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samedi 31 mars 2012

Ils ont voulu perturber le colloque Marianne-El Khabar à Marseille Le ridicule des nostalgiques de «l’Algérie française»

El Watan
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le 31.03.12 | 10h00 Réagissez

Cinquante ans après, les haines et les colères sont toujours là. Elles attendent la moindre occasion pour jaillir. Et le colloque Marianne/El Khabar, qui s'est ouvert hier à Marseille, a, avant même l'entame des débats, provoqué des remous.

Marseille (France).
De notre envoyée spéciale

 

Car, en ce cinquantenaire de l'Indépendance, les sensibilités sont toujours aussi vivaces, tout particulièrement chez les «nostalgiques de l'Algérie française». Ils étaient près d'une cinquantaine à manifester devant les portes du théâtre de la Criée qui abrite ces rencontres jusqu'à demain. Hommes, femmes, rapatriés ou vétérans, et même quelques personnes plus jeunes ont entamé leur démonstration vers 10h, bien avant les conférences. Tandis que des drapeaux français étaient déployés, certains «ultras» arboraient autour du cou des pancartes avec la photo du maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, serrant la main de la moudjahida Zohra Drif-Bitat, avec pour légende «Honte au maire de Marseille J.-C. Gaudin et à la tueuse de pieds-noirs». Des vétérans ont pour leur part sorti médailles, galons et autres écharpes. C'est au chant de La Marseillaise, l'hymne national français, que l'ordre de ralliement est donné. Calme au début de la matinée, le ton monte à mesure que la foule grossit et que l'ouverture du colloque approche.

Le but est clair : empêcher coûte que coûte la tenue de cet événement qui donne la parole «aux assassins et aux traîtres», vocifèrent les manifestants. «Une demande d'annulation a même été introduite par des associations de rapatriés d'Algérie, en vain», affirme un pied-noir.
Bloquant l'entrée principale de l'édifice, les mécontents n'en démordent pas : ils ne laisseront personne passer. «FLN assassin», «Algérie française», «Terroristes, traîtres» sont quelques-uns des slogans lancés rageusement par la foule, sous les yeux étonnés des badauds et le regard dépité de quelques personnes venues assister aux débats. «Je ne comprends pas qu'après 50 ans, la haine soit toujours là. Ils ont arrêté de réfléchir en 1962», souffle, dans un hochement de tête, un rapatrié natif de Constantine. Et il n'est pas rare que des altercations éclatent entre les manifestants, le public et de simples passants. «Je suis de votre tribu mais je ne partage pas votre haine», lance un rapatrié «adepte de Camus» attendant de participer à l'une des conférences. Une septuagénaire se fait même vertement prendre à partie lorsqu'elle tente d'accéder aux portes d'entrée. «Traîtresse ! Collabo !», hurle une femme. «Je n'ai de leçon à recevoir de personne. Je suis née en Algérie et j'ai dû la quitter dans la même douleur», rétorque-t-elle. S'ensuivent de longues conversations où les deux parties haussent le ton. «Ils voulaient leur indépendance, qu'ils restent chez eux !», s'époumone une «ultra».


Récupération politique


Un jeune homme, la trentaine, écharpe jaune et rouge sur l'épaule, approche du groupe et tente de s'immiscer dans la conversation. «Je suis le conseiller régional du Front national», dit-il en tendant la main avec un sourire. «Il est hors de question que je vous salue. Vous êtes le mal de ce pays», rétorque violemment la septuagénaire en tournant les talons. «Cela ne m'étonne pas que vous soyez là pour faire dans la récupération», commente, acerbe, un sexagénaire.
Les slogans laissent parfois la place aux actes de violence ou agressions. Les manifestants n'ont ainsi pas hésité à jeter des œufs sur les personnes qui essayaient de passer les portes. De même, des intervenants algériens, tels Abderahmane Hadj Nacer ou Sofiane Hadjadj, se sont fait huer et insulter : «Fellaga, rentre chez toi, assassin». Ils ont dû battre en retraite afin de pénétrer dans le théâtre de la Criée par une porte dérobée.

Il faudra attendre plus d'une heure pour qu'un cordon de sécurité soit installé. Pourtant, il semblerait que les organisateurs avaient prévenu les autorités locales de ces menaces de perturbation. Une manifestation  devrait aussi être tenue aujourd'hui, au deuxième jour du colloque. Mais ces nostalgiques n'ont pas qu'exprimé leur colère dans la rue ; ils ont interrompu à maintes reprises le cours des débats. «Je ne les comprends pas. Ils auraient voulu que la France reste le pays d'avant 1962, qui n'avait pas droit de cité, qui était isolé, qui était critiqué pour les violations aux droits de l'homme», a d'ailleurs commenté Jean-François Kahn au cours de son intervention. «Ceux qui ont fait le plus de mal parlent maintenant. Et ceux qui ont le plus de difficultés avec la présence des Algériens en France sont ceux qui auraient voulu rester en Algérie.»  

Ghania Lassal

vendredi 30 mars 2012

La vente aux enchères d'instruments de torture est suspendue 30.03.12 | 21:14 | Le Monde.fr avec AFP

La vente aux enchères d'instruments de torture prévue pour mardi à Paris est suspendue"dans un esprit d'apaisement", a annoncé vendredi 30 mars à l'AFP la maison d'enchères Cornette de Saint Cyr.

"Devant l'émotion suscitée par cette vente, nous avons décidé de la suspendre afin que toutes les parties concernées puissent examiner dans le calme le contenu réel de cette collection", a déclaré le commissaire-priseur Bertrand Cornette de Saint Cyr.

Cette vente intitulée "Peines et Châtiments d'autrefois", qui regroupe 350 objets et documents sur la torture (corde de pendaison, écrase-mains, poire d'angoisse) rassemblés par l'ex-bourreau français Fernand Meyssonnier, a suscité l'indignation d'associations de défense des droits de l'homme, critiquant une initiative "très choquante et contraire à toute morale". Mais elle est légale, selon le Conseil des ventes.

"MORBIDITÉ ET BARBARIE"

Le ministre de la culture, Frédéric Mitterrand, avait toutefois annoncé vendredi qu'il souhaitait "très fermement" son annulation. "La collection concernée relève par sa nature plus de la morbidité et de la barbarie que de la culture et soulève par sa provenance de douloureux questionnements historiques", a estimé le ministre dans un communiqué.

Fernand Meyssonnier a procédé à 198 exécutions judiciaires en Algérie entre 1957 et 1962. La vente est réalisée à la demande de la famille du bourreau, mort en 2008 à l'âge de 77 ans.



Philippe Faucon : "Quelque chose en dehors de toute compréhension humaine", LE MONDE | 24.03.2012


 à 12h44 • Mis à jour le 28.03.2012 à 18h59

Par Aureliano Tonet (propos recueillis)Les acteurs du film français de Philippe Faucon, "La Désintégration", sorti en salles mercredi 15 février 2012.

Rarement film n'aura eu un si tragique pouvoir de prémonition. La Désintégrationest sorti le 15 février sur les écrans français. Nourri par une longue enquête de terrain, tourné avec un budget modeste, il décrit sans pathos le basculement de trois jeunes de l'agglomération lilloise, Nasser, Ali et Hamza, dans le terrorisme islamiste. Rétif aux explications définitives, son auteur, Philippe Faucon, a préféré réunir un faisceau d'indices éclairant leur passage à l'acte : blessure narcissique, rupture familiale, scolaire ou professionnelle, fragilité psychologique, petite délinquance... Depuis L'Amour, son premier long-métrage en 1990, Philippe Faucon chronique les émois et le désarroi de la jeunesse des quartiers périphériques.

Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris les actes commis parMohamed Merah ?

J'ai été ramené brutalement à la période où je travaillais sur l'écriture de La Désintégration. En particulier, à propos de la tuerie de l'école Ozar-Hatorah. Cet acte monstrueux a eu un précédent en 1995, même si les conséquences ne furent pas les mêmes. Une bombe artisanale a explosé devant une école juive de Villeurbanne, dix minutes avant la sortie des enfants. Khaled Kelkal (principal suspect de l'attentat raté sur la ligne TGV Paris-Lyon, tué par la police en 1995)reste soupçonné d'être l'auteur de cet attentat.

Dans les deux cas, il y a quelque chose qui est en dehors de toute compréhension humaine : comment un individu peut-il en arriver à poser une bombe à la sortie d'une école ? A exécuter des enfants de 3 à 7 ans en raison de leur appartenance confessionnelle ? Pour les fanatiques et les terroristes, les victimes ne comptent pas. Elles sont désincarnées, déshumanisées, au regard de ce dont ils se réclament. Le remords et la culpabilité sont absents.

Mohamed Merah dit qu'il a exécuté les enfants de l'école Ozar-Hatorah pourvenger les enfants palestiniens tués à Gaza. Ce qui est ignoble et irrecevable. Car si l'on est révolté parce que des enfants palestiniens sont tués par l'armée israélienne, on le dénonce avec toute sa force et toute son énergie, mais il est impossible de prétendre venger la mort d'enfants par le meurtre d'autres enfants. On se situe là dans la barbarie pure.

Mohamed Merah se serait radicalisé seul. Pourquoi avez-vous choisi defilmer un groupuscule organisé, et non un terroriste solitaire ?

Parce que dans un film, le groupe permet la parole, même à sens unique. Et que l'intérêt de ce projet était de décrire comment cette parole opère : au premier garçon qu'il approche, en rupture familiale et à la rue, l'endoctrineur dit : "Si tu es seul aujourd'hui, au point de demander à un étranger de t'héberger, c'est parce qu'en France, on a tout fait pour que tu ne sois plus rien." La fois d'après, il lui dit :"Maintenant, il ne faut plus rester qu'avec tes frères."

Au second, qui a le sentiment que l'avenir lui est barré, il dira : "Ils ont eu besoin de vos parents pour ramasser des poubelles ou tenir des marteaux-piqueurs, mais si vous aspirez à autre chose, là, ils ne veulent plus de vous." Et ainsi de suite, jusqu'à les amener à cette idée : "A partir de maintenant, vous n'êtes plus des Français. Vos frères, ce sont les moudjahidin, ceux qui se battent en Palestine ou en Afghanistan."

La mère de Mohamed Merah aurait affirmé n'avoir plus "aucune influence" sur lui. C'est également le cas dans votre film, qui montre une mère horrifiée par l'acte de son fils.

Dans le film, la mère intervient plusieurs fois, pour dire des choses comme : "Si tu veux parler de religion, fais-le sans cris et sans haine." Mais arrive un moment où cette parole n'opère plus, parce qu'elle paraît dépassée par rapport à la proposition de violence de l'endoctrineur. Lorsque le plus jeune des fils se laisse pousser la barbe, sa soeur lui dit : "Tu sais que tu ressembles de plus en plus à Ben Laden ?"Il répond : "Oui, et alors ? Lui au moins, il est reconnu ! Parce qu'il fait peur ! Vous, vous faites rire, avec vos associations qui ne servent à rien !" Le discours de l'entourage familial achoppe parce que ce sur quoi il est fondé est déconsidéré.

Les trois terroristes de La Désintégration ciblent le siège de l'OTAN, à Bruxelles. Mohamed Merah a lui aussi choisi de frapper des militaires. Pourquoi, selon vous, l'armée est-elle visée ?

Mohamed Merah le dit lui-même : parce que l'armée est intervenue contre "ses frères". Un psychanalyste évoquerait peut-être le fait que Mohamed Merah a lui-même été refusé par l'armée. En ce qui me concerne, j'imagine - c'est une pure supposition - que cette idée lui a été mise dans la tête au cours de ses voyages enAfghanistan, par ceux qui combattent les forces de l'OTAN présentes sur place.

Plus encore que le titre, l'affiche de La Désintégration - une surimpression du drapeau français sur le visage des deux personnages - pointe la faillite du modèle républicain. Quelle est, selon vous, la part de responsabilité des institutions françaises ?

La faillite du modèle républicain a lieu quand ce que dit l'endoctrineur de mon film est ressenti comme vrai par les jeunes garçons visés par son approche : "Liberté, Egalité, Fraternité, c'est du vent ! Ce qu'il faut comprendre, c'est Liberté, Egalité, Fraternité entre Blancs !" C'est à partir de sentiments de discrimination de cet ordre que le modèle républicain est décrédibilisé. J'ai entendu dire que "c'est le communautarisme blanc qui crée les communautarismes". Cela ne fait pas forcément le lit du terrorisme, mais cela peut provoquer des explosions de violence, comme en novembre 2005.

Il faut bien garder en tête que le parcours d'un Mohamed Merah reste extrêmement marginal, même s'il y a toutes les raisons de réfléchir aux questions qu'il pose. Si les actes commis par lui l'avaient été par un néonazi, comme cela a été envisagé, on ne les aurait pas associés à autre chose qu'une dérive individuelle pathologique et des références idéologiques marginales.

Vos films prennent régulièrement le pouls de la jeunesse des banlieues. Sentez-vous une crispation croissante ?

Il y a une chose que je voudrais livrer à notre réflexion à tous, à partir de l'expérience de La Désintégration. La question des enfants palestiniens tués à Gaza, je l'ai souvent entendu évoquer, avec colère et violence, par des jeunes que j'ai rencontrés lors de l'écriture du film. Ces jeunes avaient presque toujours le sentiment que ces victimes-là n'ont pas droit de cité. Ont-ils ce sentiment à tort ou à raison ? N'y a-t-il pas là une autre forme de désincarnation des victimes et de barbarie ? Une enseignante d'un lycée de banlieue que j'ai consultée lors de l'écriture de La Désintégration m'a confié que, dans sa classe, la majorité des élèves n'a pas accepté d'observer une minute de silence en mémoire des enfants tués par Mohamed Merah, en répondant qu'il aurait fallu faire de même pour les enfants tués en Palestine.

Après le dénouement du siège de Toulouse, j'ai entendu Nicolas Sarkozy dire que Mohamed Merah était un monstre et qu'il n'y avait rien d'autre à comprendre de son parcours. Ce qu'a fait Mohamed Merah est effectivement monstrueux. Mais ce n'est pas en se limitant à dire cela qu'on évitera que cela se reproduise. C'est le second attentat de ce type en France, à seize ans d'écart. Il suffit d'aller voir sur les sites de partage de vidéos, où l'on trouve des images d'enfants tués à Gaza, et de parcourir les réactions qu'elles suscitent, pour prendre la mesure de toute la violence qui peut être en germe.

Aureliano Tonet (propos recueillis)

jeudi 29 mars 2012

Sans père, ni repère, ni avenir Une jeunesse désocialisée pathologiquement fanatisée. Fatma Bouvet de la Maisonneuve, Psychiatre addictologue et Dounia Bouzar, Anthropologue du fait religieux (c) Le Monde

Le Monde 30 mars 2012


Ce que révèle l'affaire Mohamed Merah Les motivations de l'auteur des tueries de Toulouse et de Montauban ainsi que les failles réelles ou supposées des services de renseignement français font débat. Comment peut-on éviter la répétition d'une telle violence?





Après le temps de la vive émotion ressentie pour cette tragédie nationale, et notre identification douloureuse, nous, mères de famille, avec celles qui ont perdu leurs enfants, nous passons vers le temps de la réflexion partagée. Car la mort d'innocents nous touche tous, d'où que l'on vienne et quelles que soient nos convictions religieuses, philosophiques et politiques.

Nous souhaitons ici alerter, une fois de plus, sur le danger rampant des mouvements radicaux en leur opposant l'importance des valeurs humanistes. Pour nous, elles constituent le socle de notre République, la seule issue pour un avenir serein.

Mohamed Merah présentait toutes les caractéristiques identifiées chez les jeunes radicalisés : ils sont sans père ni repères, sans transmission culturelle ni religieuse, sans cadre, en rupture sociale. Si l'on en croit l'attitude de sa mère, elle est loin d'être singulière puisque nombreuses sont celles qui disent ne plus reconnaître leurs fils embrigadés et peinent à les faire revenir vers le droit chemin. Ces jeunes sont les victimes du système pervers d'endoctrinement pratiqué actuellement sur des cibles fragiles, parfois rejetées de la société. Marginalisation souvent à l'origine de troubles psychologiques.

Aussi, nous nous étonnons de la rareté des références aux déséquilibres mentaux dont peuvent souffrir les criminels de ce type. Les criminologues psychiatres ont beau évoquer cet aspect, l'écho qui en restera sera uniquement celui d'un activisme religieux.

Et cet écho échoue sur le mur de l'amalgame, malgré les mises en garde. Comme si parler de troubles mentaux était une façon de cautionner l'acte commis. C'est pourtant le contraire : dans la sociopathie, la maladie de l'individu révèle celle de la société, c'est la raison pour laquelle il faut en tenir compte pour remonter à la racine du mal et en préserver nos enfants. Car, au fond, quel être humain normal commettrait ce type de crime, s'il n'était pas psychologiquement déséquilibré ?

L'immense mutation sociale que nous vivons souligne la perte de limite et d'autorité. Elle favoriserait l'apparition de certains troubles psychiques, qui sont davantage dans le registre du passage à l'acte. Les jeunes " convertis " au salafisme avaient souvent des personnalités antisociales, auparavant investies dans la délinquance. On leur propose de vivre une mutation " morale " en " confessionnalisant " leur haine, tout en demeurant dans le passage à l'acte.

La dépression, aussi maladie du siècle, est rarement évoquée au sujet des kamikazes. Pourtant, quelle meilleure proie qu'un dépressif, menacé dans son humanité pour ces manipulateurs pervers qui se tiennent, eux, prudemment et cyniquement éloignés de la mort, en amenant les autres à tout perdre ?

Les prédicateurs les cannibalisent, les vident du peu de vitalité qui leur reste pour en faire des terroristes, c'est-à-dire des personnes qui ont perdu toute humanité.

Et ce phénomène prospère dans un monde en crise, devenu village grâce aux multimédias omniprésents, surtout dans un contexte d'oisiveté. L'accès aux informations vraies ou dénaturées y est sans limites, parfois jusqu'à l'addiction.

Les prédicateurs qui s'y expriment annihilent toute capacité critique pour subordonner l'individu à une communauté virtuelle autour de la suprématie de l'identité religieuse, puisqu'il ne se reconnaît pas dans d'autres identités. La perversité du mécanisme réside également dans cette prétendue unité totale entre des membres où l'individu n'a plus de droit en dehors des intérêts de cette communauté. On lui fait croire qu'il est dans le vrai contrairement aux " autres ", c'est-à-dire tous ceux qui n'adhèrent pas à cette idéologie, les autres musulmans compris, premières victimes de ces mouvances.

On comprend ainsi l'urgence de cesser de définir " les musulmans " comme une entité homogène, car cela revient à se placer sur les mêmes postulats que les discours intégristes qui réduisent des individus à " leur dimension musulmane ". Au contraire, les discours médiatiques et politiques doivent s'appliquer à valoriser l'hétérogénéité des parcours et des positionnements des individus à référence musulmane, croyants ou non-croyants, en les considérant comme sujets porteurs d'une histoire spécifique. C'est ainsi qu'en utilisant des registres d'expression différents, on brouillera le système de communication des radicaux.

Construire un mode explicatif du comportement des jeunes par " leur appartenance à l'islam " les réduit à leur " dimension musulmane ". Cela entraîne des significations prédéterminées et enlève aux personnes la liberté fondamentale de se définir, en miroir des discours radicaux. Les généralisations sont doublement criminelles. On dit " musulmans ", y compris pour ceux qui ne croient pas. Mais c'est sur leur faciès qu'ils sont qualifiés de tels. Pourtant, il n'y a pas plus un faciès musulman qu'il n'y a de faciès chrétien ou autre. L'islam a toujours été une différence. Désormais, il est devenu une catégorie quasi ethnique.

La banalisation de l'anarchie des termes pèse lourdement sur ceux qui sont avant tout les enfants de la République française et qu'il ne faut plus tenir éloignés. Il faut les rencontrer et leur montrer l'espérance et l'avenir commun possibles dans une France où le socle républicain, on le constate depuis cette tragédie, est finalement bien le véritable consensus de cette nation.

Aux responsables de tous bords de veiller à cette unité et de lutter contre l'instrumentalisation de la misère humaine par les manipulateurs. Cet appel est valable pour la France comme pour les pays en transition démocratique aujourd'hui dirigés principalement par des gouvernements islamistes. La proximité du religieux et de l'Etat n'a jamais fait bon ménage. Nous appelons les observateurs internationaux à ne pas la banaliser, car le glissement est facile.

Les partis salafistes demandent aujourd'hui leur reconnaissance. Cette éventualité inquiète autant les musulmans que les autres. Le traitement reste incontestablement la démocratie, l'éducation pour un développement économique et social : c'est notre seule issue.


mercredi 28 mars 2012

Bidar, ces musulmans que nous aimons tant, dimanche 25 mars 2012, par Alain Gresh, Le Monde Diplomatique



Réponse à l'article de Abdennour Bidar, paru dans le Monde du 23 mars 2012, "« Merah, "un monstre issu de la maladie de l'islam" »

« Nous » ne sommes ni hostiles à l'islam ni islamophobes. La meilleure preuve, « nous » donnons la parole à des musulmans qui disent exactement la même chose que « nous » sur l'islam. Bien sûr, ces derniers temps, certains se sont éclipsés. Le dénommé Mohammed Sifaoui a disparu dans la clandestinité, sans doute infiltré dans une de ces nombreuses cellules d'Al-Qaida. Tahar Ben Jelloun et Abdelwahhab Meddeb, ont perdu leur voix : l'un avait oublié de critiquer la dictature de Ben Ali, l'autre reste muet face à la monarchie marocaine.

Heureusement, il ne manque pas de candidats pour occuper cette place du « bon musulman », de celui qui dit ce que nous avons envie d'entendre, et qui peut même aller plus loin encore dans la critique, car il ne saurait être soupçonné, lui qui est musulman, d'islamophobie.

Les Anglo-Saxons ont un joli nom pour désigner ces personnages, « native informant » (informateur indigène), quelqu'un qui simplement parce qu'il est noir ou musulman est perçu comme un expert sur les Noirs ou sur les musulmans. Et surtout, il a l'avantage de dire ce que « nous » voulons entendre : ainsi, en 2003, Fouad Ajami, un Libanais, est devenu célèbre aux Etats-Unis en défendant la guerre contre l'Irak : si même un Arabe le dit, alors… (lire Adam Shatz, « The Native Informant », The Nation, 28 avril 2003).

Ainsi en est-il de Abdennour Bidar, professeur de philosophie à Sophia Antipolis (Alpes-Maritimes). Dans une tribune publiée sur le site du Monde(23 mars) et intitulée « Merah, "un monstre issu de la maladie de l'islam" », il revient sur le drame de Toulouse.

« Depuis que le tueur de Toulouse et Montauban a été identifié comme "salafiste djihadiste", c'est-à-dire comme fondamentaliste islamiste, le discours des dignitaires de l'islam de France a été de prévenir tout "amalgame" entre cette radicalité d'un individu et la "communauté" pacifique des musulmans de France. (...) Mais tout le mérite de cette réaction immédiate, responsable et nécessaire, ne suffit pas à éluder une question plus grave. La religion islam dans son ensemble peut-elle être dédouanée de ce type d'action radicale ? Autrement dit, quelle que soit la distance considérable et infranchissable qui sépare ce tueur fou de la masse des musulmans, pacifiques et tolérants, n'y a-t-il pas tout de même dans ce geste l'expression extrême d'une maladie de l'islam lui-même ? »

Un salafiste djihadiste ? Bidar ne s'interroge pas sur la signification de ce terme. Est-ce vraiment ce que représente Merah ? Olivier Roy fait remarquer que loin d'être un combattant, il est avant tout un solitaire, un perdant, dont le rapport à la religion semble pour le moins incertain (« Loner, Loser, Killer », International Herald Tribune, 23 mars 2012).

L'islam ? Mais de quoi parle Bidar ? De la religion, d'une histoire de plus de quatorze siècles qui a vu se succéder empires, royaumes et républiques ? Du milliard et quelque de musulmans qui vivent dans des dizaines de pays ? Bidar n'a sans doute jamais lu Edward Said qui faisait remarquer, il y a déjà bien longtemps :

« Quand on parle de l'islam, on élimine plus ou moins automatiquement l'espace et le temps. » Et il ajoutait : « Le terme islam définit une relativement petite proportion de ce qui se passe dans le monde musulman, qui compte un milliard d'individus, et comprend des dizaines de pays, de sociétés, de traditions, de langues et, bien sûr, un nombre infini d'expériences différentes. C'est tout simplement faux de tenter de réduire tout cela à quelque chose appelé islam […]. » (cité dans La République, l'islam et le monde, Fayard).

L'avantage de cette généralisation est qu'elle fait croire qu'il existe UN islam éternel et immobile (ce que disent les islamistes les plus radicaux), UN islam qui serait victime, selon Bidar, d'une « dégénérescence multiforme (...) :inculture ou "sous-culture" religieuse sont des maux qui la gangrènent. Cette médiocrité profonde dans laquelle sombre l'islam s'observe certes à des degrés très divers selon les individus, de telle sorte qu'il se trouve toujours des musulmans moralement, socialement, spirituellement éclairés par leur foi, et de sorte aussi qu'on ne peut pas dire que "l'islam est par essence intolérant" ni que "les musulmans sont antisémites". Ce sont là des essentialisations et des généralités fausses, dont certains usent pour propager l'islamophobie. Néanmoins, tous ces maux que je viens d'énumérer altèrent la santé de la culture islamique, en France et ailleurs. »

Essentialisation ? Mais c'est exactement ce que Bidar fait. Car quelques individus, comme il le dit lui-même, ne sauraient exempter une religion qui dans son ensemble serait devenue antisémite, misogyne, etc.

« Il s'agirait par conséquent, pour l'islam, d'avoir dans des circonstances pareilles un courage tout à fait particulier : celui de reconnaître que ce type de geste, tout en étant étranger à sa spiritualité et à sa culture, est pourtant le symptôme le plus grave, le plus exceptionnel, de la profonde crise que celles-ci traversent. » (...)

« Comme je l'ai souligné aussi à de très nombreuses reprises, la culture islamique est depuis plusieurs siècles enfermée dans ses certitudes, enfermée dans la conviction mortifère de sa "vérité". Elle est incapable d'autocritique. Elle considère de façon paranoïaque que toute remise en cause de ses dogmes est un sacrilège. Coran, Prophète, ramadan, halal, etc. : même chez des individus éduqués, cultivés, par ailleurs prêts au dialogue sur tout le reste, la moindre tentative de remise en cause sur ces totems de l'islam se heurte à une fin de non-recevoir. »

L'islam, dont l'auteur semble ignorer la diversité des pratiques et des attitudes, serait incapable de remettre en cause ses dogmes. Bidar met dans le même sac, si l'on peut dire, les croyances religieuses et les pratiques : ainsi, l'islam pense que le Coran et le prophète sont sacrés ! Quel crime pour une religion de croire que ses dogmes religieux sont vrais ! L'Eglise catholique pense que le pape est infaillible, maintient le dogme de l'immaculée conception, réduit le nouveau testament à quatre Evangiles (et oublie les Evangiles dits apocryphes), etc. Parle-t-il alors d'une maladie du catholicisme ?

Quant aux pratiques des musulmans, elles n'auraient pas évolué ? Rappelons que dans les années 1950, Al-Azhar édictait une fatwa qui disait que le droit de votes des femmes était contraire à la religion : aujourd'hui, elles votent partout à l'exception de l'Arabie saoudite (où même le droit de votes des hommes est extrêmement limité). Quant au halal, il suffit de connaître un minimum l'histoire de ce dernier siècle pour mesurer à quel point son interprétation varie au cours des décennies et d'un pays à l'autre.

Il faut le dire, la plupart des pratiques des musulmans dans leur vie quotidienne a peu à voir avec la religion et les institutions (entreprises, administrations, armées, etc.) fonctionnent dans le monde musulman de la même manière que dans n'importe quelle autre région du monde.

Certes, il existe une lecture très conservatrice et réactionnaire de l'islam qui s'est développée depuis les années 1970. Mais Bidar devrait rappeler que cet islam est venu d'Arabie saoudite, un allié stratégique de l'Occident libéral. Et il aurait pu souligner que les révolutions dans le monde arabe ont ouvert un débat : Al-Azhar a ainsi adopté un document en faveur d'un Etat civil (dawla madaniya) qui illustre les transformations des esprits.

« Comment s'étonner, poursuit Bidar, que dans ce climat général de civilisation, figé et schizophrène, quelques esprits malades transforment et radicalisent cette fermeture collective en fanatisme meurtrier ? On dit d'un tel fanatisme de quelques-uns que "c'est l'arbre qui cache la forêt d'un islam pacifique". Mais quel est l'état réel de la forêt dans laquelle un tel arbre peut prendre racine ? Une culture saine et une véritable éducation spirituelle auraient-elles pu accoucher d'un tel monstre ? Certains musulmans ont l'intuition que ce type de question a été trop longtemps ajourné. La conscience commence à se faire jour chez eux qu'il deviendra toujours plus difficile de vouloir déresponsabiliser l'islam de ses fanatiques, et de faire comme s'il suffisait d'en appeler à distinguer islam et islamisme radical. Mais il doit devenir évident pour beaucoup plus de musulmans encore que désormais les racines de l'arbre du mal sont trop enfoncées et trop nombreuses dans cette culture religieuse pour que celle-ci persiste à croire qu'elle peut se contenter de dénoncer ses brebis galeuses. »

Le Figaro a consacré sa Une du 22 juillet 2011 à la tuerie de Anders Behring Breivik en Norvège, et celle du 22 mars dernier à celle de Toulouse.

Dans la première, on voit en gros titre « Terrorisme : la froide détermination du tueur d'Oslo » ; aucune photo des victimes — 77 —, mais celle du tueur ; dans la seconde, « Mohammed Merah 23 ans terroriste islamiste 7 morts », avec la photo de six des victimes (une comparaison des deux Unes est relevée par Arrêt sur images).

Breivik n'est-il pas le produit de la maladie de l'Occident ? De cette vision qui voit dans tout musulman un danger, une menace ? Ne dit-il rien sur nos sociétés ? Non, c'est plutôt un fou ou un déséquilibré et Bidar ne voudra sûrement pas généraliser une telle action.

Quand un soldat américain sort de son campement en Afghanistan et tue le 11 mars 2012, 17 civils dont des femmes et des enfants, on parle de folie, de fortes pressions psychologiques sur le soldat, jamais du fait que la guerre occidentale en Afghanistan ressemble à ces guerres coloniales où les populations locales ne comptent pas pour grand-chose. Cette tuerie ne dit rien à Bidar sur la maladie de l'Occident, car il est convaincu que seul l'islam est malade.

Mais, rappelons-le, depuis le 11 septembre 2001, les interventions occidentales des Etats-Unis, d'Israël et de l'OTAN ont tué bien plus de civils innocents que toutes les actions terroristes.




Qu’est-ce qu’un musulman «modéré» ? La chronique de Maurice Tarik Maschino, El Watan 28 mars 2012




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La presse française vient de découvrir une nouvelle sorte de musulman : le musulman «modéré». L'expression revient de plus en souvent dans les médias et le langage courant. Mais qu'est-ce qu'un musulman «modéré» ? Si les mots ont un sens, ce ne peut être qu'un musulman qui pratique modérément sa religion. Qui n'est donc pas trop musulman. Qui, on l'espère, le sera encore moins demain. Mais encore ?  La presse ne le dit pas, et s'en garde bien. Car le musulman modéré ne l'intéresse pas, elle ne l'a jamais rencontré.Et pour cause : le musulman modéré est une abstraction, un pseudo-concept ou un concept de guerre, dont la fonction est  d'exciter dans l'imaginaire des lecteurs les stéréotypes habituels qui stigmatisent les musulmans.

Loi antiraciste oblige : il n'est plus possible de parler des musulmans comme on le faisait encore dans les années 1930, quand il était évident, pour tous ou presque, que les musulmans étaient des fanatiques à «l'âme primitive» et à «la sauvagerie naturelle» qui jouaient facilement du couteau, violaient les femmes et s'abandonnaient à leurs  «instincts violents».
Il  se peut que  ces clichés aient vieilli, mais il est certain que l'image des musulmans, en France, reste très négative. A ce point que le terme même de musulman remplace aujourd'hui les termes Arabe ou  Maghrébin – termes dévalorisants (travail d'Arabe, les Nord-Africains),  dont toute la charge négative s'est transférée sur le terme musulman.
Qui dit musulman dit, consciemment ou pas,  immigré, même si l'immigré est de la troisième génération née en France ! –  intégration interdite, on est immigré à perpétuité –  il dit encore  famille nombreuse, chômeur, machiste, polygame, peut-être clandestin, ex ou futur délinquant et surtout, dangereux.

A cause de sa religion, évidemment, dont on ne connaît rien, mais qui fait peur : et si chaque musulman était un Mohamed Merah en puissance ?
Musulman : nom ou adjectif, il dévalorise d'emblée celui qu'il désigne et par là-même, s'il est de nationalité française, l'éjecte symboliquement de la communauté nationale. On ne précise la religion d'une personne que si elle est suspecte ou coupable. Ou pour la tenir à distance et activer des réactions de défense. En 1998, on célébrait le Français Zidane, on ne le qualifiait pas de musulman ni de  franco-algérien – franco-algérien restreint évidemment la francité de la personne,  l'affaiblit et, pour beaucoup, la rend douteuse, incomplète. Non, Zidane était Zidane, français, mille fois français !  Rappeler qu'il était aussi musulman aurait été du dernier mauvais goût.

Ainsi vont les jugements dans la France d'aujourd'hui. Où les musulmans ne sont pas mieux acceptés qu'autrefois. Où les clichés les plus sordides leur attribuent les vices les plus rédhibitoires. Surtout quand il s'agit des hommes. Par exemple, constate un sociologue, «la procédure de naturalisation est utilisée par le(s) gouvernement(s) comme un dispositif de lutte contre l'homme musulman, tel qu'il est caricaturé : violent, sexiste, homophobe… C'est l'Autre absolu».
Ces clichés ont la vie dure. Parce que l'opinion, dans l'ensemble, n'a aucune connaissance de l'islam ? Sans doute. Parce que des fanatiques, qui ne le connaissent pas davantage, se revendiquent musulmans et, au nom de leurs fantasmes et de leurs frustrations, posent des bombes, assassinent ? Sans doute aussi. Parce que les gouvernements des pays dits musulmans se servent de l'islam pour mieux dominer leur peuple, le maintenir dans l'oppression et le condamner à l'obscurantisme ? Sans doute encore.

Mais, si importants soient-ils, ces facteurs ne suffisent pas à expliquer la peur ou la haine que les musulmans provoquent en France  et ailleurs. Les groupes stigmatisés, dans une population donnée, ne sont pas ceux qui s'en différencient le plus, mais, au contraire, ceux qui, par bien des côtés, lui ressemblent et, par là même,  la dévalorisent. Incertains de conserver leur emploi, souvent mal logés, aux fins de mois difficiles, les «musulmans» renvoient aux «chrétiens» l'image d'une condition qui est déjà en partie la leur. Et les «chrétiens», en rejetant cette image, rejettent en même temps ceux qui la leur présentent. Crise socioéconomique, idéologie fascisante : ce n'est pas demain qu'il fera bon vivre en France pour les musulmans, si «modérés» soient-ils.


Notes :

-(1) Cf. Ralph Schor, L'opinion française et les étrangers, 1919-1939 - Publications de la Sorbonne, Paris, 1985.
-(2) Abellali Hajjat, Les frontières de l' «identité nationale» - La Découverte, 2012.

«On assistait à un recul des préjugés racistes, la tendance s'est inversée» Libération 28 mars 2012



Marche silencieuse à Paris le 25 mars 2012 en hommage aux sept victimes du tueur au scooter.
Marche silencieuse à Paris le 25 mars 2012 en hommage aux sept victimes du tueur au scooter. (Photo Joel Saget. AFP)
    AU RAPPORTLa Commission nationale consultative des droits de l'homme a rendu son rapport annuel sur les actes racistes. S'ils ont diminué en 2011, l'intolérance de la société française, elle, s'accentue.
Par SYLVAIN MOUILLARD

Les «événements» de Toulouse sont bien entendu dans tous les esprits. Mais, pour la remise de son rapport annuel (le lire en intégralité ici), la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) n'a évoqué que l'année 2011. Principal objet de ses recherches : les actes racistes, antisémites et xénophobes commis en France l'an passé. L'autre volet du rapport est une étude d'opinion (1) sur la tolérance des Français. Et les résultats sont ambivalents. En 2011, le nombre d'actes et de menaces racistes est en recul. La CNCDH en a comptabilisé 1 254, soit une baisse de 7% par rapport à 2010.

Mais le sentiment raciste, lui, progresse. Quelque 48% des sondés estiment par exemple que l'immigration est la principale cause de l'insécurité (+4 points par rapport à 2010). Globalement, ce sont les Maghrébins et les musulmans qui cristallisent le ressentiment. Yves-Marie Cann, de l'institut CSA, qui a réalisé l'étude d'opinion, s'avoue désarmé quand il s'agit d'expliquer ces phénomènes concomitants et apparemment contradictoires. Il esquisse une première analyse : «Peut-être que la moindre présence des actes racistes dans le champ médiatique incite à une libération de la parole raciste», juge-t-il.

Voici les principales conclusions de l'enquête.

Les actes et menaces à caractère raciste : en recul, sauf pour les atteintes à l'islam

«Il n'y a pas eu d'événement très grave en 2011», note Marc Leyenberger, de la CNCDH. «On observe une diminution des actes racistes (-2,4%) et antisémites (-16,5%) par rapport à l'année précédente.» Ceux-ci se concentrent principalement dans trois régions : l'Ile-de-France, Paca, et Rhônes-Alpes. Principales satisfactions : le recul des actes antisémites, qui atteignaient il y a quelques années encore des «niveaux graves», et la baisse des menaces en milieu scolaire (-48%). Marc Leyenberger salue en particulier l'action du ministère de l'Education nationale.

Mais il ne peut que déchanter devant les chiffres des atteintes aux personnes en raison de leur confession musulmane. En 2011, ils ont augmenté de 33,6%. 38 actes et 117 menaces ont été recensés. «La figure de l'étranger et du musulman vient cristalliser un certain nombre de craintes, explique-t-il. C'est là que s'articule le lien entre immigration et insécurité.» La CNCDH invite toutefois à regarder ce phénomène avec prudence, notant «l'amélioration du recensement des actes commis», ce qui peut expliquer leur nette augmentation.

La tolérance de la société française : «L'ambiance n'est pas bonne»

Même si le niveau de tolérance reste globalement élevé en France, l'évolution au cours des deux dernières années est négative. «On assistait depuis 2005 à un recul des préjugés. La tendance s'est inversée en 2010, remarque Marc Leyenberger. On avait expliqué ce phénomène par la crise économique, le chômage... des facteurs qui ont tendance à favoriser un racisme de protection contre une menace supposée venant de l'extérieur.» L'argument économique ne suffit plus. Pour Leyenberger, l'accumulation d'événements tels que les révolutions arabes, le discours de Grenoble, les débats sur le voile intégral ou les prières de rue, voire le travail de dédiabolisation du FN entamé par Marine Le Pen, peuvent permettre de comprendre cette montée de l'intolérance.

Certains chiffres sont édifiants. Ainsi, 7% des sondés s'assument«plutôt racistes» (une hausse de 3 points en quelques mois). La vision de la société française est aussi de plus en plus atomisée. Pour 77% des sondés, les Roms sont «un groupe à part». La proportion est de 51% pour les musulmans, 40% pour les Maghrébins, 38% pour les Asiatiques. 31% des sondés jugent que «les enfants d'immigrés nés en France ne sont pas vraiment français». L'idée selon laquelle «de nombreux immigrés viennent en France uniquement pour profiter de la protection sociale» est largement ancrée (70%). Enfin, 55% des sondés seraient prêts à paraphraser Claude Guéant, estimant«qu'aujourd'hui, en France, on ne se sent plus chez soi comme avant».

Cette série d'indicateurs inquiète la CNCDH, qui ne manque pas de pointer du doigt «l'impact que peuvent avoir certains discours politiques ou certains débats nationaux sur l'attitude de quelques-uns de nos concitoyens».

mardi 27 mars 2012

Hélène Flautre: «La politique migratoire est prise en otage par les discours racistes à la tête de l’État» MEDIAPART 27 MARS 2012 | PAR CARINE FOUTEAU



 « L'Europe passoire » : cette expression chère à l'extrême droite vient d'être réhabilitée par Nicolas Sarkozy qui s'est attaqué à l'espace Schengen de libre circulation au sein de l'Union européenne. Comme en 2007, le président-candidat fait de l'immigration l'un des ressorts de sa campagne électorale. Entretien avec Hélène Flautre, eurodéputée d'Europe Écologie-Les Verts, qui a conçu trois vidéos d'animation de quelque deux minutes chacune, pour lutter contre les idées reçues, récurrentes en ce domaine.

En pleine campagne présidentielle, pourquoi avoir conçu des films d'animation sur les questions migratoires ?

L'objectif est d'aller à l'encontre des idées reçues sur un sujet instrumentalisé par la droite et le gouvernement, incapable de répondre à la crise économique et sociale. Ces vidéos ont été réalisées dans le sillage de l'audit de la politique de l'immigration, de l'asile et de l'intégration qui a réuni en 2010 et 2011 des parlementaires européens, des députés et des sénateurs français de tous bords en lien avec l'association Cette France-là. Nous avons entendu de nombreux experts, des chercheurs, des historiens, des géographes, des juristes, des militants, des représentants du patronat, etc. Sur cette base, nous avons mis à jour des éléments d'information et de connaissance permettant de concevoir une politique radicalement différente de celle qui est menée actuellement. La politique migratoire est aujourd'hui prise en otage par les discours populistes et racistes, souvent tenus à la tête de l'État. Nous avons voulu déconstruire quelques idées ressassées bêtement.


Par exemple ?


Par exemple que toute la misère du monde viendrait assiéger les pays européens ou que les migrants seraient une telle charge pour les politiques de solidarité que nous serions contraints de les renvoyer dans leur pays d'origine. Il faut remettre les choses à leur place. Un petit milliard de gens quittent chaque année leur terre natale. L'immense majorité, 700 millions, vont vers la mégapole d'à côté. Ils ne sont que 214 millions à traverser une frontière.

Parmi eux, seuls 30 % vont vers un pays développé. Sans eux, la plupart des pays européens déclineraient démographiquement. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la population mondiale est plus sédentaire au XXIe siècle qu'au début du XXe : les migrants internationaux sont passés de plus de 5 à 3 % de la population totale. Au sein des migrations subsahariennes, on compte un retour pour trois départs.

Pourquoi le gouvernement n'évoque-t-il jamais ceux qui s'en vont ? Environ 20.000 Tunisiens sont arrivés en Europe au moment de la révolution. Qui a parlé de tous ceux, beaucoup plus nombreux, qui sont retournés dans leur pays à cette occasion ? En matière d'asile aussi, l'Europe à quinze en 1992 recevait trois fois plus de demandes que l'UE à vingt-sept en 2010.

Plutôt qu'une Europe « assaillie », le risque n'est-il pas d'une Europe dépeuplée ?

Tout notre propos est de démontrer que les politiques de fermeture des frontières sont sans issue, y compris économiquement et démographiquement. Même en France, où la natalité est dynamique, la contribution nette des migrants aux caisses de l'État est importante, de l'ordre de 12 milliards d'euros chaque année. On ne peut pas imaginer financer les retraites sans l'apport des immigrés. Il est donc dans l'intérêt bien compris des populations des États européens de choisir des politiques d'immigration ouvertes. Toutes les sociétés européennes sont concernées.

Depuis plusieurs années, le solde migratoire entre l'Allemagne et la Turquie est positif pour la Turquie, c'est-à-dire qu'il y a plus de gens résidant en Allemagne qui font le choix de s'installer en Turquie que l'inverse. L'Europe n'est plus aussi désirable et attractive qu'elle le croit. Beaucoup de jeunes Européens diplômés vont vivre durablement en Asie ou dans des pays émergents. Le développement économique aujourd'hui est en train de se détourner de l'Europe.

Comment analysez-vous l'attaque en règle de Schengen par Nicolas Sarkozy ?

C'est une illustration de l'instrumentalisation. Nicolas Sarkozy est ridicule et décalé. La France est le premier pays d'accueil de touristes au monde. Va-t-on rétablir à nos frontières des contrôles qui inciteront ces 75 millions de visiteurs à voyager ailleurs ? Toute cette affaire est partie des quelques milliers de Tunisiens qui se sont rendus en Europe, exerçant leur nouveau droit à la mobilité, après la chute de Ben Ali. Silvio Berlusconi, alors président du conseil italien, a fait monter la pression sur Lampedusa pour essayer de détourner l'attention de ce qui était en train de se passer au sud de la Méditerranée. Avec la France et l'Espagne, ils ont demandé la révision du code Schengen. C'était il y a un an !

En pleine campagne électorale, l'enjeu, pour le président français, est d'agiter la peur pour justifier ses politiques sécuritaires et répressives. D'ailleurs, si Paris se préoccupait réellement de Schengen, Claude Guéant, le ministre de l'intérieur, serait allé à la dernière réunion qui faisait le point sur l'état des négociations. Or, il était absent.

Pourquoi la Commission européenne a-t-elle consenti à ouvrir une négociation ?

Elle l'a fait pour reprendre la main. Le code Schengen permet déjà, à certaines conditions, de rétablir de manière temporaire des contrôles pour certains événements internationaux ou pour atteinte à l'ordre public. Selon moi, elle n'aurait pas dû proposer qu'un « afflux massif » de migrants, sans en donner la définition, soit considéré comme un motif suffisant. Quand on sait qu'en France dix personnes débarquant en Corse constituent un « afflux massif », cela pose problème. Cette affaire intervient à un moment où la plupart des États veulent se réapproprier la gouvernance de l'espace Schengen et qu'est toujours refusée l'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie.

En matière de durcissement de sa politique migratoire, la France n'est pas isolée…

La France mène une politique sécuritaire et répressive, qui n'est ni pragmatique, ni raisonnable. Opportuniste, elle est au contraire désordonnée et sans cohérence. Effectivement, la France n'est pas seule. Les discours populistes et xénophobes, liant terroristes, migrants et clandestins, se retrouvent partout en Europe. La représentation que les citoyens européens ont des migrations est totalement faussée. Cela produit un état de racisme latent et une atmosphère délétère sur ce vieux continent. L'immigration sert de grosse ficelle, notamment en période électorale.

Que répondez-vous à ceux qui affirment que l'Europe est une « passoire »… ou une « forteresse » ?

L'Europe n'est ni une passoire, ni une forteresse. Sa frontière est rugueuse, par endroits elle est sécurisée, à d'autres poreuse. La réalité se situe néanmoins du côté d'un durcissement généralisé. Les migrants empruntent des routes d'autant plus dangereuses que des dispositifs quasi militaires sont mis en places ici et là. Les voies de la migration légale étant réduites comme peau de chagrin, ils sont soumis à un arbitraire insupportable.

Depuis la fin des années 1990, plus de 10.000 personnes sont mortes noyées dans la Méditerranée. Selon le HCR, en 2011, elles étaient 1.500. De même, à la frontière Evros, entre la Turquie et la Grèce, les drames humains sont réguliers. Par ailleurs, la spécificité européenne tient au fait que ses frontières sont de moins en moins celles de ses limites géographiques. Entre les officiers de liaison délocalisés dans les pays d'émigration et les patrouilles de Frontex, l'UE se positionne jusque dans les pays tiers pour exercer son droit de triage. Sans craindre de violer les droits des migrants, elle impose aux pays de son voisinage des accords de réadmission les obligeant à reprendre sur leur territoire non seulement leurs ressortissants, mais aussi les personnes étant supposées avoir transité sur leur sol. Ce faisant, l'UE contraint ces pays à davantage contrôler leurs frontières et à empêcher les migrations en amont. La motivation de ces accords est de faire de ces États des terres de rétention des flux migratoires. 

L'Union européenne n'est-elle pas le seul échelon efficace pour gérer ces questions ?

Construire des politiques d'immigration et d'asile est pertinent à l'échelle du continent européen. Ça l'est moins, voire pas du tout au niveau des États. Mais comme ces politiques sont en co-décision, elles dépendent trop des intérêts fluctuants des chefs d'État et de gouvernement. Au Conseil, l'heure est majoritairement à la suspicion et à la répression.

Cette politique marche sur la tête car elle n'est bénéfique pour personne. Ni pour les pays d'émigration, ni pour les migrants, ni pour les pays d'accueil. La prévisibilité d'un parcours de migration est extrêmement faible, c'est la répression, le hasard et la précarité qui dominent. Or tous les rapports académiques, d'ONG et d'organisations internationales nous disent qu'une bonne politique d'asile et d'immigration est une politique qui permet de lever les obstacles à la mobilité, d'organiser et d'accompagner les mobilités. C'est tout l'enjeu d'une nouvelle politique.

Plus les droits des migrants sont garantis et respectés, plus les parcours sont sécurisés et organisés, plus les bénéfices sont importants pour les migrants, pour les sociétés d'accueil et pour les sociétés d'origine. C'est ce gagnant-gagnant-gagnant qu'il faut mettre en place.

Le meilleur exemple n'est-il pas la libre circulation à l'intérieur de l'UE qui permet à tout un chacun d'aller et venir sans se retrouver piéger dans tel ou tel pays d'accueil ?

Au sein de l'UE, avec la libre circulation, on peut effectivement constater les bénéfices d'une politique ouverte assise sur le droit à la mobilité. On peut toutefois regretter les entraves qui persistent pour les Bulgares et les Roumains, notamment les Roms.

Pourquoi le PS ne défend-il pas cette vision ?

Le candidat Hollande n'a pas l'air d'avoir envie de se prononcer sur les questions d'immigration et d'asile, hormis pour déclarer que lui aussi sera capable de combattre l'immigration « clandestine ». Même la Commission européenne n'utilise plus ce terme et parle d'immigration « irrégulière ». La différence est importante : « irrégulière » veut dire que la migration a pu avoir lieu en transgressant la loi, mais cela ne veut pas dire qu'elle est illégitime. Par exemple, un demandeur d'asile peut arriver à la nage sur une côte sans avoir demandé de visa, mais être néanmoins en droit d'utiliser tous les moyens lui permettant de réclamer une protection internationale.

Et le reste de la gauche ?

Ces candidats font un travail positif, car ils mettent en avant la diversité de la société française. Ils prennent le contre-pied du fantasme sécuritaire qui sévit à tous les étages de l'administration française, sous la férule de ce gouvernement et dénoncent le coût humain et économique de cette politique. Il est urgent de s'appuyer sur les pays en transition démocratique au sud de la Méditerranée pour expérimenter concrètement une nouvelle politique fondée sur le droit à la mobilité. Le nouveau gouvernement italien paraît vouloir aller dans cette direction. Les migrants doivent avoir le choix de partir ou de rester. En ce sens, il faut élaborer une politique d'émigration choisie et non d'immigration choisie. Pour cela, nous devons faire en sorte que personne ne soit forcé de quitter sa terre. L'UE a les moyens de cesser de spolier les ressources halieutiques, de maîtriser les changements climatiques en réduisant les gaz à effets de serre, d'arrêter de soutenir les régimes liberticides. Tout cela est à notre portée.

Vous défendez le droit à la mobilité plutôt que l'ouverture des frontières ?

Pour moi c'est la même chose, pour exercer son droit à la mobilité, il faut avoir des frontières ouvertes. Mais je ne veux pas me laisser enfermer dans un piège où l'on me reprocherait de défendre tout et n'importe quoi. Je suis favorable à ce que l'on enregistre les personnes aux frontières, je suis pour l'organisation des flux, la sécurisation des migrations et l'accompagnement des migrants car c'est la politique la plus raisonnable. Je ne veux pas me contenter de slogans sur l'ouverture des frontières qui alimentent les fantasmes et donnent des arguments aux promoteurs du tout répressif.