscription, ou une mobilisation massive des partis en ce sens ? Aujourd'hui, si l'on parvient à réveiller les consciences, les abstentionnistes peuvent devenir des votants. Il y a environ 8 millions de citoyens dans les quartiers populaires. Si trois quarts d'entre eux votaient, cela représenterait plus de 10 % des voix…
Après les événements de Toulouse, comment jugez-vous la prise en compte de la lutte contre l'islamophobie dans les paroles des candidats ?
On a eu le sentiment que les banlieues étaient le réservoir de bandits, d'islamistes, bref, de coupables. Il y a une forme d'hypocrisie de la classe politique, notamment de la gauche, à ne pas reconnaître l'islamophobie actuelle. J'ai le sentiment que les musulmans d'aujourd'hui sont les juifs d'hier. Bien sûr, on dénonce les horribles crimes de Toulouse, mais Mohamed Merah est avant tout un Français. Pourquoi rappeler à tout prix ses origines ?
Les lois sur la burqa de Sarkozy (lire nos articles), qui concernent 300 personnes en France ; le Sénat tout juste de gauche qui propose une loi insensée sur les nourrices agréées qui ne doivent pas porter le foulard (lire ici et ici) ; la polémique sur le halal lancée par Marine Le Pen et qui a duré une semaine… À chaque fois, on élude les questions de fond ! À Toulouse, n'est-ce pas aussi la République qui a oublié une partie de ses enfants ? La République, à force d'ostraciser et d'exclure, ne contribue-t-elle pas à créer du pétage de plomb, de la manipulation, du mal-être ? La faillite ne vient-elle pas aussi des politiques ?
En Norvège, la classe politique a tout de suite parlé d'un problème de société, d'une faillite coupable. Et personne ne s'est étendu sur l'origine religieuse du coupable. En France, on préfère se dédouaner. Comme après les émeutes de 2005, qui étaient pourtant un acte d'auto-mutilation qui aurait dû interpeller. À l'époque, on a dit que c'était à cause de la polygamie, de la drogue, du rap… Mais ce ne pouvait surtout pas être un acte politique…
Où en êtes-vous de votre passage à l'acte politique autonome, annoncé depuis trois ans, avec le Forum social des quartiers populaires (FSQP, lire nos articles ici, ici ou ici) ?
Malgré toutes les embûches, on parvient à se réunir une fois par mois. Récemment à Grenoble, bientôt à Marseille. Logiquement, on va enfin lancer notre mouvement politique au mois de mai. Et l'on va pouvoir s'affirmer de façon autonome dans les urnes, peut-être dès les législatives. Il est temps de dire aux politiques : « Vous avez fait des grandes écoles, vous êtes intelligents, mais il est temps d'ouvrir la politique à la société civile. » Ce n'est pas parce qu'on n'est pas adhérent à un parti qu'on ne peut pas accéder à des responsabilités. Nous aussi, on a les mains dans le cambouis depuis longtemps. À force de ne pas être associé, on prend notre destin en main. Et on risque de faire mal, dans le bon sens du terme. On parviendra peut-être enfin, même si je n'aime pas ce mot, à faire en sorte qu'il y ait un maire issu de la diversité en France.
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