LE MONDE | 08.10.2012 à 15h29 • Mis à jour le 08.10.2012 à 15h34
Par Laurent Borredon et Stéphanie Le Bars
Certes, on est loin des réseaux terroristes qui ont fomenté les attentats du 11-Septembre, en 2001, ou de Londres, en 2004. Mais le petit groupe de radicaux démantelé samedi 6 octobre, à Cannes, à Strasbourg et en région parisienne, n'en inquiète pas moins les pouvoirs publics. "Cette affaire est un résumé, un concentré, de toute une série de phénomènes, explique au Monde le ministre de l'intérieur, Manuel Valls : le fait que ce soit un groupe, un petit réseau dont le ciment est l'itinéraire délinquant, l'islamisme radical et qui a des projets de djihad extérieur, et peut-être d'actions sur le territoire national. C'est une forme hybride de radicalisme, avec de jeunes Français convertis."
Pour le chercheur Samir Amghar, spécialiste du salafisme, le profil des personnes interpellées ne constitue pas une réelle nouveauté. "Depuis les années 1990, on a vu l'émergence d'une sorte d'islamo-banditisme, mêlant criminalité et islam radical. Mais il semble y avoir aujourd'hui une nouvelle dynamique de ce phénomène dans lequel, en transgression avec la société qu'elles rejettent et sous couvert de religion, des personnes choisissent la délinquance pour financer des filières djihadistes", explique-t-il.
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En 1996, plusieurs convertis avaient animé le "gang de Roubaix", qui avait commis une série de braquages et un début d'actions terroristes. Début 2003, la direction centrale des renseignements généraux estimait à plus de 1 000 la population de nouveaux musulmans radicalisés. Mais les policiers notaient à l'époque que ces hommes se retrouvaient assez peu dans les noyaux durs des cellules.
Ici, Jérémy Louis-Sidney, 33 ans, tué l'arme à la main par les policiers à Strasbourg, aurait été, selon les premiers éléments de l'enquête, le chef du groupe. Le rôle de Jérémy Bailly, 25 ans, qui portait un 22-long rifle lors de son arrestation dans le hall de son immeuble, à Torcy (Seine-et-Marne), est aussi considéré comme important par les enquêteurs. Autre converti du groupe, Yann Nsaku, un jeune homme de 19 ans interpellé à Cannes, s'est radicalisé en côtoyant Jérémy Louis-Sidney, après l'échec d'un début de carrière dans le football professionnel.
Ce qui préoccupe chez ces convertis, c'est aussi la rapidité de leur radicalisation. Là où le tueur de Toulouse et Montauban, Mohamed Merah, s'était radicalisé quelques années avant ses crimes, il a suffi de quelques mois à la plupart des jeunes interpellés samedi pour glisser vers la volonté de djihad. Même si le pouvoir se félicite du travail des services de renseignements, qui suivaient une grande partie des interpellés de samedi, ces profils sont difficiles à détecter. Plus qu'une filière, ils révèlent un grand nombre d'itinéraires personnels, avec des jeunes "happés" par l'islam radical par le biais de la prison, d'Internet, d'un imam ou d'un ami. "Cela révèle le poids culturel, la pression de certains, dans nos quartiers, sur des jeunes qui se construisent une identité politique via l'islam radical", estime Manuel Valls.
Cette affaire témoigne également de la prégnance de l'antisémitisme chez certains jeunes. Les responsables de la communauté juive alertent depuis des années les pouvoirs publics sur la montée d'un antisémitisme dans les banlieues et dans l'islam radical.
Pour M. Amghar, "un antisémitisme profond et primaire caractérise l'islam radical, mais il traverse toutes les communautés musulmanes". Outre les liens avec le conflit israélo-palestinien qui demeure, selon lui, "un abcès de fixation", le chercheur y voit aussi le produit d'un "antisémitisme des pays d'origine auquel se mêle l'héritage antisémite traditionnel français des années 1930". Nabil Ennasri, président du Collectif des musulmans de France, met lui en garde contre "la confusion, entretenue notamment par les responsables juifs, entre l'antisionisme, partagé par nombre de musulmans et l'antisémitisme, dans lequel verse une petite partie d'entre eux, qui vont chercher dans le Coran une justification à cette approche".
En juillet, M. Valls avait repris l'analyse de la communauté juive à son compte, dénonçant sur Radio J "un antisémitisme nouveau né dans nos quartiers". Suggérant qu'il était le fait de personnes liées à l'islam, il avait précisé qu'il ne fallait pas jeter "l'opprobre sur nos concitoyens de confession musulmane".
Aujourd'hui, M. Valls préfère ne pas s'appesantir sur le conflit israélo-palestinien, pour évoquer plutôt, chez ces jeunes, "la recherche d'un ennemi global : les Etats-Unis, l'Occident mais aussi les juifs. De ce point de vue, Internet, certaines télévisions étrangères constituent une idéologie rudimentaire qui donne les clés de compréhension du monde". Le ministre cite d'autres "ingrédients" de cette quête identitaire : "Le voile, les affaires de "blasphème", l'islamophobie."
Sans que cela ne débouche sur un quelconque passage à l'acte chez l'immense majorité d'entre eux, les musulmans expriment aussi, de manière récurrente, un fort sentiment d'être victimes d'un "deux poids-deux mesures" par rapport au sort réservé aux juifs en France, et plus globalement à travers le monde.
"La réponse politique est compliquée, reconnaît M. Valls. Cela passe par une mobilisation de la société tout entière." M. Amghar évoque aussi les "programmes de déradicalisation" mis en place dans certains pays pour " réinsérer" ces personnes. Les responsables musulmans rappellent régulièrement que le djihadisme "n'a rien à voir avec l'islam". Quant aux incantations à former davantage d'aumôniers pénitentiaires pour contrer l'islam radical en prison, elles butent depuis des années sur le manque de moyens humains et financiers.
Laurent Borredon et Stéphanie Le Bars
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