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samedi 26 janvier 2013

Marine Le Pen : "les Francais pensent comme nous"


Le Monde.fr | 26.01.2013 à 11h01Par Abel MestreMarine Le Pen le 13 janvier dernier.

Marine Le Pen a lu Le Monde daté du 25 janvier où était publiée l'enquête d'Ispos,"France 2013, les nouvelles fractures" et réalisée par le Cevipof et la fondation Jean-Jaurès. Elle a longuement cité cette étude qui lui a servi de trame pour une bonne partie de son discours de près d'une heure, délivré devant un peu moins de deux cents militants réunis à Boulogne-Billancourt vendredi soir, pour une "galette des rois" avec les militants des Hauts-de-Seine.

"Il y a un bond spectaculaire des idées du FN", a notamment affirmé Mme Le Pen."Que dit cette étude? Elle dit que les Français pensent comme nous", a-t-elle ajouté. Puis, la présidente du parti d'extrême droite a entamé une longue litanie de chiffres issus de l'enquête, pour montrer l'adhésion des Français à son discours: aussi bien sur la "crispation autour de l'immigration", l'islam, la "mondialisation menace pour la France", ou encore le protectionnisme économique.
Marine Le Pen s'est aussi félicitée que "Les Français réclament un chef""Il serait effectivement largement temps!", s'est-elle exclamée.

Mme Le Pen s'est aussi lancée dans des saillies contre la supposée "corruption"du pays, reprenant le refrain classique au Front national du "tous pourris". Citant une nouvelle fois l'étude d'Ispos, qui établissait que 62% des sondés estimaient que "la plupart des hommes et des femmes politiques sont corrompus", Marine Le Pen s'est amusée à répliquer: "Il y a 38 % d'optimistes!" Elle a ensuite énuméré certaines affaires - Tapie, Karachi, "pétrole contre nourriture", le Carlton de Lille...- qui prouveraient, selon elle, la corruption de la France.

"Tous les jours on nous apporte la démonstration que le niveau de corruption nous place probablement dans les dix pays les plus corrompus du monde", a-t-elle affirmé. Il faut noter ici que l'ONG Transparency international place la France au 22e rang des pays perçus comme les moins corrompu du monde, sur 176.

LA VIE POLITIQUE, UN "IMMENSE JACCUZI"

"Ils (les responsables politiques, NDLR) transforment la vie politique en un immense jacuzzi: on fait des bulles pour ne pas voir ce qu'il y a au fond de la piscine et notamment les crocodiles qui y rôdent. (...) Pour ne pas parler de l'essentiel", a encore harangué Mme Le Pen. Qui en rajoute : "Et je ne parle que de la tête pourrie du poisson, je ne descends pas le long de son arrête principale qui descend dans toute une série de conseils régionaux, des conseils généraux, de communes..."

Elle poursuit: "Et après Le Monde s'étonne : 'Mais d'où vient donc cette absence de confiance brutale entre les Français et leurs responsables politiques?' (...) Je vais donner une explication toute simple au Monde: Les Français lisent les journaux, regardent la télévision, ils ont un cerveau et des yeux et des oreilles et commencent à juger que ça commence à bien faire".
Mais, devant ses militants, Marine Le Pen a aussi repris ses habits de chef de parti.

Elle a mobilisé ses troupes. "Notre ennemi c'est la fatalité, maladie mortelle introduite insidieusement dans l'âme et dans le coeur des Français. (...) Elle nous tue, elle anesthésie notre peuple, elle empêche le sursaut de notre pays. La situation dans laquelle est la France est une opportunité de changer 40 ans de politique!", a-t-elle conclu.

Abel Mestre

Les crispations alarmantes de la société française


LE MONDE | 24.01.2013 à 12h32 • Mis à jour le 25.01.2013 Par Gérard Courtois

On savait les Français pessimistes, inquiets de l'avenir et persuadés du déclin du pays. On avait bien compris que la France est "une société de défiance", après les travaux d'Algan et Cahuc en 2007 ou les enquêtes décennales sur les valeurs conduites sous la direction de Pierre Bréchon depuis 1981. Enfin, maints sondages ont témoigné du jugement sans pitié des Français sur la politique, de leur réticence croissante envers l'Europe ou de leur crainte de la mondialisation.

Lire aussi : La défiance des Français envers la politique atteint un niveau record

L'enquête d'Ipsos, intitulée "France 2013 : les nouvelles fractures" et réalisée avec le Centre d'études politiques de Sciences Po (Cevipof) et la Fondation Jean-Jaurès, ne confirme pas seulement ces tendances lourdes de l'opinion publique. A l'évidence, la crise économique et sociale de ces dernières années les a consolidées.

L'IRRITATION ATTEINT DES SOMMETS SUR LA VIE POLITIQUE

 C'est le cas pour la tentation du repli national. Ainsi, un Français sur deux (et jusqu'à 77 % des sympathisants du FN) considère aujourd'hui que "le déclin de la France est inéluctable", en matière économique comme dans le domaine culturel. Mais ils sont plus nombreux encore – trois sur cinq – à voir dans la mondialisation"une menace pour la France" et à juger que "la France doit se protéger davantage du monde d'aujourd'hui".

Infographie "Le Monde"

Quant à l'Europe, s'il ne se trouve que 28 % des sondés pour souhaiter une sortie de la zone euro et un retour au franc, deux sur trois, en revanche, souhaitent"renforcer les pouvoirs de décision de notre pays, même si cela doit conduire à limiter ceux de l'Europe".

Dans un autre registre, celui de la vie politique, l'irritation atteint également des sommets. Non seulement "le système démocratique fonctionne plutôt mal enFrance" (72 %), mais "les hommes et les femmes politiques agissent principalement pour leurs intérêts personnels" (82 %) et "la plupart" d'entre eux"sont corrompus" (62 %). Comme c'est le cas depuis une vingtaine d'années, les médias sont mis dans le même sac.

 

Infographie "Le Monde"

Mais cette enquête va plus loin. Elle dresse du pays un portrait beaucoup plus sombre. Sur bien des points, en effet, la société française semble taraudée dans ses profondeurs : elle glisse de la défiance au rejet, de l'inquiétude à l'anxiété, du repli sur soi à la peur de l'autre, du pessimisme au catastrophisme. "L'effet de la crise n'est pas surprenant, mais il est saisissant, tant l'inquiétude est désormais profonde", analyse Pascal Perrineau, le directeur du Cevipof.

A ses yeux, le poujadisme qui s'est enraciné depuis une trentaine d'années "est en train de changer de nature : le ressentiment cède la place à l'hostilité et, sur de multiples valeurs, la crispation est très nette". Cette crispation est, à la fois, autoritaire et identitaire.

La demande d'autorité n'est pas une surprise : depuis les années 1990, les "enquêtes Bréchon" sur les valeurs des Français témoignaient que l'idéologie antiautoritaire des années 1960-1970 refluait de façon spectaculaire, notamment à gauche. En 2008, Etienne Schweisguth l'analysait comme une "demande d'ordre public", équilibrant et compensant l'aspiration à davantage d'autonomie et de liberté individuelles dans la sphère privée.

 

Infographie "Le Monde"

Cette mutation est plus évidente que jamais : 86 % des sondés (sans écarts significatifs entre gauche et droite, jeunes et vieux) estiment que "l'autorité est une valeur trop souvent critiquée". Et, pour la première fois, elle trouve explicitement sa traduction politique : 87 % des sondés sont d'accord pour dire que l'"on a besoin d'un vrai chef en France pour remettre de l'ordre". La question est brutale, la réponse aussi.

LE MUSULMAN EST VOLONTIERS ASSIMILÉ À "L'INTÉGRISTE"

Quant à la crispation identitaire, elle n'est pas moins impressionnante. Depuis une trentaine d'années, elle s'était cristallisée sur la question de l'immigration. Celle-ci ne s'est pas effacée, loin de là : 70 % des sondés (et jusqu'à 83 % à l'UMP) jugent qu'il y a "trop d'étrangers en France" et 62 % que l'on "ne se sent plus chez soi comme avant".

Mais le point de fixation de ce rejet massif s'est déplacé du terrain économique vers le terrain religieux. Ce n'est plus, majoritairement, le travailleur immigré, susceptible de "prendre le travail des Français" qui est pointé du doigt, mais le musulman, volontiers assimilé à "l'intégriste", et dont la religion est jugée, par 74 % des Français, intolérante et incompatible avec la société française.

Lire aussi : 74 % des Français jugent l'islam intolérant : Les musulmans doivent entendre cet avertissementet La religion musulmane fait l'objet d'un profond rejet de la part des Français (abonnés)

Les ingrédients d'un populisme massif sont donc réunis : le traditionnel "tous pourris !", l'appel au "chef" et la désignation de boucs émissaires. Ce n'est pas nouveau en période de crise lourde, rappelle utilement l'historien Michel Winock.

Lire l'entretien avec Michel Winock : Les ingrédients du populisme sont là et dépassent l'électorat de Marine Le Pen  (abonnés)

Mais si l'Histoire ne se répète jamais, elle invite à souligner le rôle dangereux de ceux qui, loin de les apaiser, attisent ces peurs. Ils trouveront dans cette enquête la justification de leurs philippiques. Ils feraient mieux d'y voir le résultat de leur travail d'incendiaires.

France 2013 : les nouvelles fractures


25 janv. 2013 - 

Ipsos a conçu et réalisé pour Le Monde, la Fondation Jean Jaurès et le Cevipof la vague 1 d'un baromètre sur les Nouvelles Fractures qui traversent la société française. 


Voir l'analyse vidéo

On savait les Français très préoccupés par l'emploi et le pouvoir d'achat ; les résultats de l'enquête mettent en évidence un autre mouvement : le profond repli de l'opinion qui atteint en ce début d'année 2013 un niveau jamais égalé. Ce mouvement se caractérise par une très forte défiance à l'égard du monde extérieur et d'autrui. Pour 78% des personnes interrogées, « on n'est jamais trop prudent quand on a affaire aux autres », 58% pensent que « la France doit se protéger davantage du monde d'aujourd'hui plutôt que de s'ouvrir au monde extérieur ». On observe parallèlement un important rejet du système démocratique et médiatique. Pour 62% des Français, « la plupart des hommes et des femmes politiques sont corrompus » contre seulement 38% pour qui il s'agit d'un phénomène minoritaire. 58% estiment que les journalistes font mal leur travail et 72% qu'ils ne parlent pas des vrais problèmes des Français. Les attentes de l'opinion se positionnent pour un renforcement de l'autorité politique et de l'échelon national. 87% des Français sont d'accord avec l'idée selon laquelle « on a besoin d'un vrai chef en France pour remettre de l'ordre » ; 65% estiment que pour faire face aux grands problèmes à venir il « faut renforcer les pouvoirs de notre pays quitte à limiter ceux de l'Europe ».

Ce mouvement d'opinion traduit bien davantage que la nième étude sur la défiance des Français. En effet, l'enquête fait également apparaître  une adhésion parfois massive à certains propos xénophobes et une forte crispation autour de l'Islam.  70% des Français se sentent proches de l'idée selon laquelle « il y a trop d'étrangers en France » (contre 30% qui se positionnent sur l'item opposé : « il n'y a pas trop d'étrangers en France »). Pour 67% des personnes interrogées, « on ne se sent plus chez soi comme avant » (contre 38% qui estiment qu'on se sent « autant chez soi aujourd'hui qu'avant »). Enfin, près de trois Français sur quatre (74%) pensent que la religion musulmane n'est pas tolérante et pas compatible avec les valeurs de la société française (contre respectivement 28% et 11% pour la religion catholique et 34% et 25% pour la religion juive).

On savait l'opinion publique française pessimiste et inquiète depuis longtemps. On la découvrait à chaque enquête annuelle de plus en plus défiante.  On la mesure maintenant dans le repli, la crispation identitaire et un rejet profond de l'Islam.

Cette enquête fait également apparaître des porosités de plus en plus marquées entre certains électorats. Sur le terrain de l'identitaire et de la demande d'autorité, les sympathisants UMP sont maintenant idéologiquement extrêmement proches des sympathisants FN : massivement hostiles aux étrangers et à l'Islam et en demande d'un « vrai chef ». Ils s'en démarquent en revanche sur la mondialisation, l'euro et l'Europe. De même, il existe des points de convergence forts entre les sympathisants du FN et ceux du Front de gauche pour critiquer la mondialisation, les medias, les responsables politiques et l'islam en tant que religion  qui voudrait « imposer son mode de fonctionnement » ou qui serait intolérante.

Enfin, au-delà de la très grande richesse des résultats d'ensemble et des résultats triés par la sympathie partisane des interviewés, leur profession ou leur niveau de diplôme, Ipsos a également réalisé une analyse typologique particulièrement intéressante. Elle fait apparaître 5 grands groupes, allant des « bobos » aux « populistes » en passant par les « libertaires », les « ambivalents » et les « crispés ».  Une typologie éclairante sur les nouvelles fractures françaises.

L’autre vrai paternalisme occulté par Tariq Ramadan




Par Bakary Sambe*

Rédigé par Bakary Sambe | Vendredi 25 Janvier 2013

À supposer que Tariq Ramadan ait un différend personnel voire politico-idéologique avec la France, cela frôle l'indécence de vouloir régler ses comptes pendant que se déroule sous nos yeux un véritable drame du peuple malien. Il a saisi cette opportunité pour s'attaquer à la politique africaine de la France, dont l'armée s'est mobilisée pour libérer le Nord-Mali à une période cruciale.

Sans prendre la défense d'un pays qui a ses choix et ses orientations que nous ne partageons pas totalement, il faut tout de même admettre que si la France n'était pas intervenue, il aurait fallu deux jours de plus pour que les troupes d'occupation sous couvert d'« islamisation » arrivent à prendre Bamako et continuer allègrement leur chemin afin d'instaurer, sur une bonne partie de l'Afrique de l'Ouest, l'émirat « islamique » longtemps rêvé par Mokhtar Belmokhtar.

Pour dire que l'enjeu majeur pour nos pays n'est pas la résurgence de ce discours refuge de Ramadan cherchant habilement à rallier aussi bien la gauche traditionnelle africaine que les néo-islamistes galvanisés par les victoires en demi-teinte des Frères musulmans du Maghreb et de l'Égypte. Peut-être ignorait-il que la nouvelle génération africaine avait dépassé ce débat et se préoccupait plus d'avenir.

Un impérialisme idéologique

L'article de Tariq Ramadan est, certes, intéressant sous plusieurs aspects, y compris, la critique du suivisme intellectuel de nos élites et de la faiblesse de nos États et régimes qui ont fait qu'avec tout le poids historico-symbolique nous ayons encore besoin de la France pour libérer le Nord du Mali. Mais je reste persuadé que François Hollande, sous le feu des critiques de la presse française et d'une certaine opinion, avait tellement à faire en politique intérieure qu'il se serait bien passé d'une guerre dans un contexte aussi morose.

La réflexion de Tariq Ramadan serait plus complète et crédible s'il avait, avec la même vigueur, dénoncé le processus historique et les constructions idéologiques qui amenèrent Ansar Dine et ses membres à s'attaquer au patrimoine de Tombouctou.

Mais il n'a pas pu ni voulu dénoncer avec la même vigueur cet impérialisme idéologique des pays et organisations du monde arabe, qui, sous couvert, d'islamisation de l'Afrique, financent et appuient des mouvements et ONG remettant, aujourd'hui, en cause l'existence même de l'État malien. Et, on peut légitimement se demander, à qui le tour demain ?

Il faut garder présent à l'esprit que des mouvements comme Ansar Dine et leurs alliés d'AQMI ont pour but déclaré de réislamiser le Sahel africain comme si l'islam ne s'y était pas répandu depuis le Moyen Âge dans le cadre d'un long processus constructif et harmonieux attesté par toutes les sources historiques.

C'est cette croyance à une infériorité spirituelle du musulman africain qui est à la base de l'activisme de nombre d'ONG et de pays arabes au « secours » de l'« Afrique musulmane ». En d'autres termes, un impérialisme sur le lit d'un paternalisme d'un autre genre que Tariq Ramadan n'a pas voulu dénoncer. Peut-être même ne le perçoit-il pas, certainement emporté par les lieux communs de l'idéologie d'une « internationale musulmane », dont les adeptes africains sont aussi des inféodés d'un autre impérialisme.

L'infériorisation du nègre dans l'historiographie arabe

L'attaque au patrimoine de Tombouctou par des phalanges venues du nord du Sahara est un retour de l'Histoire. Elle s'inscrit dans la même logique que celle qui avait animé le sultan marocain Mansour Al-Dhahabi, en 1595, lorsqu'il mobilisa son armée pour, disait-il, islamiser le Songhaï alors que Tombouctou était le centre d'un bouillonnement intellectuel depuis le XIIe siècle. L'épisode qu'en a retenu l'historiographie arabe est encore plus sinistre et plus révélateur de l'état d'esprit d'infériorisation du nègre : les armées d'Al-Mansour capturèrent comme esclave l'un des plus grands oulémas de son temps, Ahmed Baba, déporté finalement à Marrakech.

Mais, au-delà des faits, ce sont le discours et l'idéologie qui sont tout aussi « impérialistes » et réducteurs. En réalité, dans le subconscient arabe, au Maghreb comme au Machrek, il n'a jamais été considéré que l'Africain puisse être « bon » musulman. La perception « folklorique » qu'avaient donnée à l'islam « noir » certains commis coloniaux devenus « chercheurs » dans l'Afrique de l'entre-deux-guerres, perpétuée, ensuite, par des africanistes hexagonaux et certains de leurs disciples africains, a fortement déteint sur la manière qu'ont les Arabes musulmans de regarder leurs « frères » du sud du Sahara.

Mieux, l'image d'une Afrique « sans civilisation, terre de l'irréligion » (ad-dîn 'indahum mafqûd) rejointe par les théories de la tabula rasa, véhiculée par Ibn Khaldoun (Muqaddima) et noircie par l'intellectuel syrien Mahmoud Shâkir, dans son Mawâtin shu'ûb al-islâmiyya, est restée intacte dans certains imaginaires. Ce dernier auteur, à titre d'exemple, présente le Sénégal, qu'il n'a peut-être jamais visité, comme un pays avec ses « sauvages et cannibales » dépourvu de toute pratique ou pensée islamique « respectables ».

Le massacre du patrimoine de Tombouctou par ces bandes armées financées par des pays et organisations arabes me conforte davantage dans l'idée que, derrière le bannissement systématique des pratiques religieuses des communautés originaires d'Afrique, il y avait le mépris d'une catégorie de musulmans qui n'auraient que le choix d'une posture mimétique s'ils voulaient rester « dans la communauté ». L'expression la plus parfaite de la négation de l'apport de l'Afrique à la civilisation islamique. On dirait revivre les pires moments de la théorie ayant orienté l'entreprise coloniale, dont Tariq Ramadan critique sélectivement les résidus. Mais il ne s'attaque pas à la substance de ce paternalisme arabe sous couvert d'islamisation qui veut arriver à bout des équilibres sociaux comme de l'harmonie longtemps louée des sociétés africaines musulmanes.

En fait, il est passé parmi les choses admises qu'il y a une éternelle mission islamisatrice dont les Arabes, cette minorité dominante du monde musulman, seraient naturellement investis. Le Qatar a son « croissant rouge », qui appuie Ansar Dine à Gao, et le Koweït son Agence des musulmans d'Afrique comme l'Arabie Saoudite pilote, par milles officines, la World Association of Muslim Youth (WAMY), généreuse donatrice de la célèbre mosquée de Goodge Street, à Londres, bastion du jihadisme européen.

Un islam « africain » plus « folklorique » ?

Cette croyance est tellement ancrée qu'elle marque l'attitude de mépris de la part des intellectuels du monde arabe vis-à-vis de l'islam africain et de sa production. J'en fus témoin irrité, c'est dans l'enceinte de la prestigieuse université de Californie, à Los Angeles, qu'un haut responsable de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), dont Tariq Ramadan est la star préférée, avait laissé entendre que l'islam « africain » était plus « folklorique » que « spirituel », répondant, ainsi, à un chercheur américain encore intéressé par l'enrichissante diversité de l'islam !

Le plus grave est que ce paternalisme arabe sur les musulmans de « seconde zone » que seraient éternellement les Africains se nourrit d'un vieil imaginaire savamment entretenu. C'est incroyablement, encore Ibn Khaldoun, pourtant esprit éclairé de son temps, qui les traitait de « wahshiyyûn » (sauvages) cannibales « ya'kulu ba'duhum ba'dan » ignorant toute notion de civilisation « tamaddun, hadâra ».

La pensée religieuse n'a pas été en reste lorsque dans la Risâla d'ibn Zayd al-Qayrawânî, faisant encore curieusement référence dans nos pays, il fut mentionné dans un esprit foncièrement esclavagiste qu'il était banni (yuharramu) de commercer avec les habitants du Bilâd Sûdân (pays des Noirs) qui sont des « impies » (kuffâr).

Comme aujourd'hui, l'Afrique subsaharienne d'alors devait être le dindon de la farce théologico-politique entre le kharijisme « banni » et un sunnisme dominant contrôlant les points d'eau sur les routes du commerce caravanier. Dans des relents de pure nostalgie Khalîl al-Nahwî pleure encore l'Afrique musulmane qui ne saurait avoir de personnalité propre que par les « profondes influences » de ce qu'il appelle la « civilisation arabo-musulmane » (Ifrîqiyya-l-Muslima ; Al-Huwiyya-d-dâ'i'a ; L'Afrique musulmane, l'identité perdue).

L'avenir de l'Afrique subsaharienne

C'est cette vision qui accompagne l'entreprise de déstabilisation de l'Afrique de l'Ouest par la prédication d'une forme de religiosité née des contradictions ayant eu cours dans un monde arabe qui a longtemps valsé entre arabisme et islamisme pour en arriver à sa présente impasse.

Je crois personnellement qu'il était mal venu de la part de Tariq Ramadan de vouloir transposer ses différends avec la France ou l'Occident qu'il dit « meurtri et mourant de ses doutes et des crises économiques, politiques et identitaires qui le traversent ». Soit.

Mais le véritable enjeu pour les pays africains, loin des idéologies importées et des modèles qu'on voudrait y plaquer, est une réflexion sur l'avenir des entités politiques aujourd'hui menacées par cet activisme dont ne parle point Tariq Ramadan.

Pouvait-il ignorer ce vieux projet de zone d'influence d'un islam wahhabite radical clairement identifiable aujourd'hui ? Cette ligne Érythrée-Khartoum encerclant l'Éthiopie « chrétienne », en passant par Ndjaména et traversant les actuelles provinces du Nord-Nigeria appliquant la « sharî'a », le Niger et le Mali, sous effervescence islamiste, pour aboutir au Sénégal, seul pays d'Afrique noire ayant accueilli par deux fois le sommet de l'OCI et siège régional de la Ligue islamique mondiale entre autres ? Ou bien, dans la démarche ramadanienne, la critique et la dénonciation des complots et conspirations sont aussi sélectives ?

À moins qu'on accorde à Tariq Ramadan le bénéfice d'un doute sur sa connaissance des réalités subsahariennes !

Mais serait-ce même la seule raison si l'on sait que, sur cette question précise de l'intervention française au Mali, Tariq Ramadan adopte la même position que le chef spirituel et idéologue d'Ennahda, le tunisien Rachid Ghannouchi, le Premier ministre marocain Benkirane, le président égyptien issu des Frères musulmans Mohamed Morsi, rejoints plus tard par l'emblématique Yusuf Qaradâwî, le prédicateur sous les ordres du Qatar, qui a financé Mokhtar Belmokhtar le nouvel émir autoproclamé de l'Afrique subsaharienne ?

En tout état de cause, dans cette prise de position énigmatique de Ramadan, aussi bien l'occultation du paternalisme arabe savamment drapé du prétexte d'islamisation que la troublante coïnci-concordance avec les déclarations des leaders du panislamisme les plus en vue donnent le tournis aux plus optimistes quant à sa sincérité.


* Dr. Bakary Sambe est enseignant-chercheur au Centre d'études des religions (CER), UFR des Civilisations, Religions, Arts et Communication, université Gaston Berger, Saint-Louis du Sénégal.




vendredi 25 janvier 2013

Catastrophe de Fréjus : Benjamin Stora ne croit pas à la théorie de l'attentat 25.01.13 | 20:46 | Le Monde.fr Benoît Hopquin

Au détour d'un documentaire diffusé mardi, la chaîne Arte attribue la catastrophe du barrage de Malpasset, le 2 décembre 1959, à un attentat du FLN algérien. AFP

Au détour d'un documentaire diffusé mardi 22 janvier, intitulé Le Long Chemin de l'amitié, qui traitait des relations tumultueuses entre la France et l'Allemagne, la chaîne Arte attribue la catastrophe du barrage de Malpasset, le 2 décembre 1959, à un attentat du Front de libération nationale (FLN), les indépendantistes algériens. Elle s'appuie sur les archives des services secrets est et ouest-allemands. Selon le film, un agent ouest-allemand, Richard Christmann, a prévenu sa hiérarchie avant l'attentat mais l'information n'aurait pas été transmise à la France pour des raisons politiques. Cette hypothèse nouvelle suscite depuis mardi la polémique.

>> Lire le blog Big Browser : "Selon Arte, la catastrophe de Fréjus serait un attentat du FLN"

Le 2 décembre 1959, en pleine nuit, la rupture de l'ouvrage, récemment construit en amont de Fréjus pour irriguer des terres, précipita des millions de mètres cube d'eau dans la plaine, qui ensevelirent sous des torrents de boue des zones d'habitation et emportèrent un train de voyageurs. La catastrophe fit 423 morts et disparus. Elle reste un traumatisme profond dans la région.

Le drame avait jusque-là toujours été attribué à des causes accidentelles : défaut de conception, fragilité du béton, vice de la roche sur laquelle était ancré l'ouvrage. Plusieurs années d'instruction, plusieurs procès, plusieurs jugements, le dernier en 1971, n'avaient pas permis de déterminer une responsabilité. La thèse finalement retenue par la justice fut que les pluies abondantes des jours précédents avaient dangereusement gonflé le réservoir et fragilisé les points d'appui de la structure.

Jamais la possibilité d'un attentat n'avait été évoquée. Les coupures de presse de l'époque et les longs comptes rendus des procès n'en font nulle part mention. L'historien Benjamin Stora, spécialiste français de la guerre d'Algérie, émet de sérieux doutes.

"J'ai épluché énormément d'archives policières françaises dans le cadre de mes recherches. Je n'ai jamais trouvé quoi que ce soit sur Malpasset. J'ai discuté longuement avec Mohammed Harbi qui était un des responsables de la fédération de France du FLN. Pas une seule fois il ne m'a parlé d'une telle action. Les Français qui ont soutenu le FLN comme Claude Lanzmann ou François Maspero ont raconté leur vie et n'ont jamais évoqué ce point. Pas plus que ne l'ont fait Henri Curiel ou Francis Jeanson.
Lors du procès du réseau Jeanson [procès des "porteurs de valises" du FLN à partir de septembre 1960], jamais non plus ce fait n'a été évoqué. Il faut aussi se souvenir qu'auparavant, le 25 août 1958, avait eu lieu une vague d'attentats en France, dont l'explosion d'un dépôt pétrolier à Mourepiane [près de Marseille]. Cette action avait provoqué un violent affrontement au sein du comité fédéral du FLN. De nombreux dirigeants regrettaient cet attentat et craignaient qu'il n'aboutisse à une guerre totale.
Il faut être un peu sérieux quand on avance de tels faits. Il faut produire des documents. Il fallait interroger les gens de la fédération de France du FLN, comme Omar Boudaoud ou Ali Haroun. Ils sont encore vivants."

La direction d'Arte a annoncé qu'elle allait pousser ses investigations.

dimanche 20 janvier 2013

"C'était horrible" : les récits des otages sur un cauchemar de quatre jours 20.01.13 | 21:27 | Le Monde.fr avec AFP et Reuters

Alexandre Berceaux, l'un des otages français ayant été libérés, a été rapatrié en France, dimanche 20 janvier 2013.AFP/JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN

"C'était horrible. Tout était difficile, de se cacher, d'entendre des bruits." Le visage fermé, encore sous le choc, Alexandre Berceaux, a raconté à la presse, dimanche 20 janvier, l'enfer qu'il a vécu pendant plus de 40 heures. Quarante heures pendant lesquelles ce Français de 32 ans a été pris en otage par un groupe islamiste sur le site gazier d'In Almenas dans le Sahara algérien. "Je suis content d'être revenu, mais il y a eu beaucoup de pertes", a-t-il confié à son retour dans l'est de la France.

Employé dans une entreprise de restauration, Alexandre Berceaux a expliqué avoir eu le réflexe de se cacher sous son lit, dans un camp proche de la "base-vie" attaquée par les islamistes. "On a entendu l'alarme retentir et personne ne savait ce qui se passait", a expliqué le jeune homme, qui travaillait sur la base depuis plus d'un an. Il a précisé avoir dissimulé son passeport et ses papiers "pour cacher qui j'étais". Il a dit avoir entendu régulièrement des tirs, vraisemblablement des preneurs d'otages. "Ils n'étaient pas loin, à quelques mètres".

"Tout le monde était en danger, pas seulement les Occidentaux. Ca tirait de partout et ça venait de n'importe où", a-t-il ajouté. Alexandre Berceaux a estimé que ses collègues algériens, qui avaient le droit de circuler dans le camp, avaient pris "des risques énormes"pour le ravitailler, car les islamistes cherchaient les Occidentaux. "On m'amenait de la nourriture, mais je ne pouvais pas la manger, je ne savais pas combien de temps j'allais rester là", a-t-il cependant précisé. 

DES RÉCITS EFFRAYANTS

Sur cette capture d'écran de la chaîne de télévision privée algérienne Ennahar du 19 janvier 2013, des otages se rendent aux ravisseurs à In Amenas, en Algérie/ AFP/-

C'est le même récit effrayant d'un cauchemar de quatre jours, qui s'est terminé en bain de sang, qu'ont livré les rescapés de l'attaque d'In Aménas en Algérie. Le récit d'otages transformés en bombes vivantes, terrés pendant des heures pour tenter d'échapper au commando ou exécutés sommairement

"Je me trouvais à l'extérieur du bureau quand j'ai vu les terroristes arriver", a raconté un Roumain qui travaillait sur le site gazier et s'est retrouvé aux côtés de centaines d'employés algériens et d'expatriés sous la menace d'un commando proche d'Al-Qaida ayant pris le contrôle des installations. Aux dires des témoins, les assaillants étaient lourdement armés, avec des lance-roquettes en plus des kalachnikovs.

"Ils ont commencé à tirer sur les gardiens", puis "ils sont entrés et ont commencé à prendre des otages. Je me suis barricadé avec un autre collègue dans le bureau, en bloquant la porte avec un meuble", a expliqué cet ex-otage. Certains ont trouvé refuge dans de faux-plafonds, d'autres se sont terrés sous leur lit, comme Alexandre Berceaux. Mais les assaillants étaient visiblement prêts à tout pour débusquer les étrangers qui tentaient de se cacher, comme en a témoigné dans la presse un Algérien employé sur le site qui a réussi à leur échapper.

LES ALGÉRIENS REGROUPÉS À PART

Capture d'écran de la télévision algérienne montrant d'ex otages algériens qui ont pu échapper aux islamistes. AFP/-

Ils ont pris un Britannique et pointant leurs armes sur lui, "ils l'ont menacé jusqu'à ce qu'il appelle en anglais ses amis en leur disant : 'Sortez, sortez, ils ne vont pas vous tuer. Ils cherchent des Américains'", a raconté ce survivant à la presse. "Quelques minutes après, ils l'ont abattu". Les expatriés étaient apparemment systématiquement ciblés.

"Les terroristes nous ont dit : 'Vous n'avez rien à faire dans cette histoire, vous êtes algériens et musulmans. On va vous relâcher'", a expliqué Iba El Haza, un chauffeur algérien employé sur le site. Un récit corroboré par celui, anonyme, d'un autre employé algérien dans le Mail on Sunday : Ils sont allés dans un des bâtiments, "ont rassemblé les expatriés, les ont fait mettre en cercle et ils leur ont tous mis des explosifs autour du cou".

"Nous autres Algériens, nous étions regroupés à part et nous étions traités avec bienveillance. Ils nous ont dit que nous ne serions pas tués car nous étions musulmans et qu'ils ne cherchaient que les chrétiens", a-t-il raconté. Selon lui, les Algériens avaient le droit d'envoyer des textos ou de passer des appels, mais les preneurs d'otages, très bien renseignés sur la configuration des lieux, ont fait couper le réseau pour empêcher les expatriés de le faire.

Certains y sont toutefois parvenus grâce à un circuit de secours."Vous m'entendez ? J'ai été pris en otage par Al-Qaida", a ainsi écrit à sa famille Stephen McFaul. Cet Irlandais âgé de 36 ans a ensuite réussi à s'échapper quand l'armée algérienne a attaqué les véhicules dans lesquels des membres du commando tentaient de déplacer des otages, bardés d'explosifs.

CERTAINS ONT RÉUSSI À PRENDRE LA FUITE

Deux otages britanniques ayant été libérés lors de l'intervention contre la prise d'otages sur le site de In Amenas, dans le sud-est algérien. REUTERS/LOUAFI LARBI

D'autres aussi ont réussi à prendre la fuite, comme ce Norvégien de 57 ans qui a passé 15 heures dans le désert avec sept autres personnes et a regagné à pied la ville d'In Amenas à près de 50 km de là, déshydraté et épuisé, selon un journal norvégien.

Alan Wright, un Ecossais de 37 ans, a rendu hommage à ses collègues algériens qui l'ont aidé à s'échapper avec d'autres expatriés, soulignant qu'il avait envers eux une "dette éternelle". L'employé de BP s'est caché pendant près de 30 heures dans un bureau avec quatre autres étrangers et des employés algériens sur le site, alors que les coups de feu faisaient rage à l'extérieur, et ceux-ci ne les ont jamais laissé tomber.

"Les Algériens pouvaient se déplacer librement. Alors, on se disait : 's'ils sortent, ils (les preneurs d'otages) vont leur demander d'où ils viennent et ils vont venir fouiller ici'", a-t-il relaté sur la chaîne Sky News. "C'était ma plus grande crainte: qu'ils se rendent et que nous soyons pris", a-t-il expliqué depuis son domicile en Ecosse.

Ce sont ces Algériens qui ont monté l'évasion du petit groupe et qui lui ont donné un chapeau pour qu'il ait "moins l'air d'un expatrié". Ensuite, "ils ont découpé le grillage et ça y est, nous étions partis""Je ne pourrai jamais assez dire de bien de ces gars qui étaient avec nous dans ce bureau et qui avaient la possibilité de se rendre et d'être en sécurité mais qui ont décidé de rester avec nous et de nous aider à nous échapper", a souligné l'ex-otage. "Nous avons une dette éternelle à leur égard".

DES OTAGES EXÉCUTÉS

Tous n'ont pas au cette chance. Deux témoins algériens ont déclaré dimanche à l'AFP avoir vu neuf Japonais être exécutés par les islamistes dès mercredi. Les deux témoins ont expliqué que les islamistes avaient d'abord tué trois Japonais qui s'étaient échappés du bus, chargé vers 4 heures GMT (5 heures heure française), d'emmener notamment des expatriés vers l'aéroport d'In Aména. "Nous avons tous eu peur quand nous avons entendu des tirs de rafales mercredi à 05h30 (04h30 GMT). Après, nous avons réalisé qu'il venaient de tuer trois de nos collègues japonais qui voulaient s'enfuir du bus", a expliqué un témoin, Riad, qui travaille pour le Japonais JGC.

Les six autres Japonais ont été tués dans la base-vie, selon les deux Algériens. Riad a raconté que les assaillants étaient "arrivés sur le site avec des arraches-clous et se sont dirigés vers les chambres des Japonais""Ils étaient au courant de toutes nos procédures", a-t-il affirmé. "Un terroriste a crié 'open the door' ("ouvrez la porte") avec un accent nord-américain, puis a tiré. Deux autres Japonais sont morts et nous avons trouvé quatre autres cadavres de Japonais à l'intérieur de la base-vie", a-t-il dit, très ému.

Prise d'otages : "L'Algérie a eu les réponses les plus adaptées", juge Hollande



Prise d'otages : "L'Algérie a eu les réponses les plus adaptées", juge Hollande

Le Monde.fr avec AFP, AP et Reuters | 19.01.2013 à 18h07 • Mis à jour le 19.01.2013 à 19h42


Le président français, François Hollande, à Tulle le 19 janvier 2013.

L'Algérie a eu les réponses adaptées lors de la prise d'otages sur un site gazier car les négociations n'étaient pas possibles, a déclaré samedi le président français, François Hollande. Les forces spéciales algériennes ont lancé "l'assaut final" contre les djihadistes retranchés sur le site de Tiguentourine, dans le sud-est du pays, rapporte l'agence de presse algérienne APS. Sept otages et onze ravisseurs ont été tués.

"Nous n'avons pas encore tous les éléments mais quand il y a une prise d'otages avec autant de personnes concernées, et des terroristes aussi froidement déterminés, prêts à assassiner — ce qu'ils ont fait— leurs otages, un pays comme l'Algérie a les réponses qui me paraissent, à mes yeux, les plus adaptées car il ne pouvait pas y avoir de négociation", a dit François Hollande lors d'un déplacement à Tulle. Le chef de l'Etat s'exprimait à la préfecture de Corrèze, où il devait rencontrer une délégation du 126e régiment d'infanterie de Brive-La-Gaillarde, dont des hommes sont en partance pour le Mali.

Dès jeudi, François Hollande a affirmé faire "toute confiance aux autorités algériennes" et Paris a indiqué "avoir été régulièrement informé" tout au long de la crise, à rebours d'autres capitales se plaignant d'un manque d'information. "Quand on est confronté au terrorisme, quand on le combat ensemble, j'invite à la prudence sur les critiques", a renchéri vendredi le ministre de l'intérieur, Manuel Valls, alors que samedi son homologue à la défense, Jean-Yves Le Drian, estimait que "la question principale est à adresser quand même aux terroristes".


"DES APPROCHES DIFFÉRENTES"

Le secrétaire à la défense américain, Leon Panetta, lors d'une conférence de presse avec son homologue britannique à Londres, le 19 janvier 2013.

"La prise d'otages vient de prendre fin après un nouvel assaut des forces algériennes, qui a fait de nouveaux morts", a pour sa part annoncé samedi le ministre de la défense britannique, Philip Hammond. Ces pertes en vie humaines"sont épouvantables et il faut dire clairement que ce sont les terroristes qui en portent l'entière responsabilité", a-t-il cependant noté lors d'une conférence de presse conjointe avec son homologue américain, Leon Panetta, actuellement en visite à Londres dans le cadre d'une tournée européenne..

Interrogé sur la gestion de la crise par l'Algérie, il s'est contenté d'indiquer que "les différents pays avaient des approches différentes". Les Algériens "sont dans la région, ils comprennent la menace terroriste (...) Je pense qu'il est important de continuer à travailler avec eux pour développer une approche régionale", a souligné pour sa part Leon Panetta.

Plus tôt dans la journée, le premier ministre japonais Shinzo Abe, qui a participé samedi matin à Tokyo à une réunion de crise sur cette prise d'otages, a qualifiée l'affaire d'"extrêmement ignoble""Nous ne pourrons jamais pardonner", a-t-il ajouté devant la presse.

DES CONDITIONS "EXTRÊMEMENT COMPLEXES"

Le premier ministre japonais Shinzo Abe devant la presse, le 19 janvier 2013.

Depuis le début de l'assaut par les forces spéciales algériennes, jeudi, les critiques ont abondé pour dénoncer une opération, dont de nombreuses zones d'ombre subsistent. La réponse algérienne est typique de la façon dont le pays a géré le terrorisme par le passé, prônant l'action militaire sur la négociation. Plusieurs capitales, dont Londres et Tokyo, ont regretté de ne pas avoir été prévenues par les autorités algériennes de leur intention d'intervenir.


De nombreuses voix se sont élevées à l'étranger pour appeler à la protection des otages. La secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, avait ainsi indiqué vendredi avoir "exhorté [le premier ministre algérien] à faire preuve d'une extrême précaution pour sauver la vie des otages, algériens et expatriés". Toutefois, a-t-elle ajouté, "n'oublions pas qu'il s'agit avant tout d'un acte terroriste."


Face à ces critiques étrangères, une source gouvernementale algérienne a expliqué vendredi qu'il avait été lancé jeudi dans des conditions "extrêmement complexes" et avait évité un "véritable désastre". Selon la même source, le groupe islamiste qui avait pris mercredi en otages des centaines d'Algériens et des dizaines d'étrangers, dont des Occidentaux et des Asiatiques, voulait acheminer les otages au Mali pour s'en servir de monnaie d'échange. Elle a expliqué que le groupe était doté d'un arsenal de guerre constitué de missiles, lance-roquettes, grenades, fusils-mitrailleurs et fusils d'assaut.

Selon le juge antiterroriste français Marc Trévidic, l'attaque islamiste a été préparée depuis longtemps, bien avant l'intervention française au Mali le 11 janvier."Belmokhtar est passé à l'acte à un moment qu'il estimait favorable pour des raisons stratégiques, pour universaliser le conflit et se placer à la tête du jihad international".

samedi 19 janvier 2013

"L'Algérie a eu les réponses les plus adaptées", juge Hollande 19.01.13 | 18:17 | Le Monde.fr

Vue aérienne du complexe gazier d'In Amenas en Algérie, près de la frontière libyenne. AFP/DIGITALGLOBE

L'Algérie a eu les réponses adaptées lors de la prise d'otages sur un site gazier car les négociations n'étaient pas possibles, a déclaré samedi le président français, François Hollande. Les forces spéciales algériennes ont lancé "l'assaut final" contre les djihadistes retranchés sur le site de Tiguentourine, dans le sud-est du pays, rapporte l'agence de presse algérienne APS. Sept otages et onze ravisseurs ont été tués.

"Nous n'avons pas encore tous les éléments mais quand il y a une prise d'otages avec autant de personnes concernées, et des terroristes aussi froidement déterminés, prêts à assassiner  ce qu'ils ont fait leurs otages, un pays comme l'Algérie a les réponses qui me paraissent, à mes yeux, les plus adaptées car il ne pouvait pas y avoir de négociation", a dit François Hollande lors d'un déplacement à Tulle, en Corrèze.

>> Lire :  Algérie : épilogue sanglant après quatre jours de prise d'otage

"DES APPROCHES DIFFÉRENTES"

"La prise d'otages vient de prendre fin après un nouvel assaut des forces algériennes, qui a fait de nouveaux morts", a pour sa part annoncé samedi le ministre de la défense britannique, Philip Hammond. Ces pertes en vie humaines "sont épouvantables et il faut dire clairement que ce sont les terroristes qui en portent l'entière responsabilité", a-t-il cependant noté lors d'une conférence de presse conjointe avec son homologue américain, Leon Panetta, actuellement en visite à Londres dans le cadre d'une tournée européenne..

Interrogé sur la gestion de la crise par l'Algérie, il s'est contenté d'indiquer que "les différents pays avaient des approches différentes". Les Algériens "sont dans la région, ils comprennent la menace terroriste (...) Je pense qu'il est important de continuer à travailler avec eux pour développer une approche régionale", a souligné pour sa part Leon Panetta.

Plus tôt dans la journée, le premier ministre japonais Shinzo Abe, qui a participé samedi matin à Tokyo à une réunion de crise sur cette prise d'otages, a qualifiée l'affaire d'"extrêmement ignoble""Nous ne pourrons jamais pardonner", a-t-il ajouté devant la presse.

DES CONDITIONS "EXTRÊMEMENT COMPLEXES"

Depuis le début de l'assaut par les forces spéciales algériennes, jeudi, les critiques ont abondé pour dénoncer une opération, qui s'est traduite par la mort de plusieurs otages. De nombreuses zones d'ombre demeurent à ce jour sur l'opération menée par l'armée algérienne. Face à des critiques étrangères sur la façon dont a été mené l'assaut, une source gouvernementale algérienne a expliqué vendredi qu'il avait été lancé jeudi dans des conditions"extrêmement complexes" et avait évité un "véritable désastre".

Selon la même source, le groupe islamiste qui avait pris mercredi en otages des centaines d'Algériens et des dizaines d'étrangers, dont des Occidentaux et des Asiatiques, voulait acheminer les otages au Mali pour s'en servir de monnaie d'échange. Elle a expliqué que le groupe était doté d'un arsenal de guerre constitué de missiles, lance-roquettes, grenades, fusils-mitrailleurs et fusils d'assaut.

Selon le juge antiterroriste français Marc Trévidic, l'attaque islamiste a été préparée depuis longtemps, bien avant l'intervention française au Mali le 11 janvier. "Belmokhtar est passé à l'acte à un moment qu'il estimait favorable pour des raisons stratégiques, pour universaliser le conflit et se placer à la tête du jihad international".


vendredi 18 janvier 2013

Mali, Algérie : les comptes Twitter et sites d'information à suivre


Source

Cette note s'appuie sur l'excellente initiative de Rue89, qui a publié récemment une liste de sites et des comptes Twitter pour suivre les derniers développements de l'intervention militaire française au Mali - incluant désormais la prise d'otages en Algérie (retrouvez toutes nos informations sur le sujet).

Nous en appelons également à vous, pour nous signaler en commentaire (ou directement sur Twitter @szadkowski_m) les comptes ou sites que vous jugez fiables : cet article sera mis à jour régulièrement, après vérification.

Via Le Monde. Au delà de notre compte Twitter @lemondefr qui vous transmet les dernières alertes, voici quelques comptes de nos journalistes :

Via Twitter. 

  • Fabien Offner - @fabienoff, journaliste en Afrique de l'Ouest et collaborateur de Rue89 ;
  • Leila Beratto - @LeilaBeratto, journaliste pour RFI et Radio France à Alger ;
  • Omar Ouahmane -@ouahmaneomar, envoyé spécial de France Culture ;
  • David Thomson -@_DavidThomson, correspondant de France 24 en Afrique du Nord ;
  • Julien Sauvaget -@jsauvaget de France 24 ;
  • Tahar Hani -@taharhani deFrance 24 ;
  • le blogueur Baki 7our Mansour, observateur de l'Afrique et de l'Algérie en particulier - @7our ;
  • Afua Hirsch - @afuahirsch, correspondante pour le Guardian ;
  • Borzou Daragahi @borzou, correspondant pour le Financial Times ;
  • Bate Felix -@BateEtah, correspondant pour l'agence Reuters ;
  • Drew Hinshaw -@drewyorkminute, correspondant pour le Wall Street Journal ;
  • Martyn Roper -@martynroper, l'ambassadeur britannique en Algérie

Via les sites d'information.

jeudi 17 janvier 2013

L'intenable solitude française au Mali, par Gilles Kepel


Le Monde.fr | 17.01.2013 à 10h47 • Mis à jour le 17.01.2013 à 12h36Par Gilles Kepel, membre de l'Institut universitaire de France, du Haut conseil de l'Institut du monde arabe et professeur à Sciences Po.

En envoyant l'aviation française frapper les colonnes djihadistes qui se dirigeaient vers Bamako, puis en dépêchant les troupes au sol pour pallier les défaillances de l'armée malienne, le président de la République, François Hollande, gère d'abord les effets pervers de la frappe de son prédécesseur sur les colonnes blindées de Kadhafi qui faisaient route vers Benghazi le 19 mars 2011.

Ce que l'on nomme aujourd'hui encore en Libye avec émotion "Darbet Sarcou" ("la frappe de 'Sarko'") a indéniablement sauvé des milliers de civils dans la capitale de la Cyrénaïque, et permis à la révolution de prendre le tournant qui aboutirait à la chute du tyran. Mais faute d'accompagnement politique, et parce qu'elle n'a pas mobilisé – au-delà de l'émotion de départ – les connaissances et les savoirs de fond disponibles sur les sociétés arabo-islamiques, l'intervention de la France et de l'OTAN en Libye s'est traduite par l'implosion de ce pays en une myriade de factions locales, ethniques ou idéologiques, appuyées sur des katibas (phalanges) surarmées auxquelles le chétif Etat post-kadhafiste ne peut imposer le monopole d'une quelconque force légitime.

Du fait de cette imprévoyance de nos décideurs et stratèges, toute la région, du Sahel au Moyen-Orient, est noyée sous un afflux d'armements provenant du pillage des énormes arsenaux libyens – et cela a constitué une aubaine pour les groupes salafistes radicaux. Leur prolifération profite du désenchantement généralisé des couches déshéritées deux ans après les révolutions arabes, confrontées à la récession économique et à l'aggravation de la misère. L'impunité des djihadistes de tout poil bénéficie aussi de l'affaiblissement des instances de maintien de l'ordre après la chute des régimes autoritaires, ainsi que des ambigüités de certains dirigeants des partis portés au pouvoir par les élections, issus des Frères musulmans, et qui les favorisent en sous-main pour combattre leurs ennemis communs laïques.

FLAMBÉE SALAFISTE

Comme on le voit en Tunisie, en Egypte et en Libye notamment, ces groupes prônent aujourd'hui en guise de panacée sociale l'établissement par la violence d'un Etat islamique et la stricte application de la charia – dont les mesures ont été mises en œuvre spectaculairement au nord du Mali par les AQMI (Al Qaida au Maghreb islamique) et autres Ansar Ed din (les partisans de la religion) ; mais elles se sont traduites également avec l'attaque du consulat américain de Benghazi et de l'ambassade américaine à Tunis par des groupes salafistes portant le même nom, Ansar al Charia (Les partisans de la charia) en septembre dernier. Boucs émissaires de ces exactions : d'abord les femmes non voilées, les universitaires et artistes, les minorités religieuses, et les adeptes de l'islam traditionnel non radical.

Les antiques mausolées de ces derniers sont aujourd'hui dynamités pour "impiété" de Tombouctou à Sidi Bou Saïd et de Tripoli à la vallée du Nil, par des jeunes barbus fascinés par les fatwas de prédicateurs d'Arabie Saoudite et autres pétromonarchies, téléchargées sur internet. Cette flambée salafiste a désormais atteint la révolution syrienne, où les groupes les mieux dotés en fonds par des donateurs des Etats arabes du Golfe détiennent le meilleur armement et attirent les recrues, au milieu du dénuement général et sous les bombardements de l'armée d'Assad.

Ces groupes radicaux sont ultra-minoritaires dans les populations. Toutefois, la déréliction générale des structures policières et militaires après les révolutions, ou dans les Etats faillis (comme le Mali), survalorise l'impact de mouvements à la fois soudés par un endoctrinement très prégnant et par un solide armement - sans parler de leurs financements généreux, dérivés pervers de la rente pétrolière. Même l'Algérie, dont l'appareil de répression donnait un sentiment de puissance, car il était parvenu à étouffer les répliques locales du séisme révolutionnaire arabe en 2011, n'échappe plus au phénomène.

LA FRANCE EST-ELLE ÉQUIPÉE POUR MENER À BIEN SON OPÉRATION ?

La prise d'otages occidentaux, advenue à In Amenas, dans le sud-est du pays, à quelques dizaines de kilomètres de la frontière libyenne, en rétorsion à l'autorisation de survol du territoire donnée par Alger aux Rafale qui allaient bombarder le Mali, indique l'ampleur d'une menace d'autant plus préoccupante qu'elle est réticulaire et polycentrique.

La France est-elle équipée pour mener à bien l'action de restauration de la souveraineté malienne et de coup d'arrêt à la prolifération djihadiste au Sahel ? En d'autres termes, quel le que soit l'issue des combats le véritable test sur le terrain sera sa capacité à favoriser la transition politique démocratique, à se garder des errements qui ont suivi les opérations de l'OTAN en Libye, des Etats-Unis en Irak ou de la coalition internationale en Afghanistan. La solitude française, dans un enjeu qui concerne toute l'Europe dans sa façade méridionale, n'est pas tenable, sauf à vider l'Union de son sens .

Et la prise d'otages d'In Amenas, parce qu'elle concerne dans leur immense majorité des ressortissants de pays anglo-saxons et scandinaves, et qu'elle a lieu sur un site d'extraction d'hydrocarbures – la clef de l'insertion du monde arabe dans le système économique mondial - va impliquer par force de nouveaux Etats dans le conflit, fût-ce contraints et forcés. Pour cela, la connaissance du terrain et des ramifications régionales, de l'imbrication entre le Sahel et un monde arabe où les révolutions s'effilochent, et des liens de ces régions avec leurs ressortissants expatriés en France, est cruciale pour la réussite de l'opération.

Dans un contexte où le cyberterrorisme est une ressource de guerre, ou les mises en scène macabres sur les sites de partage de vidéo sont utilisées comme moyen de chantage sur la société, et où l'affaire Merah reste dans toutes les mémoires, tout conflit prend instantanément un caractère à la fois global et local. La complexité et la multiplicité d'enjeux interpénétrés fait de cette guerre contre un djihadisme post-moderne quasiment doté d'ubiquité un véritable défi de société : il suppose à la fois une grande cohésion de la communauté nationale, et une maîtrise des savoirs et des connaissances sur les mondes arabe et musulman contemporains. Dans ce domaine, la France, il y a peu l'un des leaders mondiaux, accuse depuis les cinq dernières années un retard considérable.

UN DÉFI DE CIVILISATION

Là où les Etats-Unis, nos partenaires européens, et désormais les pays d'Asie et même du Golfe ont investi considérablement pour développer centres d'études et de recherches, enseignements, think tanks, ont su nouer de multiples partenariats avec les sociétés civiles du monde musulman, notre pays, qui compte pourtant le plus grand nombre d'Arabes et de musulmans en Europe occidentale, est à la traîne. A titre d'exemple, l'Institut du Monde Arabe, paralysé par la politique politicienne de l'Hexagone, est passé totalement à côté de la signification des révolutions arabes – alors que, dans le même temps, ont été élus dix députés de France au Parlement tunisien. A Sciences-Po, les études sur le monde arabe, un fleuron de l'établissement pendant le dernier quart de siècle, ont été fermées en... décembre 2010, le mois où Mohammed Bouazizi s'est immolé par le feu en Tunisie. C'est désormais de l'autre côté de la Manche ou de l'Atlantique que beaucoup vont quérir le savoir que l'on venait autrefois du monde entier chercher à Paris.

Ce qui se joue au Mali n'est donc pas seulement une affaire de militaires et l'on voit que, dans les jours qui ont suivi sa survenue, la guerre a fait tâche d'huile dans un grand pays voisin. Cela demande la mise en œuvre d'une stratégie internationale et la maîtrise d'enjeux de société complexes – c'est un défi de civilisation à l'heure de la mondialisation, de l'interpénétration des cultures et de la circulation accélérée des doctrines et des idéologies, des images et des vidéos, des hommes, des biens et des armes à travers les frontières. De ce phénomène le Sahel constitue à la fois la victime par excellence et le lieu d'incandescence.

Gilles Kepel, membre de l'Institut universitaire de France, du Haut conseil de l'Institut du monde arabe et professeur à Sciences Po.