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jeudi 24 mars 2011

Patrick Buisson, l'homme qui droitise Nicolas Sarkozy



LEMONDE | 24.03.11 

Nicolas Sarkozy, le 14 décembre 2009, à l'Elysée.
Nicolas Sarkozy, le 14 décembre 2009, à l'Elysée. Reuters/PHILIPPE WOJAZER

Le président agit par pragmatisme ou cynisme électoral : les sympathisants UMP ne veulent pas de consigne de vote, comme en atteste le sondage Harris Interactive publié jeudi 24 mars par Le Parisien. Surtout, le chef de l'Etat refuse de diaboliser l'électorat du Front national, dont il a besoin pour être réélu.
"Si vous voulez combattre le Front national, utilisez des arguments de fond, plutôt que d'adopter des postures morales"
 : Nicolas Sarkozy a rappelé à l'ordre, mercredi 23 mars, ses ministres qui manifestaient des états d'âme sur la consigne donnée pour les élections cantonales : ni FN ni front républicain.
Il s'appuie sur deux conseillers curieusement réunis : le gaulliste social Henri Guaino, 54 ans, et l'ancien directeur de la rédaction de Minute puis Valeurs actuelles Patrick Buisson, 61 ans, qui baigne depuis l'enfance dans l'univers de Charles Maurras. Le premier incarna avec son mentor Philippe Séguin la fracture sociale de Jacques Chirac en 1995, le second prédit le non au référendum européen de 2005 et bluffa ainsi M. Sarkozy.
Patrick Buisson, en 1987 à Puteaux, à l'époque directeur du journal "Minute".
Patrick Buisson, en 1987 à Puteaux, à l'époque directeur du journal "Minute".AFP/PIERRE VERDY
Au début de son quinquennat, M. Sarkozy déclarait "pour ma gauche, j'ai Guaino, pour ma droite, j'ai Buisson". Aujourd'hui, tous deux sont opposés au front républicain et défendent la France du non, une France populaire qui souffre dans la mondialisation. Ils avaient aidé en 2007 le candidat UMP à siphonner les voix du FN et à attirer les classes populaires. M. Sarkozy croit pouvoir rejouer cette partition.
EXPLOITER LA PEUR DE L'IMMIGRATION
Lundi, à l'Elysée, avec ses conseillers, le président a examiné les résultats des cantonales. Le scrutin conforte les analyses de M. Buisson, qui arrive toujours bardé de notes et d'analyse de sondages : la société française connaît comme toute l'Europe un glissement à droite et une poussée populiste. La gauche ne progresse pas. Le vote du nord de la France montre que l'aile sociale de l'UMP, incarnée par Jean-Louis Borloo, ne fait pas de meilleurs scores que la droite dure. Il n'y a pas de demande centriste en France, comme le serine depuis des mois M. Buisson, qui n'a pas retourné notre appel.
Il faut donc pousser toujours plus à droite, toujours plus populiste. "Patrick Buisson recommande depuis plusieurs semaines de mettre la priorité sur l'immigration", explique un responsable de l'UMP. Certes, les classes moyennes et populaires sont insatisfaites, frappées par le chômage et la stagnation du pouvoir d'achat provoqué par la hausse des prix de l'essence et de l'immobilier. Mais M.B uisson estime qu'on ne gagne pas une élection sur un bilan ou des projets économiques et sociaux. Les électeurs ne feraient plus confiance aux politiques en ce domaine.
L'Elysée veut donc exploiter, diront les détracteurs, contrer, diront ses défenseurs, la peur de l'immigration que susciteraient, selon la droite, les révolutions arabes. M.Sarkozy a assisté impuissant à la visite de Marine Le Pen à Lampedusa. Il s'inquiète d'une opinion qui peut se retourner très vite sur la guerre en Libye. Il faut donc agir. Le nouveau ministre de l'intérieur, Claude Guéant, se campe en ministre de l'immigration.
INTOUCHABLE
Patrick Buisson est intouchable depuis la campagne présidentielle de 2007. En mars de cette année-là, le centriste François Bayrou monte dangereusement dans les sondages, Nicolas Sarkozy décide alors avec Patrick Buisson de donner un coup de barre à droite, en proposant la création du ministère de l'identité nationale. La manœuvre réussit.
Lorsqu'il lui remet la Légion d'honneur en septembre 2007, M. Sarkozy explique que c'est grâce à ce conseiller venu de l'extrême droite qu'il a été élu. Le chef de l'Etat lui propose un poste de conseiller spécial à l'Elysée. M. Buisson refuse, préfère rester dans l'ombre et facturer moult prestations et sondages, avant que la Cour des comptes n'y mette le holà. M. Buisson fait partie de ceux qui peuvent avoir au téléphone le président chaque jour. Il était l'un des rares à pouvoir faire passer des notes sans passer le filtre du secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant.
Quand tout va bien, M. Buisson est moins présent. Ainsi connut-il une éclipse, à partir de la présidence française de l'Union européenne, fin 2008, avant de revenir un an plus tard, en pleine polémique sur le fils du président, Jean Sarkozy, pressenti pour présider le quartier d'affaires de la Défense. "Lorsque le président se sent fragilisé, il appelle Buisson au secours", estime un ancien conseiller de l'Elysée.
ACCUSÉ DE DÉRIVES DROITIÈRES
Devant les responsables de l'UMP, M. Sarkozy s'est voulu rassurant : en 2002, Jean-Marie Le Pen avait créé la surprise deux semaines avant l'élection. Là, le choc se produit un an avant l'élection. L'Elysée juge difficile de contrer Marine Le Pen. Naguère, il suffisait de rappeler les déclarations de son père sur la Shoah pour clore le débat. Marine Le Pen, elle, évite soigneusement ces erreurs. En mettant en avant la divergence UMP-FN sur l'euro, Jean-François Copé a fait sauter un verrou : "On rentre dans le débat politique, alors que 50 % des Français ont voté contre à Maastricht", estime ce conseiller.
Patrick Buisson, qui plaida pour envoyer des signaux à l'électorat catholique, n'est pas à l'origine de tout. Bruxelles voyait la main d'Henri Guaino à chaque fois que M. Sarkozy prenait une décision jugée anti-européenne. De même, beaucoup accusent M. Buisson d'être à l'origine de toutes les dérives droitières. A l'Elysée, nul n'en doute : les décisions, c'est le président qui les prend.
Arnaud Leparmentier

jeudi 17 mars 2011

Le Monde 18/03/11 - Crif et Licra : Le discours de Mme Le Pen menace juif et musulmans



Elle a la gouaille et croit en son avenir, les sondages sont pour elle. Marine Le Pen ne se satisfait pas de l'imprécation hargneuse, de l'allusion méprisante et de la plaisanterie blessante qui étaient la marque de fabrique de son père. Elle sait que ces saillies à moteur antisémite l'ont cantonné dans un rôle de trublion provocateur dont la capacité de nuisance ne recouvrait aucune perspective politique réelle.
Marine Le Pen, elle, cherche le pouvoir. Elle ne s'en cache pas et c'est son droit. Pour l'obtenir, elle a, entre autres, besoin de respectabilité pour diversifier sa clientèle électorale et rendre possibles des alliances futures. L'entreprise est délicate car, pour effacer l'image sulfureuse qui s'attache à son nom aux yeux de la majorité des Français, elle ne doit pas pour autant décevoir le noyau dur des militants du Front national, ceux qui s'amusaient aux déclarations choquantes de Jean-Marie Le Pen, ceux qui ont soutenu Bruno Gollnisch justement parce que ses positions le rendaient infréquentable.
La présidente du FN compose avec eux au sein du nouveau comité central du parti dont le patriarche Le Pen demeure président d'honneur. Marine Le Pen sait que l'efficacité électorale de son discours tient en grande partie à sa capacité de rencontrer, voire de susciter, les craintes et les fantasmes d'une société où l'inquiétude du déclassement nourrit la recherche du bouc émissaire.
Ainsi le musulman a pris la place tenue hier par le juif, l'Arabe ou l'immigré dans la dialectique frontiste. Ne nous y trompons pas : ceux qui parlent de l'islamisation de la France sont guidés par la même obsession xénophobe que ceux qui dénonçaient la judaïsation de notre pays dans les années 1930. L'étranger, quel que soit son visage, reste responsable pour l'extrême droite des maux de notre -société.
Alors, parce que Marine Le Pen a qualifié au détour d'une interview " les camps " de " barbarie suprême ", devrait-on lui décerner un certificat d'honorabilité ? C'est un peu court... Elle a pris soin, dans cette communication très préparée, car attendue, de soustraire tout qualificatif au mot " camp ", amalgamant de la sorte des situations bien disparates : détention, travail et extermination.
Point de détail ? Sans spécifier la Shoah, Marine Le Pen entend ainsi clore une polémique qu'elle renvoie au fond à un passé sans intérêt. Cette seule déclaration devrait-elle suffire à absoudre le FN de son lourd passif ? Certainement pas.
Le parti n'a pas fait le deuil de ses réminiscences antisémites, groupuscules nationalistes, pétainistes et autres passéistes gravitant encore autour de lui. Enfin, le souvenir encore très frais de Marine Le Pen se refusant à condamner l'ignominie de la conférence négationniste de Téhéran en 2006 montre que les réflexes les plus élémentaires de la lutte contre l'antisémitisme ne sont en rien acquis.
Vigilance et fermeté
C'est pour ces raisons et au regard des valeurs universelles que nous défendons que nous voulons exprimer notre profonde préoccupation devant le développement actuel d'un populisme dont l'Europe offre divers exemples et dans lequel une partie de la France semble prête à basculer. Il est bien sûr nécessaire de faire preuve de la plus grande vigilance et de la plus grande fermeté vis-à-vis des islamistes radicaux.
Mais nous savons que stigmatiser la population musulmane tout entière pour lutter contre les excès, la haine et les violences de groupes spécifiques est non seulement inefficace, mais aussi injuste. Les juifs sont dans notre pays une petite minorité. Mieux que d'autres, ils savent, ils devraient savoir, ce que c'est que d'être dénoncés comme les responsables des maux de la société, et ils doivent s'interdire eux-mêmes cette dérive.
Plus encore, tant que le discours du FN reste un discours d'exclusion et de xénophobie, inviter Marine Le Pen à s'exprimer sur l'antenne d'une radio juive était une décision irresponsable. En raison de leur histoire et de son histoire, les juifs ne doivent lui fournir ni tribune ni certificat d'honorabilité.
Souvenons-nous qu'en quelque lieu et en quelque temps qu'elle soit parvenue à prendre le pouvoir, l'extrême droite n'a été pourvoyeuse que de haine, de malheur et de trahison.

Richard Prasquier Alain Jakubowicz

Président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF)
Président de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra)
© Le Monde 18 Mars 2011

Tracts candidat UMP Val d'Oise- Le Monde 18-03-11

Le Monde, le 18 Mars 2011


"Non aux minarets dans le Val-d'Oise ! "





Les formules chocs des tracts de Geoffroy Didier, candidat de l'UMP dans le canton de Gonesse, lors des élections cantonales des 20 et 27 mars, créent la polémique. " Non aux minarets dans le Val-d'Oise ! ", peut-on y lire en gros. En petit, est ajouté : " même si chacun a naturellement le droit d'exercer sa religion ". " Non à la burqa dans le Val-d'Oise ! ", assure aussi M. Didier, ancien conseiller de Brice Hortefeux au ministère de l'intérieur. " Je dis des choses simples. Chacun a bien sûr le droit d'exercer sa religion, mais cet exercice doit être encadré par les règles de la République laïque ", plaide le candidat. Accusé par le PS de singer le Front national, il assure " qu'il est en combat contre le FN ". Et d'expliquer : " L'UMP n'était pas au second tour lors de la précédente élection cantonale. Si on arrive à un deuxième tour UMP-PS, on aura fait un progrès pour la République. " Ce n'est pas l'avis de l'Union des associations musulmanes de France du Val-d'Oise, qui " s'indigne des propos de certains, qui, sous prétexte de lutter contre l'extrême droite, utilisent les (...) thèmes de campagne (...) du Front national ".

Pierre Jaxel-Truer

© Le Monde

lundi 14 mars 2011

ISLAMOPHOBIE A L'AMERICAINE (Le Monde 12/03/11)


Le Monde, le 12/03/2011


ISLAMOPHOBIE A L'AMERICAINE

En organisant au Congrès des auditions sur la " radicalisation " des musulmans, un élu new-yorkais ravive les cicatrices du 11-Septembre





Le républicain Peter King, qui a pris la présidence de la commission sur la sécurité intérieure depuis le changement de majorité à la Chambre des représentants, est un homme carré, trapu, qui fait du kickboxing et qui, surtout, est élu de Long Island, à New York. A ce titre, reconnaît-il, il est " obsédé " par les attentats du 11 septembre 2001. Son bureau est rempli de casques de pompiers décédés, de photos de toutes les funérailles auxquelles il a assisté. " J'essaie d'empêcher un autre 11-Septembre ", dit-il.

Au nom du 11-Septembre, Peter King a infligé à ses compatriotes une nouvelle séance éprouvante d'introspection sur l'islam, l'islamisme, les stéréotypes, et la stigmatisation d'une communauté musulmane qui fait le dos rond depuis dix ans pour s'apercevoir avec stupeur que dans ses rangs, des jeunes sont tentés par le djihad.

Le républicain a tenu, jeudi 10 mars, les auditions qu'il s'était promis d'organiser (" Je regarde la réalité en face. Au contraire des gens qui me critiquent ") et dont il n'a pas voulu changer l'intitulé : " Auditions sur l'étendue de la radicalisation " dans la communauté musulmane américaine.

Message sous-jacent : les musulmans ne coopèrent pas assez énergiquement avec la police dans la lutte antiterroriste. Signe de l'émotion accumulée : le représentant démocrate du Minnesota Keith Ellison, le premier musulman élu au Congrès, s'est effondré en sanglots en évoquant le secouriste Mohammed Salman Hamdani, mort dans les décombres du World Trade Center, et le fait qu'il fut soupçonné d'avoir participé aux attentats.

Les démocrates et le monde associatif avaient dénoncé l'amalgame et comparé Peter King à Eugene McCarthy et sa chasse aux sorcières communistes dans les années 1950. " Pour les musulmans, il ne suffit pas de respecter la loi. Pour éviter la surveillance du Congrès, il faut empêcher les complots terroristes ", a résumé l'humoriste Jon Stewart.

Alors que les Américains se sont passionnés pour la révolution égyptienne et " l'autre visage " du monde arabe, la polémique autour des auditions a relancé l'atmosphère d'islamophobie qui avait empoisonné le climat à l'été 2010. Le pays était en pleine campagne électorale. Les médias avaient mordu sans difficulté à la polémique créée, à l'approche du 9e anniversaire des attentats du 11-Septembre, par le projet d'ouverture d'une mosquée près de Ground Zero.

L'anniversaire passé, la controverse est retombée. Sept mois plus tard, la " mosquée " de Ground Zero n'a toujours pas vu le jour. Le principal inspirateur des lieux, l'imam Feisal Abdul Rauf, a quitté ses fonctions après avoir envisagé publiquement la possibilité d'installer le centre dans un endroit moins sensible, ce qui n'a pas plu au propriétaire de l'immeuble.

Chez les conservateurs, en revanche, la faction anti-islamistes a été galvanisée par la polémique. La blogueuse Pamela Geller, qui avait dénoncé la mosquée pendant des mois avant que le débat ne démarre, est devenue une célébrité du circuit islamophobe. Elle donne des conférences. Son blog (" Stop islamization of America ") a été catalogué fin février parmi les sites qui " encouragent la haine " par le Southern Poverty Law Center, l'association qui recense les extrémistes depuis quarante ans. Elle s'en est déclarée " honorée ".

Le pasteur de Floride Terry Jones qui avait menacé de brûler des exemplaires du Coran le 11 septembre 2010, provoquant une émeute à Djakarta, poursuit lui aussi sa croisade. Début février, il s'est vu refuser l'entrée en Grande-Bretagne, où il voulait participer à une manifestation contre " l'islamisation de l'Europe " avec une " internationale " qui comprend le Néerlandais Geert Wilders. Son nouveau projet est de " juger " le Coran. Sur la pelouse de son église de Gainesville, il n'a plus un, mais quatre panneaux, annonçant le choix des châtiments si le livre " est reconnu coupable " : " brûler ", " noyer ", " déchirer " ou " fusiller ". Les intéressés sont invités à voter sur Facebook. Côté financement, le pasteur vend des T-shirts et des casquettes de base-ball marqués " L'islam relève du diable ".

La nouvelle égérie de l'islamophobie est une Américaine d'origine libanaise, qui se fait appeler Brigitte Gabriel, un nom d'emprunt, pour sa sécurité. A 46 ans, elle donne des conférences dans tout le pays pour dénoncer " l'infiltration " des islamistes au FBI, à la CIA, au département d'Etat. Elle y raconte son histoire d'enfant maronite blessée dans le bombardement de Marjayoun, son village du Sud-Liban " par les musulmans ". A l'âge de 20 ans, elle s'est réfugiée en Israël, où elle a été présentatrice pour la chaîne Middle East Television, propriété du télévangéliste fondamentaliste Pat Robertson. " L'islam radical m'a enlevé mon pays natal. Je ne veux pas perdre mon pays d'adoption, les Etats-Unis ", répète-t-elle.

Son organisation (Act for America) a un budget de 1,6 million de dollars (contre 5 000 dollars en 2004 !). Elle vient de recruter la directrice de cabinet d'une élue du Congrès pour s'occuper de la communication. Selon le New York Times, elle emploie huit permanents, dont un lobbyiste à plein temps, et a un millier de groupes locaux. Dans l'Oklahoma, l'ACT a été à la pointe du mouvement pour faire passer un référendum interdisant de citer la charia dans les décisions de justice, par l'intermédiaire d'un spot enregistré par l'ancien directeur de la CIA sous Bill Clinton et néoconservateur de toujours James Woolsey.

Marquée par son enfance sous les bombes, Brigitte Gabriel est régulièrement invitée dans les cercles Tea Party qui s'émerveillent d'apprendre que ce qu'il est généralement convenu d'appeler " guerre civile " libanaise était en fait " le début du djihad ". Elle vient de lancer une émission sur une chaîne câblée. Le premier invité ? Le congressman Peter King.

Corine Lesnes, Washington Correspondante

© Le Monde

jeudi 10 mars 2011

Zoom
La peur de l'islam prospère dans toute l'Europe
Suisse
Première formation politique de Suisse, l'Union démocratique du centre (UDC) a recueilli 28,8
% des suffrages lors des législatives de 2007 et pourrait bien dépasser la barre des 30 % au scrutin
fédéral d'octobre. " Vieux " parti d'origine agrarienne, l'UDC s'est radicalisé à la fin des années 1990
avec la montée en puissance de son aile zurichoise et de son leader Christoph Blocher, 70 ans.
Son ascension s'est faite autour de la dénonciation de ceux qui veulent " abuser " de la Suisse et
n'acceptent pas ses " valeurs " : étrangers, délinquants, assistés sociaux, musulmans ou mêmes
fonctionnaires européens. Engrangeant toujours plus de succès grâce au système de démocratie
directe et à un marketing politique très efficace, l'UDC fait figure de modèle pour l'extrême droite
européenne. En novembre 2009, sur son impulsion, les électeurs ont voté pour l'interdiction de la
construction de minarets. En 2010, ils se sont prononcés pour le renvoi automatique des étrangers
criminels.
Autriche
Heinz-Christian Strache, 41 ans, n'a de cesse de réaffirmer son ambition : placer le Parti autrichien
de la liberté (FPÖ), dont il est le président, en tête lors des prochaines élections législatives, en 2013.
Les sondages lui donnent 23 % des intentions de vote, contre 24 % au parti chrétien-démocrate ÖVP,
qui avait déjà noué une alliance avec le FPÖ en 1999, et 25 % aux sociaux-démocrates du SPÖ.
Le FPÖ profite de la paralysie de la grande coalition SPÖ-ÖVP au pouvoir, et du dynamisme de M.
Strache, qui a réorienté la ligne xénophobe du parti vers l'anti-islamisme. Alors que son défunt
mentor, Jörg Haider, flattait l'antisémitisme de ses électeurs, " HC " a réussi à se faire inviter par
l'extrême droite israélienne, en décembre 2010, à une conférence sur le " terrorisme islamique ". La
défense des " valeurs chrétiennes occidentales " est désormais son cheval de bataille.
Danemark
Le Parti du peuple danois (DF) est depuis 1998 au Parlement. Il tient un rôle éminent puisqu'il
permet depuis une décennie au gouvernement libéral-conservateur minoritaire de se maintenir au
pouvoir. Cela lui a permis d'obtenir une influence décisive sur la politique d'immigration, une des
plus restrictives d'Europe. Dirigé par Pia Kjærsgaard, DF est le troisième parti du pays (13,8 % en
2007). Son discours sur les immigrés a déteint sur presque tous les partis. DF est également un
fervent défenseur de l'Etat-providence, faisant concurrence aux sociaux-démocrates sur ce terrain.
Suède
Les Démocrates de Suède (SD), entrés au Parlement en septembre 2010, avec 5,7 % des voix aux
élections législatives, sont issus du néonazisme. La nouvelle direction du parti, des trentenaires
menés par Jimmie Åkesson, 31 ans, a exclu les éléments les plus extrémistes. SD présente l'islam
comme le plus grand danger et fait de la lutte contre l'immigration son cheval de bataille. Mais il est
aussi pour l'égalité des femmes, soucieux de l'environnement et des animaux et grand défenseur de
l'Etat-providence. Dans un clip, SD montrait une retraitée suédoise se faire doubler par des femmes
en burqa poussant des landaus pour arriver les premières au guichet de la sécurité sociale.
Agathe Duparc (à Genève), Joëlle Stoltz (à Vienne) et Olivier Truc (à Stockholm)

dimanche 6 mars 2011

En Allemagne, le gouvernement veut intégrer l'islam à l'école primaire

LE MONDE | 28.02.11
Dans ce pays, les cours de religion, catholique ou protestante, sont systématiques, y compris dans les écoles publiques où ils relèvent de la responsabilité des Eglises, sous la surveillance de l'Etat.
BERLIN CORRESPONDANT - En Allemagne, l'intégration des étrangers, notamment des nombreux Turcs, passe par la connaissance de la langue - il y a, sur ce sujet, unanimité - mais aussi par l'école primaire. Dans ce pays, les cours de religion, catholique ou protestante, sont systématiques, y compris dans les écoles publiques où ils relèvent de la responsabilité des Eglises, sous la surveillance de l'Etat.
Ces cours sont en principe assurés par des enseignants qui ont suivi une formation en théologie. L'idée du gouvernement est de permettre aux 700 000 élèves musulmans de suivre également des cours de religion. Le ministre de l'intérieur, Thomas de Maizière, a été explicite le 13 février : "Les élèves musulmans considéreraient très probablement comme un signe d'équité le fait de pouvoir, comme leurs camarades chrétiens, suivre des cours de religion islamique dans leur école. Eduquer à une pensée autonome par rapport à la religion, à l'ouverture et au dialogue constituerait, de plus, une protection efficace contre l'extrémisme."
Le gouvernement juge essentiel que ces cours soient donnés en allemand par des personnes formées en Allemagne. Pour Thomas de Maizière, l'heure n'est plus aux expériences, menées dans sept des seize Etats-régions depuis une dizaine d'années, mais à la généralisation. Des accords doivent être conclus dans tout le pays "cette année ou au plus tard l'année prochaine".
Difficulté
Avec qui ? Là est toute la question. A la différence des catholiques ou des protestants, les musulmans n'ont pas d'institution représentative unique reconnaissant explicitement la Loi fondamentale allemande, condition pour pouvoir définir le contenu des cours. Dans les Etats-régions où des cours sont donnés, ils sont pour le moment sous la responsabilité des autorités locales et ne constituent donc pas un "enseignement religieux régulier" tel que l'entend la Loi fondamentale.
Pour contourner cette difficulté, Thomas de Maizière souhaite, qu'"à titre provisoire"les Etats-régions coopèrent avec les organisations islamiques "qui sont en voie d'être reconnues comme communauté religieuse au sens juridique". Problème : de telles organisations craignent que la "solution provisoire" ne se pérennise. Néanmoins, la situation évolue rapidement. L'Etat-région de Rhénanie-du-Nord - Wesphalie où réside plus de 20 % de la population allemande et qui compte 320 000 élèves musulmans, devrait être, à partir de la rentrée scolaire 2012-2013, le premier Land où les cours de religion islamique seront proposés sur tout le territoire.
Dans cet Etat-région dirigé, depuis mai 2010, par une coalition SPD-Verts, des cours de "connaissance de l'islam" - qu'il ne faut pas confondre avec des cours de religion - sont actuellement dispensés par 80 enseignants (dont 60 de religion musulmane) dans 133 écoles. 133 000 élèves y participent.
Ce sont notamment ces enseignants qui, à partir de 2012, donneront des cours de religion. Pour contourner la difficulté de la représentation, va être créé un conseil musulman dont les membres seront à la fois nommés par les associations musulmanes et par le gouvernement de Düsseldorf. C'est ce conseil qui définira le contenu des programmes. Une formule comparable qui est en train d'être mise en place pour la formation d'imams dans plusieurs universités.
Frédéric Lemaître

L'islam de France se construit hors du cadre institutionnel voulu par le pouvoir

LE MONDE | 28.02.11
En trois mandats, dont deux sous la présidence de Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris, proche d'Alger, rien n'a été fait pour rationaliser la construction de lieux de culte, le marché de la viande halal, organiser la formation des imams ou le pèlerinage à La Mecque.
Le président de la République, Nicolas Sarkozy, le répète depuis des années : il souhaite l'avènement d'un "islam de France" susceptible de prendre le pas sur une réalité qui, semble-t-il, dérange et menace : "l'islam en France". Le débat annoncé par l'UMP sur la place de l'islam dans la société française, et soutenu par l'Elysée, est justifié à droite par la nécessité de faire émerger ce concept, qui n'a pas prospéré comme l'espérait naguère le ministre de l'intérieur en charge des cultes.
A ce poste, M. Sarkozy avait en effet théorisé l'existence d'un "islam de France" et avait souhaité l'incarner en créant au forceps le Conseil français du culte musulman (CFCM). C'était en 2003. Huit ans après, cette approche est un échec. A plus d'un titre.
Premier paradoxe : alors qu'il était censé donner une existence à une réalité française, le CFCM a été organisé autour des mouvements musulmans proches des pays d'origine des premières générations d'immigrés, au premier rang desquels l'Algérie, le Maroc et la Turquie. Les représentants de ces organisations sont restés liés politiquement et/ou financièrement aux consulats concernés. En huit ans, devenues bureaucrates de l'islam, les figures de la représentation musulmane officielle ne se sont quasiment pas renouvelées.
Deuxième écueil, les critères de représentativité acceptés par les pouvoirs publics, fondés sur la superficie des mosquées, ont créé une concurrence entre les différents mouvements et les pays d'origine, plus soucieux de gagner ou de créer des mètres carrés que de faire avancer les dossiers. Les intérêts particuliers l'ont emporté.
En trois mandats, dont deux sous la présidence de Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris, proche d'Alger, rien n'a été fait pour rationaliser la construction de lieux de culte, le marché de la viande halal, organiser la formation des imams ou le pèlerinage à La Mecque. Les seuls acquis concrets concernent la création d'une aumônerie musulmane dans l'armée et, dans une moindre mesure, dans les prisons.
D'un point de vue symbolique, le CFCM a permis l'émergence d'une voix et d'une présence musulmanes aux côtés des autres religions dans le cadre des relations entre la République et les cultes. Mais elle bute constamment sur un biais originel : sa prétention à unifier une catégorie, "les musulmans", dont la réalité est caractérisée par une grande diversité. Cette représentation institutionnelle est aujourd'hui fragilisée et contestée. Des interrogations pèsent sur les prochaines élections prévues en juin.
Décalage
Installés par le pouvoir, les membres du CFCM apparaissent déconnectés des fidèles. Le constant rajeunissement des pratiquants souligne de manière de plus en plus tendue le décalage entre les "blédards" ou les "chibanis" (anciens en arabe) et les nouvelles générations nées et élevées en France, décomplexées dans leurs rapports à la pratique religieuse et dans leurs relations avec les pouvoirs publics, et bien plus éloignées que leurs parents des pays d'origine.
C'est cet "islam de France" qui fait aujourd'hui son chemin en dehors des sentiers battus par les pouvoirs publics. Les jeunes musulmans commencent à s'organiser en associations cultuelles locales pour prendre pied dans la gestion des mosquées. Ils créent leurs réseaux, développent l'information sur le marché halal, le pèlerinage ou la lutte contre l'islamophobie ; et, s'ils suivent des formations dans les instituts tenus par l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) ou se pressent à son rassemblement annuel du Bourget, ils ne s'inscrivent pas dans une affiliation exclusive à ce mouvement.
Après des décennies d'invisibilité, cet islam de France, absent de la représentation institutionnelle, se pratique au grand jour. La majorité des fidèles s'efforcent de respecter le cadre laïc et adaptent leurs pratiques ; une minorité, par provocation, visées politiques ou méconnaissance du contexte français, teste ponctuellement les valeurs républicaines. Par tâtonnements, ajustements, dialogue, formation, et, si besoin est, recours à la justice, les musulmans, comme les autres croyants, devraient toutefois pouvoir s'inscrire dans le cadre légal de la laïcité, sans injonction ou immixtion du pouvoir. Ainsi que le prévoit le régime de séparation des Eglises et de l'Etat.
Stéphanie Le Bars

A droite, l'inquiétude sur le lancement du débat sur l'islam touche les proches du chef de l'Etat

LE MONDE | 28.02.11
C'est Alain Juppé qui, parmi les premiers, s'est inquiété des dégâts que pourrait causer le débat voulu par le président de la République et organisé par l'UMP sur la place de l'islam dans la société française.
La mise en garde est on ne peut plus claire. Lundi 28 février, le premier ministre, François Fillon, a prévenu sur RTL : si le débat sur l'islam devait conduire "à stigmatiser les musulmans", il s'y "opposera", ajoutant qu'il veillerait, "à la place qui est (la sienne), à ce que ce débat ne dérive pas".
C'est Alain Juppé qui, parmi les premiers, s'est inquiété des dégâts que pourrait causer le débat voulu par le président de la République et organisé par l'UMP sur la place de l'islam dans la société française. "Il faut maîtriser ce débat, car il n'est pas imaginable de stigmatiser la deuxième religion de France", avait déclaré M. Juppé, peu après l'annonce de ce nouveau chantier présidentiel, décidé mi-février dans la foulée des déclarations de la présidente du Front national sur les prières de rue.
Depuis, pas un jour ne s'est écoulé sans qu'un responsable politique de droite ne s'interroge sur l'opportunité de placer la focale politique sur les musulmans ; et ce, quelques mois après le discret enterrement du débat sur l'identité nationale, qui avait donné lieu à de multiples dérapages.
A plusieurs reprises, les anciennes ministres Rama Yade et Rachida Dati ont exprimé des réserves. "Six millions de musulmans vont se retrouver assignés à résidence religieuse alors qu'eux-mêmes ne se définissent pas d'abord comme musulmans", a prévenu Mme Yade dans Le Journal du dimanche. Mme Dati a rappelé : "Ce n'est pas l'islam qui pose un problème. Le problème, c'est de combattre ceux qui dévoient l'islam."
Plus étonnant, Christian Estrosi, maire de Nice et député UMP, partisan des discussions sur l'identité nationale, a estimé que la situation internationale "impose de différer" le débat sur l'islam : "Nous ne pouvons pas débattre de la laïcité au risque de stigmatiser l'islam, alors que le monde a les yeux tournés vers les peuples du monde arabe qui aspirent légitimement à plus de démocratie."
Le président du Sénat, Gérard Larcher, a aussi mis en garde le gouvernement et son propre parti : "Méfions-nous de jouer sur les peurs. Méfions-nous de ne pas affaiblir la laïcité dans un débat qui serait mal préparé, mal conduit, pour répondre à des temps d'opportunité politique." Attention de ne pas "rechercher de bouc émissaire", a aussi prévenu l'ancien premier ministre Dominique de Villepin. L'UMP Patrick Devedjian a, quant à lui, qualifié ce débat de "dangereux et désastreux".
Au rang des partisans, on compte les membres du gouvernement, Eric Besson ou Thierry Mariani. Et Jean-François Copé, secrétaire général de l'UMP, artisan du débat, qui a érigé ce sujet "en problème dont parlent le plus les Français". Il n'est pas sûr pourtant qu'après les soubresauts que vient de traverser le gouvernement, le sujet aille à son terme, fixé au 5 avril.
Stéphanie Le Bars

A quels problèmes se heurte la pratique de l'islam en France ?

LE MONDE | 28.02.11
Pourquoi ce retour au coeur du débat politique ? Quel est le bilan de la politique de Nicolas Sarkozy ? Un "islam de France" peut-il émerger ?
La convention que l'UMP prévoit de consacrer, le 5 avril, à l'exercice des cultes et notamment à la compatibilité de l'islam avec la laïcité se veut l'occasion, pour la majorité présidentielle, d'aborder une série de questions soulevées par la pratique du culte musulman. Certaines, mises en exergue par le Front national, et reprises par le président de la République, se posent en France de manière marginale, voire caricaturale. C'est le cas des prières de rue ou de la construction de minarets. D'autres, la formation des imams, la construction de mosquées, le port du voile islamique alimentent réflexions, rapports et polémiques depuis plusieurs années.
Les prières de rue. Dans une dizaine de lieux en France (à Paris, en région parisienne, à Marseille ou à Nice, notamment), quelques centaines de fidèles prient chaque vendredi, lors de la grande prière, sur la voie publique, débordant de lieux de culte devenus exigus. Cette situation, connue et tolérée par les pouvoirs publics depuis plusieurs années, perdure le plus souvent, faute de solution alternative. Le "maillage" du territoire pour construire des mosquées là où résident les besoins a été envisagé par le ministère de l'intérieur. Dans certaines villes en effet, plusieurs lieux de culte correspondant aux origines des fidèles (Maroc, Algérie, Turquie, Afrique noire...) voient le jour, tandis qu'ailleurs, ils manquent de mètres carrés pour prier dans des lieux adéquats.
L'organisation de "l'offre" de lieux de culte, qui aurait pu être financée par la Fondation pour les oeuvres de l'islam, créée en 2007 par Dominique de Villepin, est restée lettre morte, faute de volonté des organisations musulmanes représentées au niveau national.
Le Conseil français du culte musulman (CFCM) estime qu'il faudrait multiplier par deux la surface des lieux de prière (dont 40 % ont des superficies inférieures à 100 m2). Quelque 200 projets sont en cours à travers la France, principalement financés par les fidèles et des fonds étrangers, avec l'aide, légale, des collectivités locales (location de terrain à prix modique, garantie d'emprunt, financement d'une partie culturelle...). Les minarets : sur les quelque 2 000 lieux de culte musulmans de France, seule une trentaine comporteraient un minaret, selon le bureau des cultes.
Les prêches intégristes. Les deux mosquées françaises les plus anciennes, construites à Saint-Denis de la Réunion (1905) et à Paris (1926) sont les seules à posséder un minaret de plus de 30 mètres. Il n'existe pas en France d'appel à la prière lancé depuis un minaret. Cela nécessiterait une autorisation du maire de la commune. De même, la construction d'un minaret est le fruit d'un consensus entre les pouvoirs publics et les porteurs de projets.
Surveillés par les services de renseignement intérieur, les imams radicaux relèvent de deux logiques. Les "politiques" peuvent appeler à soutenir des causes djihadistes à travers le monde ou à fustiger Israël pour sa politique dans les territoires palestiniens occupés. Ces prêches sont désormais assez rares. Plus fréquents, les prêches ultra-conservateurs entrent en contradiction avec les valeurs d'égalité ou de mixité de la société française ou mettent en avant des pratiques qui vont à l'encontre du lien social. Ponctuellement, des imams d'origine étrangère qui prônent de telles pratiques sont expulsés vers leur pays d'origine. Un recours, qui, dans les prochaines années, se heurtera à l'émergence d'imams français, porteurs d'une lecture fondamentaliste de l'islam.
La formation des imams. Sujet récurrent, la présence d'imams étrangers dans les mosquées demeure le point noir du dossier islam en France. Le Maroc, l'Algérie et la Turquie sont pourvoyeurs de plusieurs dizaines d'imams, fonctionnaires de leur Etat respectif, pas toujours francophones. Dans ce cas, les prêches sont parfois traduits en français, les prières demeurent en arabe, langue du Coran. Autre catégorie d'imams, les "blédards", des immigrés de la première génération, reconvertis dans l'imamat, peu connectés à la jeunesse musulmane française. Une génération d'imams d'origine étrangère venus étudier en France depuis dix ou vingt ans cohabitent avec ces anciens.
Enfin, une toute petite minorité d'imams français, nés et éduqués en France, formés théologiquement en France et dans les pays arabes, arrivent peu à peu dans les mosquées. Cette fonction souvent mal rémunérée, peine à attirer des jeunes diplômés français.
Le ministère de l'intérieur a tenté de promouvoir une formation aux principes républicains et à la laïcité pour les cadres musulmans. Les universités publiques françaises ont refusé de la prendre en charge. C'est donc l'Institut catholique de Paris qui accueille, chaque année depuis trois ans, une vingtaine de personnes qui se destinent aux aumôneries musulmanes, à l'animation d'associations cultuelles et, plus marginalement, à l'imamat. Cette formation était aussi destinée aux pasteurs évangéliques d'origine africaine ou aux prêtres orthodoxes des pays de l'Europe de l'Est, peu au fait de la laïcité à la française. Une possibilité restée lettre morte.
Les écoles coraniques. Sous ce terme connoté, ces structures, adossées à la plupart des mosquées, dispensent aux enfants et aux adultes une formation à l'islam mais aussi des cours d'arabe. Les premières générations recevaient cet enseignement dans leur famille. Aujourd'hui, les jeunes parents ne parlent souvent pas assez bien l'arabe et, comme les parents juifs ou catholiques, s'en remettent à des formateurs pour la transmission des connaissances religieuses. Problème, le développement rapide de la demande bute parfois sur la qualité des enseignants et leur degré de connaissance de la société française et du contexte laïque.
Halal. Le développement de la consommation de produits halal (aliments sans alcool, sans porc, animaux égorgés vivants) est une réalité. Le commerce traditionnel et la grande distribution développent ces produits dans le cadre d'une stratégie commerciale qui, théoriquement, ne concerne pas les pouvoirs publics. Ces derniers s'inquiètent cependant de la montée des demandes de viande halal dans les collectivités locales. Ces demandes existent et sont exceptionnellement satisfaites ; les communes y répondent plutôt en proposant des menus sans porc ou sans viande. Au-delà d'une possible entorse au principe de laïcité, ces pratiques entraînent un surcoût.
Voile islamique. C'est le symbole sur lequel la France conserve une position ambiguë, laissant la justice juger au cas par cas. Interdit au lycée, le voile islamique est autorisé à l'université puis de nouveau jugé intolérable sur le marché du travail, à l'exception de métiers socialement peu "visibles" (femmes de ménage, notamment). Les femmes qui désirent conserver leur voile sortent donc du marché du travail traditionnel, se replient sur des métiers communautaires - dans les instituts musulmans ou les commerces ethniques -, ou retirent leur voile à l'entrée de leur lieu de travail.
Les carrés confessionnels. Depuis quelques années, les demandes de carrés musulmans sont, en grande partie, satisfaites par les pouvoirs publics. Mais 85 % des enterrements de personnes de confession ou de culture musulmane se font encore dans leur pays d'origine.
Stéphanie Le Bars

samedi 5 mars 2011

Après l'identité nationale, le chef de l'Etat lance le débat sur la place de l'islam

| 16.02.11 |
Voilà le retour, sous forme dérivée, du débat sur l'identité nationale. En 2010, confiée à Eric Besson, l'initiative avait provoqué de très vifs débats. Mais, veut-on croire à l'UMP, le problème n'était pas le fond, mais la manière. Le travail, à l'heure où la remontée du Front national fait frémir les élus de droite, va donc être remis sur l'établi, en changeant l'angle d'attaque.

Nicolas Sarkozy l'a annoncé, mardi 15 janvier, lors du petit déjeuner hebdomadaire de la majorité. "Il a rappelé qu'il y avait des pratiques religieuses qui interpellent la laïcité. Pour lui, c'est un thème qu'on ne peut se passer d'aborder. La discussion, qui n'a pas été conclusive, a tourné autour de la manière de faire, pour éviter la caricature", raconte un participant.
Jeudi 10 février, dans son émission "Paroles de Français", sur TF1, Nicolas Sarkozy avait décrété l'échec du "multiculturalisme". "La vérité, c'est que dans toutes nos démocraties, on s'est trop préoccupé de l'identité de celui qui arrivait et pas assez de l'identité du pays qui accueillait", avait-il estimé.
Quatre jours plus tard, il a donné son feu vert à l'UMP pour le débat. Lors d'une réunion à l'Elysée, lundi, avec les responsables de l'UMP, il a martelé son antienne : "Je ne veux pas de minarets, pas d'appels à la prière dans l'espace public, pas de prières dans la rue."
Le débat, s'annonce, de fait, comme une réflexion sur la place de l'islam en France. Une date, le 5 avril, a été arrêtée par le parti présidentiel, pour l'organisation d'une"grande journée de confrontation", avec politiques et experts. Au programme, deux thèmes : "La place des religions dans une République laïque et l'intégration de la religion musulmane dans une République laïque."
Jean-François Copé, le patron de l'UMP, qui va mettre en oeuvre le débat, avait été l'un des plus fermes soutiens, au départ, au débat sur l'identité nationale. Même s'il avait rapidement critiqué sa forme. Juste après sa nomination, en novembre 2010, à la tête du parti, il a annoncé sa volonté de le relancer.
Avant d'opérer une mue sémantique vers "pacte républicain". Les mots valsent, l'idée demeure. M. Sarkozy reste persuadé que le débat peut être "piégeux" pour les socialistes, qu'il estime mal à l'aise sur ce sujet.
Mardi, M. Sarkozy a affirmé son souhait que les parlementaires de la majorité se saisissent du sujet et évoqué la possibilité d'une résolution, comme cela avait été le cas au départ pour l'interdiction de la burqa. L'annonce du débat, à gauche, est accueillie avec scepticisme. "S'il s'agit de trouver un nouveau centre de gravité républicain, pourquoi pas. Si ce débat fait suite à celui sur l'identité nationale, avec d'autres mots, il ne laisse rien augurer de bon, à un an et demi de l'élection présidentielle", estime Bruno Le Roux, le vice-président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale. "Ils pourraient directement prendre Marine Le Pen comme directrice de campagne", estime quant à lui le député villepiniste Jean-Pierre Grand.
A droite, les élus sont majoritairement persuadés qu'il ne faut pas déserter le terrain occupé par Marine Le Pen. "Elle a fait un hold-up sur la laïcité. Il ne faut pas lui laisser le thème", estime ainsi le député des Alpes-Maritimes, Eric Ciotti."Aujourd'hui, peut-on continuer à garder sa culture et sa communauté dans une République laïque ? La réponse est non. Peut-on avoir dans la sphère privée une pratique de sa religion qui est respectée ? La réponse est oui", juge Marc-Philippe Daubresse, le secrétaire général adjoint de l'UMP. "Je sens dans notre pays des remontées sectaires. Dans ma circonscription, la communauté musulmane ne respecte pas toujours les valeurs de la -République", assure la députée de Seine-et-Marne Chantal Brunel, qui espère "une loi qui créerait un délit de polygamie". Le débat est ouvert...
Pierre Jaxel-Truer

Le débat sur l'islam a déjà lieu au sein de l'UMP

LEMONDE.FR | 24.02.11
"Poser un certain nombre de problèmes de fond sur l'exercice des cultes religieux, singulièrement le culte musulman, et de sa compatibilité avec les lois laïques de la République." Telle était l'ambition affichée par Jean-François Copé pour son débat sur la place de l'islam en France, qui doit se conclure par une convention le 5 avril. Des ambitions qui s'accompagnent d'une arrière-pensée admise à demi-mot par nombre de responsables de l'UMP : freiner la montée de popularité de Marine Le Pen à droite.

Mais à peine esquissée, l'idée a suscité des oppositions internes fortes. D'Alain Juppé à Rachida Dati, en passant par Christine Boutin ou Patrick Devedjian, des voix s'élèvent, de plus en plus nombreuses, au sein de l'UMP, pour dire que ce débat présente des dangers certains. Et tous de rappeler le fiasco du précédent débat sur "l'identité nationale". Lancé à l'automne 2009 par Eric Besson avec les mêmes objectifs, il n'avait pas freiné la montée du FN, bien au contraire : celui-ci avait effectué une remontée spectaculaire aux régionales de mars 2010. Depuis, il ne cesse de progresser.
Les partisans du nouveau débat, dont Brice Hortefeux, ont répondu à la critique.Pour le ministre de l'intérieur, il faut tirer "les leçons du débat sur l'identité nationale. Notre erreur à l'époque fut de ne pas dire clairement où nous voulions aller. Cette fois, il faudra aboutir à des solutions concrètes et acceptées par la communauté nationale".

Benoist Apparu, le secrétaire d'Etat au logement, le 17 novembre 2010 à Paris.AFP/LIONEL BONAVENTURE
ADAPTER LA LOI DE 1905 ?

Mais quelles sont ces "solutions concrètes" ? C'est toute la question, qui divise la majorité. Le débat se centre en effet sur un point : les "prières de rue" de certains fidèles musulmans dans quelques rares lieux en France, dont la rue Myrha à Paris (18e arrondissement), devenue pour l'extrême droite un symbole. Or, le plus souvent, les fidèles prient dans la rue non par envie ou défi, mais faute d'espace disponible.
Faut-il donc que la puissance publique construise des mosquées ? Certains à l'UMP le préconisent, à l'instar du secrétaire au logement, Benoist Apparu. Mais la loi l'interdit. En vertu du texte de 1905 sur la laïcité, l'Etat ne peut, en France, financer des lieux de culte. Pour M. Apparu, le pragmatisme doit l'emporter sur le symbole, et il faut "aménager", si nécessaire, cette loi.
Mais d'autres au sein du parti présidentiel sont d'un avis totalement opposé. Soit car ils considèrent la loi de 1905 comme un pilier de la République, à l'instar d'Eric Besson, pour qui il s'agit d'une "loi sacrée" ; ou encore car, comme François Baroin, ils estiment que, dans ce domaine, le principe doit être que les communautés de fidèles financent leurs lieux de culte, et qu'une modification de la loi reviendrait à "ouvrir la boîte de Pandore".
Autre réaction, plus virulente : celle du collectif La Droite populaire, qui regroupe les vingt-huit parlementaires de l'aile droite du parti. Pour eux, Benoist Apparu "prend le risque de mettre un terme à notre pacte majoritaire" avec son idée. "Alors que la France est accablée par les déficits publics et sociaux, nos compatriotes demandent aux ministres de gérer l'argent public dans l'intérêt général du pays et non de faire du prosélytisme", estiment-ils, menaçant même de faire défection du parti.

François Grosdidier, le député-maire UMP de Woippy (Moselle).AFP/JEAN-PIERRE CLATOT
FINANCER LA CONSTRUCTION DE MOSQUÉES ?
François Grosdidier, député UMP de Moselle aux prises de position le plus souvent peu islamophiles – il avait évoqué à l'Assemblée les "youyous" qui résonnaient dans la mairie de sa commune pour "un mariage sur deux" –, soutient au contraire Benoist Apparu.
Depuis longtemps favorable à une réforme de la loi de 1905, il s'interroge :"Comment peut-on demander aux musulmans d'édifier un 'islam de France' et non 'en France' tout en les obligeant à faire financer les mosquées par l'étranger ?" De fait, le financement privé des mosquées se fait parfois avec l'aide de fonds venus de l'étranger. Le roi Mohammed VI du Maroc a ainsi financé la construction de la mosquée de Clermont-Ferrand.
La députée du Haut-Rhin Arlette Grosskost campe, quant à elle, sur une position plus radicale encore. Elle suggère d'examiner les vertus du régime du concordat existant en Alsace – régime en vertu duquel la région finance et organise les cultes catholique et protestant –, et d'y intégrer l'islam. "Faisons l'expérience de l'intégration de l'islam dans le régime concordataire ! L'islam est la deuxième religion de France. Il faut arrêter de se fermer les yeux, on ne reviendra pas en arrière. Il faut permettre aux gens d'exercer leur religion dans des conditions dignes", estime la députée, qui ne se fait toutefois que peu d'illusions sur le succès de son idée.

Christian Estrosi veut faire interdire les prières de rue.AFP/ERIC PIERMONT
INTERDIRE LES "PRIÈRES DE RUE" ?

Certains députés ont une solution plus radicale : interdire purement et simplement les prières dans la rue. C'est la position du député-maire de Nice, Christian Estrosi."Prier, ce n'est pas manifester. C'est une affaire de conscience, pas de banderoles", expliquait-il à Nice-Matin le 18 janvier.
En droit, prier dans la rue est déjà interdit. Les quelques cas de prières musulmanes dans l'espace public se font en accord avec les pouvoirs publics, au même titre que d'autres manifestations religieuses.
Comme le note le pasteur Claude Baty, président de la Fédération protestante de France, "si on veut les interdire, c'est au titre du trouble à l'ordre public, pas au titre de la laïcité, ou alors il faut aussi interdire les processions catholiques".
EXIGER DES PRÊCHES EN FRANÇAIS ?
Autre cheval de bataille de l'UMP : exiger des prières en langue française. "Je vais prendre un exemple : les prêches des imams. En quelle langue ces prêches doivent-ils être faits ? On peut peut-être postuler que ces prêches devraient l'être exclusivement en français. Voilà une piste", a lancé Jean-François Copé. Thierry Mariani est du même avis : "La formation des imams ou le respect de la langue française doivent être des points-clés. Par définition, pour bâtir un islam de France, le français doit être la langue employée dans les mosquées."
Obliger un prêche ou une cérémonie religieuse à se tenir dans une langue précise nécessiterait une adaptation législative complexe : ne s'agirait-il pas d'une entrave à la liberté d'expression ?
Surtout, si les prêches et les rituels musulmans doivent se faire en français, il paraît logique que la même règle s'applique à toutes les autres religions... Les juifs prient ainsi en hébreu, et certains catholiques utilisent le latin pour leurs célébrations et leurs chants.
LES DOUTES GAGNENT DU TERRAIN DANS LA MAJORITÉ
Ces questions de fond sont donc loin de faire consensus. Mais ce débat est-il destiné à y répondre ? Certains semblent en douter, à l'UMP, et multiplient les mises en garde. Jeudi 24 février, Alain Juppé a rappelé sur France Inter : "L'islam a toute sa place en France. Il y a quatre à cinq millions de musulmans en France, ils ne sont pas tous pratiquants, mais ils sont musulmans et nous devons respecter leur religion." Pour l'ancien premier ministre, c'est "un principe républicain fondamental, la liberté de choisir sa religion et de la pratiquer".
Le président du Sénat, Gérard Larcher, estime pour sa part que "se focaliser sur le seul islam, ce serait faire une erreur par rapport au principe de laïcité", et "ce serait aussi oublier un certain nombre de pans qui concernent d'autres religions".

Samuel Laurent

"En dix ans, le débat sur l'islam s'est substitué au débat sur l'immigration"

pour Le Monde.fr | 28.02.11

Des musulmans écoutent des prières au premier jour de la fête religieuse Eid Al-Adha, à Tirana.REUTERS/ARBEN CELI

Saïd 75007 : Quels sont les thèmes du débat sur l'islam et les objectifs visés (explicitement et implicitement) ?

Stéphanie Le Bars : A l'origine, le président de la République a souhaité un débat sur la laïcité et l'exercice des cultes et la présence de l'islam en France.
Ce débat est censé être animé par l'UMP qui doit tenir une convention sur ce sujet le 5 avril. Selon M. Copé, secrétaire général de l'UMP, ce débat vise à faire le point sur les pratiques musulmanes de même que sur la formation des imams, le financement des lieux de culte, la prise en compte en général de l'islam dans la société.
En réalité l'ouverture de ce débat fait suite aux polémiques relancées par la présidente du Front national, Marine Le Pen, sur les prières de rue et "l'islamisation" de la société française.
Et l'UMP n'a pas voulu laisser le Front national seul sur ce terrain.
Maycne : Depuis quand parle-t-on d'un "problème musulman" en France ? Savez-vous ce qui en a été l'origine ?
Il apparait que les débats autour de l'islam se sont substitués au fil des années aux débats sur l'immigration, notamment à droite, depuis une dizaine d'années.
Cela a correspondu à la fois au traumatisme post-11-Septembre et à l'émergence et l'installation dans les sociétés européenne de populations de confession et de culture musulmanes.
En France, l'islam est désormais la deuxième religion. Les polémiques qui y sont liées sont récurrentes (voile islamique, principe de mixité...), elles ont atteint leur paroxysme lors du débat sur le port du voile intégral et sur l'identité nationale en 2009-2010.
Lamine : L'un des problèmes souvent cités pour justifier la nécessité du débat sur l'islam sont les prières de rue. Selon vous, sont-elles organiséespour revendiquer des lieux de culte ou encore pour provoquer l'Etat ? Quelle est l'ampleur du phénomène et son évolution ? Est-ce à relativiser ?
Ce problème mis récemment en exergue par Marine Le Pen n'est pas nouveau. Chaque vendredi ,plusieurs centaines de musulmans prient effectivement sur la voie publique. Depuis des années, ils bénéficient pour cela de la tolérance des pouvoirs publics locaux (Paris, région parisienne, Marseille, etc.). On estime généralement qu'une trentaine de lieux de culte sont concernés. On peut dire qu'en grande partie, cela correspond à un réel manque de locaux même si une petite minorité peut vouloir maintenir cette "manifestation religieuse" pour des raisons plus politiques.
Le manque de lieux de culte est une réalité, notamment dans certaines grandes villes et les projets en cours ne répondent pas toujours aux réels besoins des fidèles. Des mosquées de grande taille sont parfois construites en périphérie des centre-ville, alors que de plus en plus de jeunes pratiquants urbains salariés auraient besoin d'accéder à des lieux de prière de proximité.
Curieux : Pourquoi nier que l'islam pose problème, qu'il n'y a pas séparation entre la sphère public et la sphère privée, et qu'il porte une vision politique ?
Certaines pratiques peuvent effectivement poser problème dans des sociétés non-majoritairement musulmanes. L'islam est en effet une religion très ritualisée dans laquelle les codes alimentaires, vestimentaires, les obligations religieuses sont importantes. Cela peut heurter le tissu social français, plus habitué à une pratique religieuse limitée à la sphère privée.
D'une manière générale, l'islam tel qu'il se pratique en France ne porte pas une vision politique comme on peut l'entendre dans certains pays majoritairement musulmans. On assiste ici d'avantage à des revendications d'ordre religieux qui encore une fois peuvent apparaitre en contradiction avec le principe de laïcité.
Guest : Pourquoi doit-on financer les édifices religieux par de l'argent public ?

La loi de 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat prévoit précisément une interdiction de financement des cultes par les pouvoirs publics. C'est ce que prévoit l'article 2 de la loi qui précise : "La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte."
Cela dit, l'histoire et l'évolution de la loi ont donné la possibilité aux collectivités publiques de participer à l'entretien et à la réparation des lieux de culte, de leur ouvrir l'accès à des baux emphytéotiques (loyers à somme modique), de garantir les emprunts souscrits par les associations cultuelles et de financer la partie culturelle des lieux de culte.
En dehors de ces possibilités, les lieux de culte, la rémunération des ministres du culte et leur éventuelle formation sont pris en charge par les fidèles.
Mohamed : Est-il pertinent d'opposer, comme le fait le chef de l'Etat, l'islam en France et l'islam de France ?
Il est vrai que Nicolas Sarkozy, à partir de 2003 lorsqu'il était ministre de l'intérieur, a souhaité conceptualiser un "islam de France". Il a pour ce fait créé le Conseil français du culte musulman (CFCM). Le paradoxe est qu'il a organisé l'institutionnalisation de l'islam de France avec des mouvements et des représentants musulmans liés à leur pays d'origine (Maghreb, Turquie...).
Aujourd'hui, cet islam "officiel" est en décalage avec l'islam vécu et pratiqué par les nouvelles générations. Mais il est vrai qu'on peut malgré tout parler d'un islam de France dans la mesure où certains fidèles vivent leur religion dans la société française, adaptant quand ils le jugent justifié et possible leurs pratiques religieuses.
XXX : Des statistiques un peu sérieuses existent-elles sur le nombre de pratiquants en France ? Ou bien doit-on se contenter du chiffre de "5 millions" dont personne ne sait d'ou il sort ni ce qu'il contient ?
Ce chiffre est fondé sur une extrapolation de la population issue de l'immigration de pays musulmans, mais il est vrai que ce chiffre pose de réelles questions car il recouvre à la fois des pratiquants, des non-pratiquants, des gens qui peuvent revendiquer une culture musulmane tout en étant athées ou agnostiques et ne prend sans doute pas en compte les milliers de Français convertis à l'islam.
Un sondage de 2009 rappelait néanmoins qu'environ un tiers des personnes se reconnaissant de culture et de confession musulmanes se disaient croyants et pratiquants. Quant à la prière du vendredi à la mosquée, ce même sondage IFOP estime à 22 % le nombre de fidèles concernés.
Chat modéré par Caroline Monnot

Philippe Barbarin, cardinal "L'islam est compatible avec la République, à condition que les musulmans le veuillent"

Le Monde | 04.03.11 |

Le cardinal Philippe Barbarin est archevêque de Lyon depuis 2002. Engagé dans le dialogue avec les juifs et les musulmans, il est, à 60 ans, l'un des prélats les plus influents de l'épiscopat français.

Le président de la République a chargé l'UMP de mener un débat sur la laïcité et la place de l'islam en France. Est-il nécessaire ?

Ce débat est important et il peut porter ses fruits. Mon interrogation porte sur la méthode. Puisque le chef de l'Etat estime que c'est un problème de société, je ne crois pas que ce débat doive être engagé par lui ou, à sa demande, par un parti politique. Il vaudrait mieux qu'il soit mené directement dans la société civile, et, si le cadre de la loi ne suffit plus à régler les problèmes actuels, c'est à nous, les citoyens, de nous tourner vers ceux qui gouvernent.

Faut-il modifier la loi de 1905 sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat ?

Une loi n'est pas un dogme. Elle peut être modifiée ou abrogée, si la réalité sociale change. La loi de 1905 n'est pas un "bloc de béton" ; elle a déjà été modifiée à plusieurs reprises. Les musulmans étaient très peu nombreux en France en 1905. Aujourd'hui, on dit qu'ils représentent 10 % de la population, et dans certains endroits, il y a plus de monde à la mosquée le vendredi qu'à l'église le dimanche !

Quand les musulmans demandent pourquoi l'Etat aide l'Eglise catholique, en finançant l'entretien des édifices construits avant 1905, alors qu'il n'aide pas la communauté musulmane, on peut leur opposer la loi, mais il reste que leur question est légitime.

Certains estiment pourtant que la loi de 1905 est "sacrée".

La République se prend parfois pour le "grand prêtre" de la nation française ! Les "valeurs de la République" sont belles, mais lorsqu'on les met trop en avant, cela devient un concept fluctuant, un peu "fourre-tout". Il est clair que notre vie personnelle se fonde sur des valeurs que chacun sait énoncer, ou sur une foi. Mais une nation est normée par des lois. Je préfère que l'on parle des "lois de la République" et qu'on puisse les connaître.

Un exemple : avant 1975, l'adultère était une faute pénale grave, entraînant le divorce ; aujourd'hui, non. La fidélité est-elle pour autant une "valeur" qui aurait disparu ? De même, le code civil dit que "la loi garantit le respect de la vie humaine dès le commencement de sa vie", mais on a introduit tellement d'exceptions, et même, comme un "droit" à l'avortement, que l'on ne sait plus si la vie est une "valeur" qui compte encore. Au milieu de tant de fluctuations, le message de la Bible sur ces sujets traverse les siècles et les cultures.

Dans les milieux catholiques, comme ailleurs, monte une crainte voire un rejet de l'islam. Comment l'expliquez-vous ?

Aujourd'hui, sur cette question cohabitent trois positions. Certains rappellent que nous sommes tous des frères et savent montrer de beaux exemples de cette fraternité, mais font silence sur les problèmes. Les seconds pensent que c'est une grande naïveté que de laisser l'islam prendre sa place dans notre société ; pour eux, nous sommes clairement en danger. Enfin, d'autres refusent l'opposition violente comme la candeur, et savent vivre un chemin de respect, voire d'amitié. C'est l'exemple laissé par les moines de Tibéhirine.

Pour les chrétiens, les musulmans sont des frères que le Christ nous demande d'aimer. Mais les difficultés objectives doivent être dénoncées : la non-réciprocité dans les pays à majorité musulmane, les problèmes lorsqu'un musulman demande le baptême, lors d'un mariage mixte... Ce qui est particulièrement intolérable, ce sont les violences meurtrières contre les chrétiens : Bagdad fin octobre 2010, Alexandrie fin décembre, un prêtre assassiné à Tunis le 18 février, et le 3 mars, le seul ministre chrétien du Pakistan. Aujourd'hui, la voix de nombreux musulmans se joint à la nôtre pour dénoncer ces scandales.

Côté catholiques, il est vrai que beaucoup sont rongés par la peur. C'est peut-être le discours lénifiant tenu durant des années, qui entraîne, par retour de balancier, ce rejet, cette peur d'être convertis de force, cette peur d'une invasion, de l'instauration d'une loi islamique en France... Face à cela, je dis comme Jean Paul II, ou plutôt comme Jésus : "N'ayez pas peur !", sans oublier d'ajouter pour les chrétiens : "Ouvrez toutes grandes les portes de votre vie au Christ." Si les 60 % de Français qui se disent catholiques l'étaient vraiment, on n'entendrait pas tous ces discours angoissés.

Quel genre de "difficultés objectives" pose l'islam ?

Il arrive, par exemple, qu'un musulman qui se convertit au catholicisme soit maltraité dans sa communauté et dans sa propre famille. J'ai présenté un jour un cas douloureux à mon ami Azzedine Gaci, le président du conseil régional du culte musulman de Rhône-Alpes. Il a fait une fatwa pour condamner cela, affirmant qu'il ne doit y avoir aucune contrainte en religion. C'est lui qui m'a dit qu'il était inquiet de la violence de certaines prédications dans les mosquées.

En 2007, face aux demandes de viande halal dans les cantines scolaires, la ville de Lyon a réuni des représentants des différents courants religieux pour régler cette question. Une solution a été proposée, qui n'est pas forcément la bonne, mais il y a eu discussion.

Vous êtes né et avez vécu au Maroc, vous êtes engagé dans le dialogue avec l'islam. Cette religion vous apparaît-elle compatible avec la réalité française ?

L'islam est compatible avec les lois de la République, à condition que les musulmans le veuillent. Beaucoup s'inscrivent dans cette ligne de loyauté et veulent voir naître un "islam de France". Mais des progrès restent à faire. Encore une fois, des problèmes concrets se posent (dans les cantines, les piscines, avec la burqa...), et il y a de la provocation et de la violence dans certains comportements.

La règle donnée par la France est la suivante : elle garantit la liberté des cultes, dans la mesure où elle ne trouble pas l'ordre public. Cela vaut pour nous, comme pour tous. Si un maire ou un préfet estime qu'un chemin de croix dans les rues trouble l'ordre public, il n'aura pas lieu. En France, le cadre existant permet à un chrétien d'être chrétien, à un juif d'être juif et à un musulman d'être musulman.

Cela dit, il est vrai que dans l'islam, le rapport entre le religieux et le social ou le politique est différent du nôtre. C'est une question de fond que se posent les musulmans en France, et nous pouvons en parler avec eux. En outre, il est clair que des questions spirituelles ne vont pas trouver leur réponse dans la seule sphère du politique.

Propos recueillis par Stéphanie Le Bars
Article paru dans l'édition du 05.03.11

jeudi 3 mars 2011

Luc Chatel ne veut pas de mères voilées pour accompagner les sorties scolaires

Le Monde.fr | 03.03.11 | 14h00


Le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, Luc Chatel.Reuters/CHARLES PLATIAU

En réponse à un différend qui opposait des parents d'élèves à la directrice d'une école de Seine Saint-Denis, le ministre de l'éducation, Luc Chatel, a tranché. Dans une lettre datée du 2 mars, il a donné raison à la directrice qui refusait la participation d'une mère d'élève portant le voile islamique aux sorties scolaires.

Considérant que dans ce type de situation, les parents d'élèves se placent dans une "situation comparable à celle des agents publics", ils doivent donc accepter "de se soumettre aux principes fondamentaux de ce service public", qui impliquent " la neutralité".

Cette décision est en contradiction avec les positions précédentes du ministère, fondées sur une délibération de la Halde, qui en 2007 avait jugé ce type de refus discriminatoire. Pour le ministre, interrogé dans le Parisien du 3 mars, cette évolution permet d'édicter une "règle claire sur laquelle pourront s'appuyer les directeurs d'école".

"Il ne faut pas transiger avec la laïcité", ajoute M. Chatel qui estime au passage que le débat sur la laïcité, lancé par le président de la République et l'UMP est "un bon débat".

Stéphanie Le Bars

mardi 1 mars 2011

Yazid Sabeg, commissaire à la diversité et à l'égalité des chances

Le Monde | 01.03.11

Yazid Sabeg, commissaire à la diversité et à l'égalité des chances, a déclaré : "Le Front national est parvenu à dicter l'ordre du jour politique et médiatique".AFP/FRANCOIS GUILLOT

Yazid Sabeg, le commissaire chargé de la diversité et de l'égalité des chances au sein du gouvernement, s'alarme du poids pris par le Front national dans le débat public. Nommé en 2008, il marque sa différence avec Nicolas Sarkozy sur l'islam et sur l'intégration. Mais l'industriel refuse toute idée de démission : "Je n'ai pas entendu, dans les propos du président de la République, qu'il révoquait sa politique de diversité."

Partagez-vous l'analyse de Nicolas Sarkozy sur l'échec du multiculturalisme en France ?

Je pense que proclamer l'échec de quelque chose qui n'a jamais existé en France est impropre. En effet, le multiculturalisme, qui consacre l'égale dignité des cultures, n'a jamais été ni envisagé ni considéré dans notre pays. Même le caractère positif de la diversité n'est qu'une idée récente. Je ne sais donc pas ce qui est multiculturel chez nous d'autant que ce terme est le plus souvent employé pour opposer le modèle dit français et républicain à une conception anglo-saxonne de l'intégration.

La mondialisation nous soumet aujourd'hui aux réalités sociales et culturelles de l'intégration. Celles-ci sont néanmoins inscrites dans notre histoire et sont aux fondements de notre nation. L'intégration, c'est toute l'histoire de la France, c'est l'accueil des migrants sous l'Ancien Régime ou la République. Mais ce fut aussi le long processus d'intégration de la diversité de provinces qui ne parlaient pas français et de populations qui étaient contre la République. Ce fut toujours une politique volontariste et non un accident de l'histoire. Ce fut même une politique intégrante de la période coloniale.

Ce modèle a-t-il échoué ?

La France offre encore à tous ce modèle de référence dominant à partir duquel l'individu, quelle que soit son origine, peut se construire. Etre français tient autant à l'amour du sol qu'au respect des lois. C'est recevoir une éducation qui est fondée sur l'oubli des origines et adhérer à un contrat social constitué de règles communes. Si échec il y a, il réside dans la fragilisation des liens sociaux et dans notre incapacité à revitaliser notre conscience civique.

Comment jugez-vous l'état du débat public en France ?

De la gauche à l'extrême droite, l'essentiel est escamoté. Aux questions de fond telles que l'emploi des jeunes, la lutte anti-ghetto ou l'accès équitable à l'éducation et à la formation se sont substitué des pseudo-débats centrés sur ce qui serait une confrontation de l'islam avec la laïcité. C'est comme si désormais la crise de nos sociétés ne pouvait s'expliquer qu'à travers la figure des musulmans ! Qu'on critique l'islam, pourquoi pas ? Mais la religion ne peut pas devenir la grille de lecture de tous nos maux. Je constate que les partis républicains sont dans cette confusion et se conforment aux prescriptions de Marine Le Pen pour exploiter avec elle ce nouvel opium du peuple.

Pourquoi cette dégradation ?

L'affaiblissement de notre économie et de la prospérité nourrit un climat général d'insécurité, y compris parmi les classes moyennes, très affectées par le sentiment de déclassement. Et que sert-on à cette réserve de voix que se dispute la classe politique ? Un discours daté et périmé sur l'identité nationale. Ma conviction est que rien ne menace notre identité. Certainement pas l'islam qui restera minoritaire dans notre pays.

Dans le même temps les idées d'équité et de partage ont déserté les discours publics. Or réaliser l'égalité des chances suppose le courage d'orienter efficacement nos instruments de redistribution, de dotation sociale et d'aménagement du territoire ainsi que nos politiques publiques. Mais, au plan politique, certains milieux qui veulent en découdre avec l'islam prétextent le ressourcement identitaire ou la défense d'un ordre républicain et laïque idéalisé pour dénoncer une société musulmane parallèle. S'agissant de la laïcité, ils en usurpent le sens historique. Un tel reniement tourne le dos à notre tradition et à nos principes fondateurs, il porte en lui les germes du totalitarisme.

Le FN vous inquiète ?

Oui, car il est parvenu à dicter l'ordre du jour politique et médiatique. Il impose aux Français l'idée d'une société agnostique avec des valeurs agonisantes. On peut parler d'une démission des élites qui se sont installées, parfois à leur insu, dans le sillage idéologique de l'extrême droite.

Vous ne pouvez pas nier l'existence d'une forme de communautarisme en France...

Le communautarisme ? Quelle hypocrisie ! C'est une adultération des réalités et un dénigrement à l'endroit des populations concernées. Quelles sont et où sont donc dans notre pays les communautés qui se sont organisées pour revendiquer des droits spécifiques et les ont obtenues ? On dit des migrants qu'ils restent entre eux, qu'ils ghettoïsent la France, qu'ils émiettent la République. Seraient-ils donc responsables de la ségrégation qu'ils subissent ? On peut désespérer les Français, les angoisser, invoquer la laïcité à tout va, tant qu'on ne s'attaquera pas aux ségrégations, on continuera à constater notre impuissance.

Propos recueillis par Luc Bronner