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dimanche 6 mars 2011

L'islam de France se construit hors du cadre institutionnel voulu par le pouvoir

LE MONDE | 28.02.11
En trois mandats, dont deux sous la présidence de Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris, proche d'Alger, rien n'a été fait pour rationaliser la construction de lieux de culte, le marché de la viande halal, organiser la formation des imams ou le pèlerinage à La Mecque.
Le président de la République, Nicolas Sarkozy, le répète depuis des années : il souhaite l'avènement d'un "islam de France" susceptible de prendre le pas sur une réalité qui, semble-t-il, dérange et menace : "l'islam en France". Le débat annoncé par l'UMP sur la place de l'islam dans la société française, et soutenu par l'Elysée, est justifié à droite par la nécessité de faire émerger ce concept, qui n'a pas prospéré comme l'espérait naguère le ministre de l'intérieur en charge des cultes.
A ce poste, M. Sarkozy avait en effet théorisé l'existence d'un "islam de France" et avait souhaité l'incarner en créant au forceps le Conseil français du culte musulman (CFCM). C'était en 2003. Huit ans après, cette approche est un échec. A plus d'un titre.
Premier paradoxe : alors qu'il était censé donner une existence à une réalité française, le CFCM a été organisé autour des mouvements musulmans proches des pays d'origine des premières générations d'immigrés, au premier rang desquels l'Algérie, le Maroc et la Turquie. Les représentants de ces organisations sont restés liés politiquement et/ou financièrement aux consulats concernés. En huit ans, devenues bureaucrates de l'islam, les figures de la représentation musulmane officielle ne se sont quasiment pas renouvelées.
Deuxième écueil, les critères de représentativité acceptés par les pouvoirs publics, fondés sur la superficie des mosquées, ont créé une concurrence entre les différents mouvements et les pays d'origine, plus soucieux de gagner ou de créer des mètres carrés que de faire avancer les dossiers. Les intérêts particuliers l'ont emporté.
En trois mandats, dont deux sous la présidence de Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris, proche d'Alger, rien n'a été fait pour rationaliser la construction de lieux de culte, le marché de la viande halal, organiser la formation des imams ou le pèlerinage à La Mecque. Les seuls acquis concrets concernent la création d'une aumônerie musulmane dans l'armée et, dans une moindre mesure, dans les prisons.
D'un point de vue symbolique, le CFCM a permis l'émergence d'une voix et d'une présence musulmanes aux côtés des autres religions dans le cadre des relations entre la République et les cultes. Mais elle bute constamment sur un biais originel : sa prétention à unifier une catégorie, "les musulmans", dont la réalité est caractérisée par une grande diversité. Cette représentation institutionnelle est aujourd'hui fragilisée et contestée. Des interrogations pèsent sur les prochaines élections prévues en juin.
Décalage
Installés par le pouvoir, les membres du CFCM apparaissent déconnectés des fidèles. Le constant rajeunissement des pratiquants souligne de manière de plus en plus tendue le décalage entre les "blédards" ou les "chibanis" (anciens en arabe) et les nouvelles générations nées et élevées en France, décomplexées dans leurs rapports à la pratique religieuse et dans leurs relations avec les pouvoirs publics, et bien plus éloignées que leurs parents des pays d'origine.
C'est cet "islam de France" qui fait aujourd'hui son chemin en dehors des sentiers battus par les pouvoirs publics. Les jeunes musulmans commencent à s'organiser en associations cultuelles locales pour prendre pied dans la gestion des mosquées. Ils créent leurs réseaux, développent l'information sur le marché halal, le pèlerinage ou la lutte contre l'islamophobie ; et, s'ils suivent des formations dans les instituts tenus par l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) ou se pressent à son rassemblement annuel du Bourget, ils ne s'inscrivent pas dans une affiliation exclusive à ce mouvement.
Après des décennies d'invisibilité, cet islam de France, absent de la représentation institutionnelle, se pratique au grand jour. La majorité des fidèles s'efforcent de respecter le cadre laïc et adaptent leurs pratiques ; une minorité, par provocation, visées politiques ou méconnaissance du contexte français, teste ponctuellement les valeurs républicaines. Par tâtonnements, ajustements, dialogue, formation, et, si besoin est, recours à la justice, les musulmans, comme les autres croyants, devraient toutefois pouvoir s'inscrire dans le cadre légal de la laïcité, sans injonction ou immixtion du pouvoir. Ainsi que le prévoit le régime de séparation des Eglises et de l'Etat.
Stéphanie Le Bars

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