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dimanche 25 mars 2012

Le libre-échange de la haine - Arezki Metref, Le Soir d'Algérie, 25 mars 2012

Les crimes commis en France, à Toulouse et dans sa région, par le djihadiste visiblement solitaire Mohamed Merah, dont l'origine algérienne est insidieusement mise en avant par les médias, soulèvent une émotion légitime, des interrogations multiples, tout en levant un lièvre à sa manière. En effet, les motifs intimes, psychologiques, idéologiques du passage à l'acte ne sont pas encore bien connus. Y a-t-il une chance qu'ils le soient jamais après le dénouement que la traque de Merah a connu ?

Quoi qu'il en soit, les analyses nous parviennent à travers le filtre d'une presse et d'une classe politique loin d'être apaisée, surtout en période électorale où la seule monnaie courante est l'émotion. Bien entendu, quelles que soient les motivations de l'assassin, son acte est odieux et condamnable. Si tant est qu'il en ait une, son forfait dessert sa cause. Nul besoin d'études sophistiquées pour pronostiquer en conséquence de ces attentats un regain d'islamophobie, déjà répandue et banalisée, ainsi que l'exacerbation d'un racisme antiarabe et singulièrement antialgérien puisque cette identité a été soulignée. Les condamnations vigoureuses de responsables religieux musulmans ne suffisent pas à lever l'amalgame courant entre violence qui se justifie par le radicalisme religieux et islam. Les millions de musulmans qui vivent leur religion dans le respect de la laïcité et dans celui des autres vont devoir payer tous, collectivement, le geste fou d'un probable psychopathe qui se réclame de l'islamisme. Et qui, semble-t-il, mélange avec une belle désinvolture délinquance et extrémisme religieux basique. Dès qu'on a appris l'origine musulmane et le parcours djihadiste du tueur, l'extrême droite a de nouveau enfourché, par la voix de Marine Le Pen, son argument coutumier, c'est-à-dire la criminalisation d'une religion et l'ethnicisation d'une radicalité religieuse. L'extrême droite n'est pas la seule force politique xénophobe à tirer profit de cette tragédie. La droite dite républicaine ne crache pas dessus non plus. A preuve, l'ahurissante déclaration du très droitier président de l'UMP, Jean- François Copé, embrayant à partir de l'émotion suscitée par le drame sur la réactivation de sentiments anti-musulmans manifestement fertiles dans la récolte des voix. La théorie du bouc émissaire qui, en temps de crise, sert la séduction électorale tant elle permet une auto-absolution et la culpabilisation de l'autre, théorie visant les musulmans et, de façon plus générale, les immigrés, est encore une fois remise sur le tapis. Piqué au vif, un imam a même osé le rapprochement avec le 11 septembre 2001 qui a été suivi aux Etats-Unis d'une chasse aux musulmans sans précédent. Dans le climat particulièrement tendu qui est celui de la crise en France et de l'élection présidentielle qui permet à certains candidats adeptes du choc des civilisations de puiser dans les inégalités et les difficultés sociales le carburant pour se doper, l'acte de l'assassin s'en prenant à des soldats et à des enfants juifs est évidemment pain bénit pour les tenants de la haine, de l'exclusion, qui considèrent que tous les musulmans sont des Merah potentiels. Cette triste réflexion vient alors à l'esprit : qu'en aurait-il été si deux des victimes de la tuerie de Montauban n'avaient pas été eux-mêmes d'origine maghrébine ? En pointant du doigt l'origine étrangère de l'assassin, n'y a -t-il pas un risque de conforter une certaine opinion prompte à désigner l'étranger comme le fauteur de trouble et de favoriser les dérives dont nombre de pays européens font les frais ? La réponse est oui ! Pour rappel, la tuerie perpétrée le 22 juin dernier en Norvège, par Anders Behring Breivik un fondamentaliste chrétien exalté agissant au nom de la lutte contre l'Islam, et qui a fait 77 morts. Autres faits : le démantèlement en novembre 2011 en Allemagne d'une cellule néonazie à l'origine d'une série de meurtres racistes, sévissant depuis une dizaine d'années, l'assassinat en Italie de vendeurs sénégalais, etc. Si ces actes criminels sont le fait d'individus isolés ou de groupes d'individus somme toute marginaux, qualifiés par les criminologues de «loups solitaires», la politique ouvertement xénophobe de certains pays d'Europe est elle, sinon plus, du moins tout aussi inquiétante. Passons sur les «inégalités entre civilisations» lancée par un Claude Guéant visiblement missionné pour glaner des voix dans les arrière cours du Front national. Disons juste que de telles affirmations, infondées et malsaines dans un débat de justice et d'humanisme, contribuent à créer un climat de suspicion qui inscrit malheureusement des actes haineux dans le registre de l'advenu. Passons aussi sur la polémique autour de la viande hallal en France qui a, comme dit l'autre, mis le diable à la cuisine française et voyons succinctement ce qui se passe dans quelques autres pays européens. En Hongrie, les Roms sont désignés à l'opprobre par des partis de la majorité gouvernementale. Ce racisme d'Etat ne semble pas scandaliser l'Union européenne ou alors ça ne se voit. En Bulgarie, ce sont les Turcs qui payent les pots cassés tandis que, aux Pays-Bas, après les musulmans, les immigrés d'Europe centrale et orientale sont à leur tour livrés à la vindicte. L'Europe a-t-elle peur ? Oui, bien sûr, elle a peur mais elle ne choisit pas la bonne protection. En offrant toujours la même victime expiatoire à une opinion qui cherche des coupables ailleurs qu'en elle-même, les Etats européens ne font que donner plus de profondeur au fossé qui se creuse entre les groupes sociaux, certains considérés inférieurs à d'autres du fait de leur incapacité à être «assimilés». Evidemment, l'islamisme radical existe bel et bien. Il est destructeur. Sa violence est déjà barbare lorsqu'elle est produite par des groupes structurés. A cette barbarie s'ajoute une autre ignominie quand elle est le fait de loups solitaires. Sans vouloir dédouaner qui que ce soit, ne convient-il pas de rappeler ici que 90% des victimes de l'extrémisme islamiste à travers le monde est constitué de musulmans ? Revenons à ce propos quelques années en arrière pour se remémorer que lorsque les islamistes radicaux massacraient les démocrates en Algérie, les capitales européennes, dont Paris, soutenaient plutôt les islamistes comme étant l'expression de la démocratie et du peuple. 
A. M.

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