dimanche 23 juin 2013

Après des agressions de femmes voilées, des Argenteuillais dénoncent l'islamophobie 23.06.13 | 08:02 | Le Monde.fr Shahzad Abdul


Une manifestation a eu lieu à Argenteuil, samedi 22 juin, pour dénoncer l'islamophobie montante après des agressions de femmes voilées. AFP/JEAN-PIERRE MULLER

Moins de dix jours après l'agression à Argenteuil de Leila O., une jeune femme enceinte voilée, près d'un millier de personnes se sont réunies devant la sous-préfecture de la ville, samedi 22 juin, lors d'un rassemblement silencieux pour dénoncer l'"islamophobie montante", dans la ville comme dans le reste du pays.

La communauté musulmane d'Argenteuil s'était émue de cette agression suite à laquelle la femme de 21 ans a fait une fausse couche, quelques jours plus tard, sans que le lien entre les deux événements ne soit encore clairement établi.

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Le 13 juin, Leila O. vient de raccrocher son téléphone portable lorsqu'elle est frappée par deux hommes. Elle pense d'abord être agressée pour un vol de portable. Elle décrit aux enquêteurs des hommes entre 20 et 30 ans, dont l'un d'un style "gothique", les cheveux ras. Ils lui arrachent son voile, coupent des mèches de cheveux, la rouent de coups, dont au moins un dans le ventre.

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Cette agression intervient trois semaines après celle de Rabia, une adolescente voilée, le 20 mai, dans la même ville. Elle aussi a déposé plainte pour agression, après s'être fait "tabassée à terre"par deux hommes qu'elle décrit comme des "skinheads" et qui l'ont insultée de "sale arabe" et "sale musulmane".

"ARGENTEUIL DEVIENT LE LABORATOIRE DE L'ISLAMOPHOBIE EN FRANCE"

Elle se produit aussi deux jours après des violences survenues, dans un autre registre, entre la police et plusieurs dizaines de personnes, lors du contrôle d'identité d'une femme portant le voile intégral, toujours à Argenteuil.

Lors d'une conférence de presse en marge du rassemblement, Kamel Raskallah, porte-parole du collectif des habitants d'Argenteuil et Bezons, créé suite à cette série d'événements, a dénoncé l'attitude des politiques, au premier rang desquels Manuel Valls, ministre de l'intérieur, et Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits de femmes, qui ont "brillé par leur silence". Pour lui, le caractère islamophobe des deux récentes agressions ne fait aucun doute, mais il regrette le "traitement politique inique" qui leur est réservé. "Pourtant, Argenteuil devient le laboratoire de l'islamophobie en France", relève-t-il.

Egalement présente lors du rassemblement qui s'est déroulé sans aucun incident, Rabia, l'adolescente de 17 ans agressée en mai, le visage maquillé encadré par son voile noir, a dénoncé l'attitude de la police qui lui a"demandé de ne pas informer la communauté de l'agression, parce que ça risque de créer des émeutes". Son père ajoute :"Comme on ne condamne jamais l'islamophobie, pour certains, c'est carte blanche ! Mais s'il n'y a pas de réponse de la part des autorités, on va être obligés de se protéger seuls".

Le rassemblement a réuni des personnes de tous horizons et de tous styles : barbes longues, visages glabres, voiles et robes. Devant la sous-préfecture d'Argenteuil, les riverains ont unanimement dénoncé une"atmosphère" islamophobe. Pour Pierre Mirsalis, un militant Front de Gauche de la ville, elle est "attisée par l'absence de réaction du gouvernement concernant les récentes agressions. Lorsqu'il y a eu des tirs sur la synagogue ici, il y a eu, à raison, des déclarations fortes. Alors, c'est normal, les gens ici se sentent mal aimés".

"Cela fait quelques années que j'habite ici, et on entend de plus en plus de propos injurieux envers les musulmans, concède également Karina Helary, 42 ans.Personnellement, je commence à avoir peur, à voir. tout ce qu'il se passe".

"S'IL Y EN A UN QUI PASSE SOUS MA FENETRE, JE LUI ENVOIE LE MAÏS"

Un sentiment que le préfet du Val d'Oise, Jean-Luc Nevache, comprend. Et même si les deux informations judiciaires ouvertes par le parquet de Pontoise, mercredi 19 juin, n'ont pas encore permis d'identifier les coupables des agressions, il affirme que "le maximum de moyens sont mis en oeuvre pour que l'enquête avance au plus vite".

Il en veut pour preuve le placement en garde à vue en début de semaine d'un Argenteuillais de 46 ans, présenté comme un déséquilibré, qui avait proféré des menaces islamophobes sur sa page Facebook. Il y avait écrit, en parlant des musulmans : "s'il y en a un qui passe sous ma fenêtre, je lui envoie le maïs". Lors de son arrestation, les enquêteurs avaient retrouvé chez lui des grenades à plâtre et un pistolet, notamment. L'homme a été relâché quelques heures plus tard avec un rappel à la loi, n'ayant aucun lien avec les agressions de femmes voilées."C'est la preuve que dès qu'on repère un acte islamophobe, on intervient. Il faut envoyer des signaux forts à la communauté musulmane : leur dire que les actes islamophobes sont aussi inacceptables que les actes antisémites, par exemple", précise le préfet.

Le collectif des habitants d'Argenteuil et Bezons, soutenu par plusieurs associations qui avaient également appelé au rassemblement, prévoit déjà d'autres manifestations, au niveau régional ou national, si aucune geste n'est fait. "Et pas seulement des invitations protocolaires pour calmer le jeu" dit Kamel Raskallah, faisant allusion à la réception jeudi 20 juin par le cabinet de Manuel Valls d'une des jeunes filles agressées. Avant de conclure, à la tribune, installée devant la sous-préfecture. "L'islamophobie en France existe. Et elle tue".

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