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mercredi 7 mars 2012

Halal : Sarkozy divise sa majorité (Libération, 7 mars 2012)



Halal : Sarkozy divise sa majorité

Nicolas Sarkozy le 21 février 2012 en visite au marché de Rungis
Nicolas Sarkozy le 21 février 2012 en visite au marché de Rungis (Photo Lionel Bonaventure. AFP)

Hier soir à la télé, le Président a cherché à calmer le jeu après sa sortie sur les abattages rituels qui a agité la droite. Dans le même temps, il a promis de réduire de moitié l'immigration.

Par ALAIN AUFFRAYGRÉGOIRE BISEAUFRANÇOIS WENZ-DUMAS

Pour une émission de télévision de très grande écoute qui ouvre une semaine cruciale pour Nicolas Sarkozy, difficile d'imaginer pire lever de rideau. Hier soir, invité Des paroles et des actes sur France 2, le président-candidat a répondu à la polémique qu'il a lui-même suscitée : les conditions d'abattage pour la viande halal et casher. «Je voudrais que chacun se calme, on est épuisés de toutes ces polémiques», a déclaré le chef de l'Etat. Tout en défendant sa proposition d'un étiquetage sur la «base du volontariat». Et de nier avoir amorcé un virage droitier dans son début de campagne : «La vérité, c'est que votre grille de lecture est fausse et démodée», a-t-il répondu au journaliste qui l'interrogeait. Toute la journée d'hier, les principaux représentants des communautés musulmane et juive ont vivement réagi (lire ci-contre). Et une grande partie de la majorité a été obligée de prendre ses distances avec l'initiative présidentielle.

 

À l'Élysée, L'abattage sur la table

Hier matin à l'Elysée, Nicolas Sarkozy réunit son comité stratégique. Sont présents, comme d'habitude, François Fillon, Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin, Jean-François Copé et Bruno Le Maire. Et, exceptionnellement, le centriste Pierre Méhaignerie. Ce dernier met le sujet de la viande halal sur la table. «Attention, ce n'est pas un sujet qui intéresse les Français», lâche-t-il. Jean-Pierre Raffarin appelle, lui, à des mesures plus positives qui ne s'adressent pas à un électorat«très droitier». Alain Juppé déplore, pour sa part, que l'entrée en campagne a oublié les thématiques économiques et sociales, notamment celles de la compétitivité.

La veille, depuis sa mairie de Bordeaux, il a déclaré que «le problème de la viande halal est en réalité un faux problème ; il y a d'autres vraies questions qu'il faut se poser». Quasiment au même moment, mais depuis Saint-Quentin (Aisne), Nicolas Sarkozy assurait, lui, que«le premier sujet de préoccupation, de discussion des Français, c'est cette question de viande halal». Dans l'entourage du ministre des Affaires étrangères, on assume parfaitement l'hiatus : «Alain Juppé continuera à dire ce qu'il pense, car il pense que c'est utile au Président».

Au QG de campagne, on évacue le sujet

11 heures, au QG de campagne de Nicolas Sarkozy, rue de la Convention à Paris, la porte-parole, Nathalie Kosciusko-Morizet, tient un point presse. Elle veut évoquer les volte-face de la campagne de François Hollande, à qui elle a trouvé un nouveau slogan : «Le changement, c'est tout le temps.» Elle détaille, par le menu, la succession de changements dans les propositions du candidat socialiste. Mais les journalistes présents veulent parler des changements de la majorité sur… l'étiquetage de la viande halal. Dimanche, NKM avait pris ses distances avec le ministre de l'Intérieur, Claude Guéant, qui avait établi un lien, dans une même phrase, entre le droit de vote des étrangers et la viande halal à la cantine, oubliant que Nicolas Sarkozy avait fait le même lien (mais pas dans une même phrase) dans son discours de Bordeaux.

Hier matin, elle nie catégoriquement avoir contredit les propos de son candidat. «On est en train de disserter des éventuelles conséquences d'une proposition [le droit de vote des étrangers aux élections locales, ndlr] à laquelle nous n'adhérons pas, et à laquelle, moi, je n'adhère pas. J'ai d'abord des réticences de principe.»Elle est obligée aussi de venir au secours de François Fillon, qui avait suggéré la veille de revenir sur les «traditions ancestrales» d'abattage rituel. Déplorant des«réactions disproportionnées», notamment des communautés religieuses, elle affirme que «les religions évoluent, c'est une évidence historique. Mais ce n'est pas le jour ni le moment d'avoir ce débat». Pourtant, le débat ne va pas cesser de prospérer toute la journée.

Au Sénat, en finir avec les «ruminants à pieds fourchus»

Au même moment, au Sénat, réunion du groupe UMP. Gérard Larcher, vétérinaire de profession et qui fut, dans sa jeunesse, inspecteur des abattoirs, demande qu'on en finisse avec ce débat sur le halal. Il faut, dit-il, «aller au bout de la traçabilité des ruminants à pieds fourchus».Pour le reste, il faut revenir au plus vite aux «vrais sujets : emploi et pouvoir d'achat». L'ancien président du Sénat a prévu de le dire de vive voix au président-candidat, qui doit le recevoir dans quelques jours.

À l'Assemblée, autopersuasion et états d'âme

A l'Assemblée nationale, François Fillon parle devant le groupe UMP. On évoque l'état de la mobilisation de la droite. «On est une armée en bataille. Il y a un patron, c'est le candidat, toute contestation de l'organisation et de la stratégie est un affaiblissement», déclare le Premier ministre. Pas un mot sur sa boulette de la veille. Il s'en expliquera avec les représentants des communautés juive et musulmane, reçues aujourd'hui et demain à Matignon. Bien conscients des dégâts que provoqueraient de trop vives querelles, les députés UMP écoutent sagement. Mais ils n'en pensent pas moins.

En sortant, François Goulard, député UMP du Morbihan, ironise sur ce calme trompeur. Il évoque cette conclusion qu'il emprunte à Madame de Sévigné : «Les vacances touchant à leur fin, les enfants s'aimaient tous de plus en plus.» Le chef de file des députés UMP, Christian Jacob, tente le grand écart : «Je pense qu'il y a quand même d'autres sujets de préoccupation des Français, même si celui-ci en est un…»Depuis Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine), François Hollande profite de la cacophonie pour se donner le bon rôle : «J'appelle - est-ce pourtant mon rôle ? - le président de la République, pour le temps où il est encore dans cette fonction-là, et le Premier ministre à avoir de la retenue et à ne pas froisser un certain nombre de consciences.»

A l'heure du déjeuner, un ministre déjeune avec un groupe de journalistes. «A un mois et demi du premier tour, ce n'est pas le moment d'avoir des états d'âme, sourit-il.Il y a un général qui décide de la stratégie et nous, les soldats, on fait bloc et on ferme notre gueule. Sinon, on change de métier.» Il espère secrètement que la campagne va vite revenir sur la crise économique et sociale et sur le procès en crédibilité de François Hollande. «Si, dans quinze jours, on ne voit pas de résultat, il y a un risque de craquement dans la majorité. Et si le doute se met à s'exprimer à haute voix, alors ce sera mortifère.»

Des députés par très droite dans leurs bottes

Il est 14 h 30 à l'Assemblée, et les députés commencent à arriver dans la salle des Quatre Colonnes. Ambiance un peu «dernière journée de classe». Le député UMP de la Mayenne Yannick Favennec n'en peut plus : «La viande halal, tout le monde s'en fout.» Selon lui, «la droitisation de la campagne ne correspond pas du tout à ce qu'attend la majorité». Pourquoi donc le candidat Sarkozy a-t-il cru bon de relancer la polémique sur le halal, lui qui assurait pourtant, le 22 février à Rungis, qu'elle n'avait «pas lieu d'être» ? Hervé Mariton, habituellement disert, s'avoue incapable de répondre : «C'est en effet curieux… un mystère.»

Un vieux député UMP passe par là : «Cette histoire de viande halal, c'est une énorme connerie ! Mais pourquoi on s'est laissé embarquer là-dedans ?» A l'image de Valérie Boyer, de nombreux élus UMP mettent en cause «les médias»,accusés de passer sous silence les propositions sur l'éducation présentées à Montpellier la semaine dernière par Sarkozy. «Si vous ne voulez pas qu'on vous en parle, arrêtez de nous interroger sans cesse sur le halal !» Secrétaire d'Etat aux Transports, Thierry Mariani, assume, lui, sans états d'âme. Il raconte que la veille, à l'occasion d'un meeting à Avignon, le ministre Claude Guéant a été le plus applaudit quand il est revenu sur l'affaire… de la viande halal.


http://www.liberation.fr/politiques/01012394405-halal-sarkozy-divise-sa-majorite?xtor=EPR-450206

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