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samedi 24 mars 2012

L'islamisme radical en prison, un "phénomène ultra-minoritaire" 23.03.12 | 15:00 | LE MONDE Stéphanie Le Bars

Les prisons françaises, creuset de l'islamisme radical ? C'est ce qu'a laissé entendre, jeudi 22 mars, le président de la République peu après la mort de Mohamed Merah."Nous ne pouvons accepter que nos prisons deviennent des terreaux d'endoctrinement à des idéologies de haine et de terrorisme", a déclaré Nicolas Sarkozy, semblant rebondir sur les propos de l'avocat du jeune homme pour qui "sa maturation[idéologique] s'est faite en cellule avec ses codétenus". Le chef de l'Etat a demandé au garde des sceaux "une réflexion approfondie sur la propagation de ces idéologies dans le milieu carcéral".

Cette généralisation d'un phénomène "ultra-minoritaire et en pleine mutation" laisse sceptique le chercheur Fahrad Khosrokhavar, auteur de L'Islam dans les prisons(Balland, 2004), qui mène actuellement une recherche sur les différentes formes de radicalisation notamment néonazie des détenus."Il est aujourd'hui très difficile d'organiser un réseau djihadiste en prison. Certes, un individu emprisonné peut toujours transformer sa haine de la société en une haine "sacralisée" par l'islam."

"UN OUTIL DE DÉTECTION DES PHÉNOMÈNES DE RADICALISATION"

En dix ans, les choses ont toutefois beaucoup évolué. "Longtemps, au nom de la laïcité, l'administration pénitentiaire ne s'est pas intéressée au phénomène religieux. Mais ces dernières années, on a observé une prise de conscience. L'administration est désormais attentive aux changements de sociabilité, aux contestations d'autorité, au fait qu'un détenu se laisse pousser la barbe...", souligne M. Khosrokhavar qui estimait, dans sa précédente enquête, que certaines prisons proches des grandes villes accueillaient entre 50 % et 80 % de détenus de confession musulmane.

L'administration pénitentiaire, en s'appuyant d'ailleurs sur les travaux du sociologue, a mis au point un "outil de détection des phénomènes de radicalisation", en fait une grille d'évaluation remplie par les délégués au renseignement pénitentiaire. Elle estime que les islamistes radicaux prosélytes sont entre 100 et 200 aujourd'hui en détention.

L'arrivée des aumôniers musulmans, au milieu des années 2000, a aussi joué un rôle de contrôle et de pacification. "Notre présence permet de réguler les pratiques et les demandes religieuses", confirme l'aumônier de Fleury-Mérogis (Essonne), Abdellak Eddouk, qui reconnaît avoir eu parfois affaire à des radicaux pensant "détenir la vérité"."Mais par le dialogue et ma connaissance de l'islam, je suis parvenu à les remettre à leur place. Cette fonction de référent est importante aux yeux des autres détenus."

"IL FAUDRAIT TROIS FOIS PLUS D'AUMÔNIERS MUSULMANS"

S'il ne nie pas l'existence d'une possible radicalisation, M. Eddouk estime qu'"elle est limitée et ne constitue pas l'élément central de ce qui se joue en prison". M. Khosrokhavar le confirme. "La présence d'aumôniers rend difficile l'émergence d'imams autoproclamés, centrés sur une version djihadiste de la religion".

Le nombre d'aumôniers musulmans reste cependant insuffisant : 150 intervenants quelques heures par semaine, contre quelque 700 catholiques, 300 protestants et une centaine de juifs. "Il en faudrait le triple", estime M. Eddouk. Or, au-delà de problèmes financiers une partie des aumôniers est rémunérée par l'administration , le vivier est faible."Il nous manque des gens qui maîtrisent à la fois la religion, le français, l'arabe, et la législation française", souligne l'imam. "Dans beaucoup de prisons, la prière du vendredi ne peut pas avoir lieu avec un imam. Elle se déroule alors "à la sauvage" ou pas du tout, créant de profondes frustrations", assure M. Khosrokhavar.

Mais pour le chercheur, "l'action de l'Etat contre les groupes violents a affaibli les organisations en réseaux ; on est désormais face à des loups solitaires, à une individualisation des formes de djihad, à des formes de repli sur soi" - comme Mohamed Merah.

Selon les spécialistes de l'islam, la radicalisation passe aussi désormais par des lectures individuelles, notamment sur Internet, et des séjours dans des pays musulmans. Le chercheur estime qu'une sensibilisation de la société civile, des familles et des acteurs musulmans est le meilleur rempart. "Nos sociétés doivent vivre avec cette nouvelle donne, sans tomber dans la psychose collective."



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