INTERVIEW
En reconnaissant mercredi le massacre d'Algériens lors de la manifestation pacifiste du 17 octobre 1961, François Hollande a d'abord voulu s'adresser aux enfants des manifestants, estime Akram Belkaïd. Mais son geste est aussi un message politique à l'Algérie.
GUERRE D'ALGERIE - 1500 Algériens arrêtés lors de la manifestation pacifique organisée à Paris le 17 octobre 1961 furent expulsés dans les 48 heures depuis l'aéroport d'Orly vers l'Algérie. Les quelques 20 000 manifestants furent victimes d'une répression violente qui fit de nombreux morts.
AFP
Journaliste, écrivain, auteur de plusieurs ouvrages sur l'Algérie (1), Akram Belkaïd réagit à l'hommage rendu par François Hollandeaux victimes de la répression de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris au cours de laquelle des indépendantistes algériens avaient été tués par la police, dirigée à l'époque par le préfetMaurice Papon.
Cette reconnaissance du massacre du 17 octobre 1961 était-elle une revendication des Algériens?
Certainement chez les Algériens de France. Le souvenir du 17 octobre reste profondément ancré dans l'imaginaire collectif de cette communauté, les enfants en ont entendu parler par leurs parents. C'est un peu plus compliqué du l'autre côté de la Méditerranée. Cela sera bien sûr considéré comme un geste positif mais en réalité on ne peut pas parler d'une revendication récurrente. L'événement a d'ailleurs longtemps été passé sous silence par l'historiographie officielle algérienne. La manifestation était organisée par la fédération du France du FLN. Considérée à l'époque comme la 7ème willaya (préfecture ndlr) de l'Algérie combattante, elle a ensuite été tenue à distance par les autorités qui ne tenaient pas vraiment à rappeler le rôle qui avait été le sien pendant la guerre.
Que sait-on de ce qui s'est réellement passé?
Longtemps, la tragédie a été occultée en France. En réalité ce n'est qu'après la publication des travaux de Jean-Luc Einaudi (2), qui font état de près de 400 morts, que le 17 octobre 1961 a ressurgi, y compris dans l'imaginaire français. Ce n'est qu'à ce moment que l'on a appris, ou réappris, ce qui s'était passé, et que beaucoup de Français ont cessé de confondre ce massacre avec celui du métro Charonne au début de 1962.
François Hollande a opté pour une reconnaissance sans repentance. Aurait-il dû aller plus loin ?
Certains s'en contenteront, d'autres pas. Je me méfie un peu pour ma part du discours sur la repentance. On en parle beaucoup plus en France qu'en Algérie. Et elle n'est pas à mon sens une revendication réelle des Algériens. Tout est parti de cette loi française de 2005 (abrogée depuis ndlr) qui reconnaissait le "rôle positif " de la colonisation. C'est ce texte qui a déclenché la polémique, alors que personne ne demandait rien. Ensuite, certains groupes algériens, notamment l'aile la plus conservatrice du FLN, s'en sont saisis.
Quant à l'acte de reconnaissance de François Hollande, il s'inscrit d'abord à mon sens dans un contexte franco-français. Il s'agit un geste de réconciliation qui s'adresse aux Français d'origine algérienne. Car les enfants des manifestants de 1961 sont des citoyens français. Le président a voulu apaiser les choses. D'autant que depuis plusieurs années il y avait autour du massacre du 17 octobre et de sa non-reconnaissance une certaine crispation en France chez les jeunes gens issus de l'immigration.
N'est-ce pas aussi un geste politique vis à vis de l'Algérie officielle et du président Abdelaziz Bouteflika auquel François Hollande a prévu de rendre visiste prochainement ?
Si bien sûr, c'est aussi cela. Hollande veut indiquer à travers ce message à l'Algérie officielle qu'il est moins crispé que Nicolas Sarkozy sur ces questionslà.
Est-ce qu'il faut aller plus loin? Ouvrir, par exemple, les archives du ministère de l'intérieur?
Ouvrir les archives, certainement. C'est indispensable. Il faut que les historiens puissent travailler sur cette période. Qui a donné l'ordre de tirer? Quel a été le rôle réel de Maurice Papon? Celui deMichel Debré, Premier ministre? Et celui de De Gaulle? Il y a beaucoup de zones d'ombres qui méritent d'être éclaircies.
(1) Dernier ouvrage publié : La France vue par un blédard, janvier 2012, aux Editions du Cygne
(2) La bataille de Paris-17 octobre 1961, publié en 1991 aux éditions du Seuil.
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