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mardi 27 mars 2012

Guaino : «On ne parvient plus à assimiler ceux qui sont là» - Libération Mardi 27 mars 2012


Henri Guaino à l'Elysée le 23 juin 2011.
Henri Guaino à l'Elysée le 23 juin 2011. (Photo Bruno Charoy pour Libération)

INTERVIEWLa «plume» de Nicolas Sarkozy défend les propositions du candidat-président en matière d'immigration et expose ce que, selon lui, révèle le drame de Toulouse.

Par ANTOINE GUIRALGRÉGOIRE BISEAU

Henri Guaino est conseiller spécial de Nicolas Sarkozy. Auteur de la plupart des discours du président-candidat, il livre sa vision de la campagne.

Avec la tuerie de Toulouse, allez-vous mettre les questions de sécurité et d'immigration au cœur de la campagne ?

Elles y sont. Mais le drame de Toulouse renvoie au sentiment plus général d'être en insécurité, d'être à la merci d'une violence qui se répand partout : dans la société, dans l'économie, dans le travail, dans la rue… Une violence qui peut abîmer ou détruire une vie, et qui fait peur parce que chacun se sent désarmé face à elle.

Les événements de Toulouse vont-ils amplifier ce sentiment de violence ?

Toulouse est un moment d'une grande intensité dramatique. L'imputer à la société, au «climat» est absurde, indécent. Regardons cet acte isolé, monstrueux, pour ce qu'il est : une tragédie qui a une portée universelle. La société n'est pas responsable de ce crime, mais ce crime remue la société, il lui révèle et amplifie son malaise : il souligne sa vulnérabilité. Il donne le sentiment que quelque chose de monstrueux peut surgir n'importe où, n'importe quand, que la violence et le mal sont dissimulés dans l'ombre et que chacun peut en être la victime. Il donne un visage terrible et tragique à un malaise profond mais diffus.

Est-ce qu'il conforte les thèmes de campagne et les «marqueurs» du candidat Sarkozy ?

Oui, ne serait-ce que dans la leçon qu'il en tire quant à son rapport à la politique : la politique est d'abord une confrontation avec la dimension tragique de l'Histoire. Avec ce crime, une fois de plus, cette dimension tragique nous saute à la figure. Après tant de drames depuis quatre ans et après cette monstruosité, aucun autre candidat n'en a aussi pleinement conscience que lui.

Diriez-vous, comme Patrick Buisson, conseiller du président de la République, que la France a besoin de frontière pour faire face à «une déferlante migratoire» ?

Une telle expression ne fait pas partie de mon vocabulaire, mais je suis bien convaincu que la France a besoin de frontières et qu'aucune société ne peut survivre si elle ne maîtrise pas les entrées sur son territoire. Cela fait écho à cette France du non à laquelle le président de la République a parlé à Villepinte. C'est-à-dire ceux qui ont le sentiment d'avoir perdu le contrôle de leur vie, d'être dépossédés peu à peu de tout, au point d'avoir envie de dire non à tout parce que c'est, à leurs yeux, le dernier refuge de leur liberté. Ce non, de plus en plus majoritaire, nous devons l'entendre et lui répondre.

Pourtant, les entrées sur le territoire restent relativement stables depuis dix ans…

Depuis l'époque Jospin où l'on avait ouvert toutes les vannes, la France a repris peu à peu la maîtrise des entrées. Mais avec une société fragilisée par les crises, c'est insuffisant. La meilleure mesure de cette insuffisance n'est pas dans les statistiques, mais dans notre incapacité croissante à intégrer, à assimiler ceux qui vivent sur notre sol.

Nicolas Sarkozy n'est-il pas dans la caricature quand il assure que la gauche fait le jeu du communautarisme parce qu'elle défend le droit de vote des étrangers ?

Le droit de vote des étrangers aux élections locales favoriserait le chantage communautaire. Tout le monde le sait. Quand on n'ose plus mettre la nation et la nationalité en avant, on ouvre la porte au communautarisme. C'est un fait.

A plusieurs reprises, le président de la République a répété que «la protection sociale ne peut plus supporter une immigration incontrôlée parce qu'on n'a plus les moyens de la financer». Pour lui, le modèle social français est-il menacé par l'immigration ?

Il n'est pas menacé que par l'immigration. Mais on n'arrive plus à combler le déficit de la Sécurité sociale, on ne parvient plus à assimiler ceux qui sont là. Nous avons assez de difficultés à résoudre pour ne pas en ajouter d'autres si nous voulons sauver notre modèle social. Pour autant, je ne prône pas l'immigration zéro, et je ne dis pas que les étrangers prennent le travail des Français.

C'est pourtant ce que sous-entend le président de la République…

Non, ce n'est pas vrai. Il a toujours dit que c'était le travail des uns qui faisait le travail des autres. Mais, si vous avez du chômage de masse, il y a de fortes chances pour que celui qui arrive en France devienne un chômeur.

Mais il ne coûtera pratiquement rien à la Sécurité sociale. Car pour obtenir un minimum vieillesse ou le RSA, il lui faut au minimum cinq ans de présence sur le territoire…

Il pourra toutefois se faire soigner gratuitement. Il pourra profiter des services publics, de l'hôpital, de l'école, sans parler du travail au noir pour les clandestins. Soigner, éduquer, c'est normal, c'est la République. On ne peut laisser des hommes, des femmes et des enfants dans la détresse et le dénuement. Mais il faut bien que quelqu'un paye.

Dans son discours de Lyon, Nicolas Sarkozy a formulé nombre de mensonges. Un seul exemple : il déclare que François Hollande va régulariser massivement les clandestins. Ce qui est faux…

Non, dans le discours de Lyon, Nicolas Sarkozy relate les volte-face de François Hollande et l'ambiguïté qu'il entretenait sur ce sujet pour essayer de plaire à tout le monde. Aux uns, il laisse entendre que la régularisation sera massive. Aux autres, il dit «au cas par cas» pour suggérer qu'elle ne sera pas massive. Il finit même par dire qu'il ne changera pas les règles actuelles. Qui s'y retrouve ? Sur les retraites, c'est encore pire. On attend toujours qu'il dise combien de personnes seront réellement concernées par ce qu'il propose.

Plus étrange, Nicolas Sarkozy a promis de durcir les conditions du minimum vieillesse pour les immigrés. Or cette proposition, martelée plusieurs fois dans ses discours, existe déjà dans la loi…

C'est une loi qui a été votée par la majorité actuelle il y a quelques mois.

Donc c'était un mensonge de laisser croire qu'il va faire quelque chose qui existe déjà…

Quel mensonge ? Il a dit qu'à l'avenir, s'il était élu, cette condition de dix ans de présence s'appliquerait au minimum vieillesse et au RSA, ce qui est rigoureusement exact.

On parle d'une campagne désenchantée, technique…

Je ne trouve pas. Petit à petit, depuis que Nicolas Sarkozy est entré en campagne, on se rapproche de la question essentielle : dans quelle civilisation voulons-nous vivre ?

On entend beaucoup de mots gentils à propos de Jean-Luc Mélenchon dans la bouche des responsables de l'UMP. Pure tactique ?

C'est un bon orateur. Il a du talent. Il est intelligent. Et, contrairement à François Hollande, il construit son discours sur un diagnostic de l'état du monde. Sur certains aspects de ce diagnostic, je ne peux pas lui donner tort.

Par exemple ?

Sur la finance, sur les inégalités, sur la marchandisation du monde… Cela ne m'empêche pas d'être en désaccord avec ses solutions. Sa solution, c'est : «Je suis le bruit et la fureur, et cela va changer la face du monde.» C'est un peu court. Et puis il y a les vieilles lunes qu'il a empruntées à ses alliés communistes qui, depuis 1917, attendent le grand soir. Sa montée va obliger François Hollande à sortir de ses ambiguïtés. Son rêve, c'était de ne pas avoir de débat, de se contenter de gérer son avance précautionneusement, en rentier des sondages. Et le voilà obligé de répondre à Sarkozy et à Mélenchon !

Nicolas Sarkozy s'est présenté comme le candidat du peuple et du «hors système», critiquant l'entre soi des élites économiques et médiatiques… De la part d'un homme politique dont le témoin de mariage est Bernard Arnault et le meilleur ami Martin Bouygues, n'est-ce pas prendre les Français pour des imbéciles ?

C'est parce que ce ne sont pas des imbéciles qu'ils ne se laisseront pas prendre à cet amalgame. On peut avoir des amis dans les grands corps de l'Etat ou parmi les responsables syndicaux et refuser que les corps intermédiaires confisquent toute la souveraineté du peuple. François Dalle, le PDG de L'Oréal, était un ami d'enfance très proche de Mitterrand, qui avait beaucoup d'amis riches. Cela le rendait-il prisonnier des puissances d'argent ? Ne confondons pas tout. L'amitié, c'est quelque chose de très intime, de très personnel, qui n'a rien à voir avec la politique.

Lors de ses vœux à la presse, Nicolas Sarkozy a annoncé que c'était la première élection du XXIe siècle et promis de nouveaux concepts. En quoi cette campagne est-elle neuve ?

Ce qui est neuf, c'est que le cloisonnement entre politiques nationale, européenne et internationale s'est effacé. Plus que jamais, il faut exercer sa souveraineté avec les autres. Cette prise de conscience, on ne la sent pas chez la plupart des candidats. Regardez la moralisation du capitalisme financier ! La question n'est pas de savoir si on est arrivé au bout, mais si l'on s'est battu, si l'on se bat encore pour faire bouger les autres et changer les règles.

Nicolas Sarkozy a pourtant beaucoup insisté sur la politique du résultat…

Oui, mais en ne faisant pas comme si l'on était seuls au monde, comme s'il n'y avait pas eu de crises mondiales et européennes. Prenez le pouvoir d'achat. La bonne question n'est pas : a-t-il augmenté ? Mais : avez-vous tout fait, au milieu de toutes les crises, pour le préserver le plus possible ? Le résultat, il s'apprécie par comparaison avec les autres. Chez la plupart d'entre eux, le pouvoir d'achat s'est effondré.

En menaçant de quitter l'Europe de Schengen, Nicolas Sarkozy, c'est du bruit et de la fureur…

Non, c'est simplement vouloir mettre chacun face à ses responsabilités. On peut parfaitement suspendre les accords de Schengen jusqu'à ce que ceux-ci aient été réformés : il y a bien des pays d'Europe qui ne sont pas dans Schengen. Cela veut dire que l'on n'acceptera plus automatiquement tous les immigrés que les autres pays membres acceptent chez eux. On n'a pas besoin de remettre des douaniers aux frontières. Ça, c'est de la caricature.

A quatre semaines du premier tour, le candidat de la majorité n'a toujours pas révélé son programme dans sa totalité, et encore moins son chiffrage. Pourquoi un tel évitement ?

C'est comique. Quand François Hollande change de programme tous les jours, c'est normal ! Quand Nicolas Sarkozy dévoile ses propositions au fur et à mesure, c'est de l'évitement ! Ne vous inquiétez pas, le moment approche où tout sera sur la table. Un peu de patience.

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