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vendredi 5 octobre 2012

Echirolles : le scénario d'une tragédie en trois actes 05.10.12 | 12:21 | Le Monde.fr Yves Bordenave

A Echirolles, une dizaine d'hommes sont mis en cause dans l'enquête sur l'expédition punitive qui à coûté la vie à Sofiane et Kevin - ici, des policiers patrouillent dans le quartier, le 2 octobre 2012. AFP/PHILIPPE DESMAZES

En cherchant à venger son frère cadet qui venait de prendre une raclée, la vie du première classe Mohamed E. a basculé, vendredi 28 septembre. Fini pour lui l'armée et la carrière militaire qu'il avait envisagée : mercredi 3 octobre, Mohamed E. a été mis en examen et placé en détention provisoire dans le cadre d'une information judiciaire ouverte pour"assassinats" par le parquet de Grenoble. Il est suspecté d'un double homicide, commis en réunion avec une dizaine de jeunes, vendredi à Echirolles (Isère). Les enquêteurs considèrent que Mohamed E. est l'un des initiateurs sinon l'unique initiateur du lynchage qui a coûté la vie à Sofiane Tadbirt et Kevin Noubissi, 21 ans. Toutefois, il n'est pas seul à endosser ce crime.

Il y a avec lui au moins neuf autres suspects. Sept, dont un mineur de 17 ans, sont également derrière les barreaux depuis mercredi soir. Deux autres, qui avaient réussi à échapper au coup de filet tendu lundi1er et mardi 2 octobre par les policiers, se sont rendus jeudi. Illye T., 18 ans, s'est présenté en début d'après-midi à l'hôtel de police de Grenoble. Ibrahim C., 21 ans, l'a rejoint en fin d'après-midi. Tous les deux sont connus de la justice ; ils ont été condamnés pour des vols, des violences ou des outrages, mais seul Illye a déjà fait de la prison. Impliqué dans une affaire de violence avec arme blanche contre un vigile, il a purgé une peine de six mois et a été libéré le 25 septembre, soit trois jours avant la tragédie d'Echirolles. Une tragédie qui s'est déroulée en trois actes, dans des lieux proches les uns des autres.

Acte I. Vendredi 28 septembre vers 14 h 30-15 heures, non loin du lycée Marie-Curie d'Echirolles où Wilfrid Noubissi, frère cadet de Kevin, suit ses études. Wilfrid croise la route de Sid Ahmed E., frère cadet de Mohamed. Sans qu'on sache pourquoi un mauvais regard ? une histoire de fille ? un contentieux plus ou moins ancien ? , les deux garçons se battent. Wilfrid prend le dessus sur son adversaire, dont la mère alarmée alerte le grand frère. Celui-ci intervient et gaze Wilfrid à l'aide d'une bombe lacrymogène.

Acte II. Le grand frère de Wilfrid, Kevin, entre dans l'embrouille. Il corrige Sid Ahmed et exige des excuses. C'en est trop pour Mohamed qui ressent cela comme une humiliation. Sur la place des Géants, dans le quartier grenoblois de la Villeneuve, à quelques encablures d'Echirolles, comme tous les jours à la même heure, Anthony C., Eraba D., Illye T., Ibrahim C. et quelques autres partagent leur désoeuvrement. La suite, c'est Eraba qui l'a racontée aux policiers pendant sa garde à vue : "Mon téléphone a sonné vers 16 heures. C'était Mohamed qui me demandait de le rejoindre à Marie-Curie car un copain s'était fait frapper par un gars d'Echirolles." Pas un seul des garçons n'hésite. Voilà l'équipée en route vers Echirolles, sur des scooters ou en tramway.

"UNE HISTOIRE STUPIDE, TRAGIQUE"

Acte III. Il est environ 20 h 50. Sofiane, Kevin, Wilfrid et deux autres copains rentrent du Mc Do et traversent le parc Maurice-Thorez à Echirolles, à deux pas de chez eux. Sur leur chemin, une quinzaine de types de la Villeneuve, armés de battes de baseball, d'un pistolet à grenailles, de plusieurs couteaux et d'une bouteille de vodka vide tombent sur eux. Les plus jeunes parviennent à s'enfuir. Pas Sofiane ni Kevin. A 21 h 06, les policiers arrivent. Les deux corps gisent à 600 mètres l'un de l'autre. Kevin a reçu huit coups de couteau ; il est mort sur le coup. Sofiane, lardé de vingt-neuf coups de plusieurs couteaux, décède un peu plus tard à l'hôpital.

"Une histoire stupide, tragique, sans qu'il n'y ait trace d'aucun conflit d'intérêt", déplore le procureur de la République de Grenoble, Jean-Yves Coquillat. Une bagarre de jeunes "gratuite, immédiate et spontanée, pas une de ces rixes entre bandes rivales comme il y en a souvent, sur fond de trafics ou de contrôle de territoire", renchérit le commissaire Jean-Paul Pecquet, directeur départemental de la sécurité publique. Une vengeance d'une violence inouïe. Un lynchage.

A l'exception d'Anthony C., tous les suspects ont déjà eu maille à partir avec la police. Six ont déjà été condamnés pour des délits relativement mineurs. Illye mis à part, ils ont évité la case prison."Ce sont des petits délinquants de cité qui, pour certains, sont sur une voie de durcissement, mais aucun d'entre eux n'appartient à une bande", relève Jean-Paul Pecquet.

Ce sont des jeunes oisifs, sans emploi ni formation. Ils ont terminé leur cursus scolaire depuis plusieurs années et ils traînent leur ennui dans la cité qui les a vus grandir. "Ils tiennent les murs et quand ils les lâchent, c'est pour jouer à la PlayStation", ajoute un enquêteur. Dans ce groupe qui s'est improvisé en "équipée sauvage", seul Mohamed exerce un métier. Comme son frère Sid Ahmed l'avait fait avant lui, il s'est engagé dans l'armée le 1er janvier. Cantonné au 93e régiment d'artillerie à Varces (Isère), c'est là que les gendarmes sont allés le cueillir lundi soir, redoutant que lui et son frère tentent de gagner l'Algérie, où leur père a choisi de partir précipitamment au lendemain du drame.

A ce stade de la procédure, tous nient leur implication dans la tuerie. Certains ont admis leur présence sur les lieux, voire de s'être battus, mais à mains nues. A les en croire, aucun ne s'est servi d'un couteau. D'autres assurent qu'ils n'étaient pas là. Pourtant, les caméras de vidéosurveillance, les témoignages des survivants et certains éléments matériels les désignent formellement. Reste maintenant à déterminer qui et combien ils sont à avoir porté les coups mortels. Et ça, ce n'est pas la partie la plus facile de l'enquête.

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