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vendredi 23 mars 2012

Un " monstre " issu de la maladie de l'islam Loin de l'amalgame, l'autocritique s'impose - Le Monde 24 Mars 2012






Abdennour Bidar est l'auteur

de " L'Islam sans soumission "

(Albin Michel, 288 p., 8,38 €,

en librairie

le 28 mars)

Depuis que le tueur de Toulouse et Montauban a été identifié comme " salafiste djihadiste ", c'est-à-dire comme fondamentaliste islamiste, le discours des dignitaires de l'islam de France a été de prévenir tout " amalgame " entre cette radicalité d'un individu et la " communauté " pacifique des musulmans de France. Cet appel au jugement différencié est nécessaire lors d'un événement comme celui-ci, parce qu'il suscite une vague d'émotion et d'indignation si puissante qu'elle risque d'abolir, dans un certain nombre d'esprits fragiles, toute capacité rationnelle à distinguer entre islam et islamisme, islam et violence, etc. Les dignitaires qui se sont exprimés ont donc assumé là une responsabilité indispensable pour la paix sociale, et nous pouvons espérer que leur parole contribue à éviter une aggravation de la défiance et des stigmatisations dont les musulmans de France restent souvent victimes.

Mais tout le mérite de cette réaction immédiate, responsable et nécessaire, ne suffit pas à éluder une question plus grave. La religion islam dans son ensemble peut-elle être dédouanée de ce type d'action radicale ? Autrement dit, quelle que soit la distance considérable et infranchissable qui sépare ce tueur fou de la masse des musulmans, pacifiques et tolérants, n'y a-t-il pas tout de même dans ce geste l'expression extrême d'une maladie de l'islam lui-même ?

Depuis des années, j'analyse dans mes travaux ce que j'ai désigné à plusieurs reprises comme une dégénérescence multiforme de cette religion : ritualisme, formalisme, dogmatisme, sexisme, antisémitisme, intolérance, inculture ou " sous-culture " religieuse sont des maux qui la gangrènent. Cette médiocrité profonde dans laquelle sombre l'islam s'observe certes à des degrés très divers selon les individus, de telle sorte qu'il se trouve toujours des musulmans moralement, socialement, spirituellement éclairés par leur foi, et de sorte aussi qu'on ne peut pas dire que " l'islam est par essence intolérant " ni que " les musulmans sont antisémites ". Ce sont là des essentialisations et des généralités fausses, dont certains usent pour propager l'islamophobie. Néanmoins, tous ces maux que je viens d'énumérer altèrent la santé de la culture islamique, en France et ailleurs.

Il s'agirait par conséquent, pour l'islam, d'avoir dans des circonstances pareilles un courage tout à fait particulier : celui de reconnaître que ce type de geste, tout en étant étranger à sa spiritualité et à sa culture, est pourtant le symptôme le plus grave, le plus exceptionnel, de la profonde crise que celles-ci traversent. Mais qui aura ce courage ? Qui en prendra le risque ? Comme je l'ai souligné aussi à de très nombreuses reprises, la culture islamique est depuis plusieurs siècles enfermée dans ses certitudes, enfermée dans la conviction mortifère de sa " vérité ". Elle est incapable d'autocritique. Elle considère de façon paranoïaque que toute remise en cause de ses dogmes est un sacrilège. Coran, Prophète, ramadan, halal, etc. : même chez des individus éduqués, cultivés, par ailleurs prêts au dialogue sur tout le reste, la moindre tentative de remise en cause sur ces totems de l'islam se heurte à une fin de non-recevoir. La plupart des consciences musulmanes se refusent et refusent encore à quiconque le droit de discuter ce qu'une tradition figée dans un sacré intouchable a institué depuis des millénaires : des rites, des principes, des moeurs qui pourtant ne correspondent plus du tout aux besoins spirituels du temps présent... et dont les musulmans ne se rendent pas compte eux-mêmes, le plus souvent, à quel point leur revendication a changé de nature parce qu'elle se fait au nom de valeurs tout à fait profanes (droit à la différence, tolérance, liberté de conscience).

Comment s'étonner que dans ce climat général de civilisation, figé et schizophrène, quelques esprits malades transforment et radicalisent cette fermeture collective en fanatisme meurtrier ? On dit d'un tel fanatisme de quelques-uns que " c'est l'arbre qui cache la forêt d'un islam pacifique ". Mais quel est l'état réel de la forêt dans laquelle un tel arbre peut prendre racine ? Une culture saine et une véritable éducation spirituelle auraient-elles pu accoucher d'un tel monstre ? Certains musulmans ont l'intuition que ce type de question a été trop longtemps ajourné. La conscience commence à se faire jour chez eux qu'il deviendra toujours plus difficile de vouloir déresponsabiliser l'islam de ses fanatiques, et de faire comme s'il suffisait d'en appeler à distinguer islam et islamisme radical. Mais il doit devenir évident pour beaucoup plus de musulmans encore que désormais les racines de l'arbre du mal sont trop enfoncées et trop nombreuses dans cette culture religieuse pour que celle-ci persiste à croire qu'elle peut se contenter de dénoncer ses brebis galeuses.

L'islam doit accepter le principe de sa complète refondation, ou sans doute même de son intégration à un humanisme plus vaste qui le conduise à dépasser enfin ses propres frontières et son propre horizon. Mais acceptera-t-il de mourir ainsi pour que renaisse de son héritage une nouvelle forme de vie spirituelle ? Et où chercher l'inspiration de ce dépassement ? En tant que spécialiste des pensées les plus profondes de l'islam, ces pensées philosophiques et mystiques d'Averroès (1126-1198) et d'Ibn Arabi (1165-1241), je vois à quel point leur sagesse a été perdue - la plupart des musulmans ne connaissent même pas leurs noms. Il ne s'agit pourtant pas de les ressusciter, ni de les répéter. Il est bien trop tard pour cela. Il s'agit de trouver leur équivalent pour notre temps. A cet égard, il ne suffit donc même pas d'être prêt à admettre enfin qu'il y a une " maladie générale de l'islam ", et qu'il faudrait revenir à ces sagesses du passé.

Le défi est beaucoup plus important. Il faut que l'islam arrive à cette lucidité tout à fait nouvelle de comprendre qu'il doit se réinventer une culture spirituelle sur les décombres du matériau mort de ses traditions. Mais, autre difficulté redoutable, il ne pourra pas le faire seul et pour lui seul : rien ne servirait aujourd'hui de vouloir instituer un " humanisme islamique " à côté d'un " humanisme occidental " ou d'un " humanisme bouddhiste ". Si demain le XXIe siècle est spirituel, ce ne sera pas de façon séparée entre les différentes religions et visions du monde, mais sur la base d'une foi commune en l'homme. A trouver ensemble.

Abdennour Bidar

Professeur de philosophie

à Sophia Antipolis (Alpes-Maritimes)

2 commentaires:

  1. Je trouve cette analyse intéressante bien qu'elle doive faire du mal aux musulmans. C'est toujours douloureux de toucher à la spiritualité. Je ne suis pas une spécialiste des religions. Ce que je sais, c'est que nous on s'est battus à mort pendant 300 ans pour refuser à notre religion de s'occuper de notre vie. Pourquoi? parce que la foi touche à la radicalité et à l'absolu dans nos consciences, or,la société civile est toujours dans le "relatif" et pas dans "l'absolu". Voilà le danger inhérent à la religion dès qu'elle s'empare de la vie civile. Elle est obligatoirement intolérante. Les chrétiens eux mêmes sontparfois confrontés à un grand écart entre leur foi et leur pratique. Nos guerres civiles en témoignent. Je pense sincèrement que le principe de laïcité absolue nous a permis de vivre ensemble en paix et de respecter la liberté de conscience. Je pense que l'Islam doit aussi faire cet effort et qu'il est encore imprégné de cultures théocratiques, qui l'empêchent d'éradiquer les mauvaises racines dont vous parlez. C'est une régression et pourtant, rappelez-vous que l'Islam a été une grande culture de savoirs et de partage dont nous avons bénéficié en occident. Il revient donc à l'Islam d'examiner ce principe de laïcité, de condamner les systèmes théocratiques. Je pense que les esprits cultivés de cette civilisation doivent se battre pour ouvrir cette brèche. Beaucoup de musulmans seraient ainsi libérés de cette pression, parce que pour l'instant, ils souffrent en première ligne des risques d'amalgame, mais c'est à eux d'imposer cette évolution. Ils n'ont qu'à y réfléchir et voir les combats qu'on a menés nous mêmes face à ça et comment on s'en est sortis. D'ailleurs, si les musulmans se sentent bien chez nous, c'est qu'ils le savent au fond d'eux mêmes.

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  2. Jocelyne Lavigne27 mars 2012 à 10:30

    Brillant et iconoclaste,A.Bidar a raison...seul
    contre tous ? non on est deux,c'est un bon début!

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