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mardi 27 mars 2012

Hélène Flautre: «La politique migratoire est prise en otage par les discours racistes à la tête de l’État» MEDIAPART 27 MARS 2012 | PAR CARINE FOUTEAU



 « L'Europe passoire » : cette expression chère à l'extrême droite vient d'être réhabilitée par Nicolas Sarkozy qui s'est attaqué à l'espace Schengen de libre circulation au sein de l'Union européenne. Comme en 2007, le président-candidat fait de l'immigration l'un des ressorts de sa campagne électorale. Entretien avec Hélène Flautre, eurodéputée d'Europe Écologie-Les Verts, qui a conçu trois vidéos d'animation de quelque deux minutes chacune, pour lutter contre les idées reçues, récurrentes en ce domaine.

En pleine campagne présidentielle, pourquoi avoir conçu des films d'animation sur les questions migratoires ?

L'objectif est d'aller à l'encontre des idées reçues sur un sujet instrumentalisé par la droite et le gouvernement, incapable de répondre à la crise économique et sociale. Ces vidéos ont été réalisées dans le sillage de l'audit de la politique de l'immigration, de l'asile et de l'intégration qui a réuni en 2010 et 2011 des parlementaires européens, des députés et des sénateurs français de tous bords en lien avec l'association Cette France-là. Nous avons entendu de nombreux experts, des chercheurs, des historiens, des géographes, des juristes, des militants, des représentants du patronat, etc. Sur cette base, nous avons mis à jour des éléments d'information et de connaissance permettant de concevoir une politique radicalement différente de celle qui est menée actuellement. La politique migratoire est aujourd'hui prise en otage par les discours populistes et racistes, souvent tenus à la tête de l'État. Nous avons voulu déconstruire quelques idées ressassées bêtement.


Par exemple ?


Par exemple que toute la misère du monde viendrait assiéger les pays européens ou que les migrants seraient une telle charge pour les politiques de solidarité que nous serions contraints de les renvoyer dans leur pays d'origine. Il faut remettre les choses à leur place. Un petit milliard de gens quittent chaque année leur terre natale. L'immense majorité, 700 millions, vont vers la mégapole d'à côté. Ils ne sont que 214 millions à traverser une frontière.

Parmi eux, seuls 30 % vont vers un pays développé. Sans eux, la plupart des pays européens déclineraient démographiquement. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la population mondiale est plus sédentaire au XXIe siècle qu'au début du XXe : les migrants internationaux sont passés de plus de 5 à 3 % de la population totale. Au sein des migrations subsahariennes, on compte un retour pour trois départs.

Pourquoi le gouvernement n'évoque-t-il jamais ceux qui s'en vont ? Environ 20.000 Tunisiens sont arrivés en Europe au moment de la révolution. Qui a parlé de tous ceux, beaucoup plus nombreux, qui sont retournés dans leur pays à cette occasion ? En matière d'asile aussi, l'Europe à quinze en 1992 recevait trois fois plus de demandes que l'UE à vingt-sept en 2010.

Plutôt qu'une Europe « assaillie », le risque n'est-il pas d'une Europe dépeuplée ?

Tout notre propos est de démontrer que les politiques de fermeture des frontières sont sans issue, y compris économiquement et démographiquement. Même en France, où la natalité est dynamique, la contribution nette des migrants aux caisses de l'État est importante, de l'ordre de 12 milliards d'euros chaque année. On ne peut pas imaginer financer les retraites sans l'apport des immigrés. Il est donc dans l'intérêt bien compris des populations des États européens de choisir des politiques d'immigration ouvertes. Toutes les sociétés européennes sont concernées.

Depuis plusieurs années, le solde migratoire entre l'Allemagne et la Turquie est positif pour la Turquie, c'est-à-dire qu'il y a plus de gens résidant en Allemagne qui font le choix de s'installer en Turquie que l'inverse. L'Europe n'est plus aussi désirable et attractive qu'elle le croit. Beaucoup de jeunes Européens diplômés vont vivre durablement en Asie ou dans des pays émergents. Le développement économique aujourd'hui est en train de se détourner de l'Europe.

Comment analysez-vous l'attaque en règle de Schengen par Nicolas Sarkozy ?

C'est une illustration de l'instrumentalisation. Nicolas Sarkozy est ridicule et décalé. La France est le premier pays d'accueil de touristes au monde. Va-t-on rétablir à nos frontières des contrôles qui inciteront ces 75 millions de visiteurs à voyager ailleurs ? Toute cette affaire est partie des quelques milliers de Tunisiens qui se sont rendus en Europe, exerçant leur nouveau droit à la mobilité, après la chute de Ben Ali. Silvio Berlusconi, alors président du conseil italien, a fait monter la pression sur Lampedusa pour essayer de détourner l'attention de ce qui était en train de se passer au sud de la Méditerranée. Avec la France et l'Espagne, ils ont demandé la révision du code Schengen. C'était il y a un an !

En pleine campagne électorale, l'enjeu, pour le président français, est d'agiter la peur pour justifier ses politiques sécuritaires et répressives. D'ailleurs, si Paris se préoccupait réellement de Schengen, Claude Guéant, le ministre de l'intérieur, serait allé à la dernière réunion qui faisait le point sur l'état des négociations. Or, il était absent.

Pourquoi la Commission européenne a-t-elle consenti à ouvrir une négociation ?

Elle l'a fait pour reprendre la main. Le code Schengen permet déjà, à certaines conditions, de rétablir de manière temporaire des contrôles pour certains événements internationaux ou pour atteinte à l'ordre public. Selon moi, elle n'aurait pas dû proposer qu'un « afflux massif » de migrants, sans en donner la définition, soit considéré comme un motif suffisant. Quand on sait qu'en France dix personnes débarquant en Corse constituent un « afflux massif », cela pose problème. Cette affaire intervient à un moment où la plupart des États veulent se réapproprier la gouvernance de l'espace Schengen et qu'est toujours refusée l'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie.

En matière de durcissement de sa politique migratoire, la France n'est pas isolée…

La France mène une politique sécuritaire et répressive, qui n'est ni pragmatique, ni raisonnable. Opportuniste, elle est au contraire désordonnée et sans cohérence. Effectivement, la France n'est pas seule. Les discours populistes et xénophobes, liant terroristes, migrants et clandestins, se retrouvent partout en Europe. La représentation que les citoyens européens ont des migrations est totalement faussée. Cela produit un état de racisme latent et une atmosphère délétère sur ce vieux continent. L'immigration sert de grosse ficelle, notamment en période électorale.

Que répondez-vous à ceux qui affirment que l'Europe est une « passoire »… ou une « forteresse » ?

L'Europe n'est ni une passoire, ni une forteresse. Sa frontière est rugueuse, par endroits elle est sécurisée, à d'autres poreuse. La réalité se situe néanmoins du côté d'un durcissement généralisé. Les migrants empruntent des routes d'autant plus dangereuses que des dispositifs quasi militaires sont mis en places ici et là. Les voies de la migration légale étant réduites comme peau de chagrin, ils sont soumis à un arbitraire insupportable.

Depuis la fin des années 1990, plus de 10.000 personnes sont mortes noyées dans la Méditerranée. Selon le HCR, en 2011, elles étaient 1.500. De même, à la frontière Evros, entre la Turquie et la Grèce, les drames humains sont réguliers. Par ailleurs, la spécificité européenne tient au fait que ses frontières sont de moins en moins celles de ses limites géographiques. Entre les officiers de liaison délocalisés dans les pays d'émigration et les patrouilles de Frontex, l'UE se positionne jusque dans les pays tiers pour exercer son droit de triage. Sans craindre de violer les droits des migrants, elle impose aux pays de son voisinage des accords de réadmission les obligeant à reprendre sur leur territoire non seulement leurs ressortissants, mais aussi les personnes étant supposées avoir transité sur leur sol. Ce faisant, l'UE contraint ces pays à davantage contrôler leurs frontières et à empêcher les migrations en amont. La motivation de ces accords est de faire de ces États des terres de rétention des flux migratoires. 

L'Union européenne n'est-elle pas le seul échelon efficace pour gérer ces questions ?

Construire des politiques d'immigration et d'asile est pertinent à l'échelle du continent européen. Ça l'est moins, voire pas du tout au niveau des États. Mais comme ces politiques sont en co-décision, elles dépendent trop des intérêts fluctuants des chefs d'État et de gouvernement. Au Conseil, l'heure est majoritairement à la suspicion et à la répression.

Cette politique marche sur la tête car elle n'est bénéfique pour personne. Ni pour les pays d'émigration, ni pour les migrants, ni pour les pays d'accueil. La prévisibilité d'un parcours de migration est extrêmement faible, c'est la répression, le hasard et la précarité qui dominent. Or tous les rapports académiques, d'ONG et d'organisations internationales nous disent qu'une bonne politique d'asile et d'immigration est une politique qui permet de lever les obstacles à la mobilité, d'organiser et d'accompagner les mobilités. C'est tout l'enjeu d'une nouvelle politique.

Plus les droits des migrants sont garantis et respectés, plus les parcours sont sécurisés et organisés, plus les bénéfices sont importants pour les migrants, pour les sociétés d'accueil et pour les sociétés d'origine. C'est ce gagnant-gagnant-gagnant qu'il faut mettre en place.

Le meilleur exemple n'est-il pas la libre circulation à l'intérieur de l'UE qui permet à tout un chacun d'aller et venir sans se retrouver piéger dans tel ou tel pays d'accueil ?

Au sein de l'UE, avec la libre circulation, on peut effectivement constater les bénéfices d'une politique ouverte assise sur le droit à la mobilité. On peut toutefois regretter les entraves qui persistent pour les Bulgares et les Roumains, notamment les Roms.

Pourquoi le PS ne défend-il pas cette vision ?

Le candidat Hollande n'a pas l'air d'avoir envie de se prononcer sur les questions d'immigration et d'asile, hormis pour déclarer que lui aussi sera capable de combattre l'immigration « clandestine ». Même la Commission européenne n'utilise plus ce terme et parle d'immigration « irrégulière ». La différence est importante : « irrégulière » veut dire que la migration a pu avoir lieu en transgressant la loi, mais cela ne veut pas dire qu'elle est illégitime. Par exemple, un demandeur d'asile peut arriver à la nage sur une côte sans avoir demandé de visa, mais être néanmoins en droit d'utiliser tous les moyens lui permettant de réclamer une protection internationale.

Et le reste de la gauche ?

Ces candidats font un travail positif, car ils mettent en avant la diversité de la société française. Ils prennent le contre-pied du fantasme sécuritaire qui sévit à tous les étages de l'administration française, sous la férule de ce gouvernement et dénoncent le coût humain et économique de cette politique. Il est urgent de s'appuyer sur les pays en transition démocratique au sud de la Méditerranée pour expérimenter concrètement une nouvelle politique fondée sur le droit à la mobilité. Le nouveau gouvernement italien paraît vouloir aller dans cette direction. Les migrants doivent avoir le choix de partir ou de rester. En ce sens, il faut élaborer une politique d'émigration choisie et non d'immigration choisie. Pour cela, nous devons faire en sorte que personne ne soit forcé de quitter sa terre. L'UE a les moyens de cesser de spolier les ressources halieutiques, de maîtriser les changements climatiques en réduisant les gaz à effets de serre, d'arrêter de soutenir les régimes liberticides. Tout cela est à notre portée.

Vous défendez le droit à la mobilité plutôt que l'ouverture des frontières ?

Pour moi c'est la même chose, pour exercer son droit à la mobilité, il faut avoir des frontières ouvertes. Mais je ne veux pas me laisser enfermer dans un piège où l'on me reprocherait de défendre tout et n'importe quoi. Je suis favorable à ce que l'on enregistre les personnes aux frontières, je suis pour l'organisation des flux, la sécurisation des migrations et l'accompagnement des migrants car c'est la politique la plus raisonnable. Je ne veux pas me contenter de slogans sur l'ouverture des frontières qui alimentent les fantasmes et donnent des arguments aux promoteurs du tout répressif.

 

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