SOMMAIRE

Rechercher dans ce blog

lundi 14 mars 2011

ISLAMOPHOBIE A L'AMERICAINE (Le Monde 12/03/11)


Le Monde, le 12/03/2011


ISLAMOPHOBIE A L'AMERICAINE

En organisant au Congrès des auditions sur la " radicalisation " des musulmans, un élu new-yorkais ravive les cicatrices du 11-Septembre





Le républicain Peter King, qui a pris la présidence de la commission sur la sécurité intérieure depuis le changement de majorité à la Chambre des représentants, est un homme carré, trapu, qui fait du kickboxing et qui, surtout, est élu de Long Island, à New York. A ce titre, reconnaît-il, il est " obsédé " par les attentats du 11 septembre 2001. Son bureau est rempli de casques de pompiers décédés, de photos de toutes les funérailles auxquelles il a assisté. " J'essaie d'empêcher un autre 11-Septembre ", dit-il.

Au nom du 11-Septembre, Peter King a infligé à ses compatriotes une nouvelle séance éprouvante d'introspection sur l'islam, l'islamisme, les stéréotypes, et la stigmatisation d'une communauté musulmane qui fait le dos rond depuis dix ans pour s'apercevoir avec stupeur que dans ses rangs, des jeunes sont tentés par le djihad.

Le républicain a tenu, jeudi 10 mars, les auditions qu'il s'était promis d'organiser (" Je regarde la réalité en face. Au contraire des gens qui me critiquent ") et dont il n'a pas voulu changer l'intitulé : " Auditions sur l'étendue de la radicalisation " dans la communauté musulmane américaine.

Message sous-jacent : les musulmans ne coopèrent pas assez énergiquement avec la police dans la lutte antiterroriste. Signe de l'émotion accumulée : le représentant démocrate du Minnesota Keith Ellison, le premier musulman élu au Congrès, s'est effondré en sanglots en évoquant le secouriste Mohammed Salman Hamdani, mort dans les décombres du World Trade Center, et le fait qu'il fut soupçonné d'avoir participé aux attentats.

Les démocrates et le monde associatif avaient dénoncé l'amalgame et comparé Peter King à Eugene McCarthy et sa chasse aux sorcières communistes dans les années 1950. " Pour les musulmans, il ne suffit pas de respecter la loi. Pour éviter la surveillance du Congrès, il faut empêcher les complots terroristes ", a résumé l'humoriste Jon Stewart.

Alors que les Américains se sont passionnés pour la révolution égyptienne et " l'autre visage " du monde arabe, la polémique autour des auditions a relancé l'atmosphère d'islamophobie qui avait empoisonné le climat à l'été 2010. Le pays était en pleine campagne électorale. Les médias avaient mordu sans difficulté à la polémique créée, à l'approche du 9e anniversaire des attentats du 11-Septembre, par le projet d'ouverture d'une mosquée près de Ground Zero.

L'anniversaire passé, la controverse est retombée. Sept mois plus tard, la " mosquée " de Ground Zero n'a toujours pas vu le jour. Le principal inspirateur des lieux, l'imam Feisal Abdul Rauf, a quitté ses fonctions après avoir envisagé publiquement la possibilité d'installer le centre dans un endroit moins sensible, ce qui n'a pas plu au propriétaire de l'immeuble.

Chez les conservateurs, en revanche, la faction anti-islamistes a été galvanisée par la polémique. La blogueuse Pamela Geller, qui avait dénoncé la mosquée pendant des mois avant que le débat ne démarre, est devenue une célébrité du circuit islamophobe. Elle donne des conférences. Son blog (" Stop islamization of America ") a été catalogué fin février parmi les sites qui " encouragent la haine " par le Southern Poverty Law Center, l'association qui recense les extrémistes depuis quarante ans. Elle s'en est déclarée " honorée ".

Le pasteur de Floride Terry Jones qui avait menacé de brûler des exemplaires du Coran le 11 septembre 2010, provoquant une émeute à Djakarta, poursuit lui aussi sa croisade. Début février, il s'est vu refuser l'entrée en Grande-Bretagne, où il voulait participer à une manifestation contre " l'islamisation de l'Europe " avec une " internationale " qui comprend le Néerlandais Geert Wilders. Son nouveau projet est de " juger " le Coran. Sur la pelouse de son église de Gainesville, il n'a plus un, mais quatre panneaux, annonçant le choix des châtiments si le livre " est reconnu coupable " : " brûler ", " noyer ", " déchirer " ou " fusiller ". Les intéressés sont invités à voter sur Facebook. Côté financement, le pasteur vend des T-shirts et des casquettes de base-ball marqués " L'islam relève du diable ".

La nouvelle égérie de l'islamophobie est une Américaine d'origine libanaise, qui se fait appeler Brigitte Gabriel, un nom d'emprunt, pour sa sécurité. A 46 ans, elle donne des conférences dans tout le pays pour dénoncer " l'infiltration " des islamistes au FBI, à la CIA, au département d'Etat. Elle y raconte son histoire d'enfant maronite blessée dans le bombardement de Marjayoun, son village du Sud-Liban " par les musulmans ". A l'âge de 20 ans, elle s'est réfugiée en Israël, où elle a été présentatrice pour la chaîne Middle East Television, propriété du télévangéliste fondamentaliste Pat Robertson. " L'islam radical m'a enlevé mon pays natal. Je ne veux pas perdre mon pays d'adoption, les Etats-Unis ", répète-t-elle.

Son organisation (Act for America) a un budget de 1,6 million de dollars (contre 5 000 dollars en 2004 !). Elle vient de recruter la directrice de cabinet d'une élue du Congrès pour s'occuper de la communication. Selon le New York Times, elle emploie huit permanents, dont un lobbyiste à plein temps, et a un millier de groupes locaux. Dans l'Oklahoma, l'ACT a été à la pointe du mouvement pour faire passer un référendum interdisant de citer la charia dans les décisions de justice, par l'intermédiaire d'un spot enregistré par l'ancien directeur de la CIA sous Bill Clinton et néoconservateur de toujours James Woolsey.

Marquée par son enfance sous les bombes, Brigitte Gabriel est régulièrement invitée dans les cercles Tea Party qui s'émerveillent d'apprendre que ce qu'il est généralement convenu d'appeler " guerre civile " libanaise était en fait " le début du djihad ". Elle vient de lancer une émission sur une chaîne câblée. Le premier invité ? Le congressman Peter King.

Corine Lesnes, Washington Correspondante

© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire