"Les quartiers, aujourd'hui, sont plus sûrs, plus agréables à vivre, moins éruptifs qu'il y a dix ans. Nous avons investi 43 milliards d'euros avec le plan ANRU et j'ai annoncé un deuxième plan de 18 milliards pour continuer ce travail. Il n'y a rien de plus faux que de dire qu'il ne s'est rien passé dans les banlieues." Dans Ouest-France, le 27 mars, Nicolas Sarkozy utilise une nouvelle fois un argument, alors qu'on lui demande pourquoi "la banlieue", "grand thème de campagne en 2007",est si "absente" des débats en 2012.
Le président-candidat a plusieurs fois invoqué l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), quand on lui a reproché d'avoir peu agi en faveur des quartiers populaires. Quel est le bilan du quinquennat dans ce domaine, souvent technique ? Globalement positif sur le long terme, l'action de rénovation ne concerne pas la totalité des problèmes rencontrés dans ces zones urbaines.
1/ Qu'est-ce que l'ANRU ?L'ANRU a été créée en 2003 sous l'égide de Jean-Louis Borloo. Elle doit mettre en œuvre le programme national de rénovation urbaine (PNRU), qui finance des destructions de logements vétustes, des constructions de logements neufs, des rénovations... Un programme national vaste et complexe, mêlant plusieurs dizaines d'opérateurs (organismes de logements sociaux, de construction, agences locales d'urbanisme, communes, communautés d'agglomération...).
Au départ, le PNRU se concentrait sur les banlieues et quartiers périphériques, définis par leur appartenance à une "zone" (Zone urbaine sensible ou ZUS). Parmi les ZUS, 215 ont été jugées prioritaires en 2005. En 2006 sont venus s'ajouter 342 quartiers "complémentaires". Depuis 2007, l'objet de l'ANRU s'est ouvert aux rénovations de centres historiques dégradés. Le ciblage fait par l'ANRU a fait l'objet de critiques : la moitié des ZUS françaises ne sont pas concernées, alors que 140 quartiers non classés ZUS sont inclus dans le PNRU, selon un rapport des députés François Pupponi et François Goulard.
2/ 43 milliards d'euros ont-il été investis sous le mandat de M. Sarkozy ?
Non, même si c'est sous une majorité de droite que l'ANRU a été créée : cette agence a été dotée en 2003 par l'Etat d'un plan théorique de 12 milliards d'euros au total, pour la période 2004-2013. Les 43 milliards dont parle Nicolas Sarkozysont en fait la dépense totale que les travaux lancés dans le cadre du plan ANRU auront généré en 2013. Une dépense totale qui inclut donc des financements issus de différents acteurs (1% Logement, conventions...) au fil des quelque sept lois qui ont précisé et augmenté la dotation du programme.
L'essentiel du financement attribué par l'Etat à l'ANRU a été voté avant 2007 : 2,5 milliards d'euros par la loi du 1er août 2003, pour la période 2004-2008, portés en 2005 à 4 milliards pour 2004-2011, puis à 5 milliards pour 2004-2013 (loi engagement national pour le logement de juillet 2006). En mars 2007, la loi sur le droit au logement opposable porte ce total à 6 milliards jusqu'en 2013.
Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, seules deux lois ont touché au financement de l'ANRU : la loi de 2009 de lutte contre l'exclusion, qui confie à l'agence une nouvelle mission (rénovation de quartiers anciens) et la dote de 350 millions supplémentaires. Et enfin un décret qui, en 2009, permet à l'ANRU de bénéficier d'une contribution du 1 % logement pour la période 2009-2011 : 2,3 milliards au total, sur trois ans. Un changement du fonctionnement de l'ANRU qu'a déploré un rapport sénatorial de 2011.
Au final, le PNRU représente donc environ 40 milliards d'euros, dont 27 % proviennent de l'ANRU, 43 % des maîtres d'ouvrages (bailleurs privés ou sociaux), et 23 % par les collectivités locales.
3/ Que finance le PNRU ?
L'ANRU est destinée à financer 530 rénovations de quartiers dits "sensibles", dont 189 désignés comme prioritaires. Les fonds sont destinés à remettre en état des logements, des rues, des quartiers, à financer des équipements publics (lampadaires, abribus, mais aussi équipements scolaires ou sportifs...), des commerces de proximité, mais aussi quelques programmes sociaux et économiques. Plus concrètement, le PNRU fonctionne sur la base de conventions de partenariats entre l'ANRU et divers acteurs institutionnels (régions, villes, communautés d'agglomération), sociaux (société de HLM) ou privés.
Voilà pour la théorie de 2003. Depuis, le PNRU a vu ses ambitions augmentées. Notamment au travers du plan "Espoirs banlieue" de 2008, qui ciblait 205 quartiers prioritaires, et s'articulait en partie avec l'ANRU au niveau du financement.
Il faut préciser que ce plan ne concerne qu'une partie des problèmes rencontrés dans les banlieues. Il concerne principalement le bâtiment, plutôt que l'emploi ou la lutte contre la pauvreté.
Outre la rénovation pure, le PNRU prévoit toutefois quelques volets plus sociaux : en vertu d'une charte nationale d'insertion, votée en 2005, 5 % des travaux d'investissements et 10 % des emplois créés dans le cadre de la gestion urbaine de proximité (amélioration de la vie quotidienne du quartier, type conciergerie) doivent être issus du quartier concerné par la rénovation.
4/ Concrètement, quelles sont les réalisations déjà effectuées ?Le rapport d'activité 2011 de l'ANRU ne donne que l'avancement à la date du 31 décembre 2008. A cette époque, le PNRU avait effectué 123 847 démolitions de logements (49,5% de l'objectif à 2013), 117 217 reconstructions (46,8% de l'objectif), 268 946 réhabilitations, et 288 722 opérations de "résidentialisation" (opérations touchant l'entrée ou les abords d'un immeuble). Soit au total, 798 652 opérations, 61 % de l'objectif final.
L'un de soucis pointés à l'époque par le rapport était le faible taux de reconstructions après les démolitions : en 2008, 35,9 % des logements détruits depuis le lancement du programme n'avaient pas donné encore lieu à une reconstruction. Le plan prévoit en théorie du "1 pour 1".
De plus, les financements annoncés pour l'ANRU ne sont pas toujours honorés en réel. A deux ans de la fin officielle du programme, prévue pour 2013, l'Agence a obtenu 62 % du total de l'enveloppe qu'elle doit recevoir, soit moins que prévu. Le président de l'ANRU, Pierre Sallenave, expliquait en février aux Echos que "les deux tiers" des 12 milliards de financements théoriques "sont engagés" et que 4,4 milliards "ont été payés" concrètement.
5/ Nicolas Sarkozy a-t-il prévu un "deuxième plan" de 18 milliards ?
Oui. Le PNRU2 a été décidé dès l'été 2011, donc avant l'entrée en campagne de Nicolas Sarkozy, qui en a toutefois confirmé l'intention et précisé le montant, qui serait donc de 18 milliards. En théorie, car le plan de financement n'a pas encore été précisé. Or, les besoins sont élevés : le ministre de la ville, Maurice Leroy, parlait en janvier de "40 à 50 milliards" d'euros de travaux pour achever la rénovation.
6/ Au final, quel est le bilan de l'ANRU ?
Il est plutôt positif, que ce soit pour les habitants et les élus des quartiers concernés. Le conseil économique, social et environnemental notait en 2011 que"la mise en place de l'ANRU, dans le cadre de la loi de 2003 sur le PNRU, a donné une impulsion majeure aux opérations de rénovation des quartiers et mis un lustre certain au volet bâti de la politique de la ville", et que "les bienfaits de cette politique sont unanimement reconnus et salués par l'ensemble des élus des quartiers concernés par le PNRU, quelle que soit leur couleur politique". Selon unsondage commandé par l'ANRU à l'institut CSA en 2011 montrait que 69 % des habitants de quartiers rénovés dans le cadre du PNRU se disaient satisfaits.
Pour autant, l'action de l'ANRU reste concentrée sur le logement, ce qui ne suffit pas à résoudre les autres questions relatives aux quartiers populaires. L'observatoire des zones urbaines sensibles (ANZUS) notait dans son rapport 2011 une hausse du chômage à 20,9 %, soit le niveau le plus élevé depuis 2003 et la mise en place de l'ANRU. En 2009, on comptait 32,4 % des habitants de ZUS vivant sous le seuil de pauvreté.
Samuel Laurent
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