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mardi 1 mars 2011

Yazid Sabeg, commissaire à la diversité et à l'égalité des chances

Le Monde | 01.03.11

Yazid Sabeg, commissaire à la diversité et à l'égalité des chances, a déclaré : "Le Front national est parvenu à dicter l'ordre du jour politique et médiatique".AFP/FRANCOIS GUILLOT

Yazid Sabeg, le commissaire chargé de la diversité et de l'égalité des chances au sein du gouvernement, s'alarme du poids pris par le Front national dans le débat public. Nommé en 2008, il marque sa différence avec Nicolas Sarkozy sur l'islam et sur l'intégration. Mais l'industriel refuse toute idée de démission : "Je n'ai pas entendu, dans les propos du président de la République, qu'il révoquait sa politique de diversité."

Partagez-vous l'analyse de Nicolas Sarkozy sur l'échec du multiculturalisme en France ?

Je pense que proclamer l'échec de quelque chose qui n'a jamais existé en France est impropre. En effet, le multiculturalisme, qui consacre l'égale dignité des cultures, n'a jamais été ni envisagé ni considéré dans notre pays. Même le caractère positif de la diversité n'est qu'une idée récente. Je ne sais donc pas ce qui est multiculturel chez nous d'autant que ce terme est le plus souvent employé pour opposer le modèle dit français et républicain à une conception anglo-saxonne de l'intégration.

La mondialisation nous soumet aujourd'hui aux réalités sociales et culturelles de l'intégration. Celles-ci sont néanmoins inscrites dans notre histoire et sont aux fondements de notre nation. L'intégration, c'est toute l'histoire de la France, c'est l'accueil des migrants sous l'Ancien Régime ou la République. Mais ce fut aussi le long processus d'intégration de la diversité de provinces qui ne parlaient pas français et de populations qui étaient contre la République. Ce fut toujours une politique volontariste et non un accident de l'histoire. Ce fut même une politique intégrante de la période coloniale.

Ce modèle a-t-il échoué ?

La France offre encore à tous ce modèle de référence dominant à partir duquel l'individu, quelle que soit son origine, peut se construire. Etre français tient autant à l'amour du sol qu'au respect des lois. C'est recevoir une éducation qui est fondée sur l'oubli des origines et adhérer à un contrat social constitué de règles communes. Si échec il y a, il réside dans la fragilisation des liens sociaux et dans notre incapacité à revitaliser notre conscience civique.

Comment jugez-vous l'état du débat public en France ?

De la gauche à l'extrême droite, l'essentiel est escamoté. Aux questions de fond telles que l'emploi des jeunes, la lutte anti-ghetto ou l'accès équitable à l'éducation et à la formation se sont substitué des pseudo-débats centrés sur ce qui serait une confrontation de l'islam avec la laïcité. C'est comme si désormais la crise de nos sociétés ne pouvait s'expliquer qu'à travers la figure des musulmans ! Qu'on critique l'islam, pourquoi pas ? Mais la religion ne peut pas devenir la grille de lecture de tous nos maux. Je constate que les partis républicains sont dans cette confusion et se conforment aux prescriptions de Marine Le Pen pour exploiter avec elle ce nouvel opium du peuple.

Pourquoi cette dégradation ?

L'affaiblissement de notre économie et de la prospérité nourrit un climat général d'insécurité, y compris parmi les classes moyennes, très affectées par le sentiment de déclassement. Et que sert-on à cette réserve de voix que se dispute la classe politique ? Un discours daté et périmé sur l'identité nationale. Ma conviction est que rien ne menace notre identité. Certainement pas l'islam qui restera minoritaire dans notre pays.

Dans le même temps les idées d'équité et de partage ont déserté les discours publics. Or réaliser l'égalité des chances suppose le courage d'orienter efficacement nos instruments de redistribution, de dotation sociale et d'aménagement du territoire ainsi que nos politiques publiques. Mais, au plan politique, certains milieux qui veulent en découdre avec l'islam prétextent le ressourcement identitaire ou la défense d'un ordre républicain et laïque idéalisé pour dénoncer une société musulmane parallèle. S'agissant de la laïcité, ils en usurpent le sens historique. Un tel reniement tourne le dos à notre tradition et à nos principes fondateurs, il porte en lui les germes du totalitarisme.

Le FN vous inquiète ?

Oui, car il est parvenu à dicter l'ordre du jour politique et médiatique. Il impose aux Français l'idée d'une société agnostique avec des valeurs agonisantes. On peut parler d'une démission des élites qui se sont installées, parfois à leur insu, dans le sillage idéologique de l'extrême droite.

Vous ne pouvez pas nier l'existence d'une forme de communautarisme en France...

Le communautarisme ? Quelle hypocrisie ! C'est une adultération des réalités et un dénigrement à l'endroit des populations concernées. Quelles sont et où sont donc dans notre pays les communautés qui se sont organisées pour revendiquer des droits spécifiques et les ont obtenues ? On dit des migrants qu'ils restent entre eux, qu'ils ghettoïsent la France, qu'ils émiettent la République. Seraient-ils donc responsables de la ségrégation qu'ils subissent ? On peut désespérer les Français, les angoisser, invoquer la laïcité à tout va, tant qu'on ne s'attaquera pas aux ségrégations, on continuera à constater notre impuissance.

Propos recueillis par Luc Bronner

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