lundi 24 juin 2013

Corruption, éducation et santé : les trois points de la discorde brésilienne, Par Nicolas Bourcier, Le Monde.fr | 23.06.2013 à 22h57 • Mis à jour le 24.06.2013 à 08h58 |


Manifestants près de la plage de Copacabana à Rio de Janeiro, le 23 juin.

Rio de Janeiro, correspondant. Il aura suffi d'une augmentation de 20 centimes pour faire voler en éclat l'image d'un Brésil conquérant, sûr de lui et promis à un avenir économique et social harmonieux. Lorsque les autorités de Sao Paulo ont décidé, le 2 juin, de faire passer le billet de bus de 3 à 3,20 réals (1,12 euro), elles étaient loin d'imaginer l'onde de choc qui allait suivre. La fronde sociale s'est répandue en l'espace de quelques jours dans tout le pays. Elle atteint désormais plus d'une centaine de villes. Les sommes colossales investies dans les préparatifs de la Coupe du monde – 27,4 milliards de réals pour un budget prévisionnel total de 33 milliards de réals – servant, dès le début, de catalyseur à un mouvement aux revendications multiformes


D'après un sondage de l'institut Ibope publié samedi 22 juin par la revueEpoca, quelque 75 % des Brésiliens soutiennent désormais le mouvement de protestation. Le prix et la qualité des transports en commun sont le principal motif de ce soutien (77 %), devant le rejet de la classe politique (47 %) et la corruption (33 %). Ils sont 78 % à estimer que la santé publique est le secteur le plus sinistré. Partout sur les réseaux, les textes et exemples abondent pour illustrer les défaillances d'un système public dépassé ou défaillant. Un maelstrom de revendications révélateur d'un profond malaise dans ce Brésil où la croissance économique donne de sérieux signes d'essoufflement.

  • LA CORRUPTION

D'après une enquête réalisée par le magazine économique Exame, en août 2011, la corruption détournerait des coffres publics au moins 51 milliards de reais par an. Une estimation basse qui correspond, selon la Fédération des industries de Sao Paulo (Fiesp), à une perte d'au moins 1,4 % du PIB chaque année, l'hypothèse haute tablant sur une perte de 2,3 % du PIB. Si cette somme était appliquée à un programme d'habitation pour des familles aux faibles revenus comme "Minha Casa, Minha Vida" ("ma maison, ma vie"), lancé par le Parti des travailleurs (PT, gauche au pouvoir), elle permettrait d'en faire bénéficier immédiatement 918 000 familles. Ce programme d'accession à la propriété est prévu pour 2 millions de familles.

Une spectatrice du match Brésil-Mexique, le 19 juin à Fortaleza.

Autre grief, les retards dans les travaux et les réalisations qu'engendrent les effets de la corruption. "Ils créent des difficultés qui entravent l'avancement des projets, imposant des coûts supplémentaires, et des frais supplémentaires pour éliminer les obstacles qu'ils ont eux-mêmes engendrés", explique José Ricardo Roriz Coelho, directeur du département de la compétitivité à la Fiesp.

A cela s'ajoutent les affaires récurrentes de corruption d'acteurs politiques. Un mal chronique qui remonte aux sources même de la fondation de cette république fédérative marquée par les potentats locaux et la période du "coronelisme" (1889-1930), pendant laquelle le pouvoir local était confié à des propriétaires fidèles au gouvernement brésilien, les coroneis.

Selon Transparência Brasil, le Congrès de Brasilia est celui qui coûte le plus à la population, comparé aux parlements de 10 autres pays (Allemagne, Argentine, Canada, Chili, Espagne, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Mexique et Portugal). D'après leurs calculs, le Congrès consommerait 11 545 réals par minute (chiffres de 2007). Le pays se trouve à la 69e place sur la liste des 178 pays classés par l'organisation non gouvernementale. Soit derrière la Namibie ou le Rwanda.

"Tous les indicateurs indiquent que la corruption est devenue chronique au Brésil", affirme l'économiste Gil Castello Branco, fondateur de l'ONG Contas abertas ("comptes ouverts"). Le projet de loi PEC 37, un texte soumis au Congrès et visant à restreindre le pouvoir des enquêteurs et des procureurs, n'a fait qu'ajouter au ressentiment des manifestants.

  • L'ÉDUCATION

C'est le point noir, peut-être le plus gros grief fait par les protestataires. Autant les universités publiques sont d'un niveau d'excellence et au même rang que les meilleures institutions mondiales, autant le primaire et encore plus le secondaire sont dans un état déplorable. Ironie du système : il faut passer par des lycées privés pour entrer dans les facultés publiques.



Les écoles, collèges et lycées publics sont défaillants tant au niveau des infrastructures qu'en termes d'enseignement. Le manque d'établissements entraîne un roulement des classes où les enfants du primaire optent soit pour des cours le matin soit pour l'après-midi. On observe dans certaines régions ou zones particulièrement déficientes la mise en place d'un troisième roulement quotidien.

En 2000, 97 % des enfants et adolescents de 7 à 16 ans bénéficiaient de l'accès universel à l'enseignement primaire, avec une diminution du taux d'analphabétisme de 20,1 % à 11,8 %. La situation s'est certes améliorée par rapport aux décennies précédentes, mais reste nettement insuffisante, selon tous les spécialistes.

L'absence ou le manque chronique de professeurs est aussi un mal récurrent. Leur formation est de mauvaise qualité. Eux-mêmes sont extrêmement mal payés. Les salaires variant d'un Etat à l'autre, les revenus d'un enseignant débutant varient autour de 300 à 400 euros par mois, pour une moyenne de seize heures par semaine.

La corruption, l'éducation et la santé forment le trio de tête dans le maelstrom de revendications révélateur d'un profond malaise dans la société brésilienne.

A Rio de Janeiro, par exemple, d'importants efforts ont été réalisés ces dernières années par le secrétaire d'Etat à l'éducation, Wilson Risolia Rodrigues, avec notamment une augmentation des salaires et un meilleur accompagnement des carrières. Mais les résultats, par nature, prennent du temps.

Au niveau de l'Etat de Rio, ils étaient 8,3 millions de lycéens à entrer en classe de seconde en 2009. Ils n'étaient plus que 1,7 million en terminale en 2011. Le taux d'échec scolaire sur le plan national s'élève à plus de 50 %.

Des efforts ont été fait par la présidente Dilma comme l'école obligatoire à 4 ans (applicable en 2016) ou encore la mise en place de quotas (raciaux et sociaux) dans les universités publiques afin d'ouvrir l'enseignement supérieur aux populations les plus défavorisées. Mais là encore cela prend du temps. "Le pays est train de payer cinquante ans d'absence de politique publique", affirmait de façon prémonitoire au Monde Wilson Risolia Rodrigues quelques mois avant le déclenchement du mouvement de protestation.

  • LA SANTÉ

C'est l'autre secteur largement déficient au Brésil, surtout pour les plus pauvres. Les conditions sanitaires d'une grande partie de la population restent précaires même si l'espérance de vie s'est allongée (74 ans et 29 jours). Le système de santé reflète les inégalités du pays, où les gens assez riches reçoivent des soins d'une qualité égale voire supérieure à ceux prodigués en Europe, alors que la grande majorité de la population n'a accès qu'au système public de santé de moindre qualité, même s'il s'est amélioré cette dernière décennie.

Les prestations payantes d'opérateurs privés se sont développées en réponse aux lacunes du secteur public, et constituent une alternative pour désormais plus de 48 millions de Brésiliens (plus de 30 % de la population). Le sud-est du Brésil (zone la plus riche) est la région qui concentre le plus d'affiliés à des plans de santé privés avec 36 millions d'assurés, soit 67 % du nombre total d'assurés.


Cette augmentation des assurances privées porte atteinte à la santé publique, a affirmé Ana Maria Costa, présidente du Centre brésilien d'études sanitaires (Cebes), qui dénonce "une marchandisation de la santé". D'un point de vue global, le budget de la santé reste relativement faible et ne représente encore que 410 euros par habitant (moins de 4 % du PIB), même si l'augmentation a été forte depuis 2005 (de l'ordre de 160 %, chiffre d'Awex).

Le secteur emploie directement 2 millions de personnes et 5 millions indirectement. Il compte plus de 4 750 hôpitaux privés et 2 000 publics. On dénombre également 17 000 cliniques en tout genre. Au total, le pays compte 331 000 médecins, 1,2 million d'infirmiers et aides-soignants, ce qui représente en principe une capacité suffisante pour répondre aux besoins de la population. Toutefois, avec près de 60 % des hôpitaux situés dans les zones urbaines du Sud ou du Sud-Est, l'accès aux soins en zone rurale et dans le Nord et le Nord-Est reste très inégal.

L'idée de faire venir 6 000 médecins cubains dans ces régions démunies – projet formulé par le gouvernement de Dilma Rousseff en mai et repris lors du discours de la présidente le 21 juin – n'a pas eu l'heur de convaincre les professionnels de santé. Dès samedi, plusieurs cortèges de médecins ont exigé une meilleure répartition des soins et dénoncé la mauvaise qualité des infrastructures.

dimanche 23 juin 2013

A Villeneuve-sur-Lot, le front républicain en lambeaux 23.06.13 | 09:32 | LE MONDE Patrick Roger

Etienne Bousquet-Cassagne, le candidat Front national dans la circonscription de Villeneuve-sur-Lot, le 16 juin. AFP/MEHDI FEDOUACH

Au soir du premier tour de l'élection législative partielle dans la 3e circonscription du Lot-et-Garonne, dimanche 16 juin, le candidat socialiste, Bernard Barral, éliminé, avait appelé à "faire barrage" au FN. Appel relayé par les responsables locaux et nationaux du PS. Le candidat de l'UMP, Jean-Louis Costes, avait mollement saisi la main tendue par son rival, tandis que Jean-François Copé et François Fillon appelaient les électeurs à se mobiliser derrière lui "afin de sanctionner la politique conduite par François Hollande".

> Lire aussi : Etienne Bousquet-Cassagne, le "petit" du FN propulsé tête d'affiche

De cet éphémère ersatz de "front républicain", il ne reste plus que des lambeaux, et les appels à faire barrage au FN se sont faits de plus en plus discrets. "On ne va quand même pas aller apporter nos voix pour qu'elles comptent comme une sanction de la politique du gouvernement que nous soutenons", explique désormais le coordinateur de la campagne de Bernard Barral, qui pour sa part votera blanc. Une attitude largement partagée par les sympathisants socialistes, à l'instar de Marie-Françoise Béghin, conseillère régionale et municipale de Villeneuve-sur-Lot, qui s'estime"déliée" de tout engagement.

Le Front de gauche a tardé à arrêter sa position pour finalement, dans un communiqué, expliquer que l'élection du candidat UMP"aggraverait les politiques antipopulaires" mais que "pas une seule voix ne doit aller à l'extrême droite". Une invitation, en quelque sorte, à rester chez soi ou aller à la pêche.

Les écologistes s'en tirent aussi par une pirouette, en estimant que"les électeurs, dont les voix ne nous appartiennent pas, sauront trouver l'attitude la plus conforme à leurs convictions". Quant à la candidate du NPA, elle estime n'avoir pas à trancher "entre deux candidats de droite". Enfin, Anne Carpentier, animatrice d'un journal local, La Feuille, qui se présentait sous l'étiquette du Parti d'en rire, et a recueilli plus de 3 % des voix au premier tour, se refuse à choisir"entre la peste et le choléra".

DÉSARROI

Au-delà de ces prises de position politiques, le plus frappant, au fil des derniers jours de campagne avant le second tour, est la désinhibition des électeurs à annoncer leur intention de voter pour le candidat du FN. Y compris chez certains qui se réclament de gauche mais en sont orphelins. Villeneuve-sur-Lot est un miroir de la dislocation sociale et idéologique d'une société, dont des pans entiers sont naufragés, à la dérive. L'état de désarroi du pays se reflète à travers cette partielle. Et tant d'autres symptômes.

Il suffit d'écouter cette lancinante complainte de l'"abandon". Les mots sont les mêmes : pour ces électeurs, dont bon nombre n'ont plus envie de se déplacer, la gauche n'a pas plus de solutions que la droite. Toutes deux ont échoué, toutes deux sont associées à une même impuissance. Paradoxalement, le "front" anti-FN n'est pas suivi d'effet, mais en plus conforte l'idée d'une collusion des partis du "système" et renforce l'idée d'un vote en faveur du parti lepéniste pour "renverser la table". C'est la double peine.

Un pronostic à la veille du second tour est difficile à établir. Michel Guiniot, le directeur de campagne du candidat du FN, Etienne Bousquet-Cassagne, fait observer une donnée. En mars, dans la législative partielle de la 2e circonscription de l'Oise, le candidat UMP, arrivé en tête au premier tour avec plus de 40 % des voix, devançait la candidate du FN de 14 points. A l'arrivée, il ne l'a emporté qu'avec moins de 3 points d'écart. Cette fois, à peine 900 voix séparent les deux candidats.

> Lire aussi : Dans l'Oise, le sentiment d'abandon profite au FN

Vendredi soir, à Villeneuve-sur-Lot, c'était Fête de la musique. A une table en terrasse, six jeunes filles. Toutes, au premier tour, ont émis un vote différent. Toutes au second, voteront "contre le FN","parce qu'on ne peut pas laisser faire ça". C'est peut-être de là que viendra le sursaut.

Etienne Bousquet-Cassagne, le "petit" du FN propulsé tête d'affiche 23.06.13 | 09:29 | LE MONDE Patrick Roger

Le candidat du FN Etienne Bousquet-Cassagne, sur le marché de Sainte-Livrade-sur-Lot (Lot-et-Garonne), le 21 juin. ULRICH LEBEUF / M.Y.O.P POUR LE MONDE

C'est la jeune garde du Front national. A 23 ans, Etienne Bousquet-Cassagne, en dernière année de BTS négociation, relation client (NRC), se retrouve propulsé tête d'affiche dans l'élection législative partielle très médiatisée de la 3e circonscription de Lot-et-Garonne, anciennement détenue par Jérôme Cahuzac.

Dimanche 16 juin, au premier tour, avec 26,04 % des suffrages, il a talonné le candidat de l'UMP, Jean-Louis Costes (28,71 %) et écarté celui du PS, Bernard Barral (23,69 %). Le voilà, à la veille du second tour, dimanche 23 juin, en mesure d'offrir au parti lepéniste un troisième siège à l'Assemblée.

> Lire aussi : Villeneuve-sur-Lot : duel UMP-FN au second tour, le PS éliminé

Bien téméraire celui qui se hasarderait à exclure cette hypothèse. Le "plafond de verre" auquel le FN était censé se heurter, qui l'empêcherait d'être un parti de second tour dans une élection au scrutin majoritaire, est en train de voler en éclats. Tel est l'enjeu de cette élection partielle, trois mois après celle de la 2e circonscription de l'Oise qui avait vu la candidate du FN frôler la barre des 50 %.

> Lire aussi : "Pour contrer le FN, l'UMP doit s'en distinguer ou faire alliance"

Etienne Bousquet-Cassagne, "EBC", a une carte de visite : il est le fils de son père. Serge Bousquet-Cassagne, figure emblématique de la Coordination rurale (CR) de Lot-et-Garonne, a été élu en février à la présidence de la chambre d'agriculture du département. Le père, avant le premier tour, a soutenu le candidat de l'UMP, "parce que c'est sa sensibilité", dit le fils. Depuis, il se contraint à observer "une stricte neutralité", mais se dit "très fier" de son rejeton. Outre Villeneuve-sur-Lot, la sous-préfecture dirigée pendant onze ans par Jérôme Cahuzac, le fiston a réalisé ses meilleurs scores dans les zones d'influence de la Coordination rurale.

Sur les marchés, dans les porte-à-porte, le "petit" est accueilli sans animosité aucune. Au contraire. Le soir du premier tour, il avait été salué, à son arrivée à la mairie de Villeneuve-sur-Lot, par les huées et les slogans des militants de gauche. On l'avait vu, l'espace d'un instant, se crisper. "Souris, c'est eux qui ont perdu", lui avait glissé Michel Guiniot, son poisson-pilote, le "M. Elections" du FN, membre du bureau politique, qui le suit comme son ombre. Instantanément, face aux caméras et aux appareils photo, il avait arboré ce sourire un peu figé qui lui donne des faux airs de l'ancien homme politique Jean Lecanuet, mâtiné de l'acteur américain Jim Carrey.

NE PAS SE FAIRE PIÉGER

Sur le marché de Sainte-Livrade-sur-Lot, creuset de plusieurs générations de rapatriés et de harkis ayant fui l'Afrique du Nord au début des années 1960, puis d'immigrés ayant fourni une abondante main-d'oeuvre dans ces exploitations agricoles qui, avant la mécanisation, en absorbaient en quantité, les effluves, la langue, les tenues vestimentaires de l'autre côté de la Méditerranée se fondent dans le paysage. Le jeune candidat du FN reste prudent dans son expression, soucieux de ne pas se faire piéger. "C'est le produit de l'immigration de main-d'oeuvre agricole, puis la pompe aspirante, le regroupement familial, les allocations familiales et tout ce qui s'ensuit", explique-t-il, toujours sur ses gardes.

Lui-même est fils de pied-noir par sa mère, née à Constantine, en Algérie, et a du sang kabyle par son grand-père, qu'il n'a jamais connu. "L'islam, ce n'est pas une religion comme les autres, affirme-t-il. C'est avant tout des revendications politico-religieuses, qui remettent en cause la laïcité de notre pays. Ce que nous voulons, c'est stopper l'islam conquérant."Puis il s'empresse de passer à autre chose, comme s'il sentait qu'il pourrait déraper sur ce terrain glissant.

Il incarne le choix du FN de promouvoir une nouvelle génération, beaucoup plus policée, sans aspérités. Adhérent depuis l'âge de 18 ans, dans la foulée de la dernière campagne présidentielle de Jean-Marie Le Pen, il a vite été repéré, promu responsable du FNJ puis bombardé secrétaire départemental en 2011. Il en est déjà à sa troisième campagne électorale. Aux cantonales, Etienne Bousquet-Cassagne avait réalisé 26,11 % et loupé le second tour de quelques voix. Cette fois, il y est et ne compte pas s'arrêter en si bon chemin.

Après des agressions de femmes voilées, des Argenteuillais dénoncent l'islamophobie 23.06.13 | 08:02 | Le Monde.fr Shahzad Abdul


Une manifestation a eu lieu à Argenteuil, samedi 22 juin, pour dénoncer l'islamophobie montante après des agressions de femmes voilées. AFP/JEAN-PIERRE MULLER

Moins de dix jours après l'agression à Argenteuil de Leila O., une jeune femme enceinte voilée, près d'un millier de personnes se sont réunies devant la sous-préfecture de la ville, samedi 22 juin, lors d'un rassemblement silencieux pour dénoncer l'"islamophobie montante", dans la ville comme dans le reste du pays.

La communauté musulmane d'Argenteuil s'était émue de cette agression suite à laquelle la femme de 21 ans a fait une fausse couche, quelques jours plus tard, sans que le lien entre les deux événements ne soit encore clairement établi.

>> Lire : Emoi à Argenteuil après des agressions de femmes voilées(édition abonnés)

Le 13 juin, Leila O. vient de raccrocher son téléphone portable lorsqu'elle est frappée par deux hommes. Elle pense d'abord être agressée pour un vol de portable. Elle décrit aux enquêteurs des hommes entre 20 et 30 ans, dont l'un d'un style "gothique", les cheveux ras. Ils lui arrachent son voile, coupent des mèches de cheveux, la rouent de coups, dont au moins un dans le ventre.

>> Lire aussi : Affrontements à Argenteuil après le contrôle d'une femme en niqab

Cette agression intervient trois semaines après celle de Rabia, une adolescente voilée, le 20 mai, dans la même ville. Elle aussi a déposé plainte pour agression, après s'être fait "tabassée à terre"par deux hommes qu'elle décrit comme des "skinheads" et qui l'ont insultée de "sale arabe" et "sale musulmane".

"ARGENTEUIL DEVIENT LE LABORATOIRE DE L'ISLAMOPHOBIE EN FRANCE"

Elle se produit aussi deux jours après des violences survenues, dans un autre registre, entre la police et plusieurs dizaines de personnes, lors du contrôle d'identité d'une femme portant le voile intégral, toujours à Argenteuil.

Lors d'une conférence de presse en marge du rassemblement, Kamel Raskallah, porte-parole du collectif des habitants d'Argenteuil et Bezons, créé suite à cette série d'événements, a dénoncé l'attitude des politiques, au premier rang desquels Manuel Valls, ministre de l'intérieur, et Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits de femmes, qui ont "brillé par leur silence". Pour lui, le caractère islamophobe des deux récentes agressions ne fait aucun doute, mais il regrette le "traitement politique inique" qui leur est réservé. "Pourtant, Argenteuil devient le laboratoire de l'islamophobie en France", relève-t-il.

Egalement présente lors du rassemblement qui s'est déroulé sans aucun incident, Rabia, l'adolescente de 17 ans agressée en mai, le visage maquillé encadré par son voile noir, a dénoncé l'attitude de la police qui lui a"demandé de ne pas informer la communauté de l'agression, parce que ça risque de créer des émeutes". Son père ajoute :"Comme on ne condamne jamais l'islamophobie, pour certains, c'est carte blanche ! Mais s'il n'y a pas de réponse de la part des autorités, on va être obligés de se protéger seuls".

Le rassemblement a réuni des personnes de tous horizons et de tous styles : barbes longues, visages glabres, voiles et robes. Devant la sous-préfecture d'Argenteuil, les riverains ont unanimement dénoncé une"atmosphère" islamophobe. Pour Pierre Mirsalis, un militant Front de Gauche de la ville, elle est "attisée par l'absence de réaction du gouvernement concernant les récentes agressions. Lorsqu'il y a eu des tirs sur la synagogue ici, il y a eu, à raison, des déclarations fortes. Alors, c'est normal, les gens ici se sentent mal aimés".

"Cela fait quelques années que j'habite ici, et on entend de plus en plus de propos injurieux envers les musulmans, concède également Karina Helary, 42 ans.Personnellement, je commence à avoir peur, à voir. tout ce qu'il se passe".

"S'IL Y EN A UN QUI PASSE SOUS MA FENETRE, JE LUI ENVOIE LE MAÏS"

Un sentiment que le préfet du Val d'Oise, Jean-Luc Nevache, comprend. Et même si les deux informations judiciaires ouvertes par le parquet de Pontoise, mercredi 19 juin, n'ont pas encore permis d'identifier les coupables des agressions, il affirme que "le maximum de moyens sont mis en oeuvre pour que l'enquête avance au plus vite".

Il en veut pour preuve le placement en garde à vue en début de semaine d'un Argenteuillais de 46 ans, présenté comme un déséquilibré, qui avait proféré des menaces islamophobes sur sa page Facebook. Il y avait écrit, en parlant des musulmans : "s'il y en a un qui passe sous ma fenêtre, je lui envoie le maïs". Lors de son arrestation, les enquêteurs avaient retrouvé chez lui des grenades à plâtre et un pistolet, notamment. L'homme a été relâché quelques heures plus tard avec un rappel à la loi, n'ayant aucun lien avec les agressions de femmes voilées."C'est la preuve que dès qu'on repère un acte islamophobe, on intervient. Il faut envoyer des signaux forts à la communauté musulmane : leur dire que les actes islamophobes sont aussi inacceptables que les actes antisémites, par exemple", précise le préfet.

Le collectif des habitants d'Argenteuil et Bezons, soutenu par plusieurs associations qui avaient également appelé au rassemblement, prévoit déjà d'autres manifestations, au niveau régional ou national, si aucune geste n'est fait. "Et pas seulement des invitations protocolaires pour calmer le jeu" dit Kamel Raskallah, faisant allusion à la réception jeudi 20 juin par le cabinet de Manuel Valls d'une des jeunes filles agressées. Avant de conclure, à la tribune, installée devant la sous-préfecture. "L'islamophobie en France existe. Et elle tue".

samedi 1 juin 2013

Marine Le Pen pourrait perdre son immunité parlementaire européenne 01.06.13 | 19:39 | Le Monde.fr avec AFP, AP et Reuters

Marine Le Pen pourrait perdre son immunité parlementaire, la commission des affaires juridiques du Parlement européen s'étant prononcée pour, samedi 1er juin, lors d'un vote à huis clos. Ce vote a valeur de recommandation. La décision finale sera prise le 11 juin à Strasbourg en session plénière, a précisé un porte-parole de l'institution.

Si la levée de son immunité est confirmée, la présidente du Front national, qui n'était pas présente à Strasbourg, pourrait faire l'objet de poursuites pour avoir établi un parallèle entre les "prières de rue"des musulmans et un état d'"occupation" lors d'un discours en 2010. Une demande de levée d'immunité avait été formulée par le ministère de la justice après un dépôt de plainte pour incitation à la haine raciale.

VOTE "ÉCRASANT"

Selon le correspondant de la BBC à la Commission, le vote de celle-ci pour recommander la levée de l'immunité a été "écrasant", et sa ratification par le Parlement ne devrait être "qu'une formalité".

Lors d'un discours à Lyon, en décembre 2010, celle qui était alors vice-présidente du FN avait fait cette comparaison hasardeuse, puis l'avait justifiée en affirmant que ses propos "ne constituent en aucune manière un dérapage, mais bien une analyse tout à fait réfléchie" fondée sur "une banale constatation d'une réalité physique et juridique". S'agissant du terme 'occupation', je persiste et je signe", et "ceux qui ont cru pouvoir déformer cette hyperbole, en indiquant que j'aurais comparé les musulmans aux nazis sont [...] des menteurs et des manipulateurs",avait-elle alors déclaré.

Le parquet de Lyon avait ouvert une enquête préliminaire pour"incitation à la haine raciale", après le dépôt d'une plainte du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP). Mme Le Pen avait ensuite affirmé que cette enquête avait été classée sans suite par le parquet. Mais une plainte avec constitution de partie civile pour "provocation à la discrimination, à la violence et à la haine envers un groupe de personnes en raison de leur religion", émanant cette fois du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), a déclenché l'ouverture d'une information judiciaire.

"LE DÉBAT POLITIQUE EST UN DROIT"

Florian Philippot, vice-président du FN, a fait valoir qu'il fallait "attendre le vote du Parlement". Il a toutefois jugé que ce serait inouï si Marine Le Pen perdait son immunité "pour avoir dit la vérité sur les prières de rue qui existent toujours""Si son immunité devait être levée, nous comptons sur la justice française pour dire que le débat politique est un droit et qu'on peut encore appeler un chat un chat", a-t-il ajouté.

Si Mme Le Pen perdait son immunité parlementaire, elle connaîtrait le même sort que son ancien rival pour la présidence du FN, Bruno Gollnisch. Ces dernières années, ce dernier, lui aussi député européen FN, s'était vu privé de son immunité parlementaire à deux reprises, après des propos qui avaient donné lieu à des poursuites en France. Cette procédure avait aussi touché Jean-Marie Le Pen en 1998, après ses propos, un an plus tôt à Munich, où il avait assimilé les chambres à gaz nazies à "un détail de l'histoire de la Seconde guerre mondiale".