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jeudi 29 mai 2014

Montpellier exile son Musée de l'histoire de la France et de l'Algérie

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L'hôtel Montcalm, à Montpellier, qui devait accueillir le Musée de l'histoire de la France et de l'Algérie. DR

Le président de l'agglomération, M. Saurel, préfère installer de l'art contemporain dans un hôtel particulier du centre-ville, au grand dam des historiens associés à ce projet prévu pour 2015

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Un gâchis intellectuel, financier et politique " : les membres du conseil scientifique du Musée de l'histoire de la France et de l'Algérie, qui devait ouvrir en 2015 à Montpellier, ne cache pas leur colère face à la décision du nouveau maire et président de la communauté montpelliéraine d'agglomération, Philippe Saurel, de mettre fin au projet.

A peine élu, ce socialiste dissident, ancien fidèle de Georges Frêche et ex-adjoint à la culture de la maire sortante, Hélène Mandroux, a décidé d'annuler l'installation du musée prévue dans l'hôtel Montcalm, un bel édifice du XIXe siècle en plein centre-ville, et de transformer le lieu en centre d'art contemporain. Ce choix devrait être entériné à l'issue d'un vote du conseil d'agglomération prévu le 19 juin.

C'est par la presse locale que Philippe Saurel a annoncé, le 14 mai, cet abandon. Ni l'équipe de la conservatrice Florence Hudowicz ni le conseil scientifique composé d'universitaires et d'historiens français (parmi lesquels Marc Ferro, Benjamin Stora, Jean-Robert Henry), algériens (Ahmed Mahiou, Ahmed Djebbar) et français d'Algérie (Georges Morin), n'ont été consultés.

Dans une lettre ouverte au maire, datée du 16 mai, le conseil scientifique fustige ce procédé " abrupt et improvisé " et pointe le " gâchis que représente l'enterrement d'un projet sans équivalent en France ".Une pétition, lancée il y a quelques jours pour s'opposer à la décision du maire, a déjà recueilli 1 800 signatures.

" J'ai pris mes responsabilités ", plaide Philippe Saurel, qui met en avant l'absence de label délivré à ce projet " aussi bien par Frédéric Mitterrand que par Aurélie Filippetti ". En réalité, le ministère de la culture devait examiner cet automne l'obtention du label " Musée de France ". " Cela fait douze ans que ça dure, poursuit l'élu, et on n'en voit pas le bout. Au-delà de la façade crépie de neuf, à l'intérieur, tout est dans le même état qu'en 2010. Il n'y a que 2 ou 3 millions qui ont été dépensés pour les collections, le reste concerne les travaux, et cela me permet de faire une belle opération immobilière ", assume-t-il.

L'histoire de ce musée remonte à 2002 lorsque Georges Frêche, président de la communauté d'agglomération de Montpellier, décide de créer un " musée de l'histoire de la France en Algérie "" Il avait cédé au lobby des rapatriés qui voulaient faire un lieu à la gloire de l'Algérie française ", explique Georges Morin. En 2010, son successeur, Jean-Pierre Moure, choisit de nommer une conservatrice, de solliciter des historiens et de réorienter le projet en rebaptisant le musée " histoire de la France et de l'Algérie ". " Il s'agissait d'élargir la problématique initiale, de tout mettre sur la table afin de prendre en compte toutes les mémoires ", insiste M. Morin. Deux ans de travaux scientifiques et d'aménagement, trois mille pièces rassemblées, trois millions d'euros déboursés pour l'achat de tableaux, de photographies et d'objets, des prêts calés avec le Musée du quai Branly et le MuCEM, une exposition permanente en cours d'élaboration et une première exposition temporaire (" L'Algérie et la France au miroir de la Grande Guerre "), labellisée par la Mission du centenaire : le musée semblait sur les rails. Sur le blog qu'il tenait pendant la campagne des municipales, Philippe Saurel s'était dit favorable au projet : " J'estime qu'en histoire il n'y a rien de pire que le non-dit. "

Pourquoi ce revirement ? Un membre du conseil scientifique du musée, qui ne veut pas être cité, y voit un effet Front national. " La victoire de Ménard à Béziers a terrorisé tout le monde dans la région. Pour avoir la paix, on refuse de regarder l'histoire en face. " Un autre évoque " un retour de la politique clientéliste à la Georges Frêche " et la pression des associations de rapatriés. " Les pieds-noirs ont bien compris que ce projet était vicié depuis l'origine ", finit par lâcher le maire qui qualifie le dossier d'" extrêmement polémique ".  Et ajoute : " Je ne marcherai pas sur la mémoire des Français d'Algérie.  Le projet a changé d'âme le jour où Frêche est mort ; il est devenu moins chargé de sens, plus historique et plus général. "

Benjamin Stora ne décolère pas : " La France ne veut pas entendre parler d'une présence culturelle algérienne, c'est inouï. " Pour ce spécialiste du Maghreb et des guerres de décolonisation, " les élus municipaux anticipent d'éventuelles réactions non consensuelles, il y a comme une forme de peur ".

Philippe Saurel fait remarquer que sa décision de stopper le musée " n'a soulevé aucune protestation, ni des associations ni des élus des communes de l'agglomération, mais seulement du conseil scientifique. Que vaut-il mieux pour un centre-ville : un centre d'art contemporain capable d'attirer 800 000 visiteurs par an ou un musée de l'Algérie qui aura cinq visiteurs par jour ? J'ai été élu pour gouverner, je gouverne. "

Pour son projet alternatif, M. Saurel envisage de passer une convention avec le fonds régional d'art contemporain et de réactiver une ancienne convention avec Beaubourg. Quant au Musée de l'histoire de la France et de l'Algérie, le maire propose de le délocaliser à l'ouest de la ville dans les locaux désertés du Musée de l'infanterie.

Sandrine Blanchard (avec Isabelle Mandraud)

C'est la fin du discours multiculturaliste en France



Hégémonie culturelle de l'extrême droite ? Le résultat des élections européennes ne cesse d'interroger. Est-ce un épisode dû à l'abstention et au vote protestataire ou bien s'agit-il du symptôme d'une lente évolution de la société française vers les idées de la droite extrême ? S'explique-t-il aussi parce que le Front national aurait, comme l'assure M arine Le Pen, " gagné la bataille des idées " ? Quelle rôle la question de l'identité française a-t-elle joué dans ce succès politique et idéologique ?

L'extrême droite est-elle en train de gagner la bataille des idées ?

La nouvelle droite veut conquérir l'hégémonie culturelle, selon le schéma défini par le théoricien marxiste Antonio Gramsci (1891-1937). Elle abandonne ainsi le racisme biologique fasciste et les références de Le Pen père afin de privilégier certains travaux des sciences sociales qu'elle reprend à son compte, alors même que ces travaux s'inscrivaient dans une perspective progressiste et antiraciste après la chute du nazisme. C'est le cas pour le " différentialisme culturel " de Claude Lévi-Strauss, qui consistait à dire que toutes les cultures étaient égales en dignité, mais que chacune possédait sa dynamique et sa logique propres. De la même manière, l'anthropologue Margaret Mead (1901-1978), qui était pourtant de gauche, a vu ses idées passer à droite de l'échiquier politique.

Dans les années 1940, toute une gauche intellectuelle américaine a contribué à l'effort de guerre en rédigeant des manuels pour expliquer aux états-majors et aux soldats la mentalité de l'ennemi, celle des Japonais, des Allemands, et même des Français. La cause était bonne, sauf que cette matrice intellectuelle a perduré dans les études postcoloniales qui sont restées profondément essentialistes et identitaires, même si elles valorisent le métissage et la mixité. Parler de métissage, c'est déjà supposer qu'il existe deux êtres profondément différents qui peuvent se marier. Or, nous ne sommes pas dans une logique de renforcement des cultures, mais dans un mouvement de déculturation.



La nouvelle droite s'est donc adaptée à la modernité ?

Oui, elle cesse notamment d'être conservatrice sur les questions de famille et de sexualité. Le Front national compte aujourd'hui plus de partisans du mariage homosexuel parmi ses électeurs que l'UMP, si l'on en croit les derniers sondages. Tout simplement parce que ses électeurs sont plus jeunes. La gauche considère la percée de Le Pen comme l'arrivée du fascisme au pouvoir. Or, si le FN est né dans le fascisme, il ne l'est plus, son discours a changé quand la nouvelle droite est arrivée. Aujourd'hui, il n'est plus question du sang, de la terre et des cosmopolites, mais de la culture, des ancêtres et de l'immigration. C'est plus qu'un " relooking ".



Pourquoi le FN fait-il de l'immigration et de Bruxelles les responsables de la dilution de l'identité nationale ?

Bruxelles et l'immigration sont devenus les deux principaux boucs émissaires des identitaires. Bruxelles pose la question du contrôle politique du citoyen sur ses institutions. Un problème qu'on est obligé d'éluder, car, pour le régler, il faudrait renforcer les pouvoirs du Parlement européen et renforcer la démocratie européenne et donc l'union politique de l'Europe, pour enfin avoir un décideur responsable devant les citoyens. Or, la crispation nationaliste actuelle nous empêche d'aller plus loin dans l'intégration européenne. L'appareil bruxellois n'est pas adapté et le Parlement européen est le repaire de politiques qui se désintéressent de la question européenne et qui voient Bruxelles comme une résidence secondaire, en attendant de rentrer dans la cour nationale des grands.



Ce vote est-il une réaction au " communautarisme " qui gagnerait nos sociétés ?

Le communautarisme est un fantasme que la représentation des banlieues cristallise. Les populations musulmanes ne sont pas communautarisées : pas de représentation nationale, pas de réseau d'écoles confessionnelles, pas de parti politique. Oui, dans les quartiers, le taux de délinquance est important et il y a une économie souterraine, mais il y a aussi une vie sociale, une mixité… Les quartiers sont bien plus complexes que la caricature que l'on en fait. La preuve, ils ont cessé de voter à gauche. Et le FN l'a parfaitement compris, contrairement à la gauche qui continue de penser qu'on peut taper sur le communautarisme des musulmans et garder leur vote, sous prétexte qu'avec la droite ce serait pire. Sauf qu'avec Manuel Valls ça ne prend plus. Alors soit les musulmans s'abstiennent, soit ils votent à droite.

Le passage à droite de la Seine-Saint-Denis et du quartier nord de Marseille est fascinant. Il y a deux explications : ou ce sont les jeunes Blancs qui votent à droite, ce qui suppose qu'ils sont majoritaires dans les quartiers et qu'ils ne les ont pas quittés, ou bien ce sont des secondes générations d'immigrés qui votent Front national, ce qui prouverait que l'intégration fonctionne.



Vous dites que l'intégration fonctionne. Pourtant, le succès du FN n'indique-t-il pas le contraire ? 

Bien sûr qu'elle fonctionne. On ne parle jamais de la sortie du ghetto par le haut. Mais l'ascension sociale des classes moyennes issues de l'immigration musulmane est une évidence. Quand vous allez à la Sécurité sociale, vous avez régulièrement comme chef de service une dame d'origine algérienne, et à la banque, un conseiller financier d'origine marocaine (ou l'inverse, soyons prudents). Bien sûr, il y a des secteurs qui résistent, mais même la gendarmerie s'y met. Aujourd'hui, dans un collège public, le professeur de maths est souvent d'origine maghrébine, et dans les hôpitaux, c'est pareil. Comparez les listes des médecins des années 1980 avec celles d'aujourd'hui. Il y en aura toujours pour dire qu'on " nous " remplace, moi je dis " mutation ". Si vous prenez la liste des médecins des hôpitaux sur trois générations, vous allez voir apparaître des Weissman, puis les Benichou et maintenant les Abdelmalek. C'est un des signes qui montrent que l'intégration fonctionne.

La société change à toute vitesse. Les mariages mixtes sont en hausse, et surtout impliquent les filles d'origine musulmane, il suffit d'ouvrir L'Echo Républicain, le journal de Dreux, à la page " Naissances et mariages " pour le constater. Et les filles n'épousent pas des intellectuels multiculturalistes, mais des gars du coin. Sauf que personne ne veut le voir. L'intégration fonctionne avec un retard d'une génération.



Les tensions identitaires adviendraient donc lorsqu'un déficit d'intégration se manifesterait ?

Prenez ces jeunes d'origine maghrébine qui réussissent socialement. Ils sont profondément républicains et, ce qu'ils reprochent à la République, c'est d'avoir trahi son idéal d'égalité. La revendication religieuse ne vient qu'après et elle vient au nom de la liberté, pas de l'identité. Il ne faut surtout pas penser le problème de la liberté religieuse en termes de multiculturalisme, ce que fait la gauche de la gauche. Le discours multiculturaliste en France c'est fini, les indigènes de la République, ça ne prend pas. Ce n'est pas le multiculturalisme qui est populaire chez les jeunes. Prenez l'association " Fils de France ", dirigée par Camel Bechikh, qui s'attache à transmettre l'amour de la patrie aux jeunes musulmans et que je connais depuis longtemps. Lorsqu'il m'a annoncé son rapprochement avec Alain Soral, j'étais halluciné. Il m'a parlé de patriotisme en m'expliquant que l'extrême droite était pour lui une forme d'intégration. C'est pour moi une impasse, mais aussi un symptôme.

Ces élites musulmanes se détournent donc de la gauche ? 

Ces nouvelles élites sont souvent opportunistes, elles veulent devenir des notables républicains. Beaucoup sont entrés en politique au PS, ils ont servi pour coller les affiches, mais quand ils ont demandé des positions éligibles, on leur a répondu que le PS était contre le confessionnalisme, en brandissant l'argument d'une prétendue crispation identitaire. Ils ont l'impression de s'être fait avoir, d'avoir adopté la démarche républicaine et de se faire renvoyer à la tête qu'ils sont communautaristes. Beaucoup sont passés à droite.



Vous affirmez que le communautarisme n'est qu'un fantasme ; pourtant, l'intégrisme religieux gagne du terrain dans de nombreux endroits. Pourquoi le monde musulman y échapperait-il ? 

L'intégrisme religieux n'est pas une protestation identitaire et encore moins l'expression d'une culture traditionnelle, c'est au contraire une conséquence de la crise de la culture, c'est une quête du " pur " religieux. C'est donc bien le cas dans le salafisme, où on trouve aussi la plus grande part des convertis. Il y a aussi une crise de la sociabilité laïque catholique, juive… Tenez, prenez un exemple : vous avez été baptisé dans votre paroisse mais vous ne venez jamais à la messe. Avant, pour vous y marier, il fallait simplement prouver que vous étiez membre de la paroisse. Aujourd'hui, on exige de vous d'être un membre actif de la communauté. Nous n'avons pas affaire à un communautarisme identitaire mais à des communautés de foi qui se sentent rejetées par la culture laïque dominante, comme on le voit dans le front religieux qui s'oppose au mariage pour tous.

Et le Front national essaie de réinventer le communautarisme culturel autour du folklore et de l'apéro saucisson-vin rouge. Cette identité " laïque " ne se reconstruit pas sur la culture mais sur des marqueurs folkloriques. L'identité, c'est quand on a perdu la culture. On ne voit pas Proust parler d'identité. La montée du fondamentalisme religieux est partout l'expression d'une crise de la culture, pas d'une affirmation identitaire.



Comment combattre la fracture de la société française entre communautés ? 

La réalité revient dans l'espace public là où on ne l'attend pas forcément, par la vie intime et affective notamment. En France, tout le monde a un copain ou un voisin musulman : il y a un décalage complet entre la sociabilité réelle des gens et leur discours idéologique. L'effet de réel va aussi être politique, la montée de ces classes moyennes musulmanes commence à impacter la vie politique : vous trouvez aujourd'hui dans toutes les villes des listes avec des noms maghrébins, mais pas de listes communautaires. Tôt ou tard, la société réelle transformera la société politique et je pense qu'on est en train de vivre cette période. Vous le voyez sur le plan local, le FN recule dans les centres-villes, entre autres parce qu'une bourgeoisie musulmane de plus en plus nombreuse y vit et qu'elle est intégrée dans la sociabilité locale. En revanche, dès que vous passez dans les résidences périurbaines, vous retrouvez le vote frontiste, mais surtout parce que les services de l'Etat y sont défaillants. On crie alors au communautarisme mais, chez les secondes générations d'enfants issus de l'immigration, il y a au contraire une demande d'Etat, mais d'un Etat non discriminatoire.



Comment reconnecter le débat public à la réalité sociale que vous décrivez ? 

Le premier facteur de la réalité, c'est la politique, et c'est la raison pour laquelle je ne vois pas la montée du FN comme une catastrophe. Evidemment que le logiciel de pensée de Marine Le Pen n'est pas démocratique, mais quand un mouvement entre en politique, il est obligé de faire de la politique. Alors, qu'ils se frottent à la politique réelle ! Je regrette que le Front national n'ait pas gagné plus de mairies lors des élections municipales, parce que c'est la vie municipale qui vous apprend la politique et vous forme… ou vous disqualifie, comme à Toulon dans les années 1980. Qu'on se rappelle le " communisme municipal ". Le retour de la réalité passe par le politique, il ne faut donc pas le verrouiller. A force de vouloir gérer les crises à court terme, on crée des catastrophes. Il faut laisser certains conflits se dérouler.



Vous n'êtes donc pas inquiet pour l'avenir ? 

Non, les Français sont des pleurnichards. Le modèle français d'intégration fonctionne bien mieux que celui de l'Allemagne, des Pays-Bas, de la Suède ou du Royaume-Uni, mais c'est vrai qu'il est plus conflictuel. La société est beaucoup plus mélangée, plus mixte. La France possède une législation plus favorable à l'intégration et un modèle républicain qui séduit les nouvelles classes montantes. Dans les autres pays, la situation est plus compliquée encore : l'Allemagne est confrontée à une crise démographique importante et les Pays-Bas ont un faible taux de mariages mixtes. Aujourd'hui, nous ne sommes plus dans des structures d'immigration mais dans des structures de circulation, en tout cas dans l'espace méditerranéen.

Propos recueillis par Nicolas Truong

Professeur à l'Institut universitaire européen de Florence

© Le Monde


mardi 13 mai 2014

Le Monde, 14 mai 2014. Immigration : la funeste myopie européenne

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14 mai 2014Repenser l'animal
ANALYSE


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De Copenhague à Madrid, de Paris à Budapest, les élections européennes du 22 au 25 mai seront fortement influencées par l'une des questions les plus importantes que devra affronter l'Europe à l'avenir, celle de l'immigration. L'Union européenne accueille le plus grand nombre d'immigrés au monde, soit un peu plus de 71 millions.

Ce thème a beau être accaparé par Marine Le Pen et ceux qu'elle rejoindra, à Strasbourg, dans un groupe d'extrême droite transnational, leurs diatribes ne changeront rien aux tendances lourdes. Leur propagande contre l'étranger brouillera un peu plus la compréhension d'un phénomène complexe qui a façonné les sociétés depuis des siècles et continuera à le faire, quoi qu'en disent ces tribuns populistes et, ou, europhobes.

L'espoir étant qu'en définitive, leur présence, probablement massive, dans le futur Parlement des Vingt-Huit, ait une conséquence positive en forçant les autres responsables à afficher un discours plus courageux et plus conscient des réalités. Le projet que doit endosser, en juin, le Conseil européen n'est qu'une première étape, sans doute insuffisante. Car il est temps de forger un large consensus européen sur ce sujet.

Quelles sont ces réalités ? Primo, la démographie européenne, malgré une exception marquante – celle de la France –, devient globalement négative. Et si elle ne chute pas plus brutalement dans certains pays, c'est pour une large part en raison de l'immigration. Or, que la pyramide des âges s'inverse, avec une population âgée de 45 à 60 ans devenant majoritaire, et c'est la question de l'avenir des systèmes sociaux, de santé et de retraite qui est posée. En Allemagne, on devrait compter 30 % de plus de 65 ans et moins de 20 % de jeunes en 2030. La question de la dépendance sera un défi collatéral pour ces sociétés, et des démographes estiment que seule une ouverture à une main-d'œuvre étrangère pouvant s'occuper de cette population permettra de l'affronter. De quoi enrichir le débat sur l'immigration de travail…

Sans être entendue par les Etats, la commissaire européenne aux affaires intérieures, la Suédoise Cecilia Malmström, a prudemment évoqué cette réalité, déjà étayée par de nombreuses données. Sans nouvelle immigration, la population européenne en âge de travailler se réduira de 12 % d'ici à 2 030. Le secteur de la santé devrait recruter 2 millions de personnes, qu'il ne trouvera pas. L'Allemagne manque d'ingénieurs, d'autres pays sont prêts à recruter massivement des techniciens spécialisés, des patrons peinent à trouver des cadres compétents, même là où le chômage est élevé. L'étranger comme remède, et non comme coupable ou comme menace ? Si aucun politique n'ose tenir ce discours, d'autres le relayent avec force : " Compte tenu d'un taux de natalité en baisse, nous avons besoin d'une politique d'immigration et d'intégration cohérente. Des mesures nationales fragmentées (…) feront régresser l'économie européenne sur la scène de la mondialisation ", écrivait Tom Enders, le président d'EADS, dans Le Monde, en janvier 2013.

L'Europe doit agir

La deuxième grande donnée est la fin de ce que les spécialistes appellent les " flux cycliques " de migrants. Ni " tsunami " ni " exode biblique ", mais phénomène durable : les migrations changeront de nature mais s'amplifieront. Les Nations unies estiment qu'aux alentours de 2025, de 800 millions à 1 milliard de personnes seront déplacées dans le monde.

La migration classique, dictée par des raisons économiques, régresse en Europe, relève l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), sans pouvoir estimer si ce phénomène est durable ou lié à la crise. En revanche, les migrations issues des zones de conflits ou découlant des effets du dérèglement climatique se multiplieront, forçant les nations développées à ébaucher des réponses. Si elle ne veut pas affronter d'autres drames à répétition et rester fidèle à ses valeurs, l'Europe devra agir. En affichant sa solidarité, en traçant des voies légales pour l'immigration, mais surtout en amenant ses membres à agir de concert.

Au courd des dernières années, l'Union s'est beaucoup émue des divers drames en Méditerranée. Ces derniers jours, cinquante personnes au moins y sont mortes et, en vingt ans, on a totalisé quelque 20 000 victimes. Pour une part, ces drames ne furent que les conséquences de mesures de dissuasion coordonnées, alors que la définition d'une politique migratoire sur le long terme restait à la traîne. Faisant cavalier seul, chaque pays jouait la fâcheuse partition consistant à désigner deux adversaires habituels : le voisin, qui n'en fait jamais assez, et " Bruxelles ", accusée d'être une bureaucratie sans notion des réalités nationales.

Une mesure pourrait aider à combattre cette funeste myopie : la nomination d'un véritable commissaire européen à l'immigration, capable de jouer simultanément sur les tableaux de la sécurité intérieure, des affaires étrangères, de l'humanitaire, du développement et de l'intégration. Capable, aussi, d'inscrire cette thématique à l'agenda du Conseil, à savoir des Etats. Il est temps de fédéraliser ce sujet crucial et de rappeler aux capitales qu'elles ont ouvert la porte, dans le traité de Lisbonne, à une telle évolution. Timide, mais, en tout cas, indispensable.

par Jean-Pierre Stroobants

Correspondant à Bruxelles

stroobants@lemonde.fr

© Le Monde


lundi 12 mai 2014

Convention des musulmans de France pour le vivre-ensemble : métisser les consciences et combattre les dérives "djihadistes"


12 MAI 2014 |  PAR MOHAMED BENTAHAR

Convention des musulmans de France pour le vivre-ensemble

Appel à métisser les consciences

 

«Depuis presque un siècle, la réforme du monde musulman est à l'ordre du jour. Quels que soient les auteurs ou leurs tendances, tous sont d'accord à reconnaître qu'il y a crise, et ce, parce que la pensée de l'Islam se trouve ankylosée par la passion dogmatique»

Yadh Ben Achour, doyen de la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis


  • La Convention des musulmans de France pour le vivre-ensemble prônée par Dalil Boubaker, Recteur de la Mosquée de Paris

Le recteur de la Mosquée de Paris et président du Conseil français du culte musulman (CFCM), déclare comment il compte lutter contre l'embrigadement de jeunes musulmans dans le terrorisme international et le jihad :

"Nous devrions publier une charte de 21 articles qui sera distribuée à partir de jeudi à toutes les mosquées de France. Intitulée «Convention des musulmans de France pour le vivre ensemble», elle parle de la lutte contre toutes les formes d'incitation à la violence. Notre obsession est d'être attentif, préventif et de multiplier des rappels à l'ordre pour ne laisser aucune place à l'influence des prêcheurs de haine. Il existe hélas en France une organisation structurée d'un islam politique, avec ses recruteurs, ses armes et des objectifs guerriers. C'est contre ce type d'infiltration insupportable que nous comptons lutter."

Les réactions obscurantistes qui communautarisent les musulmans n'ont pas tardé et sèment la discorde et la confusion par la référence à une lecture ani-historique du texte coranique. Ils citent le Coran, et interprètent les propos de Dalil Boubaker comme un appel à une interdiction du Coran dans lequel il est écrit :

« Dieu a acheté aux croyants leurs personnes et leurs biens pour leur donner le Paradis en échange. Ils combattent dans le chemin de Dieu : ils tuent et ils sont tués » (9, 111).

« Ne faiblissez pas ! Ne faites pas appel à la paix quand vous êtes les plus forts. Dieu est avec vous, il ne vous privera pas de la récompense due à vos œuvres » (47, 35).

« Combattez [les incrédules] jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de sédition et que le culte de Dieu soit rétabli » (2, 193. )

Que valent ces appels à la guerre quand le coran prône la paix : « Et ne discutez que de la meilleure façon avec les gens du Livre (Juifs et Chrétiens), sauf ceux d'entre eux qui sont injustes. Et dites: "Nous croyons en ce qu'on a fait descendre vers nous et descendre vers vous, tandis que notre Dieu et votre Dieu est le même, et c'est à Lui que nous nous soumettons ». ?

(Coran, Sourate 29, Al Ankabout, l'araignée, verset 29)

Que valent-ils quand le Prophète dit encore : « Dieu a fait de la paix le salut de notre communauté et une garantie  et protection aux non-musulmans qui vivent parmi nous. » ?

La charte est un outil philosophique et politique majeur dans un contexte ou des jeunes se voient embrigadés pour des causes obscures. C'est aussi une charte de l'intellectuel musulman, une charte humaniste pour que le musulman sache vivre dans une société plurielle, démocratique, dans laquelle le croyant doit accepter la citoyenneté de celui qui ne l'est pas.

Les partisans des textes guerriers  s'excluent d'eux même de la vie publique et du vivre-ensemble. En appelant à la guerre sainte sortent des préceptes de l'appel à la Paix.

  • Retour à l'inspiration intellectuelle

Dans son appel à cette convention, le Président du CFCM (Conseil Français du Culte Musulman), rappelle l'inspiration de cette charte, contre les discours de la haine et contre  lutte contre toutes les formes d'incitation à la violence, voulue comme vecteur de transformation de la pratique de l'islam et rail pour le vivre-ensemble.

Des penseurs musulmans célèbres ont contribué à alimenter ces éclairages par la fertilité de leurs travaux.

  • Mohamed Arkoun nous éclaire

Dans ses travaux intellectuels lumineux, Mohamed Arkoun a proposé une méthode de re-situation de l'islam dans le contexte historique de La gestion démocratique d'une diversité culturelle grandissante amplifiée par la mondialisation.

La crise du monde musulman est à scinder en deux facteurs :

  • Matériel : retards accumulés dans les domaines économique, technologique,
  • Philosophique : retard notable accusé dans les domaines de la culture, l'art, le droit, la littérature et la théologie.

L'élément intellectuel n'est pas du reste. Mohamed Arkoun a tenté de déterminer les mécanismes par lesquels s'est institué le savoir musulman et le rapport à la direction sociale.

En d'autres termes, il a proposé de déconstruire la constitution classique liée à une alliance entre le pouvoir politique et le religieux en partant d'un constat de trois phases majeures :

Le constat de la crise, la déconstruction de la pensée religieuse orthodoxe dans ce qu'il appelle islamologie appliquée, et le retour à l'humanisme islamique du IVe siècle de l'hégire et du Xe siècle de l'ère grégorienne.

 

Une crise  liée à une corrélation étroite entre régression des sociétés musulmanes et ascension de l'Europe, encouragée par l'institution des écoles théologiques via l''achâarisme' qui a favorisé la servilité intellectuelle, les disciples n'apportaient plus la contradiction à leurs maîtres».

Pour ce qui est du thème de la déconstruction de la pensée religieuse, il élabore le principe de «libérer la pensée islamique de ses propres clôtures dogmatiques soit une sorte d'insurrection contre les fondements  mythiques. Ce n'est pas une démolition brutale mais une entrée méthodologique dans le processus discursif et culturel de la littérature de référence.

La relecture du Coran :  la ikraha fi dine

La différenciation entre le fait coranique et le fait islamique devrait constituer le fondement de la place du package islamique dans un contexte de laïcité, en d'autres termes entre le texte et les interprétations.

Le message ouvert du texte coranique a été clos par ses interprètes. Mohamed Arkoun «prônait une relecture du Coran car la lecture faite par les fouqaha et moufassirine est orientée. Et pour relire le Coran il parle de langage de structure mythique. Les interprètes en arabe du mot 'mythique' lui ont fait un procès en l'accusant d'hérésie. Le discours coranique laisse des options ouvertes en raison de son langage de structure mythique, autrement dit le Coran est ouvert et que les fouqaha en ont fait un message fermé»,

La structure mythique du langage utilisé est solidaire avec la société dans laquelle elle est dite.

Relire le Coran c'est cesser cette une lecture figée du Coran est transformer un code de valeur  en code juridique.

«Ce que dénonce Arkoun c'est que la pensée théologique soit contraire à l'esprit philosophique, qui est à l'origine de la modernité».

Ces inspirateurs de cette pensée qui positionne l'Islam face à l'exigence du vivre-ensemble en tant que croyance minoritaire, on de la même façon appelé au militantisme pour que les musulmans sortent de cette pyramide d'idées toutes faites : «Militer pour la liberté de la pensée et remettait en cause toute cette conscience mythique dans l'institution de l'Islam. Un militantisme qui est pour 'la ikraha fi dine' (la foi est libre).

La renaissance de l'Islam devrait passer aussi par son humanisme.

  • Retour sur la charte

« La montée du djihad en France est une incongruité inouïe qui mène à des actions monstrueuses et contraires à toutes nos valeurs » déclare Dalil Boubaker Il appelle ainsi à porter une attention toute particulière sur les enfants d'Européens qui se rendent dans les mosquées pour demander une conversion rapide. Car ces jeunes sont impatients d'entreprendre des actions pour défendre l'islam et combattre les ennemis de l'islam.

C'est certain, ces jeunes ciblés par cette déclaration surprenante restent minoritaires. Le nombre de nés musulmans sur notre territoire est bien supérieur aux 4000 conversions qui ont lieu chaque année, et surtout quand on sait que sur cinq aspirants candidats au Djihad, un seul est un converti. Pourquoi alors ne pas porter un regard équitable sur ces deux catégories ?

Il aurait été également instructif que monsieur Boubaker nous explique pourquoi les Européens nouvellement convertis plongent directement dans le djihad.

Mais pour nous rassurer, le recteur de la Grande mosquée a décidé de prendre le problème à bras-le-corps : une charte de 21 articles « Convention des musulmans de France pour le vivre-ensemble « sera distribuée aux quelques 2000 mosquées pour ne laisser aucune place aux imams prêcheurs de haine. «  Convention », « vivre ensemble » pour laquelle les prédicateurs ne seront pas forcément perméables.

Quoi qu'il en soit, la tâche sera difficile, puisqu'elle cible une organisation structurée d'un islam politique importé, avec ses recruteurs, ses armes, et des objectifs guerriers.

De là à envisager le lien direct entre islam et violence terroriste, il n'y aura qu'un pas si la pédagogie est frileuse !

La communauté musulmane devra donc s'engage à mener sur le terrain des actions préventives, afin de débusquer les premiers symptômes de radicalisation sur les fils d'Européens, dans l'espoir de couper le mal à la racine.

Mais seront-elles efficaces devant une religion qualifiée par le même Boubaker,  il y a trois ans, d'idéologie de lutte et d'agression ?

Cela dit, la prévention ne sera pas efficace si des actions profondes d'endiguement par l'interconnaissance et par la justice sociale vis à vis de la « diversité »

 

  • Endiguer les embrigadements par l'interconnaissance pour faire reculer l'ignorance et favoriser le rejet des obscurantismes dans les cités

Dans son 5ème principe du dialogue interreligieux au niveau local, le Conseil de l'Europe propose :

«  Les autorités locales doivent déterminer des moments privilégiés aptes à favoriser l'interconnaissance et la rencontre des personnes en tant que personnes, et à réduire le sentiment de méfiance, voire de peur. Ces événements permettront de passer de l'ignorance à la connaissance, de la connaissance à la compréhension et de la compréhension à la confiance.» (Les 12 Principes du dialogue interreligieux au niveau local - Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe)
 

Les jeunes qui se voient embrigadés par des prêcheurs de la haine et des usurpateurs endoctrinaires, et le sont aussi par leurs situations sociales. Ils sont exclus parfois du système scolaire, sans perspectives de travail et vivant la stigmatisation et l'isolement de la vie de la cité.

C'est dans le cadre ordinaire et quotidien de la conduite des politiques publiques locales (sociales, sportives, éducatives, urbanistiques, culturelles…), ainsi que dans celui de leurs relations avec les associations, que les autorités locales doivent concrétiser l'intérêt qu'elles portent à la diversité culturelle, religieuse et au dialogue interreligieux, qui représente ainsi unedimension transversale: cette dimension doit imprégner et éclairer l'ensemble des secteurs d'activité, et non pas constituer un domaine en soi. Dans une perspective d'écoute mutuelle, elle pourra donner lieu à la mise en œuvre de ce que les Canadiens appellent l'« accommodement raisonnable » : permettre la plus large expression des sentiments religieux à condition qu'elle n'entre pas en conflit avec d'autres droits fondamentaux.

 

Exclure, c'est donner la chaire à canon aux « pseudo djihadistes »,

Discriminer c'est envoyer des jeunes vers des fronts d'obscurantistes,

Stigmatiser c'est susciter l'envie d'aller là ou la promesse du Paradis prend corps,

Ne pas revoir les inégalités c'est affaiblir l'intégration de ces populations et les priver de leurs droits.

 

  • Endiguer les embrigadements par la diversité et le dialogue – Elément clé pour l'avenir de l'Europe

« La gestion démocratique d'une diversité culturelle grandissante en Europe – ancrée dans l'histoire de notre continent et amplifiée par la mondialisation – est devenue, depuis quelques années, une priorité. Comment répondre à la diversité ? Quelle est notre vision de la société de demain ? S'agit-il d'une société où les individus vivront dans des communautés séparées, caractérisée au mieux par la coexistence de majorités et de minorités aux droits et responsabilités différenciés, vaguement reliées entre elles par l'ignorance mutuelle et les stéréotypes ? Ou, au contraire, nous représentons-nous une société dynamique et ouverte, exempte de toute discrimination et profitable à tous, qui privilégiera l'intégration de tous les individus dans le plein respect de leurs droits fondamentaux ? Le Conseil de l'Europe croit que le respect et la promotion de la diversité culturelle sur la base des valeurs qui sont le fondement de l'Organisation sont des conditions essentielles du développement de sociétés fondées sur la solidarité. »

Mot pour mot, le contenu du livre blanc sur le dialogue interculturel intitulé : « Vivre ensemble dans l'égale dignité ».

Lectures recommandées

http://www.coe.int/t/congress/files/Topics/interfaith/guidelines_fr.asp : Les 12 Principes du dialogue interreligieux au niveau local - Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe

vendredi 9 mai 2014

Contrôles d'identité : la police sévèrement jugée 09.05.2014 à 15:14 LE MONDE Laurent Borredon et Sylvia Zappi

 19% des personnes contrôlées pendant l'année ont reçu une amende ou ont été verbalisées. DR

Encore une promesse de campagne de François Hollande qui se rappelle à son bon souvenir : « Lutter contre le "délit de faciès" lors des contrôles d'identité avec une nouvelle procédure respectueuse des citoyens »(proposition n° 30).

Deux sondages publiés vendredi 9 mai révèlent non seulement la réalité vécue lors de ces contrôles, mais également son effet négatif sur l'image des forces de l'ordre. La pratique est massive : 10 % des personnes déclarent avoir été contrôlées au moins une fois lors des douze derniers mois, soit plus de 5,3 millions d'habitants âgés de 18 ans et plus. En moyenne, ils l'ont été 2,65 fois : cela donne plus de 14 millions de contrôles par an.

>> Lire aussi : A quoi servent vraiment les contrôles d'identité ?

Le premier sondage concerne « l'opinion sur les forces de l'ordre ». Il a été réalisé par OpinionWay en ligne auprès de 2 273 personnes représentatives de la population, selon la méthode des quotas, entre février et mars. Soixante-trois pour cent des personnes interrogées pensent que « les policiers et les gendarmes se livrent à des contrôles d'identité au faciès » et 53 % ne pensent pas que « la police et la gendarmerie traitent chaque personne de la même manière quelle que soit son origine ». Pourtant, seuls 16 % ont vu un policier et un gendarme traiter quelqu'un « de manière irrespectueuse » dans les douze derniers mois.

Le deuxième sondage, réalisé dans les mêmes conditions auprès d'un échantillon élargi de 7 556 personnes, a isolé les 594 répondants qui ont fait l'objet d'au moins un contrôle lors des douze derniers mois. Sans surprise, les personnes d'origine maghrébine sont surreprésentées : elles constituent 7 % de la population générale, mais 12 % du nombre des personnes contrôlées. Le chiffre le plus spectaculaire concerne la fréquence des contrôles : en moyenne, les Français n'ayant pas d'ascendant étranger l'ont été 1,85 fois, contre 4,76 fois pour les personnes étrangères ou d'origine étrangère et 8,18 fois pour les personnes d'origine maghrébine.

 Les Français n'ayant pas d'ascendant étranger ont été contrôlés 1,85 fois durant l'année écoulée contre 4,76 fois pour les personnes étrangères ou d'origine étrangère et 8,18 fois pour les personnes d'origine maghrébine. DR

L'enquête avait été commandée avant le changement de gouvernement, mais elle arrive à point nommé, alors qu'un nouveau ministre, Bernard Cazeneuve, s'est installé il y a un mois à l'intérieur. A l'œuvre, trois organisations qui ont fait de la lutte contre les « contrôles au faciès » leur cheval de bataille. Open Society Justice Initiative, la fondation américaine du milliardaire George Soros, avait déjà financé une grande enquête sur le sujet, réalisée par des sociologues du CNRS dans la gare du Nord et à Châtelet-Les Halles et publiée en 2009. Elle est ici associée à Graines de France et à Human Rights Watch.

SUJET SENSIBLE À GAUCHE ET DANS LES MILIEUX ASSOCIATIFS

Après l'élection de M. Hollande, le débat s'était cristallisé autour de la création d'un récépissé de contrôle d'identité, un modèle expérimenté à l'étranger mais jamais à l'échelle d'un pays comme la France. La mesure avait été rejetée par le ministre de l'intérieur d'alors, Manuel Valls. Trop compliqué, trop lourd, selon lui : « Je ne veux pas imposer un dispositif qui, très vite, tournerait au ridicule et serait inopérant », affirmait-il en juin 2012.

Le sujet est resté sensible à gauche et dans les milieux associatifs. « Ces contrôles et fouilles publics sont vécus comme humiliants. Pour les très jeunes, c'est souvent la première fois où ils se sentent visés de manière discriminatoire, et cela construit une véritable méfiance face aux institutions », constate Jean-Marie Fardeau, directeur France de Human Rights Watch. « Depuis deux ans, ces pratiques continuent. Le sentiment est que rien n'a été fait depuis que la gauche est au pouvoir. Il faut un outil qui permette de demander des comptes aux policiers », regrette Réda Didi, délégué général de Graines de France.

>> Lire aussi : Contrôles au faciès : des associations lancent une campagne parodique offensive

Rien ? Pas tout à fait. « Mon prédécesseur avait pris de nombreuses mesures. Ce sont des réformes importantes, qui permettent de progresser. Ce qui a été fait mérite d'être stabilisé, approfondi et évalué. Si cela est nécessaire, nous compléterons », défend M. Cazeneuve. Un numéro d'identification a été apposé sur l'uniforme des policiers. Le nouveau Code de déontologie des forces de l'ordre proscrit le tutoiement, et précise, un peu, les conditions du contrôle et de la palpation.

« LEVER LES TABOUS »

L'inspection générale de la police nationale (IGPN, « police des polices ») a été réformée, un conseil d'orientation ouvert aux personnalités extérieures, dont M. Didi, y a été créé, ainsi qu'une plateforme de signalement sur Internet — il y a eu 1 154 signalements depuis sa mise en place en septembre, dont 751 ont donné lieu à des suites.

Associés à d'autres organisations, telles que la Ligue des droits de l'homme, le Gisti, le Syndicat des avocats de France ou le Syndicat de la magistrature, les commanditaires de l'étude réitèrent deux demandes majeures : l'instauration du récépissé et la réforme du Code de procédure pénale. Sur ce dernier point, le Défenseur des droits a mis en place un groupe de travail qui devrait rendre prochainement ses conclusions. « Ce serait de vrais signes de rétrécissement des pouvoirs de la police et un moyen de contrôle », insiste Nathalie Ferré, présidente d'honneur du Gisti.

Pas certain que ces associations soient davantage entendues par Manuel Valls premier ministre que par Manuel Valls ministre de l'intérieur. Les syndicats de policiers étaient et sont toujours opposés au récépissé. « Pour transposer la pratique chez nous, il faudrait d'abord lever le tabou des statistiques ethniques et prendre en compte le fait qu'en France le citoyen doit porter une pièce d'identité sur lui ; ce qui n'est pas le cas dans la plupart des pays qui le pratiquent », assure Jean-Marc Bailleul (SCSI, premier syndicat d'officiers).

Tous nient de toute façon tout contrôle « au faciès » : « C'est faux, s'insurge Jean-Claude Delage (Alliance, deuxième syndicat). Tout dépend des lieux où ont lieu les contrôles, et de la population qui fréquente ces lieux. » Circulez, y'a rien à voir !


jeudi 8 mai 2014

L’examen osseux, un « couperet » pour les jeunes immigrés 08.05.2014 à 21:05 Le Monde.fr Delphine Roucaute

 Radiographie d'une main gauche. DAVID CORRY/CC BY-ND 2.0

Etre identifié comme une personne majeure ou mineure est un enjeu déterminant pour un immigré isolé arrivant en France. S'il est reconnu majeur, il sera en situation d'irrégularité et menacé d'expulsion du territoire. S'il est mineur, il sera pris en charge par l'Etat français, selon le dispositif juridique de protection de l'enfance, qui est applicable sans condition de nationalité. C'est pourquoi la question de la majorité d'un individu est si importante pour les autorités judiciaires et policières.

Or, il arrive fréquemment que les immigrés arrivent en France sans papiers d'identité ou que ces derniers soient sujets à caution : illisibilité, ratures, fautes d'orthographe ou mauvaise copie – les raisons sont innombrables. Pour parvenir malgré tout à déterminer un âge, la justice aura donc recours à des examens physiques. Le plus polémique d'entre eux est l'examen osseux, jugé peu fiable et parfois utilisé de manière abusive.

>> Lire le témoignage d'une jeune immigrée ayant subi deux examens osseux contradictoires à six mois d'intervalle : Jugée majeure puis mineure, une immigrée victime d'examens osseux non fiables

Il n'existe pas de texte encadrant strictement cette pratique, et son application est très variable selon les territoires, laissée à la libre appréciation du juge, explique Christophe Daadouch, juriste et militant au Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti). Alors que certains s'en contenteront pour prendre leur décision, d'autres réclameront des examens complémentaires.

« Aujourd'hui, ce qui devait être une exception est devenu une règle générale », s'insurge le militant, évoquant la « circulaire Taubira » de 2013 concernant les mineurs isolés étrangers, qui rappelle que l'examen osseux doit intervenir en dernier recours.« Dans les faits, le test est fait quasi systématiquement, et d'emblée. »

  • En quoi consiste le test ?

L'examen osseux consiste en une radiographie de face de la main et du poignet gauches de la personne. Ce sont surtout les épiphyses des rayons de la main, c'est-à-dire les extrémités des doigts et des métacarpiens (les cinq os qui composent la paume de la main), qui vont être étudiés. Il s'agit ainsi d'examiner les points d'ossification des doigts : plus il y a de cartilage de croissance, plus la personne est jeune. Quand il n'y a plus de cartilage, le sujet a atteint ce qu'on appelle la maturité osseuse, ce qui correspond plus ou moins à l'âge de 18 ans, selon la personne et le sexe. Le radiologue est chargé de « lire » cette image et de la comparer à un atlas de référence selon la méthode dite de Greulich et Pyle.

  • Qu'est-ce que l'atlas de Greulich et Pyle ?

Cet atlas a été réalisé entre 1931 et 1942 à partir des radiographies des mains et poignets gauches d'une cohorte d'enfants américains socialement aisés. Il indique, selon des tranches de six mois ou d'un an, l'état de maturation osseuse des enfants de 2 à 18 ans (19 ans, pour les garçons). La finalité initiale de cette technique n'était à l'origine pas judiciaire, mais médicale, puisqu'elle était utilisée, en particulier, dans le suivi des maladies endocriniennes.

Depuis les années 1940, il n'y a pas eu de mise à jour de cet atlas, pourtant sujet à controverse. En 2007, cependant, une équipe de chercheurs de l'université Méditerranée-Marseille et de radiologues du CHU de Marseille a mené une étude sur une cohorte « multiethnique » de 1 300 enfants du sud de la France et a estimé valide l'atlas de Greulich et Pyle.

Malgré tout, la fiabilité de la méthode est largement remise en question depuis plusieurs années, par des instances aussi bien judiciaires que médicales. En août 2011, le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe a notamment émis un avis très critique vis-à-vis de la fiabilité et du caractère éthique d'une telle méthode, que le Royaume-Uni, parmi d'autres pays européens, refuse d'appliquer.

  • Quelle est sa fiabilité ?

Au cœur de la controverse : la question de la fiabilité du test. En effet, comme l'explique Catherine Adamsbaum, chef du service de radiologie pédiatrique de l'hôpital Bicêtre, il existe « une marge d'erreur à double échelle ». Tout d'abord, la marge inhérente à la subjectivité de la méthode elle-même. Cette marge d'erreur est estimée entre 12 et 24 mois, même dans les mains de radiologues entraînés, et ne permet en aucun cas de déterminer un âge précis, encore moins sur la tranche d'âge allant de 16 à 18 ans, qui est pourtant celle où on a le plus recours à ce genre de test.

Ensuite, « la variabilité inter-individuelle » : si l'atlas définit une norme, il ne prend pas en compte les cas extrêmes, c'est-à-dire les personnes ayant eu une maturation osseuse précoce, ou au contraire tardive. Par exemple, il n'est pas rare que des jeunes filles aient achevé leur croissance osseuse dès 16 ans et demi.

Par ailleurs, l'atlas de Greulich et Pyle a été établi sur une population caucasienne aisée des Etats-Unis dans les années 1940. Difficile de savoir s'il s'applique à des personnes issues d'autres pays et, surtout, ayant eu une alimentation différente au cours de leur vie.

  • Existe-t-il d'autres tests pour déterminer l'âge d'une personne ?

Selon la loi, les autorités judiciaires sont censées recourir à des tests complémentaires afin d'établir un « faisceau d'indices »permettant d'approcher au mieux l'âge d'une personne. Ces examens sont évoqués dans la circulaire du 31 mai 2013 relative aux modalités de prise en charge des jeunes isolés étrangers émise par la garde des sceaux Christiane Taubira.

En tout premier lieu, les services de la police aux frontières sont censés procéder à un entretien avec la personne pour juger de la cohérence de son histoire. Si des doutes persistent, ils pourront alors recourir à des tests physiques, et en tout premier lieu l'examen osseux. Pour que l'examen soit complet, il faudra donc procéder à un examen morphologique pour déterminer l'avancée de la puberté de la personne : pilosité, développement mammaire pour les femmes et la manière dont les testicules sont accrochés pour les hommes ; mais également à un examen dentaire, qui consiste en une radiographie de la mâchoire et un examen de la morphologie de la troisième molaire.

  • Pourquoi utilise-t-on encore ce test ?

L'examen osseux est critiqué de toutes parts, et notamment dans sa dimension éthique, puisque, selon la directive européenne Euratom 97-43 du 30 juin 1997, toute exposition à des rayons X doit être médicalement justifiée. Pourtant, on continue à y avoir recours, et pas seulement en France. Michel Panuel, chef du service de radiologie pédiatrique de l'hôpital Nord à Marseille, explique qu'« il n'y aura pas de méthode plus récente, et de toute façon aucun examen ne peut déterminer l'âge précisément »« Il est donc impossible d'écarter complètement ce genre de test », estime-t-il, tout en mettant en garde contre « les zones frontières », lorsqu'il est difficile de déterminer avec assez de précision l'âge d'une personne, afin d'éviter que ne tombe sur elle le « couperet »de l'expulsion.

Mais pour Christophe Daadouch, juriste et militant du Gisti, « on sera coupable devant l'histoire d'avoir utilisé cette méthode aujourd'hui » car« ce n'est pas à un médecin de déterminer si un jeune peut être aidé ou pas », d'autant plus quand on sait qu'il s'agit « du détournement d'un test à but thérapeutique à des fins policières et judiciaires ». Et le Dr Adamsbaum d'ajouter :« Comment déterminer qui est "normal" ? Tout au plus il est possible de déterminer la compatibilité de l'âge osseux avec l'âge allégué par le sujet. »

  • Quels recours sont possibles ?

Tout d'abord, il faut savoir que rien n'oblige un mineur à subir ce test. Comme le rappelle le guide élaboré par infoMIE, le centre de ressources sur les mineurs isolés étrangers, l'article 371-1 du code civilprécise que les titulaires de l'autorité parentale ou le représentant légal doivent donner leur accord. Le cas échéant, on devra toujours rechercher le consentement du mineur, s'il est apte à exprimer sa volonté, selon l'article L.1111-4 du code de santé publique.

Si l'examen osseux a déterminé que la personne isolée était majeure, levant donc sa prise en charge par l'Aide à l'enfance, il existe malgré tout des recours : le mineur a la possibilité d'effectuer une saisine directe du juge des enfants afin de solliciter une protection judiciaire au titre de l'enfance en danger.


dimanche 4 mai 2014

Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des racistes 04.05.2014 à 16:31 LE MONDE Franck Nouchi

Plus de trois millions d'entrées en deux semaines ; 32 % de part de marché : Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ?, le film de Philippe de Chauveron, fait actuellement exploser tous les compteurs du box-office français. Accueil critique ? Inexistant, aucune projection de presse n'ayant précédé sa sortie. Bouche-à-oreille ? Exceptionnel, à tel point que les deux plus gros succès du cinéma français, Intouchables(19,44 millions d'entrées) et même Bienvenue chez les Ch'tis(20,48 millions) ne paraissent pas hors d'atteinte.

Visible sur Internet, l'efficace bande-annonce laisse présager le pire : 1,58 min de clichés raciaux ou racistes, on ne sait trop, en tous genres. Quel est donc ce film qui fait salle comble aussi bien à Paris qu'en régions ? Un ersatz cinématographique des thèmes chers au Front national ? L'affaire est plus compliquée.

Claude Verneuil, catholique, gaulliste et notaire de son état, et madame vivent dans une splendide maison de maître à Chinon, en Indre-et-Loire. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles si trois de leurs quatre charmantes filles n'avaient eu la malencontreuse idée d'épouser l'une un Arabe musulman, l'autre un juif séfarade, la troisième un Asiatique, vraisemblablement d'origine chinoise. Comme le dit cet excellent M. Verneuil, les déjeuners de famille sont devenus de véritables « réunions de la Licra ».

Pauvres Verneuil ! Eux qui espéraient tant arriver à bien marier leurs filles… Il leur faudra tout supporter, y compris la circoncision de leur petit-fils et le souhait de leur gendre – David Benichou, original n'est-ce pas ? – de voir le prépuce du cher petit enterré dans leur parc.

Heureusement, les trois gendres ne sont pas de mauvais types. L'un est banquier, l'autre homme d'affaires, le troisième avocat. Et quand, un soir, ils se mettent à chanter LaMarseillaise, la main sur le cœur, face à leur beau-père, ce dernier ne peut que rendre les armes : on peut donc être à la fois français et patriote, sans être tout à fait blanc et catholique.

Hélas pour M. Verneuil, son calvaire n'est pas terminé. Voilà que sa quatrième fille, une charmante blonde, vient lui annoncer, ainsi qu'à sa femme, qu'elle va épouser Charles, un catholique… ivoirien. Catastrophe ! Il ne manquait plus qu'un Noir dans la famille Verneuil ! D'où le titre du film, vous l'aurez compris.

Passons sur l'avalanche de clichés en tous genres – à en juger par les rires qui fusent dans la salle, certains font mouche. Et retenons simplement cette remarque de David Benichou : « On est tous un peu racistes… » Car voilà bien l'idée centrale du film : quelles que soient notre religion et nos origines, nous serions tous, catholiques, juifs, musulmans, Chinois, Ivoiriens… un petit peu racistes. Surtout les hommes (les femmes, elles, semblent moins perméables aux préjugés, plus naturellement enclines à la tolérance et à l'altérité).

UN PETIT SENTIMENT DE GÊNE

Comme nous sommes au cinéma, tout finit évidemment bien. Une partie de pêche et un bon repas permettront à M. Verneuil et au père du marié ivoirien de nouer une belle amitié. Preuve, s'il en fallait, qu'en France tout se règle par un gueuleton, du bon vin et une bouteille de calva. L'un et l'autre, le notaire de province et le bourgeois ivoirien, sont racistes et pleins de préjugés ? Et alors, semble faire accroire le film ? Ne le sommes-nous pas tous un peu ? Il n'y a là rien d'irrémédiable, pour peu que tout le monde accepte de faire un petit effort, à commencer, c'est la moindre des choses, par les non-Français de souche.

Curieux film, laissant présager le pire dans sa première moitié, que l'on finit parfois par trouver drôle, y compris à son corps défendant. Derrière le message de tolérance qu'il entend délivrer – vive la différence, vive les mariages mixtes – se profile pourtant quelque chose de plus ambigu, une manière, certes comique mais tout de même, de vouloir banaliser sinon le racisme, du moins les propos racistes. Inutile de chercher ici la moindre allusion à la situation politique et sociale qui prévaut actuellement en France. Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ? fait la part belle à des « métèques » qui sont tous issus de milieux sociaux favorisés. De là à penser qu'il n'y a de bonne immigration que choisie, il n'y a qu'un pas que M. Verneuil semble être à deux doigts de vouloir nous faire partager.

Pas franchement antipathique mais distillant un petit sentiment de gêne – il est des évidences qui n'en sont pas, mais alors pas du tout –, ce film réunit des acteurs et des actrices comiques de différentes générations : Christian Clavier représente celle du Splendid ; Chantal Lauby celle des Nuls de Canal+ ; Ary Abittan celle de « Ce soir avec Arthur », l'émission de TF1. Quant à Frédérique Bel, elle fut la « blonde » de « La Minute » du même nom, là encore sur Canal+. Tous, y compris Clavier, impayable en notaire gaulliste, réac et bedonnant, jouent juste. Impossible bien évidemment de ne pas penser aux Aventures de Rabbi Jacob. Sauf que n'est pas Gérard Oury qui veut. Sans parler de Louis de Funès…

On se prend aussi parfois à imaginer ce qu'un dialoguiste comme Michel Audiard ferait d'une histoire pareille. Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour d'affreux racistes ? Juste un chouia, pas davantage. Pas grave. Voire…

nouchi@lemonde.fr