jeudi 9 avril 2015

Antisémitisme, islamophobie: la CNCDH pointe un climat «délétère» en France 09 avril 2015 | Par Carine Fouteau MEDIAPART


Dans son rapport annuel rendu public jeudi, la Commission nationale consultative des droits de l'homme observe la cristallisation du rejet autour de la population musulmane, l'augmentation significative des actes antisémites et la critique sans retenue des Roms.

Ce sont les racines du mal qu'observe la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) dans son rapport annuel rendu public jeudi 9 avril consacré à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie (à lire en intégralité en page 2 de cet article). Quel terreau a rendu possibles les attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et le supermarché casher à la suite desquels vingt personnes, dont les trois terroristes, ont perdu la vie ? « Le peuple de France a été saisi de sidération devant le cauchemar de la rédaction d'un journal, Charlie Hebdo, sauvagement décimée et d'assassinats antisémites barbares dans un supermarché casher », souligne Christine Lazerges, la présidente de l'institution, dans son introduction. « Les tendances sont inquiétantes et la CNCDH se doit d'alerter les pouvoirs publics et l'opinion », insiste-t-elle. Depuis 2009, selon ses analyses, la société française est gagnée par une intolérance croissante à l'égard des immigrés et des étrangers, boucs émissaires dans un contexte de crise économique et de montée continue du chômage. 

L'année 2014 s'ouvre avec l'affaire Dieudonné. Dans le sillage de l'interdiction des spectacles de l'humoriste, la manifestation « Jour de colère », le 26 janvier, voit se nouer une alliance rance entre catholiques fondamentalistes, militants d'extrême droite nationalistes et partisans d'Alain Soral autour de slogans antisémites, anti-islam et homophobes. Les succès éditoriaux d'ouvrages « qui répandent l'amalgame et attisent les peurs » sont un autre symptôme d'un climat « délétère ». Dans l'espace public, les paroles xénophobes sur fond de progression du FN aux élections européennes et municipales ne font pas l'objet de « recadrage », remarque la CNCDH qui regrette « l'absence de contre-discours positifs tant de la part des politiques que des médias ». Trois formes de rejet lui semblent particulièrement tenaces : la cristallisation du racisme autour de la population musulmane, l'augmentation significative des actes antisémites et la critique sans retenue des Roms.

Selon les chiffres recensés par le ministère de l'intérieur, 1 662 actes et menaces à caractères racistes ont été signalés en 2014 auprès des services de police et de gendarmerie, contre 1 271 un an plus tôt, soit une hausse de 30 %. Ainsi mesurée, cette délinquance à caractère raciste prend en compte les attentats, tentatives d'attentats, incendies, dégradations, violences et voies de fait, de même que les propos, gestes menaçants, démonstrations injurieuses, inscriptions, tracts et courriers. La hausse est spectaculaire pour les faits antisémites qui connaissent des pics de violence en janvier, après le « Jour de colère », puis entre juillet et octobre, en écho à l'intensification du conflit israélo-palestinien et aux manifestations en faveur de Gaza en France. Les actes antimusulmans connaissent, eux, une baisse en 2014, en partie compensée par une flambée après les attentats de janvier 2015.

Après les attentats, la manifestation du 11 janvier 2015 a réuni près de 4 millions de personnes en France. © ReutersAprès les attentats, la manifestation du 11 janvier 2015 a réuni près de 4 millions de personnes en France. © Reuters

Ces données, note le rapport, sont à prendre avec des pincettes. Pour de nombreuses raisons, la nomenclature est jugée lacunaire, notamment parce qu'elle n'intègre pas les discriminations liées aux origines. La comparaison avec les statistiques recueillies au Royaume-Uni montre à quel point les données françaises sous-estiment la réalité. Outre-Manche, à la suite d'une réforme du recensement des infractions racistes, le nombre d'actes commis à raison de l'appartenance prétendue à une « race » est passé de 6 500 en 1990 à 37 000 en 2013-2014.

« La prise de recul s'impose s'agissant des données relatives à la répression judiciaire des actes racistes, répète Christine Lazerges. Ces chiffres sont certes un indicateur des manifestations du racisme, mais ils ne révèlent que l'écume des choses, puisqu'en matière de racisme et d'antisémitisme, le chemin des victimes est pavé d'obstacles, à commencer trop souvent par la difficulté à déposer plainte. Le traitement judiciaire achoppe rapidement sur une limite : si les actes racistes, antisémites et xénophobes sont susceptibles de recevoir une réponse pénale, de tomber sous le coup d'une incrimination, ce n'est pas le cas de l'idéologie qui les nourrit. »

Autre outil de mesure, l'indice longitudinal de tolérance mis au point par Vincent Tiberj, chargé de recherches au Centre d'études européennes (CEE) de Sciences Po, est considéré comme plus fiable sur la durée. Mis en service en 1990, ce baromètre agrège les réponses à une batterie de questions – pour l'année 2014 il a été réalisé par l'institut BVA du 3 au 17 novembre auprès d'un échantillon représentatif de 1 020 personnes âgées de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine constitué d'après la méthode des quotas. Il permet de saisir un instantané de l'état du racisme en France. Depuis 2009, cet indice chute. En 2014, il se stabilise.

« Pour la cinquième année consécutive, l'indice de tolérance est peu satisfaisant, se trouvant, après un recul au cours des quatre dernières années, à des niveaux tels que cette régression reste sans précédent depuis que les chercheurs qui travaillent en collaboration avec notre autorité administrative indépendante ont créé l'indice longitudinal de tolérance », souligne Christine Lazerges. Les opinions à l'encontre des musulmans évoluent négativement. Leurs pratiques religieuses sont mal perçues. Porter le voile, ne pas boire d'alcool, ne pas manger de porc ou pratiquer la prière est, par exemple, moins accepté en 2014 qu'en 2013. Les Roms, pour lesquels de nouvelles questions ont été intégrées dans le questionnaire, constituent la population qui suscite le plus de rejet.

Malgré l'augmentation des actes et menaces antisémites tels que les mesure le ministère de l'intérieur, les opinions à l'égard des juifs dans le baromètre de la CNCDH sont, elles, stables. Pour tenter d'y voir plus clair, le rapport consacre un chapitre à la « revitalisation des vieux clichés antisémites » signé par plusieurs chercheurs de Sciences Po sous la houlette de Nonna Mayer, directrice de recherche du CNRS au CEE de Sciences Po et présidente de l'Association française de science politique depuis 2005.


Antisémitisme, islamophobie: la CNCDH pointe un climat «délétère» en France

09 avril 2015 |  Par Carine Fouteau

Partage

  • «On observe chez les catholiques les plus pratiquants une poussée identitaire»

    Cette minorité est la mieux acceptée. Le sentiment que les juifs sont « des Français comme les autres » était partagé par un tiers des personnes interrogées par l'institut de sondages Ifop en 1946. Il l'est aujourd'hui par 85 %, soit une proportion supérieure de 20 points à celle observée pour les musulmans. L'idée que les juifs forment « un groupe à part » est partagée par 28 % des personnes interrogées, proportion largement inférieure à celles observées pour les Asiatiques (37 %), les Maghrébins (38 %), les musulmans (48 %), les gens du voyage (80 %) et les Roms (82 %).

    En revanche, les chercheurs observent une persistance des stéréotypes liés au pouvoir et à l'argent dont sont victimes les juifs. « Tout se passe comme si les mesures prises pour protéger cette minorité, mesures de sécurité après la tuerie de Toulouse, ou sur un registre moins dramatique l'interdiction du spectacle de Dieudonné, en janvier, et celle de deux manifestations pro-palestiniennes à Paris cet été, venaient renforcer la croyance en leur influence », constatent-ils. « Dans le même ordre d'idées, les juifs sont accusés d'instrumentaliser la Shoah à leur profit », poursuivent-ils. Le soupçon de « double allégeance » mesuré par la question « Pour les juifs français, Israël compte plus que la France » est également renforcé.

    Au total, les juifs de France incarnent à la fois une « minorité modèle », vue comme « parfaitement intégrée », mais en butte à des préjugés tenaces et plutôt en hausse depuis un an. Comment comprendre cette situation ? Que penser de l'hypothèse d'un « nouvel » antisémitisme associé à l'antisionisme et aux critiques d'Israël comme l'a théorisé le politologue et historien des idées Pierre-André Taguieff ? Nonna Mayer a déjà eu l'occasion de déconstruire cette piste. Étant donné son actualité renouvelée, elle s'y attelle une fois encore.

    « Ce nouvel antisémitisme, rapportent les chercheurs, ne se fonderait plus sur la notion de "peuple déicide" caractéristique de l'antijudaïsme chrétien, ou sur la prétendue supériorité de la race aryenne, comme au temps du nazisme, mais sur l'antisionisme, l'amalgame polémique entre "juifs", "Israéliens" et "sionistes". Cet antisionisme, au nom de la défense des Palestiniens et des Arabes, rapprocherait contre un ennemi commun des réseaux aussi différents que ceux de l'islamisme radical et de la gauche tiers-mondiste. Et il serait en train de passer de l'extrême droite à l'extrême gauche de l'échiquier politique. »

    L'étude du baromètre ne fait pas apparaître une telle évolution. À l'inverse, elle montre un « rôle structurant » du « vieil antisémitisme » liant les juifs à l'argent et au pouvoir. Les opinions à l'égard d'Israël et plus encore à l'égard du conflit israélo-palestinien semblent plus « périphériques » tout comme celles relatives à la Shoah. L'idée que l'antisémitisme serait un racisme d'une autre nature n'est pas non plus validée, puisque les personnes rejetant les juifs rejettent aussi les autres minorités.

    Les facteurs favorisant l'antisémitisme sont globalement les mêmes que ceux qui expliquent les autres préjugés. Le rejet des juifs est ainsi plus marqué chez les personnes âgées, chez les moins diplômées et chez les individus ayant peu de ressources ou ayant le sentiment que leur situation économique se dégrade. Les catholiques les plus pratiquants, les plus intégrés à leur communauté, sont très concernés. « On observe depuis quelques années déjà chez ces derniers une poussée identitaire et une montée générale des préjugés envers les minorités », notent les chercheurs.

    En matière de préférence politique, l'antisémitisme est moins fréquent à gauche qu'à droite, atteignant un niveau record de 58 % chez les proches du FN (et de 37 % chez ceux de l'UMP). Et s'il remonte à l'extrême gauche, la proportion des scores élevés sur l'échelle d'antisémitisme y reste inférieure à la moyenne de l'échantillon, et sans commune mesure avec celle qu'on observe à l'extrême droite (27 % chez les proches du Front de gauche, de Lutte ouvrière et du NPA, contre 22 % au PS et chez les Verts), soulignent les chercheurs. « Contrairement à ce que suggère la thèse du nouvel antisémitisme, on note que les jugements négatifs sur Israël sont plus fréquents à droite qu'à gauche », ajoutent-ils. Quant aux Français issus de l'immigration, ils se comportent comme les autres Français : ils se situent dans la moyenne.

    Quels seront les effets des tueries contre Charlie Hebdo et le supermarché casher sur l'état du racisme en France ? Difficile à dire au regard des exemples passés. À la suite des attentats islamistes de 1995 à Paris, l'indice longitudinal global était resté stable tandis que celui visant les musulmans reculait. Après le 11 septembre 2001 à New York et Washington, l'indice global progressait, celui visant les musulmans augmentait. Après les émeutes de 2005, catastrophe. La crispation xénophobe est nette : tous les indices reculent sauf celui de l'antisémitisme (- 7 points pour les musulmans, - 2 points pour les Maghrébins, - 1 point pour les Noirs). Selon Vincent Tiberj, l'élément décisif réside dans la manière dont les élites politiques et médiatiques s'emparent des événements, en font le récit en jetant de l'huile sur le feu ou en contraire en évitant les dérapages. Aussi conclut-il que les évolutions futures de l'indice se joueront dans la manière dont les partis et les intellectuels « vont faire sens » de ces attentats.


    Noir et musulman en France, la double peine 04 AVRIL 2015 | PAR CARINE FOUTEAU MEDIAPART


    Sur le marché du travail, les personnes perçues comme musulmanes reçoivent moins souvent de réponses à leur CV que les autres. Et c'est plus vrai encore si elles sont noires. Membre associée à l'École d'économie de Paris, Marie-Anne Valfort explique les raisons de cette discrimination, résultat d'un « cercle vicieux »entre les préjugés enracinés dans la tête des employeurs et l'anticipation du refus par ces candidats.

    Partage 

    À CV équivalent, un candidat perçu comme musulman a entre deux et trois fois moins de chances d'être convoqué à un entretien d'embauche qu'un candidat supposé chrétien. Cette discrimination s'explique par les préjugés négatifs des employeurs à l'égard de cette population, ainsi que par l'attitude de repli plus fréquente de personnes qui ont tendance à intérioriser la discrimination et anticiper un refus. Tels sont en substance les résultats d'une série d'enquêtes uniques en France tant les données scientifiques en la matière sont rares dans ce pays. Et pour cause. Les statistiques publiques y sont aveugles aux discriminations en raison des origines ethniques et/ou religieuses. Conformément à la Constitution qui bannit toute« distinction de race, de religion ou de croyance » entre les citoyens, la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés de 1978 interdit la collecte et le traitement de« données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ».

    La loi prévoit toutefois des dérogations. Autorité administrative indépendante chargée de garantir le respect de la vie privée, des libertés individuelles et des libertés publiques lors de traitement de données à caractère personnel, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) étudie au cas par cas les demandes des chercheurs et des sondeurs, en fonction de leur finalité, du consentement des personnes interrogées et de l'anonymat des données.

    Marie-Anne Valfort est membre associée à PSE-Ecole d'économie de Paris.Marie-Anne Valfort est membre associée à PSE-Ecole d'économie de Paris.

    C'est dans ce cadre que s'inscrivent les travaux de Marie-Anne Valfort, membre associée à PSE-École d'économie de Paris et maître de conférences à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne, Claire Adida, professeure assistante en sciences politiques à l'université de San Diego en Californie, et David Laitin, professeur en sciences politiques à l'université Stanford, également en Californie. Leur projet de recherche, qui s'étale sur plusieurs années, est financé par la National Science Foundation, basée aux États-Unis, où la collecte et l'analyse de statistiques ethnico-religieuses ne posent pas de problème. Pour Mediapart, Marie-Anne Valfort a accepté de détailler les résultats de ces enquêtes et d'évoquer les pistes de réformes gouvernementales qu'elle juge prioritaires.

    Vous avez mené deux enquêtes : l'une pour mesurer les discriminations dont sont victimes les musulmans. L'autre pour comprendre les raisons de ce rejet. Comment avez-vous constitué vos bases de données, étant donné qu'en France, les statistiques publiques ne permettent pas de distinguer les personnes en fonction de leur religion ?

    Avec mes coauteurs, nous avons mesuré la discrimination à l'embauche à l'égard des musulmans à l'aide d'un testing sur CV réalisé au printemps 2009. Nous avons répondu à 271 offres d'emploi réelles, publiées sur le site de Pôle emploi, pour des postes d'assistantes comptables, de comptables et de secrétaires comptables, situés en France métropolitaine. Ce testing sur CV a été le premier à étudier l'existence d'une discrimination à raison de la religion. Plus précisément, afin de pouvoir attribuer d'éventuelles différences de taux de réponse entre les candidats fictifs de notre testing à leurs seules différences d'affiliation religieuse, nous avons assigné à ces candidats le même pays d'origine, le Sénégal. Notre testing sur CV a donc consisté à comparer les taux de réponse obtenus par deux Françaises d'origine sénégalaise dont l'une est musulmane et l'autre est catholique. La musulmane, « Khadija Diouf », a travaillé au « Secours islamique » et fait du bénévolat aux « Scouts musulmans de France ». La catholique, « Marie Diouf », a travaillé au « Secours catholique » et fait du bénévolat aux « Scouts et Guides de France ». La loi sur l'égalité des chances du 18 janvier 2006 a permis de légaliser « la pratique des vérifications à l'improviste aussi appelée testing comme moyen de preuve d'éventuelles discriminations ». Cette légalisation figure depuis le 3 avril 2006 dans l'article 225-3-1 du code pénal. En d'autres termes, l'utilisation de testings pour mesurer une éventuelle discrimination à l'égard de l'un des 20 critères définis par la loi (article 225-1 du code pénal) est autorisée. Or, la religion fait partie de ces 20 critères. Notre testing sur CV a donc été mené en toute légalité.

    Il montre que l'appartenance supposée à la religion musulmane plutôt qu'à la religion catholique est un facteur important de discrimination sur le marché du travail français. Ainsi, à CV équivalent, Khadija Diouf a entre deux et trois fois moins de chances d'être convoquée à un entretien d'embauche que Marie Diouf. Pour comprendre les raisons de cette discrimination, nous avons conduit, également au printemps 2009, une enquête réalisée par téléphone via l'institut de sondage CSA auprès de 511 ménages d'origine sénégalaise vivant en France (questions fermées), dotés des mêmes caractéristiques à leur arrivée en France, à l'exception de leur religion (une partie de ces ménages est chrétienne, l'autre est musulmane). Nous avons aussi organisé des « jeux expérimentaux » durant lesquels 80 personnes, des « Français sans passé migratoire récent », ont interagi avec des immigrés d'origine sénégalaise chrétiens et musulmans. Pour cela, il nous a fallu collecter des informations considérées en France comme « sensibles » concernant la religion des participants. Mais cette collecte est possible dès lors qu'elle est validée par la Cnil sur la base de deux critères principaux : la problématique de l'enquête justifie cette collecte – c'est particulièrement le cas lorsque l'enquête concerne l'étude des discriminations – ; les données sensibles recueillies font l'objet d'un processus d'anonymisation. Ainsi, la collecte d'informations individuelles sensibles n'est pas impossible en France. 

    Vous observez que les candidats présumés musulmans ont deux à trois fois moins de chances de décrocher un entretien d'embauche. Comment s'expliquent ces discriminations massives ?

    Nos résultats montrent que la société d'accueil française et les immigrés musulmans sont enfermés dans un cercle vicieux, qui peut se décrire comme suit. Tout d'abord, les musulmans diffèrent par rapport à leurs homologues chrétiens (et a fortiori par rapport aux Français sans passé migratoire récent) en fonction de leurs normes religieuses et de leurs normes de genre : ils attachent plus d'importance à la religion et ont une vision plus traditionnelle des rôles qui incombent aux hommes et aux femmes. Ensuite, ces différences culturelles constituent une source de discrimination de la part des employeurs, qui craignent, en recrutant un candidat musulman, d'être confrontés à plus de revendications à caractère religieux mais aussi à plus de conflits entre salariés de sexes différents. Mais ces différences culturelles alimentent également une discrimination moins rationnelle de la part des Français sans passé migratoire récent dans leur ensemble. Ces derniers font en effet l'amalgame entre « attachement plus fort à la religion » et « rejet de la laïcité » et entre « vision plus traditionnelle des rôles qui incombent aux hommes et aux femmes » et « oppression des femmes ». En d'autres termes, ils perçoivent la présence des musulmans comme une menace culturelle susceptible de remettre en cause au moins deux grands principes auxquels ils sont particulièrement attachés : l'indépendance du politique par rapport au religieux et l'égalité hommes-femmes. Cet amalgame amène les Français sans passé migratoire récent à se montrer moins coopératifs à l'égard des personnes qu'ils perçoivent comme musulmanes, y compris lorsqu'ils ne s'attendent à aucune hostilité particulière de la part de ces personnes au moment où ils interagissent avec elles.

    De leur côté, les musulmans perçoivent plus d'hostilité de la part des Français sans passé migratoire récent que ne le perçoivent leurs homologues chrétiens. Cette perception ne les incite pas à gommer les différences culturelles qui les séparent de leur société d'accueil, et les pousse au contraire à souligner ces différences : ces différences se creusent d'une génération d'immigrants à l'autre plus qu'elles ne s'estompent. Au bout du compte, cette tendance au repli des musulmans exacerbe à son tour la discrimination qu'ils subissent en France.

    Vos enquêtes ont été conduites auprès de personnes d'origine sénégalaise. Y a-t-il en France une double peine à être noir et musulman ? Quel est le facteur le plus discriminant : être noir ou musulman ?

    Différents testings sur CV ont montré qu'une personne perçue comme noire est discriminée par rapport à une personne perçue comme blanche. Notre testing sur CV montre par ailleurs qu'une personne originaire d'Afrique subsaharienne perçue comme musulmane est discriminée par rapport à une personne de la même origine mais perçue comme catholique. Si l'on suppose que la discrimination est "additive", la combinaison de ces résultats suggère que les personnes noires et musulmanes souffrent effectivement d'une double peine en France. Est-il important de savoir si les musulmans (dont beaucoup sont issus du Maghreb) souffrent plus de la discrimination en France que les personnes issues d'Afrique subsaharienne (ou l'inverse) ? Ces personnes sont toutes fortement discriminées, comme le suggère la note publiée par France Stratégie en mars 2015. Cette note montre en effet que l'écart entre l'insertion économique des jeunes sans ascendance migratoire directe et celle des jeunes issus de l'immigration n'est jamais aussi important que lorsque ces jeunes issus de l'immigration sont originaires d'Afrique (Maghreb et Afrique subsaharienne). Or, une part non négligeable des écarts observés par rapport aux jeunes sans ascendance migratoire directe ne s'explique pas par les variables sociodémographiques classiques (niveau d'éducation du jeune et de ses parents notamment). Établir une "échelle" des discriminations selon que les victimes sont noires, musulmanes, ou les deux à la fois, est un objectif mesquin au regard de la nécessité, impérieuse, de définir les moyens les plus efficaces pour réduire la discrimination massive que les populations noires et les populations musulmanes subissent en France.

    Les jeunes générations musulmanes sont-elles moins ou plus discriminées que leur parents ?

    Nous ne savons pas si, dans les faits, les jeunes générations musulmanes sont plus ou moins discriminées que leurs parents. Mais l'enquête European Social Survey révèle que le sentiment d'être discriminé des immigrés musulmans de « deuxième génération » est plus fort que celui des immigrés musulmans de « première génération », en France mais aussi dans les autres pays européens. Il en va de même concernant leur probabilité d'être sans emploi.

    Quel est l'impact des diplômes en matière de discriminations ?

    Je viens d'achever un testing sur CV de grande ampleur pour mieux comprendre les ressorts de la discrimination à l'égard des musulmans sur le marché du travail français. Le protocole expérimental permet notamment d'identifier si un CV de meilleure qualité permet aux candidats musulmans de réduire la discrimination dont ils sont victimes. Rendez-vous en mai ou juin 2015 pour la publication des premiers résultats !

    Quelles mesures préconisez-vous de la part des pouvoirs publics et des entreprises ?

    La discrimination à l'embauche des candidats musulmans n'est que la déclinaison, au sein de l'entreprise, d'un sentiment antimusulman plus général. Faut-il rappeler que 43 % des personnes interrogées par une enquête Ifop de 2012 considèrent la « présence d'une communauté musulmane » en France comme une « menace pour l'identité de notre pays », et que seulement 17 % la perçoivent au contraire comme un « facteur d'enrichissement culturel pour notre pays » ? Il est donc essentiel de lancer une vaste campagne d'information auprès de la population française, permettant notamment de souligner les amalgames auxquels elle se livre au sujet de la population musulmane. Ainsi, l'attachement plus fort à la religion des musulmans n'est pas synonyme de leur volonté de remplacer notre démocratie par une théocratie régie par la loi islamique. Au sein des populations sénégalaises, chrétiennes et musulmanes, que nous avons étudiées, les musulmans sont aussi attachés que les chrétiens au principe de laïcité. Par ailleurs, une vision plus traditionnelle des rôles qui incombent aux hommes et aux femmes n'est pas synonyme d'oppression des femmes. Certes, les chrétiens sont plus susceptibles de penser que « quand les emplois se font rares, les hommes et les femmes devraient avoir le même niveau d'accès à ces emplois », alors que les musulmans sont plus enclins à considérer que « les hommes devraient plutôt avoir les premières opportunités » dans ce cas. Mais nos données d'enquête montrent également que les musulmans aspirent autant que leurs homologues chrétiens à voir leur fille réussir scolairement.

    Des politiques de lutte contre les discriminations doivent aussi être menées au sein des entreprises. Il est ainsi essentiel que les salariés soient formés à la non-discrimination. L'objectif de ces formations est double. Elles consistent à expliquer aux participants les biais décisionnels (goût pour l'entre-soi, recours aux stéréotypes, etc.) qui engendrent la discrimination, et à les convaincre de la nécessité de résister à ces biais. Car la lutte contre les discriminations, notamment ethno-religieuses, est bénéfique pour la performance de l'entreprise. D'abord parce qu'elle permet de réduire son risque juridique. La discrimination à raison de l'origine et de la religion est en effet illégale et sanctionnée, si elle est prouvée, d'amendes élevées. Pour que cette menace de la sanction soit crédible et donc amène les entreprises à limiter leurs comportements discriminatoires, il faudrait instaurer un contrôle accru de leurs pratiques de recrutement. Ainsi, on pourrait imaginer qu'une institution publique telle que le défenseur des droits se lance dans des opérations de testing à la fois plus fréquentes et plus systématiques. Le discours de Manuel Valls du 6 mars 2015 sur « la République en actes » va d'ailleurs dans ce sens.

    Par ailleurs, l'engagement dans la lutte contre les discriminations ethno-religieuses permet à l'entreprise de s'afficher comme socialement responsable, un "plus" pour attirer les investisseurs. Mais encore faut-il que l'entreprise puisse mesurer sa diversité ethno-religieuse afin de se fixer des objectifs visant à l'améliorer. Si des progrès ont pu être réalisés au cours des dernières années en termes d'égalité hommes-femmes ou d'intégration des personnes handicapées, c'est précisément parce que la proportion de femmes et de personnes handicapées a été mesurée et considérée comme un indicateur de performance à part entière. Il est donc essentiel que les employeurs puissent collecter, avec le soutien de la Cnil, des données objectives au moins sur la nationalité et le lieu de naissance des salariés et de leurs parents.

    Enfin, il est important de rappeler que les rares études qui ont réussi à estimer l'impact de la diversité ethno-religieuse des équipes sur leur productivité ont pour l'instant montré que cet impact est positif. La diversité ethno-religieuse est un levier de performance car elle permet la mise en commun d'un ensemble de compétences et d'expériences plus riches. Encore faut-il que l'ensemble des salariés et managers de l'entreprise réservent un bon accueil aux nouvelles recrues issues de la "diversité". À ce titre, on ne peut qu'encourager les grandes entreprises à montrer l'exemple en se dotant de comités exécutifs et conseils d'administration plus représentatifs de la diversité ethno-religieuse de notre pays.

    Pourquoi la recherche en France est-elle relativement absente sur ces sujets ? Est-ce lié à la difficulté d'avoir accès à des données ? Au manque d'impulsion par les pouvoirs publics ? À un désintérêt ?

    La collecte de données dites sensibles, bien qu'elle ne soit pas impossible, n'est pas aisée. Cette situation ne facilite clairement pas les recherches sur la discrimination à raison de la race ou de la religion en France. Les opposants aux statistiques ethniques, sous couvert de défense de l'égalité entre citoyens, servent moins la lutte contre les discriminations que leur déni et donc leur expansion.

    jeudi 2 avril 2015

    Les nouveaux chiffres de la radicalisation Le Monde.fr | 26.03.2015 à 12h32 • Mis à jour le 27.03.2015 à 10h47 | Par Soren Seelow


    Lancé dans l'urgence par le ministère de l'intérieur en avril 2014 pour endiguer la multiplication des départs en Syrie, le plan national de lutte contre la radicalisation a atteint son rythme de croisière. Articulé autour d'une plate-forme téléphonique et des préfectures de département, ce dispositif permet aux services de l'Etat de faire remonter des situations ayant échappé aux services de renseignement.

    Les données recueillies depuis près d'un an ont permis aux autorités d'affiner leur perception du radicalisme. Un concept que le ministère définit, dans un manuel de formation destiné aux agents de l'Etat, comme « tout discours utilisant des préceptes religieux présentés comme musulmans pour mener un jeune à l'autoexclusion et à l'exclusion de tous ceux qui ne sont pas comme lui ».

    Selon les derniers chiffres officiels, que Le Monde a pu consulter, 3 142 personnes ont été signalées par leurs proches ou les services publics ces onze derniers mois, dont 9 % avaient déjà rejoint la Syrie. Tous les départements sont touchés, à l'exception de la Creuse. Un quart des signalements concerne des mineurs, 35 % des femmes et 40 % des convertis. Plus les individus sont jeunes, plus la proportion de femmes et de convertis augmente.

    image: http://s1.lemde.fr/image/2015/03/26/534x0/4602008_6_a378_nota-bene-certaines-personnes-ayant-ete_c9c24552b493e985f4bae0dd76407cb9.png

    Nota bene : Certaines personnes ayant été signalées deux fois, le nombre de signalements diffère légèrement du nombre de signalés.

    La grande variété de ces profils a conduit le gouvernement à structurer son diagnostic autour d'un constat : quelle que soit l'origine culturelle et sociale des personnes signalées, toutes ont en commun d'être en perte de repères et en rupture avec leur environnement. Le suivi des intéressés s'est donc articulé autour d'un accompagnement social et psychologique. Une réponse qui évacue la dimension religieuse, par ailleurs délicate à traiter par les institutions d'un Etat laïc.

     

    Lire le décryptage : Qui sont les Français sur la piste du djihad ?

     

    « Prothèse identitaire »

    « Le phénomène de radicalisation n'a rien à voir avec la religion, insiste le préfet Pierre N'Gahane, chargé du volet prévention du dispositif. Il ne s'agit pas de conversions à l'islam, mais au radicalisme, même pour les musulmans. La plupart des radicalisés ont en commun une situation d'échec, de rupture, une quête de sens ou d'identité. Ils auraient pu s'accrocher à n'importe quelle branche : une secte, le suicide ou la drogue. La force du discours djihadiste est qu'il donne réponse à tout. Il s'agit d'un kit de solutions. Il nous revient de leur proposer une solution alternative. »

    Cette grille de lecture centrée sur la vulnérabilité des personnes signalées est confortée par le fait que près d'un quart sont des adolescents. « Le discours djihadiste sépare le pur de l'impur, la vérité du complot, autant de notions qui apparaissent comme structurantes dans les crises d'adolescence aiguës, abonde le psychiatre Serge Hefez, qui a suivi une dizaine de familles d'adolescents radicalisés. L'islam radical fournit une prothèse identitaire. »

    La majorité des signalements, et c'est encore plus vrai pour les affaires qui font l'objet d'une procédure judiciaire, concerne des jeunes relégués issus des quartiers sensibles. Là encore, selon l'analyse du gouvernement, la « prothèse identitaire » du discours djihadiste viendrait combler une faille identitaire bien plus qu'un désir de religion. « Une partie de la jeunesse vit une véritable frustration, le sentiment de ne pas appartenir à la communauté nationale, explique Pierre N'Gahane. Certains portent barbe et vêtements religieux uniquement pour sortir de l'anonymat. L'Etat islamique leur propose une terre où ils pourront se reconstruire et auront l'impression d'être considérés. On leur vend l'idée qu'ils pourront refaire communauté. »

    Le voyage vers le Cham – un territoire qui couvre la Syrie et plusieurs pays limitrophes – agirait comme une revalorisation narcissique en ceci qu'il propose de suivre, par mimétisme, le parcours du prophète Mahomet. D'après le Coran, ce dernier, issu d'un milieu modeste, connut la révélation, puis l'humiliation, la rupture, et enfin l'émigration qui précéda la conquête et son retour en vainqueur. Un parcours chaotique et fantasmé qui, associé à la lecture complotiste de la propagande djihadiste, permet de donner sens à des situations d'échec.


     

    mercredi 1 avril 2015

    I'd like to add you to my professional network on LinkedIn

     
    Farid Yaker would like to stay in touch on LinkedIn.
    Farid Yaker
    --
    France
    I'd like to include you in my network to share updates and stay in touch.
    - Farid
    Confirm that you know Farid
    You received an invitation to connect. LinkedIn will use your email address to make suggestions to our members in features like People You May Know. Unsubscribe
    Learn why we included this.
    If you need assistance or have questions, please contact LinkedIn Customer Service.
    © 2015, LinkedIn Corporation. 2029 Stierlin Ct. Mountain View, CA 94043, USA